Acte I, scène 10
Auriane, André, Agnès, Marguerite, Madeleine, Cécile, Catherine, Jeanne, Eugène, Antoine, des gentilshommes, Toinette.
André entre à la suite de Toinette.
ANDRÉ, baladant son regard sur l'assemblée en s'arrêtant sur Auriane – Messieurs, Mesdames. Puis-je assister à cette assemblée ? On m'a partout vanté les mérites de ce salon. J'ai donc voulu m'y rendre aujourd'hui mais j'ai dû être mal renseigné quant à l'heure de début de séance. Puis-je encore me joindre à vous sans vous importuner ?
MARGUERITE – Loin de nous importuner, nous vous accueillons avec joie Monsieur.
ANDRÉ – Merci.
MARGUERITE– Nous étions dans une lecture des Caractères de la Bruyère, section « Du Cœur ». Veuillez reprendre Auriane.
AURIANE, avec une voix tremblante qui s'affirme. André ne la quitte pas des yeux – Je ne sais plus bien où j'en était. Disons, ici : neuf « L'amour commence par l'amour, et on ne saurait passer de la plus forte amitié qu'à un amour faible » Dix, « Rien ne ressemble mieux à une vive amitié, que ces liaisons que l'intérêt de notre amour nous fait cultiver » Onze, (elle pâlit) « L'on aime bien qu'une seule fois ; c'est la première : les amours qui suivent sont moins involontaires » Douze, (elle rougit) « L'amour qui naît subitement est le plus long à guérir ».
MARGUERITE – Merci mon amie. Ce fut très agréable. Vous lisez divinement bien. (changeant de sujet) Il me semble qu'étant presque tous mariés ici, nous sommes aptes à mener un débat sur ces Caractères visant le cœur. Qui veut commencer ?
EUGÈNE, se levant – Je voudrais discuter le onzième caractère : l'on aime bien qu'une seule fois ; c'est la première : les amours qui suivent sont moins involontaires. Personnellement, ce caractère me touche et me rappelle mon histoire avec mon épouse. Elle est mon premier amour et je suis tout à fait d'accord avec La Bruyère, je pense que l'on ne peut vraiment aimer que la première fois : l'amour nous renverse au moment où nous nous y attendons le moins, rien n'est calculé, préparé. C'est juste notre cœur qui s'affole sans raison à la vue de la personne aimée. (En regardant Jeanne) Si cette personne vous aime en retour, vous vivez la plus belle histoire qui soit.
ANDRÉ, se levant à son tour – Je ne suis pas d'accord. Selon moi, La Bruyère sous-entend que la seule fois où l'amour est véritable est celle où il est involontaire. Or, il m'est avis que le premier amour n'est pas forcément le plus accidentel. Lorsque l'on est enfant, tous nos amis ont « une amoureuse ». Nous avons alors tendance à vouloir faire de même et à se croire amoureux, à se persuader que l'on aime une certaine personne. Peut-on alors dire que l'amour est irréfléchi ? Peut-on dire qu'il est véritable ? Je ne pense pas. Pour moi, l'Amour avec un grand A peut arriver à n'importe quel moment. Mais il est vrai que c'est sans doute le plus involontaire. Je rejoins La Bruyère sur ce point.
EUGÈNE – Vous pensez donc que nous sommes ici tous mariés sans connaître l'amour ?
ANDRÉ – Je n'ai pas dit cela. Parmi vous, certains sans-doute, connaissent l'amour. C'est qu'il s'est alors montré tôt. Mais je doute que vous soyez tous mariés à votre premier amour. Ici, le jeu des familles et des richesses entre en jeu. Mais si nous restons sur notre sujet, je pense que l'amour inconscient dont parle La Bruyère n'est pas forcément le premier. (Avec passion) Peut-être allez-vous le rencontrer un soir, au détour d'une rue.(Il jette des coups d'œil discrets à Auriane, qui rougit) Là, Cupidon mettra devant vous la plus belle de toutes les personnes et la plus intelligente. Alors, vous lui parlerez et vous proposerez de la raccompagner chez elle. Et à partir de ce moment, le monde entier vous sera indifférent tant qu'elle ne sera pas là, toutes les conversations vous sembleront fades et sans intérêt si elle n'y prend pas part, et votre cœur battra pour elle jusqu'à ce que la mort l'arrête.
CÉCILE – Vous nous parlez de tout ceci comme si vous l'aviez vécu Monsieur de Nemours.
ANDRÉ – En lisant des livres, on devient capable d'inventer une scène en un clin d'œil.
ANTOINE – Dans le même esprit, que nous direz-vous du douzième caractère, « l'amour qui naît subitement est le plus long à guérir » ?
ANDRÉ – Je dirais que l'amour qui naît instantanément est sans doute le plus violent. Est-ce le plus long à guérir ? Peut-être. J'avoue que ma connaissance, sur ce point, est assez limitée mais plus tard, éventuellement, pourrais-je vous en dire plus.
CÉCILE – Je serais ravie d'entendre votre discours sur ce point.
ANDRÉ – J'ai assez monopolisé la parole. Quelqu'un d'autre désire probablement s'exprimer.
MARGUERITE – C'est malheureusement déjà la fin de cette matinée. Elle fut très sympathique, et votre arrivée, Monsieur de Nemours, a été surprenante mais distrayante. Je serais ravie de vous entendre encore débattre dans mon salon.
ANDRÉ – Tout le plaisir est pour moi.
Tous les invités sortent. Auriane monte dans un carrosse à la sortie de l'hôtel. André, qui l'attendait, repart seul de son côté.
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