Chapitre XIII - Pouvoir psychique
Pas de réseau. Il n'y avait plus de réseau. J'avais beau cligner des yeux autant de fois que possible, je n'arrivais plus à afficher la carte de la ville. J'aurais dû m'en douter ! Nous étions perdus, dans le vent, et j'avais froid. Lewis m'entraîna dans des ruelles, l'air de savoir où il allait, mais je savais bien qu'il marchait à tâtons. En plus, il venait du passé, et c'était à peine s'il avait connu mieux que les téléphones à cadran. Même si j'exagérais un peu... Mais bon, 2050 ! C'était cent trente ans dans le passé ! Je dus attraper ses poignets pour qu'il s'arrête.
- Tu ne sais pas où tu vas, n'est-ce pas ? le provoquai-je. On est perdus, hein ? Eh bien merci ! Fais-moi confiance, l'imitai-je. Ça m'apprendra !
- Je suis désolé, d'accord ? Eh, regarde, on a qu'à rentrer ici, c'est abandonné, les fenêtres sont cassées.
Il avait raison. Il y avait une énorme différence entre la partie riche de la ville et... celle-ci, qui, tout comme Lewis, semblait appartenir au siècle dernier. Je le suivis à l'intérieur. C'était assez sombre, ça sentait un peu - juste un peu - la pourriture, mais il n'y avait pas de rats, et ça semblait habitable. Enfin, pour des personnes aussi désespérées que nous. Il monta les marches menant à l'étage à ma suite. L'étage, bien que dénué de meubles, était en meilleur état. Il s'assit sur les marches menant au grenier, et me regarda dans les yeux avec une expression étrange. Ses verts yeux me fixaient, ce qui me fit frissonner.
Et, soudain, j'eus irrésistiblement envie de l'embrasser. C'était comme si je ne contrôlais plus mes pensées. J'avançai vers lui, le pris pas les épaules et le relevai alors qu'il me dévisageait avec étonnement. Il sembla bégayer quelque chose, mais l'information ne parvint pas jusqu'à mon cerveau. Il se débattit, et je le fis pivoter, le plaquant contre le mur pour qu'il cesse d'essayer de se dégager. Mais qu'est-ce qui me prenait ? Je glissai mes bras autour de sa taille et l'attirai contre moi. Il gigota une nouvelle fois, et j'eus envie de partir, de m'enfuir, et puis, à nouveau, sans aucune logique, de l'embrasser.
Alors je glissai ma tête dans son cou, puis posai mon front contre le sien, et, inconsciemment, je fus soulagée qu'il n'essaye plus de s'en aller. Il aurait pu me repousser, s'il avait voulu, car il avait sûrement plus de force que moi, mais il s'était contenté de feindre se dégager. Mes lèvres trouvèrent les siennes et je pressai son visage contre le mien, de plus en plus fort.
Et, tout à coup, je sursautai, et fis un bon en arrière.
- Arrête ! Qu'est-ce que tu fais ? m'écriai-je, terrifiée.
Il parut profondément perplexe.
- Qu'est-ce que je fais ? C'est une blague ?
Je me rendis compte que j'avais terriblement honte. J'agitai les bras comme pour démêler mes pensées, n'osant plus le regarder.
- Je ne savais pas ce que je faisais ! hurlai-je. Je ne voulais pas ! Je ne voul...
Je m'arrêtai brusquement de parler. J'avais mal à la gorge, et des larmes me piquèrent les yeux. Il ne me ferait plus jamais confiance ! Il devait me prendre pour une folle, à présent. Sincèrement, je pouvais le comprendre. J'étais complètement perdue !
Mais je vis soudain son regard, tour à tour, s'illuminer, s'assombrir et afficher un air désolé.
Je cessai de m'agiter, pris une profonde respiration et le soutint du regard. À croire que je ne nous étais pas assez mis dans l'embarras comme cela, il fallait maintenant que j'affiche un air arrogant. Je me dégoutais.
Arrête ça tout de suite, Dayla, arrête. Reprends le contrôle, ressaisis toi, ressaisis toi.
J'eus envie de partir en courant. Mauvaise idée. Le vent s'était intensifié, et je n'irai pas bien loin. De toutes façons, je n'allais pas lui échapper éternellement. Il faudrait que je m'explique, un jour. Mais que dire ? Je ne savais pas moi-même ce qui s'était passé, pourquoi j'avais réagi comme ça, pourquoi je n'avais pas réussi à me contrôler. Parce que, franchement, Lewis était la dernière personne que j'avais envie d'embrasser. Après Winston, bien sûr. Ça, plutôt mourir. Ce qui m'était impossible, en temps que gardienne. Heureusement que ça ne m'étais pas arrivé avec lui ! Il ne serait pas montré aussi... calme, que Lewis. Il se serait foutu de moi.
Mais, quand il ouvrit la bouche, après s'être rassis sur les escaliers et me fixant d'un air pensif, je compris que j'avais eu tort de croire qu'il avait été gentiment compréhensif.
- Je crois que j'ai trouvé mon pouvoir, murmura-t-il.
Je ne sais pas pourquoi je grimaçai soudain, parce que je n'avais pas compris son allusion. Mais c'était si... inapproprié que je crus quelques secondes qu'il avait simplement changé de sujet. Sauf que non. Il parlait de ça. Il m'expliquait. Ce qui était un peu gênant, puisqu'on aurait dit qu'il essayait de me trouver une excuse en endossant la responsabilité de ce que j'avais fait.
Mais ce n'était pas non plus ça. Quoi alors ? Quel rapport avec nos nouveaux pouvoirs, que... ?
Et je compris. Soudainement, comme ça, l'explication explosa dans ma tête comme une bombe. Merde. Et moi qui avait eu peur que sa faculté ne soit plus puissante que la mienne ! Ça... Ça dépassait tout ce que j'aurais pu imaginer. Les pouvoirs de tous les gardiens existant et ayant existé. C'était au-dessus de la réalité, et terriblement injuste. Ils n'avaient pas le droit de me - de nous - faire ça. Qu'avaient-ils cherché à faire en donnant à Lewis un pouvoir si immense ? Était-ce une autre manœuvre du conseil des Immortels pour nous monter l'un contre l'autre, le coup de la lettre n'ayant visiblement pas fonctionné ?
Étrangement, ma première réaction, quand je saisis enfin, fut de lever la tête. Parce que ce flot de questionnements avait jaillis presque en même temps que l'explication, et j'eus l'impression qu'ils nous observaient d'en haut. Et puis je fis exactement ce que je savais qu'ils espéraient que je fasse. Comme un idiote qui avait marché dans leur petit piège sournois. Comme la première fois : ce fut la colère qui me submergea avant que je ne puisse me contrôler.
Je me ruai sur lui, et il se leva brusquement pour parer mon attaque, me repoussa, en me criant d'arrêter. Je tombai sur le sol alors qu'il s'approchait pour me relever, et balayai ses jambes à l'aide de l'une des miennes. Il s'écroula, je me redressai, levai les mains pour appeler la matière à l'immobiliser. Le bois du plancher se déforma, l'enroba avec lenteur alors qu'il criait.
Mais il n'y eut besoin d'un seul mot pour me ramener à la réalité, encore. Maya.
Et ce nom fit écho dans ma tête à notre première rencontre, à la rage incontrôlée que j'avais ressentie quand je l'avais pris pour un espion, avais vu la lettre copiée-collée de la mienne, et, enfin, à la honte qui s'était emparée de moi quand j'avais compris la supercherie des Immortels. Mais à quoi jouaient-ils ?
Ce n'est pas sa faute, il n'y est pour rien. Libère-le.
Le bois se détendit, se retira de sa proie et reprit sa position initiale.
Je me laissai lourdement tomber sur le sol.
- Tu peux... marmonnai-je, maîtriser l'esprit des gens ? C'est ça, ton pouvoir ? Tu m'as manipulée ?
Le dire me procura un immense soulagement. C'était moi la victime, pour une fois. La victime du pouvoir d'un autre gardien. Comme Winston, transformé en oiseau, l'avait été quand je l'avais emprisonné de béton. Comme Lewis, là, maintenant. Victimes. De moi.
Lewis avait retourné la situation, et la réalité me frappa une nouvelle fois. Le danger ne venait décidément pas de la malédiction, mais de nous même.
- Je suis désolé, dit-il. Je ne savais pas, je le maîtrise aussi peu que toi. Pourtant j'ai senti quand j'ai pris le contrôle de ton esprit, mais je ne sais pas... pourquoi je t'ai obligé à faire ça.
J'avais retrouvé ma confiance et mon agressivité naturels.
- Peut-être parce que c'est ce à quoi ton esprit pensait à ce moment là ! ironisai-je.
Il émit un soupire exaspéré et secoua la tête.
- On réessaie, pour voir ? lança-t-il. Je suis en train de t'imaginer ne plus pouvoir parler, disparaître loin, très loin... Tu ferais ça pour moi ?
Je le foudroyai du regard. Il me provoquait, en plus ! Bon, c'était moi qui avait commencé, d'accord. De toutes façons, il n'en était pas capable. Je ne parle pas d'espérer que je disparaisse, je pouvais le comprendre sur ce point, mais de m'influencer à nouveau. Il ne savait pas comment faire. Je me souvenais juste de son regard dans le mien... Peut-être était-ce comme cela qu'il faisait ? Je me gardai bien de lui dire, et pris soin d'éviter de le regarder das les yeux, ce qu'il prit sûrement pour de l'embarras, mais peu importe.
- Le vent s'est intensifié, dit-il. On va devoir dormir ici.
Je levai les yeux au ciel.
- C'est injuste ! protestai-je comme une gamine de cinq ans. Ton pouvoir est beaucoup plus puissant que le mien.
- Ne sois pas jalouse, Maya, je serais capable de m'influencer moi-même. Je suis aussi doué avec cette faculté que Luigi avec une arme ! Allez, ne me dis pas que tu n'as pas eu peur, comme moi, qu'il se tire une balle dans le pied, la première fois !
Je ne pus m'empêcher de rire. Bien sûr que j'y avais pensé.
- Bon. Et sache que si on pouvait échanger, ajouta-t-il en s'installant dans un coin pour dormir, je n'hésiterais pas une seule seconde.
Un sourire bête resta ancré sur mon visage, tandis que je pensais "eh hop ! Encore raté, les Immortels !". Même s'il fallait avouer que ce n'était pas grâce à moi...
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