Chapitre VII - Surveillance renforcée
Les géants de fer me faisaient frissonner. La ville entière paraissait m'engloutir, me retenir dans ses entrailles de terre et d'acier.
Je sursautai à chaque bruit, à chaque respiration, de peur que ce ne soit l'étrange inconnu.
Je priais à chaque pas, chaque branche qui craquait, de voir arriver Dayla.
Et j'avais peur pour moi, et j'avais peur pour elle. La peur de ne plus jamais la revoir m'étreignait le cœur, l'angoisse de me retrouver seul lui redonnait un maléfique entrain ; que je craignis même qu'il ne m'empêche d'entendre quelque bruit suspect qui pourrait m'alarmer.
Il n'y avait personne que je connaissais aussi bien que Dayla. Au cours de ces mois passés avec elle, j'avais plus appris à la connaître que durant toute l'année 2120. À cette époque, il est vrai - je dois l'avouer - que j'avais un certain dédain à son égard. Peut-être était-ce une quelconque méfiance qui pourtant n'était pas un trait de caractère qui me définissait.
La raison était que ce dédain, étendu aux humains en général, s'était retiré de l'image que j'avais de Dayla. Elle, au contraire, me faisait me trouver à l'opposé du caractère des humains, ces tendres naïfs de la condition de leurs compatriotes tant que celle de ceux dont ils ne connaissaient pas l'existence. Ces derniers que j'avais rencontrés lors de notre voyage dans le système solaire 34. J'avais alors réalisé que j'étais le seul humain, à cette heure, à savoir qu'ils existaient.
Tendre naïf aussi, j'étais. Égocentrique sévère également, qui m'empêchait de le voir. Elle avait tout changé dans ma vie, elle était le rayon de soleil qui éveillait d'une douce mélancolie. Elle était le navire au loin qui promet un espoir aux naufragés. Elle était le centre d'un univers inconnu, autour du quel les planètes, les humains et le reste tournaient ; ce centre inatteignable qui refusait notre main tendu, et qui prenait celle qui longtemps lui avait tourné le dos.
J'étais cette main, étant dépourvu d'espoir, asséché d'entrain, désolé par la vie, désolé par la mort. Et Dayla au cœur d'ange comme au cœur de pierre, m'avait tendu la sienne.
Les bâtiments froids, faussement attirants mais peut-être hypocritement hostiles m'enfermaient comme dans mon passé. J'avançais en regardant le sol, peur ? Moi ! Jamais.
Je m'arrêtai au détour d'un rue et relevai la tête sans pourtant chercher à poser mon regard quelque part. Alors je fermai les paupières, inspirai tout l'air que mes poumons pouvaient contenir, et les rouvris résolument, décidé à m'en sortir par moi-même. Ou mieux encore, avancer nos recherches, car je n'avais aucune crainte que Dayla ne puisse échapper à l'individu.
Je fis mentalement la liste de mes avantages, mettant un instant de côté mes faiblesses. Je savais mieux que personne me servir de la puce électronique implantée dans mon cerveau. J'activais ainsi la carte de l'endroit, et lançai la recherche de l'internat Élisabeth II. La voix muette du GPS guida mon esprit et mes pas, sans que je n'eus à y penser une seule fois.
La ville était relativement investie par les piétons, les voitures ne circulaient qu'au loin, sur la grande autoroute, et les seuls transports qui traversaient la ville et les rues principales étaient ce qui ressemblait à un mélange entre tramway et TGV. Je me demandai un instant comment les piétons et ces "trams rapides" pouvaient cohabiter sans qu'il n'y eu d'accident. Mais en traversant la voie de tram, ma puce électronique m'en donna la réponse. Soudain, mes jambes ne répondirent plus, et je fus stoppé net dans mon élan. La puce avait pris le contrôle de mon corps. Alors que j'allais désactiver le GPS, que je croyais responsable de ce court-circuit humain, je fus brusquement surpris par un de ces trams rapides qui me frôla de quelques dizaines de centimètres à peine. Dès que la menace fut passée, mes jambes m'obéirent de nouveau, et le GPS continua son travail de guide. Alors c'était ainsi que les habitants de Londres en 2178 fonctionnaient ? Ils étaient contrôlés par la technologie qui les dépouillait de tous les aléas du cerveau et de l'attention humains, pour les permettre de cohabiter avec le progrès. Cette vision des choses m'alarma, et je me promis de désactiver ma puce dès que je serais en présence de Dayla, pour éviter d'être potentiellement surveillés.
Quelques rue mi-piétones mi-robotiques plus loin, j'aperçus enfin ce que le GPS me définit comme étant l'internat Élisabeth II. Je me fis à moi-même la réflexion que celui-ci avait été baptisé du prénom d'un personnage célèbre, mais qui n'était plus de ce monde depuis un siècle et demi. Mais l'Angleterre était, paraissait-il, très attachée à cette Reine qui avait été la plus célèbre de l'histoire. Toujours était-il que cet internat qui se dressait en face de moi était réellement impressionnant et imposant, et devait pouvoir contenir l'équivalent de trois lycées entiers.
Je m'approchai fébrilement du bâtiment et gravit les trois majestueuses marches qui s'interposaient entre nous. Arrivé devant la porte, je posai ma main sur la poignée de fer qui prenait merveilleusement la forme d'une rose, symbole du pays, plus on s'en approchait. Je n'osai plus alors faire quoi que ce soit, de peur de briser l'harmonie qui s'était installée entre la place, déserte, et l'immense internat aux allures de château du moyen-âge. Je n'eus d'ailleurs pas à le faire puisque la porte fut ouverte de l'intérieur, et un homme en sortit ; sans paraître me voir, il me contourna avec dédain et s'en alla. Mes jambes flageolantes peinaient à avancer. J'allais essayer, pour la première fois, de me débrouiller sans Dayla dans un univers dans lequel elle m'avait emmené. La porte entrouverte claqua derrière moi une fois entré, et je sursautai malgré moi. Une jeune femme, positionnée à l'accueil de l'internat, me salua de la tête avant de se replonger dans son travail. Je m'avançai vers elle, le cœur battant.
- Bonjour, euhh... Luigi, lui lançai-je sans réfléchir.
Elle releva la tête vers moi et me sourit. Je me rendis compte alors de l'imprudence que je venais de faire en allant au lieu indiqué dans l'enveloppe sans avoir réfléchi au préalable à ce que je pourrais bien y faire.
Me voyant perdu, elle chercha du regard une feuille en essayant de combler les silences de cette conversation si gênante.
- Hum, alors... Voyons voir... Luigi ? Oui oui cela me dit quelque chose. J'ai une chambre au nom de Luigi... me dit-elle.
Mon cœur s'accéléra, cette fois-ci en signe d'espoir et de soulagement. Le conseil des Immortels était-il passé par là ? Dayla les avait informés du fait de ma présence à ses côtés - et forcés à l'accepter. Ainsi ils savaient que je l'accompagnais lors de cette mission. À mon humble avis ils n'avaient pas eu besoin de Dayla pour connaître mon existence. Mais celle-ci était trop aveugle pour penser une seule seconde que le conseil scrutait sûrement chacun de ces mouvements. Où alors me l'avait-elle bien caché.
La jeune femme trouva enfin ce qu'elle cherchait.
- Ah ! Voilà, s'exclama-t-elle. Chambre 94 du 3eme étage. J'ai reçu il y a quelques heures une réservation aux noms de Luigi, Dayla et Lewis.
Mon visage se figea. Elle ne s'en aperçut pas et enchaîna.
- Luigi ? Lewis ? Ce sont d'étranges noms de famille ! On dirait des prénoms, remarqua-t-elle.
Elle n'avait rien dit en ce qui concernait le nom de Dayla. Elle en aurait sûrement été irritée. La jeune femme avait pris nos prénoms pour des noms de famille. Mais nous n'en avions pas. J'étais orphelin et Dayla, une gardienne.
Je hochai la tête sans réfléchir, le cerveau toujours câblé sur le nom de Lewis.
- Par contre nous n'avons pas de chambre de trois disponibles pour le moment. La seule disponible est en rénovation. Elle sera libre dans moins d'une semaine si vous voulez. En attendant la chambre "94 - 3" est une chambre de quatre, vous serez en colocation avec une autre personne, cela vous convient-il ?
Elle n'attendit pas ma réponse et me donna les clés de la chambre, me salua puis se replongea dans son travail. Je mis quelques secondes avant de me remettre en mouvement.
Je me dirigeai vers l'ascenseur le plus proche, qui dépareillait complétement avec l'aspect historique du bâtiment. En un éclair, celui-ci me fit atterrir au troisième étage.
- Voyons voir, chambre 94... me murmurai-je à moi-même en balayant les numéros affichés sur les portes.
Mon regard se posa enfin sur la bonne porte, et j'introduisis la clé dans la serrure. Mais ce fut inutile. La porte était déjà ouverte. J'abaissai alors la poignée, toujours tremblant.
- Qui est-ce ?
Ce fut là des paroles qui me donnèrent l'impression d'être les premières que j'eus entendu depuis ma naissance. La voix douce et mélodieuse de leur propriétaire me figea - encore - et me plongea dans un état de rêverie. Dans ma main moite, la poignée de la porte au poids de plume glissa, et, une fois de plus, claqua derrière moi. Je me retrouvai alors en face de la jeune fille aux cheveux d'or. M'ayant vu si hébété, elle me sourit.
- Tu dois être l'un de mes coloc' ? Ravie de te rencontrer. Je m'appelle Cynthia, et j'ai 16 ans.
Elle me tendit sa frêle main, et je la saisis de ma main droite, celle qui n'était pas encore devenue moite. Mes yeux noisettes croisèrent ses pupilles bleus, bleus comme l'océan, bleus comme le ciel, bleus, comme la couleur de l'univers.
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