Chapitre 2
— Tu vas te marier ?! s'époumona Roméo en apprenant la nouvelle.
— Non, pas tout de suite, soupira Jurençon. Le Grand Busier a refusé l'offre en disant que je suis trop jeune, que les lois du royaume astrien n'autorisent pas les mariages, même royaux, avant seize ans.
À côté de lui, Pierre prenait une mine un peu perplexe, tandis que Mathieu le fixait avec un air calculateur.
— Comment se fait que le ROI ait voulu me marier à Marie-Marie à douze ans dans ce cas ? Si j'avais entendu parler d'une telle loi, je l'aurai utilisé, c'est un sc...
— C'était un faux prétexte, coupa le demi-Hélios. Pour qu'il n'y ait pas d'accord conclu pour le moment. Je veux dire, je ne connais presque rien sur l'autre royaume, ce serait une mauvaise chose de me permettre d'être régent alors que toute sa politique m'échappe...
— Ce n'est pas ça le souci : tu ne connais pas du tout cette fille de toute façon.
L'affirmation de Pierre fit prendre conscience à Jurençon que même avant les aspects politiques d'un mariage, c'était l'amour, ou au moins une forme d'amitié, même d'affection, qui devait lier deux personnes. Il se sentit stupide de ne plus y avoir pensé, et de s'être juste senti bêtement soulagé de ne pas se ridiculiser dans un autre royaume.
— En plus, tu as Lucille.
Jurençon était quelqu'un qui n'avait jamais eu à partager ses sentiments amoureux à qui que ce soit, puisqu'il n'avait jamais été amoureux avant d'une part, et parce qu'il n'avait jamais eu d'ami jusqu'à peu. Donc la réplique de Roméo qui exprimait à sa place des sentiments qu'il ne savait mettre en mots suffit à le faire totalement rougir.
— N-non, Lucille est une amie, o-on discute...
Il vit dans les regards de ses amis toute la sympathie dont ils étaient capables, de manière plus ou moins différente. Les yeux du Solélin reflétaient ses vieux amours mal acceptés de sa peine de cœur envers Juliette d'Or, comme si Roméo le prenait en pitié d'avoir un amour non partagé. Le fils du sous-consul de Darnar avait plutôt un air de sympathie des difficultés qu'on avait à accepter qu'on était amoureux, sans doute motivé par le mariage que Mathieu avait presque faillir faire avec Marie-Marie. Quant à Pierre, sa sympathie semblait lui dire qu'il aurait eu meilleur compte de mieux cacher ses sentiments pour Lucille.
Certainement que Pierre avait déjà eu une mauvaise expérience par le passé à parler de sentiments avec Mathieu. Leur ami n'était pas connu pour sa délicatesse et son empathie.
— Tu sais, tu n'as qu'à lui envoyer une lettre, proposa Roméo. Quelque chose de romantique, pour te déclarer...
— Si tu veux, je peux demander à Juliette d'Or et Tristan de nous prêter les anneaux de Foudre, enchaîna Mathieu.
— Absolument pas, ce... ce n'est pas nécessaire.
Son cœur battait à tout rompre dans sa cage thoracique et Jurençon craignait sérieusement de s'évanouir de honte aux réactions de ses deux amis les plus jeunes. Qu'importe la couleur écarlate de ses joues, Mathieu faisait honneur à Maître Magimel en proposant les stratagèmes les plus sournois possibles sur la manière dont le demi-Hélios pouvait séduire la Prétendante.
Il songea que l'Élite était tout de même plus facile à appréhender lorsque la menace des Estaffes planait encore.
— Après, Lorraine Billiou, Lucille Bertier... Ce sont les mêmes initiales, peut-être que ton attirance vient de là...
— Vous parlez de moi ?
Les yeux noirs de Mathieu et Roméo se mirent à étinceler de malice alors que Jurençon sentait ses joues hésiter entre pâlir ou rougir. Il n'avait pas remarqué qu'une présence approchait, et la malchance voulait qu'il s'agisse de Lucille.
— N-non, non, tenta de nier le demi-Hélios. C-c'est juste...
— On parlait de Lorraine Billiou, sa future fiancée, plaisanta Roméo.
L'intention du garçon était clair : voir si Lucille serait jalouse de cette fiancée qui n'en n'était pas une, mais le pauvre demi-Hélios ne se sentait que plus embarrassé par la tournure des évènements. D'autant que ses efforts pour nier qu'il était fiancé lui donnaient l'impression de se ridiculiser devant Lucille, dont les jolis yeux bleus exprimaient ses questionnements muets. Mais aucune inquiétude ne se lisait sur son visage.
— Donc tu ne te maries pas ? demanda-t-elle en coupant court aux balbutiements maladroits du garçon blond.
Le hochement de tête négatif de Jurençon fut accueillie avec un grand sourire enjoué et le demi-Hélios se demanda pourquoi son cœur était aussi prompt à réagir à cette vue si simple.
— Donc tu pourras être à nouveau mon partenaire pour les combats d'arbre doré, s'enthousiasma la jeune fille.
— Je l'aurai été même si j'avais été fiancé !
Sa réplique vive fit sursauter Lucille mais elle ne paraissait pas moins heureuse pour autant. Elle salua les trois autres Prétendants et partit, affirmant qu'elle devait travailler avec Marie-Marie à la bibliothèque.
— Quoi ?! C'est avec moi qu'elle a rendez-vous ! rugit Mathieu en se redressant. Je t'accompagne, qu'on ne dise pas que je manque à mes exigences !
Ses amis le laissèrent partir tandis que Jurençon se laissa le droit de respirer, et s'affala contre la statue la plus proche, le cœur battant et les joues rouges d'émotion. Son ouïe fine n'écouta pas les moqueries à peine cachées de Roméo, pas plus que les conseils avisés de Pierre.
Si bien qu'il fallut attendre que la comtesse Dacourt en personne se poste devant lui pour que le demi-Hélios ne prenne la peine de se tenir droit, soudainement gêné de s'être mal tenu. La directrice de l'Élite lui donnait toujours l'impression qu'il était un petit garçon maladroit, non sans raison sur certains aspects.
— Quand vous aurez fini de paresser contre cette statue, vous prendrez la peine d'écouter ce que j'ai à dire, siffla Armance d'un ton calme. Suivez-moi dans mon bureau.
La journée de Jurençon n'annonçait rien de bon pour la suite. Il s'était déjà fait moqué par Roméo et Mathieu, s'était ridiculisé devant Lucille, et à présent la comtesse Dacourt voulait lui parler seul à seul. Qu'allait-il se passer plus tard ? Les Estaffes allaient détruire son lit de l'Élite ?
Le claquement des talons de la directrice de l'Élite fit fuir tous les élèves sur leur passage. Même si la jeune femme avait été très douce avec tous après les combats du labyrinthe des Bannis, son air sévère ne donnait pas envie à quiconque de l'ennuyer. Jurençon vit même Peter de Nemours leur jeter un coup d'œil nerveux au croisement d'un couloir.
La comtesse le fit entrer dans son bureau, toujours aussi bien rangé, propre et élégant, et l'invita à s'asseoir dans un fauteuil face à son bureau, prenant elle-même place, son regard inquisiteur lui interdisait tout mensonge.
— Octave Jurençon, votre bref passage au royaume planérien s'est fini sur la signature d'un parchemin inviolable entre nos deux royaumes. D'après Julius Maxima, votre présence a bénéficié à donner de la prestance à cet acte, c'est pourquoi je vous en remercie.
— Je, eh bien... C'était normal, tenta le jeune garçon en ne comprenant pas ce qu'on lui voulait.
— Votre périple a été quelque peu mouvementé par une attaque de bandits et votre rapport à ce sujet à été plutôt bref.
Le demi-Hélios hésita à dire quelque chose mais la comtesse Dacourt mit fin à sa tentative de parole d'un geste de la main, sortant d'un tiroir une enveloppe et une lettre décachetée, sur laquelle Jurençon lut avec stupeur que les Élitiens avaient manqué d'attention au cours de l'attaque, et que le jeune adolescent avait failli être blessé par un des malfrats. Aucune signature ne terminait la demande de renforcer la sécurité du jeune prince du royaume, mais la comtesse lui indiqua une ancienne page du registre de l'école, mettant côte à côte un nom et le parchemin anonyme.
Le nom de William Estaffes sur le registre semblait être la signature manquante à cette lettre, faisant frémir le demi-Hélios.
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