Le soleil brillait sur Mazzorbo, une île du nord de la lagune de Venise. Elle avait été fréquentée longtemps pour son immense centre commercial avant d'être remplacé par des vergers. Située à sept kilomètres au nord de Venise, Mazzorbo n'était desservie que par la ligne vaporetto 12.

Gecko faisait un footing, il en était à son douzième tour de l'île de neuf cents mètres de long en forme de rectangle. Il avait une épaisse barbe, le crâne rasé. Il portait un short, un tee-shirt, une casquette, un petit sac à dos contenant une bouteille d'eau, deux oranges.

Il traversait un monticule de terre quand il trébucha pour tomber à genoux. Il enfonça profondément ses doigts dans la terre meuble. Il déposa son visage entre ses avant-bras pour patienter le temps que sa respiration ralentisse.

Il resta immobile quelques minutes, puis se releva lentement. Il observa le paysage en tournant sur lui-même, il n'aperçut que les habituels agriculteurs. La vie était paisible, routinière, sans danger.

Au retour à sa cabane de quinze mètres carrés, il détourna le regard vers la maison de son hôte. Il ne parvenait toujours pas à comprendre pour quelle raison son sauveur persistait à l'aider !

Il lui devait d'avoir survécu à sa chute voilà plusieurs semaines dans le lagon de Venise. Il avait été pris pour cible par un tueur professionnel. Faust999 l'avait fait repêcher par un gondolier qui lui avait procuré les premiers soins. On l'avait ensuite déposé sur cette île pour le mettre sous la protection du propriétaire des lieux.

Rien n'était gratuit ! Le hacker attendait forcément quelque chose en retour, mais quoi ?

Il ignorait à quel moment on lui avait placé un bracelet électronique à la cheville lui interdisant de dépasser un périmètre de mille mètres carrés. Pourquoi Faust l'avait-il emprisonné sur cette île ?

Il n'avait découvert qu'un seul téléphone réclamant les empreintes du propriétaire. Gecko avait émis une hypothèse à son emprisonnement ! Il avait déjà entendu parler de ce genre d'endroit coûtant excessivement cher. Il soupçonnait que les lieux permettaient d'accueillir des personnes en fuite, agent gouvernemental, prisonnier en fuite, personnalité sous addiction...

Il n'avait rien demandé, alors, pourquoi le lui imposer ?

Une sonnerie dans sa cabane l'avertit d'une livraison. Il se dirigea vers la maison.

Un homme d'une quarantaine d'années en jean, chemise courte, fit coulisser la porte pour sortir. Il atteignait presque les deux mètres de haut pour cent kilos, mais le ventre démontrait que ce n'était pas que de muscles. Il portait une longue chevelure, une barbe tressée. Les tatouages aux bras démontraient qu'il avait servi dans plusieurs services militaires. Il était assez impressionnant. Gecko n'avait jamais entendu le son de sa voix. Était-il muet ? Son visiteur déposa un carton, puis fit demi-tour.

— Attendez. S'exclama-t-il en l'empoignant.

L'autre observa sa main avec dédain, puis le dévisagea pour secouer négativement le visage. Le jeune homme le relâcha pour reculer de quelques pas.

— Excusez-moi, je...

Le propriétaire des lieux l'ignora pour se diriger vers la maison.

Gecko fouilla immédiatement à l'intérieur, trois bouteilles d'eau, six oranges, six pêches, trois cents grammes de torsade...

— Pourquoi m'ignorez-vous ?

La porte coulissante claqua comme seule réponse.

Les premiers jours, il avait cru devenir fou. Il avait ensuite haï tout le genre humain pendant deux longues semaines. La troisième, il avait fait un long jeûne avant d'être giflé par son hôte qui, contrairement à ce qu'il avait pensé, le surveillait, se souciait de sa santé.

Un matin, il s'était rasé la tête en s'écorchant involontairement avec une lame pas suffisamment aiguisée.

Il avait décidé un jour de profiter de son temps libre pour muscler son corps, sa masse musculaire, son endurance, pour le jour tant attendu où il serait libéré. Que pouvait-il faire d'autre ? Les seuls livres de sa cabane concernaient les exercices physiques, la manière de tuer en silence, vaincre ou mourir. On voulait le transformer en tueur, mais pour qui, pourquoi ?