60. Confusion
« Qui est Adam ? »
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« Que personne ne bouge ! beugla Maxwell en arrivant dans la cour intérieure.
Quelques autonomes – du centre, au vu de leurs tenues – attendaient là. Ils se mirent à courir dans toutes les directions comme des animaux effrayés.
Carlsson arriva de l'autre côté. Il en vit passer plusieurs sous son nez.
— Arrêtez-vous ! cria-t-il en agitant son pistolet.
— Opérations, attention à l'explosion de la verrière. »
Une série de projectiles hyper-V traça de grandes lignes dans le verre qui culminait à vingt mètres au-dessus de la cour intérieure, avec son jardin bien entretenu.
Carlsson perçut nettement la demi-seconde de flottement, durant laquelle le plafond de verre semblait, plus que jamais, suspendu.
Puis il se brisa en mille morceaux.
Des dizaines de drones déboulèrent aussitôt, faisant feu dans toutes les directions. Les engins d'intérieur de la police et du BIS, comme promis.
Carlsson se jeta à terre, jura dans son micro et cria :
« Ils n'ont pas d'armes, c'est un leurre !
— Négatif », dit Maxwell.
L'agent vit soudain passer un drone plus petit que les autres et de couleur noire, comme un reptile furtif. Il eut le réflexe de tirer dans les hélices. L'engin eut un soubresaut, puis il s'écrasa dans les arbres et y mit le feu. C'était un drone de la presse. Ils avaient réussi à le faire passer en profitant de la confusion.
Des balles frappèrent les murs blancs, arrachant des éclats comme le burin d'un sculpteur fou, faisant exploser les marches de l'escalier qui menait au balcon déjà ravagé.
Après une minute de cohue, certains drones remontèrent tandis que les autres venaient se placer au-dessus du sol. Des drones de la police utilisés dans les guerres de gang, les terreurs des combats de rue, visant mieux que n'importe quel agent humain les genoux et les bras armés.
Carlsson en vit un le jauger de ses six yeux électroniques tout en faisant pivoter ses doubles mitrailleuses. Les balles hyper-V, d'un calibre ridicule, auraient tué un éléphant sur le coup. Elles traversaient les cuirasses les plus épaisses et éclataient à l'intérieur des chairs Un frisson inexplicable le parcourut. Il n'avait jamais aimé les drones, laissant perdurer l'indicible peur qu'un jour, ils se retournent contre lui.
« Ici Maxwell. Cour intérieure sécurisée.
— Ici la technique. Confirmation qu'on a retrouvé les otages.
— Où sont-ils ?
— Ils sont à l'étage -2, dans les quartiers du personnel.
— Ici Lewis, on est à l'étage -1, il y a des portes fermées.
— N'avancez plus. C'est bourré d'autonomes. »
Carlsson, livide, se faisait violence pour rester debout et ne pas avoir l'air défaillant. Mais il étouffait maintenant dans sa combinaison.
L'équipe de Maxwell avait fait le tour de la cour intérieure. Le jardin, les décorations des murs, les bancs avaient été hachés par les balles et saupoudrés de cascades de douilles dispersées, le verre et le plâtre à nanofibres répandus sur le sol. L'arbre artificiel sur lequel le drone noir s'était abîmé continuait de se consumer.
Au départ, Carlsson ne comprit pas pourquoi des autonomes attendaient dans la cour quand ils étaient arrivés. Puis il saisit qu'ils n'avaient pas eu le temps de fuir. Les insurgés avaient évacué tous les étages supérieurs et ils étaient en train de finir lorsque la verrière avait éclaté.
Parmi les corps étendus au milieu des bris de verre, il en vit quelques-uns armés et en tenue d'ouvrier. Ils ne les avait pas vus riposter.
Des agents du BIS et de la police dévalèrent l'escalier qui menait au balcon.
Carlsson se leva et étreignit son arme avec fermeté, s'accrochant à cette preuve de pouvoir pour reprendre sa contenance. Il se dirigea vers Maxwell, qui préparait déjà leur descente à l'étage inférieur.
« Ils ne sont pas dangereux ! s'exclama-t-il.
— Ils sont armés, rétorqua-t-elle.
— La prise d'otages est un leurre. Une mascarade ! Ce qu'ils sont en train de faire, c'est d'évacuer le bâtiment.
— Ça ne les empêche pas d'être armés. Et d'après la cellule opérations, le chef, Jamin, est mal classé psychologiquement.
— Je m'en contrefous de leur classement psychologique. »
Elle haussa les épaules, se sentant manifestement impuissante face à l'incompréhensible revirement de son collègue.
Carlsson avisa un des escaliers qui menaient à l'étage inférieur, où se déroulaient une partie des ventes.
« Opérations, je descends retrouver Lewis, annonça-t-il.
— Négatif, ne bougez pas. La cellule est en train de recalculer notre stratégie.
— C'est quoi, le problème ?
— Il y a les insurgés d'un côté et les otages de l'autre. Voilà le problème ! lança l'officier de commande.
— Et alors ?
— Les otages sont manifestement un leurre.
— Mais ça fait combien de temps que je vous dis ça ?
— Nous allons donc en priorité attaquer les insurgés.
— C'est débile !
— D'après Biodynamics, il est facile avec un peu de matériel de s'enfuir du centre par les égouts et les conduits qui y mènent. En particulier un pan de ligne de métro abandonné depuis vingt ans.
— C'est bien le moment de s'en rendre compte.
— Nous ne pouvons pas laisser des autonomes dangereux s'enfuir dans la nature.
À toutes les unités. Rejoignez le groupe de Lewis et descendez à l'étage -2. Vous serez guidés par VA. »
***
Après avoir passé les quartiers du personnel, dans lesquels certains employés de BD étaient encore barricadés, ils arrivèrent au dernier étage, consacré à la maintenance, aux conduits d'alimentation en eau, aux transformateurs, à tout ce qui faisait fonctionner le bâtiment.
Carlsson avait ostensiblement pris la tête du groupe de Lewis, et ce dernier, qui le respectait, n'avait pas bronché. Il le suivait, un peu en arrière.
Un drone d'intérieur les dépassa en vrombissant et fit feu avec un crépitement feutré. Les hommes tirèrent à leur tour.
« Cessez le feu ! » s'exclama Carlsson.
Ils venaient d'abattre un robot de maintenance, effondré sur ses roulettes.
Une balle frappa le mur à côté de lui et le drone d'intérieur s'écrasa dans le couloir. Carlsson savait qu'il ne pouvait pas faire confiance à cette machine. Il était certain que c'était lui qui avait tiré, avant de se suicider. Seulement il devait être le seul à l'avoir vu – ou à être capable de le croire.
À quoi est-ce que tout ceci rimait ?
Les policiers qui les accompagnaient formaient un groupe séparé, sur le côté droit. Engoncés dans des tenues de guerre, ils ressemblaient à des soldats du moyen-âge en armure de carbone, des plaques noires et luisantes uniformisant leurs corps.
« Ils sont là ! dit l'un d'entre eux.
Les armes automatiques hurlèrent avec férocité.
— Ne tirez pas !
Des pas écrasant les débris de béton occupèrent le silence un temps revenu. Deux mains levées.
— Ne tirez pas, nous n'avons pas d'armes.
C'était une des autonomes du centre, un uniforme gris couvert de poussière.
— Si vous cherchez les insurgées, iels ne sont pas là, cela fait bien longtemps qu'iels vous ont échappé.
— Ferme-là ! s'exclama un des policiers, fermement accroché à son arme.
— Que tout le monde la boucle ! hurla Carlsson, plus fort encore. Il y a quoi alors dans les pièces derrière toi ?
— Juste des autonomes du centre qui n'ont pas eu le temps, qui ne voulaient pas ou qui ne pouvaient pas être transférés.
— Transférés où ?
— Libérés, quoi. »
Tout se passa encore très vite.
Un autre drone d'intérieur déboula furieusement et abattit l'autonome sans sommation. Puis des grenades fumigènes roulèrent dans le couloir de droite. La police, le BIS, le groupe de Maxwell donnèrent l'assaut en même temps. Carlsson resta hébété, comprenant ce qui se déroulait sans pouvoir lever le petit doigt.
« Ici la cellule opérations, nous rappelons qu'aucun insurgé ne doit quitter le centre.
— Ici Naguier, on a trouvé les otages. On a aussi trouvé des sorties. Certains ont dû s'échapper.
— Naguier, dit Carlsson, qui surveille le train de marchandises ?
— BD a repris le contrôle du train, je crois. Pourquoi ?
Il hésita.
— Non, rien. »
Il en oubliait presque le bruit de la fusillade, continu, qui s'éloignait de lui à présent, un roulement de tonnerre qui se faisait lointain.
Les drones d'intérieur étaient peut-être de la police, mais la direction du BIS était à la manœuvre. Elle qui avait fait en sorte qu'ils abattent tous les autonomes, qu'ils soient armés ou pas, qu'ils soient dangereux ou pas. Pour que d'ici quelques heures, le centre soit vide comme la Terre du premier jour.
S'il lui restait encore un doute ; non, le directeur Pommel n'aimait pas les autonomes, n'aimait pas Biodynamics, et il serait prêt à contribuer à sa chute.
Et puis merde, ce sont bien les insurgés qui ont commencé.
Combien étaient-ils dans ces couloirs à ne pas s'être enfuis ? Combien allaient être massacrés dans le prochain quarts d'heure ? Combien parmi les agents assermentés qui allaient jouer le rôle de bourreaux, en avaient pleinement pris conscience ?
Quel monde pourri, se dit-il en déconnectant son implant intra-auriculaire.
***
Il débarqua dans le hangar en suivant les plans en VA.
Sans surprise, les autonomes l'avaient vu venir. Jamin, posté derrière une caisse métallique pour surveiller l'entrée, en surgit et agita son fusil.
« C'est brillant, dit Carlsson. Vous en faites sortir combien ?
— C'est le troisième tour du train.
— Ça doit vous faire un bon millier, non ?
— Nous étions cinquante en arrivant, donc c'est pas mal.
— Comment vous avez fait pour ne pas vous faire repérer par les satellites ?
— Tous ceux qui ont vu ce train partir sont persuadés, d'un côté que c'est la police qui a transféré des agents, de l'autre que c'est le BIS. Notre ange gardien surveille les communications, et il a détourné les images satellite pour que personne ne puisse suivre le train. Vous savez où il va ?
— Non, aucune idée.
— Il passe par un centre de chargement de Biodynamics, en banlieue. La police a investi ce centre et attend désespérément que vous leur envoyiez le train. Sur le chemin, on trouve des quartiers un peu troubles. Le train est aérien mais aménager des échelles ne coûte rien. Disperser mille autonomes dans une ville, c'est plus facile que vous ne le croyez. Ils passent partout.
— Vous êtes malins. Pourquoi vous me racontez ça ?
— Parce qu'Adam m'a certifié qu'il avait coupé votre réseau de com' personnel.
— Qui est Adam ?
— Est-ce que vous avez déjà entendu parler de Diel ?
— Non, jamais.
— C'est bien dommage. Si cela vous arrive, n'hésitez pas à entrer en contact avec Adam.
— Je ne vois pas du tout de qui vous parlez.
Jamin eut un regard indéfinissable, et il posa son arme par terre.
— Je regrette que nous n'ayons pas pu sauver tout le monde, agent Carlsson, et je regrette aussi que le BIS ait pris la décision de tuer tous les occupants du centre. La mort vous guette, c'est facile à sentir. Mais vous n'en restez pas moins un homme précieux. Un témoin. »
Avec un dernier regard pour l'agent du BIS, il courut vers le train dont les moteurs électriques ronronnaient.
Carlsson, en assistant au départ, prit acte qu'il n'était plus loyal au BIS. Il serait seul désormais, un vieil homme seul ; et il venait de l'accepter.
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Le Bureau.
Son professionnalisme.
Hum.
Pour les deux prochains segments nous retrouvons... Aléane. Et puis c'en sera fini de la partie III ! Eh oui !! Le temps passe vite, tellement vite quand on publie vite.
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