
52. Aléane
« Elle s'était éveillée. Depuis, chaque jour, elle guettait les regards en quête d'un signe du même éveil. »
2103
« Alors, c'est un extraterrestre qui débarque sur Terre dans une soucoupe volante. Tous les humains se précipitent pour tout savoir sur lui, notamment Noël Douglas avec son déambulateur. Du coup, il va voir l'extraterrestre, et il le supplie : « vous devez connaître tous les secrets de l'univers. Aidez-nous à les acquérir ! Aidez-nous à progresser ! »
Alors l'extraterrestre fait « ouais, ouais », et il ajoute : « bon, mais les secrets de l'univers, c'est tellement gros, c'est tellement incroyable qu'avant ça, il faut vous préparer. Je vais donc vous demander de planter des fleurs partout dans vos villes, de développer l'agriculture durable, d'arrêter la pêche, de dépolluer les océans, et quand vous vivrez vous tous en harmonie, vous serez prêts à accepter les secrets de l'univers ».
Alors Noël Douglas rentre à fond dans son bureau en fulminant. Il croise le vieux Marc Gérald qui se ballade dans une cuve de formol en attendant lui aussi l'immortalité, et arrive enfin dans son bureau, où il retrouve son gros superordinateur. Et il demande au superordinateur :
« Superordinateur, est-ce que ça vaut le coup de dépenser autant d'argent pour planter des fleurs, dépolluer la planète et aider les pauvres ?
Le super-ordinateur calcule un peu et répond :
— Écoute mon gars, ce sont les secrets de l'univers ! La connaissance ultime ! Et on aura de quoi te faire vivre encore vingt ans de plus au moins.
À ces mots, Noël Douglas ne se sent plus de joie, il envoie des ordres partout, oblige le monde entier à le suivre dans son projet et en dix ans, les océans sont sauvés et la Terre vit en paix. Il se précipite à la soucoupe de l'extraterrestre qui est toujours là.
— Eh, l'extraterrestre, on a tout fait, c'est bon. Alors, les secrets de l'univers ?
— Ah, mince, j'avais oublié un petit truc. Il vous reste tous vos autonomes. Il faudrait que vous les libériez et que vous les aimiez comme vous vous aimez entre vous maintenant que vous vivez en harmonie.
Noël Douglas va s'étrangler, mais il se dit que s'il s'étrangle, il ne vivra pas assez longtemps pour profiter des secrets de l'univers. Alors, il fait demi-tour et repart à fond vers le centre de BD.
— Superordinateur, si on libère tous les autonomes, avec tout ce que ça va coûter, est-ce que ça vaut le coup ?
— Écoute, mon gars, il te manque vraiment un bout de cerveau ! Ce sont tous les secrets de l'univers ! C'est inestimable ! Et tu vivras au moins cinquante ans de plus !
Alors Noël Douglas n'attend plus. Il exulte, ordonne qu'on libère tous les autonomes, saborde Biodynamics, fait exploser son bureau – et le superordinateur, car il n'en aura plus besoin.
Et il fonce à la soucoupe de l'extraterrestre qui est en train de prendre le thé avec le Roi d'Angleterre, qu'il pousse de sa chaise en hurlant :
— On l'a fait ! Nous vivons en harmonie avec la Nature et les autonomes sont libres ! Alors maintenant, envoie les secrets de l'univers, nous sommes prêts !
L'extraterrestre réfléchit quelques instants puis il lui fait :
— Ah oui, je me disais bien que j'avais oublié un truc. Bon, voilà déjà le plus grand secret de l'univers : les forces les plus puissantes ne viennent pas du reste de l'univers, mais de l'intérieur de vous. Regardez-moi, je n'ai rien fait, et pourtant tout votre monde a changé. »
Donc à ces mots, Noël Douglas fait une crise cardiaque et il ne profite pas du secret de l'univers qui aurait pu lui faire gagner cinquante ans. »
— Elle est pas mal, commenta Jasper.
Aléane regarda le milieu qui les entourait – la chambre du Centre d'Instruction Préparatoire, leur seul domicile depuis bientôt deux ans.
— Je suis toujours en train de rêver, là ? demanda-t-elle.
— Oui, rit Vincent, le troisième autonome qui était avec elle. Tu sais bien que tu ne peux pas parler librement le reste du temps. Tout ce qu'il te reste, comme liberté, c'est toi-même.
— Je vous vois aussi pendant la journée. Est-ce que vous êtes les mêmes ?
— Ça non, dit Jasper, je ne pense pas. Mais c'est une bonne question. Tant que tu seras perpétuellement observée par ces caméras, tu ne pourras pas nous parler « pour de vrai » pour te faire une idée. Désolé. »
***
« Il est cinq heures. »
Les autonomes se levèrent de concert. Ils étaient vingt à dormir dans cette salle. Dix salles dans le couloir, quatre couloirs par étage, dix étages par tour, au moins dix tours semblables dans le Centre – mais il était bien plus grand.
Aléane s'habilla rapidement, car les caméras surveillaient et chronométraient chacun de leurs gestes.
L'instructeur les attendait à la porte. C'était un gros humain débonnaire, superflu, employé ici sans véritable raison. Les instructeurs de la première année étaient beaucoup plus stricts, puisqu'ils inculquaient la discipline aux autonomes ; mais ceux de la deuxième année profitaient des qualités déjà acquises par les futurs esclaves. Désormais, les rappels à l'ordre étaient rares, bien que redoutés.
Aléane avait appris le mot « esclave » fortuitement, car il avait glissé de la bouche d'une femme parlant de l'histoire de l'humanité – une série de conférences enregistrées spécialement pour les autonomes en formation. Depuis, elle le gardait. Il était pour elle une sorte de sésame, quelque chose qui l'avait tirée de la torpeur dans laquelle on l'avait plongée dès sa naissance. Elle s'était éveillée. Depuis, chaque jour, elle guettait les regards en quête d'un signe du même éveil. Impossible de savoir. Ils ne parlaient pas entre eux. Ils n'avaient pas le droit de parler.
Elle se réfugiait dans ses rêves et y laissait naître des alternatives à la réalité ; pourtant séparer le monde réel de ces utopies était facile, parce que d'un côté elle était libre, de l'autre elle ne l'était pas.
Oui, le mot de liberté était aussi resté gravé dans sa mémoire. Elle l'avait longuement savouré, déplorant qu'on le leur ait servi comme quelque chose de banal, en passant, au cours de leur instruction linguistique.
« Le groupe 21 est attendu pour six heures dans la salle d'accueil du premier étage. »
Arrivés en avance, ils attendirent presque trente minutes. Le directeur adjoint de la structure, un homme dont l'importance se devinait aux caméras et photographes qui l'accompagnaient à chacun de ses déplacements, les salua sans les regarder. Il se mit en valeur, non sans faire l'éloge du professionnalisme des employés de Biodynamics Raise, serra la main à l'instructeur qui suait abondamment et tremblait presque, puis disparut aussitôt, happé par un couloir, porté par une vague de paillettes.
« Allez, groupe 21, harangua l'instructeur, des étoiles encore plein les yeux. Culture gé. »
***
Il n'était pas si difficile d'être un autonome.
Il suffisait de se faire oublier. Appris cela, il ne restait plus grand-chose à savoir sur le statut.
Tous les jours, l'instructeur les laissait pendant une durée variable dans une salle où ils écoutaient des cours enregistrés pour eux par les experts de Biodynamics. Un condensé de culture générale sur l'humanité y passait, mais aussi des questions très pratiques concernant le comportement des humains entre eux, vis-à-vis des autonomes, et du placement des autonomes vis-à-vis des humains.
Leur seul travail consistait à regarder fixement l'écran, écouter, et retenir ; car les caméras surveillaient et tout regard de travers pouvait engendrer un rappel à l'ordre.
L'instruction ne durait que trois ans. Et elle différait progressivement selon les catégories et les métiers à venir. Aléane était en catégorie 1. Comme le reste de son groupe, on la destinait en priorité à être domestique. Les autres catégories étaient formés plutôt aux travaux manuels ; quant à eux, on leur apprendrait à coudre et faire la cuisine.
-------------------
Un bouquin de CN sans un personnage qui s'appelle Aléane, c'est comme un... c'est comme... je cherche encore.
De l'action arrive dans 2 segments, préparez-vous.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro