2 - Le capitaine van Burke
Léonard Dimitri van Burke était souvent considéré par ses pairs comme quelqu'un de chanceux, à la carrière fulgurante, trop pour certains. A 29 ans, le jeune homme était déjà capitaine du CRA, une des unités les plus importantes de l'armée du Grand Empire aux Etats-Unis. Sourires, courbettes, et poignées de mains chaleureuses lui étaient régulièrement adressées pour ses galons mais surtout pour ses exploits passés. Après tout, il était le seul survivant de la Grande Débâcle ! Son allure nonchalante, agrémenté d'un regard morne couvert d'une mèche blonde ne lui valait pourtant pas la sympathie de son entourage. De taille moyenne, fin et les joues creuses, il avait gardé l'aspect sec d'une jeunesse ascétique sur le plan nutritionnel.
Né dans les faubourgs nauséabonds de Frankfurt, le jeune Léonard avait passé sa jeunesse avec sa mère, qui tentait tant bien que mal de les faire vivre des passes occasionnelles qu'elle arrivait à monnayer aux rares michetons passant dans la ville dévastée par la guerre. Celle-ci avait été bombardée de manière acharnée pendant la Seconde Guerre Mondiale par l'armée impériale japonaise, qui avait pris à contrepied l'Allemagne nazie en brocardant une amitié de convenance désormais infructueuse pour l'Empire. Cent ans plus tard, les ruines étaient toujours dans le même état ou presque, les infortunés avait transformé les décombres en bidonvilles décrépies, faits de cabanons d'acier et d'immeubles vaguement bâché, donnant un semblant d'intimité à défaut de réelles protections contre la pluie ou le vent. Les van Burke vivaient dans l'un de ces bâtiments, dans un appartement sommairement aménagé. Composé d'une chambre et d'un espace aménagé pour la cuisine, il était plutôt bien situé, à seulement 500 mètres d'un puits d'eau potable. Les murs étaient peint de toutes les couleurs grâce à un "ami" de Mme van Burke qui lui avait légué une cargaison de pots de peintures, lot indésirable d'une rapine d'entrepôt mal ciblé.
Ils partageaient le même lit ( un confort non négligeable) et Léonard s'éclipsait dehors lorsqu'il le devait. Le jeune homme blond n'avait jamais vu d'un mauvais oeil les activités de sa mère. Celles-ci leur permettaient d'avoir un confort de vie plutôt avantageux dans le quartier, allant même jusqu'à leur permettre de manger des brochettes de viande au stand d'Uzemi sur la Grand Place. Lors des passes, il allait toujours s'assoir près de l'ancien poste de police qui était toujours en plutôt bon état malgré le poids des années. Les fenêtres avaient toutes été brisées par des souffles d'explosions mais l'intérieur était sain et constituait un lieu de jeu non négligeable pour la jeunesse locale. Il y avait bien quelques camés qui venaient s'y échouer occasionnellement mais ils se faisaient passer à tabac par les mômes qui se réjouissaient, les yeux pétillants, de pouvoir éclater deux trois côtés sans se faire emmerder par la police. Le poste était un vestige du passé car la seule autorité en place était le shogunat allemand mais Léonard et ses amis en connaissaient la signification grâce aux nombreuses revues militaires que ses amis et lui relisaient sans cesse. Outils de propagande de la Waffen SS, les journaux étaient devenus des documents précieux pour les garçons qui rejouaient sans cesse les grandes batailles du siècle précédent. Un de ses amis, Jürgen le crado, qui devait son surnom à l'absence d'eau courante chez lui, était toujours jalousé car il avait comme seul trésor ( et seul vêtement ), un costume de SS retroussé au niveau des manches et des jambes. Il était néanmoins toujours invité aux joutes, comme sorte de garant historique des batailles à jouer. Jürgen était pour ainsi dire le seul ami véritable de Léonard. Les deux garçons passaient un temps invraisemblable à consulter le moindre bout de papier relatant la guerre et Jürgen était une vraie mine d'or d'informations à ce sujet, son grand-père lui relatant sans cesse des histoires qu'il avait lui-même entendu dans sa jeunesse. Léonard aimait cette érudition. Il apportait quant à lui une vigilance et une bienveillance sur son ami, le préservant de multiples brimades et jets de cailloux venant d'enfants plus sadiques que la normale. D'ailleurs, les joutes qu'ils mettaient en place se terminaient régulièrement en pugilat, personne ne voulant jouer le rôle des français, des anglais ou des américains. Les japonais étaient soigneusement évités, de peur de croiser une milice un peu trop zélé qui irait rapporter aux autorités les faits pour une poignée de pièces. Léonard adorait jouer à la guerre. D'abord parce qu'il était doué à foutre des beignes à ses camarades et surtout car il adorait l'aura de prestige que lui apportait le costume, même imaginaire.
A l'âge de 14 ans, alors qu'il rentrait chez lui, Léonard fut surpris de trouver sa mère avec un lieutenant de la Garde Impériale. L'homme, un asiatique à la moustache fine et aux cheveux tirés en arrières par un chignon fait à la va-vite le regardait de ses yeux cruels. Il était assis en tailleur près de la table basse où sa mère avait servi une bouteille de vin que l'individu avait ramené. Il portait sa tenue officielle, une toge noire surmontée d'un plastron et d'épaulettes rouges sang. Son casque, une représentation de Tengu ornementé d'ailerettes de chaque côté, était posé à ses genoux. L'accoutrement d'un général de l'Empire. Un samouraï.
-"Je vais faire un tour..., murmura Léonard, la sueur froide au front.
- Reste !!, imposa le samouraï d'une voix rauque et ferme."
Léonard chercha sa mère du regard. Celle-ci y échappa en resservant un verre au lieutenant. Ce dernier ne quittait pas le jeune homme du regard. Apres un bref silence qui parut une éternité, l'homme lâcha :
-"Plutôt palot, plutôt maigrelet, mais j'aime la lueur de ton regard bleuté. Dis-moi gamin, que dirais-tu de rejoindre notre grande armée afin de défendre les valeurs de notre sacro-saint Empereur ?"
A dix-huit ans, Léonard Dimitri sortit majeur de sa promotion de l'école militaire de Reims où il avait passé les cinq années précédentes à étudier le combat, la stratégie et surtout le bushido, le code d'honneur des samouraïs. L'entraînement y avait été rigoureux, dur et intense. Le centre de Reims était reconnu pour ses résultats car la moindre incartade était sanctionné avec sévérité. Léonard avait vu nombre de ses comparses se faire rosser du plat de la lame des instructeurs, provoquant estafilades et contusions. Un simple chuchotement, une mauvaise tenue du katana suffisait à recevoir une volée. Le jeune allemand avait su se démarquer au sabre, témoignant d'une grande ingéniosité dans ses coups et parades, s'attirant la bienveillance des sergents instructeurs bien que sa connaissance du bushido quant à elle demeura exécrable tout du long de sa formation. De par ses résultats, il fut de suite affecté à une section de défense en Finlande à la frontière russe. Le complexe qui l'accueillit était vaste et proposait de nombreuses activités pour les soldats. La salle que préférait Léonard était le dojo, une immense salle circulaire surmontée d'un dôme où les recrues apprenaient toutes sortes d'arts martiaux et où van Burke pouvait parfaire sa maîtrise du sabre. Les journées étaient assez semblables les unes aux autres : patrouilles, exercices, repas, corvées, temps libre.... Léonard Dimitri trouva rapidement le temps long et surtout il commença à prendre peur de finir ses jours en Finlande à tourner en rond.
Les mois passèrent et le jeune allemand commença à trouver le temps long. La menace russe n'en était pas vraiment une, le pays vivant en quasi autarcie, et l'ennui et le manque d'adrénaline pesaient sur les quelques milliers de soldats de la station. Ils n'étaient pas rares que les hommes en viennent aux poings et il y avait même eu quelques cadavres retrouvés dans la caserne ce qui laissait les dirigeants dans la stupeur car aucune vidéo ni aucun détenu n'avait pu voir comment ces actes avaient été proférés.
La délivrance vint d'une annonce affichée sur le tableau général. On cherchait des volontaires pour aller coloniser les Etats-Unis. Léonard y vit une chance inespérée de carrière sur une terre vierge ou presque, le Japon ayant envoyé une multitude de bombes H en 1945, mettant fin à la guerre et exterminant la quasi-totalité des habitants. Le sujet était tabou en Europe. Les différents shogunats n'avaient pas imposé d'arrêtés sur le sujet mais des rumeurs circulaient sur ceux qui évoquaient le sujet à haute voix. Ces histoires terminaient généralement pas un cadavre copieusement tabassé.
Ayant peur de louper sa chance, le jeune allemand fonça au bureau administratif y déposer sa candidature.
10 ans plus tard, la recrue van Burke a monté bien des échelons, aidé il est vrai par ses faits de guerre qui ont eu lieu pendant la Grande Débâcle. Être le seul survivant d'un massacre dont on sort malgré tout victorieux présente certains avantages. Ayant survécu à une multitude de ces saloperies, Léonard fut propulsé par le Grand Empire responsable de la question des Autres. A savoir, de l'inconnu, de ces créatures de metal se mouvant comme des insectes, de ces oiseaux à corps de femme dévorant les hommes comme des vers et autres joyeusetés dont l'existence n'était alimenté que par une poignée d'hommes ayant survécu à une attaque. La base de son unité était située dans un immeuble en bon état du Lower East Side à Manhattan, où l'Empire avait choisir de créer sa base, l'île permettant une défense appropriée et une jonction avec l'Europe facilitée par voie maritime et aérienne. Sobrement baptisé le Central de Recherche sur les Autres, cette faction de quelques centaines de soldats était chargée d'identifier les différentes espèces découvertes depuis le débarquement et également de comprendre leurs origines, génétiques comme géographiques. Léonard Dimitri van Burke avait eu quelques succès depuis la création de l'unité 5 ans auparavant. La totalité de la ville de New York avait été pacifiée par leur aide. Ses bureaux avaient entre autres permis de localiser des nids de Spiders ou bien de construire des tourelles de défenses appropriées contre les Crows. Central avait aussi subit de nombreuses pertes lors d'expéditions ayant mal tourné. En fin stratège, Léonard savait rejeter la faute sur un analyste qui s'était trompé dans ses calculs, sur un soldat ayant fait du zèle sur le terrain ou tout autre bouc émissaire lui permettant de ne pas avoir de cadavre sur son parcours sans tâche.
Aujourd'hui, on peut dire que cela avait bien merdé. Et avant même d'avoir pu trouver sa parade habituelle, Léonard Dimitri van Burke s'en pris une bien pêchu dans la poire par le caporal Rebecca Kei.
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