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Chapitre 33

If my life is mine
What shouldn't I do?


La main gantée de Gaël s'abat sur le bureau de Lawrence avec un bruit mat. Surpris, celui-ci détache les yeux de son ordinateur pour les poser tour à tour sur le garçon et ce qu'il lui a amené. Une mèche de cheveux noir de jais, poisseuse et collée par le sang. L'homme arque les sourcils.


« Je peux savoir d'où sort cette horreur ?

- Azura Vaswani est mort, rétorque Gaël d'une voix empreinte de fureur. J'ai fait ce que j'avais à faire. Alors laisse les autres tranquilles. »


Lawrence le dévisage longuement, comme s'il tentait de mesurer la véracité de ses paroles, puis se laisse aller dans son fauteuil en s'étirant les bras d'un air détendu. Sa tête pivote vers la grande fenêtre du bureau - vers le jardin encore noir d'une pluie miraculeusement disparue.


« Bien sûr, dit-il. Dès que je verrai son nom dans le journal.

- Tu le verras. »


Gaël ne s'attarde pas davantage. Il fait demi-tour, les poings serrés, les cheveux toujours aussi trempés. Ses pas laissent autant d'empreintes sombres derrière eux.


« C'est tout de même incroyable, médite Lawrence juste avant qu'il atteigne la sortie. Deux gamins de Sunnyside affublés du même pouvoir, incapables de coexister ... Qui a bien pu échafauder un plan aussi cruel, selon toi ?

- Je sais pas. Je m'en fous. »


Gaël quitte la pièce sans un regard pour son oncle. La lourde porte claque derrière lui. Azura a émis l'hypothèse d'un jeu divin. Le garçon n'y croit toujours pas, mais, s'il existe une seule chance pour que ces dieux les observent en ce moment, il se jure de tout faire pour les ennuyer. Quel intérêt a un combat de chiens lorsque ceux-ci refusent de se battre ?

Le cuir de ses gants n'est toujours pas détendu lorsque leur propriétaire atteint le couloir de sa chambre. Il s'arrête au milieu de celui-ci, surpris par la présence de Maxwell sur les lieux. Son père sait toujours où le trouver. Enfin, ce n'est pas comme si l'un d'eux pouvait se rendre bien loin ; Gaël vient de rentrer après ce qu'ils pensent être le meurtre de son meilleur ami, et Maxwell est accablé par l'ennui où qu'il se rende.


« Gaël. »


L'homme quitte le cassis auquel il était adossé pour le rejoindre. Ses mains forment une coupe autour de son visage. En croisant le regard inquiet de son père, qui bascule un instant vers la coupure de sa joue, Gaël ne peut empêcher le sien de s'emplir de larmes. Il déteste devoir tromper la seule personne à l'avoir soutenu tout ce temps, mais il ne peut se permettre aucun écart. Aucun risque. Un mot de trop et la vie de tous ceux qui lui sont chers se retrouvera de nouveau en jeu.


« Tu n'auras plus jamais à faire ça, murmure l'homme après l'avoir longuement observé. Je te le jure. »


Gaël se retrouve pris dans une étreinte à laquelle il ne s'attendait pas. Il la subit sans la rendre, les yeux écarquillés. Les larmes qui s'y formaient s'écoulent silencieusement sur son visage. Il serre les paupières pour les tarir. Ça va aller. Il n'aura pas à lui mentir longtemps si leur plan fonctionne. Et leur plan fonctionnera.

Il s'éloigne en reniflant, les mâchoires tremblantes, et plonge la main à l'intérieur de sa veste pour en sortir le revolver. L'arme lui paraît plus lourde encore que sur le Toit du Monde.


« Il ... il continuait de bouger après la première, balbutie Gaël tandis que Maxwell vérifie le contenu du barillet. Alors j'ai ... Je ... je pouvais pas le tuer comme les autres ... Je pouvais pas ... »


Sa respiration s'accélère sans qu'il en ait conscience. Bon sang, même lui ne s'imaginait pas aussi bon acteur. Il lui suffit d'un rien pour transformer un mensonge en réalité. Encore un peu, et Gaël en personne croirait à la mort d'Azura. Est-ce ce qu'il a fait ces dernières années ? Porté le masque du corbeau consumé par la haine jusqu'à ce qu'il se confonde avec son propre visage ?


« Papa ... »


Gaël recule d'un pas et s'essuie les yeux. Ses larmes s'étalent sur ses joues.


« Je vais ... je vais me retirer dans ma chambre. J'ai besoin d'être seul un moment. Tu ... tu sais pas quand les autres associés de Lawrence doivent se réunir, par hasard ? »


Un froncement de sourcils accueille sa question. Gaël serre imperceptiblement les mâchoires. Merde. Il aurait dû garder les interrogations pour plus tard. Se rouler en boule entre ses draps et jouer l'amoureux dévasté, comme il l'avait prévu.


« Pourquoi ? demande Maxwell après un silence contemplatif.

- Je ... je préférerais ne pas me trouver sur les lieux en même temps qu'eux, c'est tout. Tu sais à quel point je les déteste. Ils ... C'est à cause d'eux, tout ça. Leur chef a tué mon père.

- Qu'est-ce que tu racontes, Gaël ? C'est moi, ton père. »


Pris de court par sa réponse, le garçon bat des cils. Il balbutie un instant avant de retrouver la parole.


« Oui ... oui, bien sûr. Je voulais dire ...

- On devrait nettoyer ça, l'interrompt Maxwell en traçant le contour de sa blessure. Ça va s'infecter.

- Je ... je le ferai. Ça ira. Je sais me débrouiller, quand même. »


Maxwell arque un sourcil peu convaincu tandis que Gaël s'éloigne d'un pas. Sa proximité l'étouffe tout à coup. Ses propres émotions sont sans doute plus à blâmer que l'homme, mais ...


« Je vais ... J'ai besoin de repos, souffle-t-il en balayant l'air de sa main. Je t'appellerai si tu peux faire quelque chose.

- Bien sûr. Je ne serai pas loin. »


Je sais. Tu n'es jamais loin.


Gaël ferme les yeux et secoue la tête pour s'éclaircir les idées. Qu'est-ce qui lui prend tout à coup ? Maxwell n'est pourtant pas différent de d'habitude. Le garçon doit juste être sous le choc.

Il met fin à leur semblant de conversation et se retire dans sa chambre avant d'en fermer la porte, conscient du regard de son père dans son dos. D'une main, il se masse la tempe. Les événements de la journée l'ont épuisé. Il ne mentait pas en prétendant avoir besoin de sommeil.

Il prend une douche rapide, enfile une tenue plus confortable et surtout plus propre, et se roule en boule entre les draps de son lit. Leur douceur mêlée à l'odeur de lessive le poussent à fermer les yeux un instant. Les battements de son cœur ralentissent. Ça ira. Tout se passera très bien.

Il s'empare de son téléphone, qui le rejoint dans la pénombre au cœur des couvertures.


À: Azura

     bien rentré

     à toi de jouer maintenant




Les yeux clos dans la pénombre, Azura sent le chariot soutenant la housse mortuaire rouler un long moment. Il n'est entouré que d'alliés mais n'ose pas bouger d'un cil. Il a l'impression que, s'il respire un peu trop fort, la vie de tous ceux qu'il aime prendra fin avant même que l'oxygène commence à circuler dans son sang. Alors il endosse le rôle du mort, droit comme s'il l'était depuis des heures, les bras immobiles de chaque côté du corps. Son souffle chaud est si faible que même la housse lui collant au nez ne frémit pas.


« Là, ça ira, fait une voix familière. Merci. »


Les roues arrières essuient un léger sursaut avant de s'immobiliser. Une main aux doigts larges ouvre la fermeture Éclair de la housse avec précaution. Azura entrouvre un œil, puis les deux, avant de se redresser face au commissaire et à ses subordonnés. Gina a croisé les bras et le regarde avec de grands yeux incrédules. Le garçon ne prête aucune attention à Rob et Morris, mais ceux-ci n'en mènent pas plus large. Il a beau leur avoir expliqué une partie de la situation après leur arrivée sur le Toit du Monde, les agents de police se comportent comme les témoins d'une véritable résurrection. Les pensées d'Azura bifurquent brièvement vers Lauren. Il paierait cher pour voir sa réaction.


« Tu sais qui est le corbeau ? »


La question de Gina le ramène à la réalité. À l'instar de sa partenaire, la détective n'a jamais perdu son temps à tourner autour du pot.

Réalisant tout juste se trouver dans une morgue, Azura se frotte les bras pour se réchauffer. Ses mains s'enfoncent dans ses manches. Dis-leur tout ce que tu sais, lui a demandé Gaël. Ils doivent avoir un maximum d'informations à leur portée. S'il te plaît, Azu, n'essaye pas de me couvrir.


« Oui et non, répond-il. Je sais que les Everett sont derrière tout ça et qu'il travaille pour eux, mais Gaël n'a pas son identité exacte. Il en a appris juste assez pour me sauver la mise ce soir.

- En passant un marché avec l'homme censé t'abattre, résume le commissaire en hochant la tête.

- Oui. Banjo ... Bill, improvise Azura, qui ne s'est jamais suffisamment renseigné sur le gang de Myers pour en connaître les membres. Un truc du genre. Ils ont tous des pseudos à coucher dehors, alors peut-être que je m'emmêle un peu les pinceaux.

- Tu veux dire Buffalo Kid ? questionne Morris. Je croyais qu'il était mort.

- Plutôt Sergio Hill, non ? ajoute Rob.

- Ouais, enfin, bref, coupe Azura avant que leurs doutes se transforment en suspicion. Gaël lui a promis qu'on réussirait à faire tomber Lawrence s'il me laissait la vie sauve, alors on a intérêt à s'y prendre vite. Il faut que mon nom apparaisse dans le journal demain matin. Sinon, il va comprendre qu'on se fout de lui.

- Attends, reprenons depuis le début ...

- C'est la deuxième fois que je vous explique ! Gaël sera en danger si on se dépêche pas, et moi aussi, et tout le monde à la Petite Sirène ! Je sais pas pourquoi Lawrence a pas demandé à son corbeau de me tuer, peut-être qu'il est indisposé, j'en sais rien, mais il le restera pas longtemps. On doit agir vite. »


La ferveur avec laquelle Azura délivre ses arguments a raison de la réticence du commissaire. Bien. Il préfère ne pas avoir à mentionner Tori pour convaincre son père. Utiliser la mort du détective ainsi laisserait sur sa langue un goût âpre dont il ne parviendrait jamais à se défaire.


Je suis désolé, Tori. Je suis tellement, tellement désolé. Gaël l'est aussi. Je te jure qu'il l'est.


Il serre les paupières un instant, priant pour que ses pensées l'atteignent où qu'il se trouve. Azura n'a jamais cru en un quelconque au-delà mais, aujourd'hui, est prêt à renoncer à son cynisme pour se convaincre que Tori est enfin en paix.


« D'accord, lâche le commissaire, faisons tomber Lawrence Everett. Il nous faut des preuves. Ton ami peut nous procurer ça ?

- Euh ... »


Azura bat des cils, impuissant. Il n'avait pas pensé au côté légal de l'arrestation. À vrai dire, il imaginait des dizaines de voitures de police rouler à toute vitesse jusqu'au manoir Everett pour l'encercler et convaincre cet enfoiré de se rendre avant de fêter leur victoire en trinquant autour d'énormes pizzas. Qu'espérait-il, sérieusement ? Sunnyside ne compte même pas une seule dizaine de voitures de police.


« J'en sais rien, avoue-t-il. Je lui demanderai. Mais vous oubliez le problème du gang. S'il se fait pincer, c'est la fin.

- Je t'assure que personne ne l'oublie, le rassure Gina. On ne fera rien qui puisse mettre Gaël en danger. Pas vrai, commissaire ?

- Bien sûr. Je mourrai avant que cette bande de salopards fasse d'autres victimes. »


Un frisson parcourt l'échine d'Azura. Cette déclaration lui fait l'effet d'un mauvais présage.


« Il faut qu'on les neutralise avant Lawrence, se recentre-t-il. S'il arrive quelque chose à Gaël, je ... je répondrai plus de rien.

- Je sais, fiston. On ne laissera rien lui arriver. Fais-nous confiance. »


Conscient des risques invoqués par Azura, le commissaire pose une main rassurante sur son épaule. Il aimerait le croire, mais Gaël lui est si précieux qu'il ne ferait confiance à personne pour assurer sa sécurité. Les services secrets américains pourraient veiller sur lui comme sur la prunelle de leurs yeux qu'il trouverait le moyen de ne pas être tranquille.


« D'abord le gang de Myers, puis Lawrence Everett, résume Gina. Le problème, ce sera d'agir assez vite pour empêcher le cerveau de réagir.

- Et de les incriminer, ajoute Morris.

- Ils ont voulu me faire tuer, lui rappelle Azura. Au pire, quelque chose dans leur manoir devrait pouvoir faire l'affaire. Une liste de clients ou je sais pas quoi.

- Ou alors, propose Rob, ton contact pourrait les enregistrer. Il a bien appris que ta tête était mise à prix en surprenant une conversation, non ? Ça pourrait lui arriver de nouveau.

- C'est mon ami, pas mon contact. Et il a déjà failli se faire prendre la première fois.

- Tu comprendras que devant un tribunal, une personne aussi importante et aisée que Lawrence Everett ne sera pas condamnée sans preuve tangible.

- Et vous comprendrez que j'ai aucune envie de risquer la vie de mon meilleur ami pour des formalités ! Ce type est pourri jusqu'à la moelle, tout le monde le sait, qu'est-ce qu'il vous faut de plus ?

- Du calme, intervient Gina. Je sais que la situation est difficile pour tout le monde, mais le moment est mal choisi pour se disperser.

- Il faut agir, résume le commissaire, et agir vite. Azura ne pourra pas vivre caché des mois. D'abord, on s'occupe de le faire disparaître. Ensuite, on s'occupe de l'intervention. »


Azura fait basculer ses jambes d'un côté du chariot pour s'asseoir plus confortablement. Gina et William ont raison. Ils doivent garder la tête froide, maintenant plus que jamais.


« Vous pouvez faire ça ? s'enquiert-il. Je veux dire, feindre une mort ?

- Oh, ce sera un jeu d'enfant comparé à ce qui nous attend ensuite, lui assure Gina en pianotant sur son téléphone. Le commissaire s'occupe de l'hôpital, je m'occupe des journalistes.

- Vous savez qui contacter ? » s'étonne le garçon.


La détective lui adresse un sourire malicieux. Le reflet des néons dessine des boules lumineuses dans ses yeux noirs.


« Tu ne pensais tout de même pas qu'Olga O'Malley était la seule fouine à avoir creusé son terrier dans Sunnyside ? »




Nelly McBride. Tel est le nom de la femme qui écrira le récit de la mort tragique d'Azura pour le publier dans moins de douze heures. L'adolescent ne la rencontre pas en personne ; il apprend à la connaître via les messages de Gina, qui lui permettent de rester en contact avec la police. Nelly aurait été dévastée par la disparition de cette pauvre Olga, qu'elle considérait comme, elle cite, un astre dans cette ville de bouseux. Sa pire ennemie. Sa plus grande rivale. Et, dans un sens, la personne qu'elle estimait le plus. Nelly ne l'avouerait jamais à quiconque puisse le répéter à la concernée mais, la concernée étant maintenant incapable d'entendre quoi que ce soit, ses sentiments sont aussi libres que l'était Mohinder après son divorce.

Azura sent les larmes lui piquer les yeux. Pas le moindre ami, et même ceux que tu auras te détesteront. Il a beau ne pas pouvoir qualifier leur relation d'amitié, il aurait aimé qu'Olga sache que quelqu'un, dans cette ville, la tenait en si haute estime. Elle méritait de savoir.

Bon Dieu, s'ils le mettent dans un état pareil, il n'ose pas imaginer à quel point les crimes de Gaël doivent peser sur sa conscience.

Il serre son téléphone dans sa main, résolu. Le responsable de sa transformation en machine à tuer tombera bientôt. De ça, il fait le serment.

Sa tête atterrit sur l'oreiller de Cherry quand il se laisse tomber en arrière. Incapable de loger à la Petite Sirène pour le moment, le garçon a élu domicile dans la chambre de la jeune femme. Le store de l'unique et étroite fenêtre était déjà baissé à son arrivée. Des posters de groupes rocks et de vieux films recouvrent les quatre murs. Sur de la table de chevet, éclairée par la lueur pourpre d'une lampe à plasma, une réplique de la photo tirée devant la grande roue de Devil's Rock a été encadrée de noir. Azura s'en empare pour la tenir devant ses yeux. On n'est pas des corbeaux, lui a dit la jeune femme un peu plus tôt. On est des phénix, chacun d'entre nous. Et un jour, on renaîtra de nos cendres pour vivre encore.

Le jeune homme sourit au cliché. Il soupçonne Cherry d'avoir voulu décompresser à l'aide d'un joint ou deux, mais ses paroles ont quelque chose de poétique. Elle devrait en prendre note avant de les oublier.

Azura remet la photo à sa place et se redresse en sentant une présence silencieuse s'approcher de lui. Ses yeux s'écarquillent de surprise. Il s'attendait à trouver Holly, voire Cherry, accoudée dans l'ouverture de la porte pour lui tenir compagnie. Pas Morgane. Encore moins Morgane, vêtue d'une sinistre robe noire aux manches de dentelles et une boîte à cookies entre ses gants de velours.


« Quoi ? fait-elle en interceptant son regard. On est censées être en deuil, non ?

- Tu te prêtes tellement au jeu que ça en devient inquiétant.

- C'est un jeu pour toi ?

- C'est une façon de parler et tu le sais très bien. »


Azura fronce les sourcils, peu désireux de supporter les humeurs de son amie à cette heure de la nuit. Celle-ci hausse les épaules, détournant les yeux dans le vide.


« Ça te dérange si je viens m'asseoir avec toi ? »


Méfiant, le garçon se décale pour lui faire une place. Morgane se laisse tomber à côté de lui avec un soupir. Elle s'allonge en arrière, le haut du corps sur le matelas, les jambes dans le vide. Azura adopte la même position. Ils contemplent les posters du plafond mansardé dans un silence tendu, les mains jointes sur le ventre. La boîte à cookies se soulève au rythme instable de la respiration de la jeune fille.


« Je crois que je craque » dit-elle tout à coup.


Azura arrache son regard fatigué au carré noir d'Uma Thurman pour le jeter dans la cascade blonde de son amie. Son expression à elle n'a pas changé. Ses yeux immobiles sont aussi vides que le jour de leur rencontre.


« Je suis épuisée, Azu, poursuit-elle sans qu'il ait besoin d'en faire la demande. Parfois, je reste éveillée toute la nuit juste pour pas avoir de nouveaux cauchemars. Qu'est-ce qu'on a changé, au juste ? Ma mère est morte, l'océan est pourri, les oiseaux tombent du ciel et ce sera bientôt la fin de tout. Alors à quoi bon ? »


Elle n'interroge pas son ami du regard. Il sait qu'elle ne lui demande pas de réponse. Celle-ci ne pourra qu'apparaître d'elle-même, si elle daigne se présenter un jour.


« Je voudrais juste pouvoir partir d'ici. Faire des études, rencontrer une fille gentille, peut-être m'installer avec sur le long terme et oublier tout ça. J'ai l'impression d'étouffer. J'en ai marre de vivre dans une baraque qui pue le vieux à longueur de journée et où je dois m'occuper de tout. Marre d'être la ménagère, la baby-sitter, l'aide-soignante, mais de pas avoir une thune pour acheter une voiture et me barrer d'ici. Marre de chercher un sens à mon calvaire pour mieux le vivre. Tu sais ce que ça fait de devenir l'adulte de la maison du jour au lendemain ? Combien de temps, Azu ? Combien de temps je vais encore me sentir comme ça ? »


D'impuissance, il se pince les lèvres. Peut-être la sensation s'estompera-t-elle bientôt. Peut-être durera-t-elle jusqu'à sa mort. Morgane sera la seule à le savoir.


« J'en ai tellement marre, répète sa voix brisée. Pourquoi je peux pas être comme tout le monde ? Pourquoi je peux pas juste faire partie de ces imbéciles qui trouvaient la pluie drôle ? Je sais pas qui m'envoie ces rêves, ni même si quelqu'un me les envoie vraiment, mais à quoi ils servent ? Rien a de sens, Azu. On est juste en train de se débattre avec l'invisible sans voir le trou dans lequel on tombe depuis le début. Le trou noir au centre de tout ce qui vit.

- T'es à bout, tente de la réconforter son ami. C'est normal que rien paraisse avoir de sens.

- Et si l'univers s'en fichait ? poursuit-elle sans donner signe de l'avoir entendu. Si Dieu n'existait pas, si on était vraiment seuls ? Si tout ce qu'on faisait était vain, parce que rien a de sens et qu'on va tous mourir de toute façon ?

- C'est à nous d'en avoir quelque chose à faire, pas à l'univers. Et tout le monde finit par mourir un jour. On peut juste ... s'arranger pour que la route soit la plus longue et fleurie possible. Et quand la situation paraît désespérée, s'accrocher à ce qu'on peut comme on s'accroche l'un à l'autre depuis le départ. »


Morgane hausse les épaules, le menton tremblant. Ses yeux plissés tentent de contenir les larmes qui mouillent déjà ses cils. Elle résiste quelques instants avant de poser le front contre l'épaule d'Azura, le corps secoué de sanglots. Le jeune homme lui caresse les cheveux, le ventre gonflé par une profonde inspiration. Il ne sait pas quoi dire. Il ne sait jamais quoi dire quand les autres en ont le plus besoin.


« Je te déteste, articule Morgane entre ses pleurs. On t'oblige à rester ici, mais t'es le plus libre d'entre nous. Tu me sauves la vie à peine arrivé, tu t'adaptes à tout et tout le monde, t'as même appris à aimer ce trou à rats, et moi je ... je m'empêche d'avancer en cherchant un sens à ce qui en a peut-être pas. Pourquoi moi, Azura ? Pourquoi nous ? Qu'est-ce qu'on a fait ? »


Azura secoue la tête. Il n'a pas plus de réponse à lui offrir que lorsque Gaël lui a posé la question des heures plus tôt.




« Tu devrais vraiment rester dormir ici, insiste Holly. Il est déjà tard et tu tiens à peine debout.

- Je peux te laisser le canapé, si tu veux, ajoute Cherry. Je dormirai par terre. »


Morgane secoue la tête, un sourire forcé sur le visage.


« Je peux tout de même pas te demander ça.

- Oh, j'ai l'habitude, fait la jeune femme comme s'il s'agissait d'une bagatelle. Tu sais, quand j'ai quitté l'institution ...

- Merci, mais je vais vous laisser, la coupe Morgane. La route est longue et la nuit courte.

- Laisse-moi au moins te raccompagner, propose l'aînée. Tu peux pas rentrer toute seule à une heure pareille.

- Ça ira, vraiment. J'ai besoin de prendre l'air. »


Le regard acier de Holly se teinte de suspicion. Elle secoue la tête, vaincue, et escorte la jeune fille jusqu'au pas de la porte.


« Morgane » la retient-elle alors qu'elle est sur le point de partir.


L'interpellée se retourne, consciente du mouvement des voiles de sa robe sur ses jambes, et arque les sourcils. Elle fait tout pour paraître la plus fraîche et expressive possible, pour sauver les apparences et sacrifier la vérité, comme si elle ne venait pas de pleurer tout son soûl sur l'épaule de son ami, comme si les deux femmes ne l'avaient pas entendue.


« T'es pas toute seule, finit par lâcher Holly dans un soupir. Si t'as besoin de parler, on est là. On est tous sous le choc, mais on fera de notre mieux pour t'épauler.

- T'as pas intérêt à faire de conneries, enchaîne Cherry, sinon compte sur moi pour te botter le cul même si je dois attendre d'être morte pour le faire.

- Vous en faites pas, les rassure Morgane. J'ai pas l'intention d'encore essayer de me jeter sous une voiture cette nuit. »


Pourtant, à chaque paire de phares qui la dépassent, l'idée démange l'esprit de la jeune fille comme la morsure d'un insecte dont elle ne guérira jamais. Elle se fige sur le trottoir pour regarder les véhicules poursuivre leur route, les bras chaque fois plus ballants, les traits chaque fois plus affaissés.

Elle ne se rappelle pas de la dernière matinée où sa mère était en vie. Quels ont été ses derniers mots à son égard ? À demain ? À tout à l'heure ? Pourquoi ne s'en rappelle-t-elle pas, bon sang ? Elle aurait dû graver ces instants dans sa mémoire à l'instant où elle a appris sa mort. Elle aurait dû.

Les phares aveuglants d'une voiture en piteux état éclairent son profil avant de disparaître. Morgane regarde la carcasse s'enfoncer dans l'océan nocturne avant de reprendre son chemin. Elle ne rentre pas chez elle. Elle rentre chez elle.

La façade délabrée du bâtiment se dresse devant elle, imposante et déprimante dans les ténèbres de la nuit. Le regard vide de Morgane soutient celui de la fenêtre ronde centrale avant de s'avancer sur le porche. Les clefs ne quittent jamais son sac.

Elle monte les escaliers jusqu'au bureau de sa mère, qu'elle s'attend presque à croiser à l'angle du couloir. Diluée dans l'atmosphère nocturne, la réalité se confond avec les rêves. Morgane ne remet pied sur terre qu'en poussant la porte de la pièce vide.

Maman est partie.

Le chagrin décompose les traits de la jeune fille. Tous ces mois où elle a préféré le contourner plutôt que l'affronter, tout ce temps où elle n'a fait que maintenir le masque pour cacher les larmes au-dessous, ne l'ont rendu que plus violent. Il se déchaîne en elle comme un ouragan, lacérant ses organes vitaux, broyant sa cage thoracique tel le prédateur trop longtemps privé de sang.

Morgane tombe à genoux, le visage dans les mains. Ses pleurs se déversent en cascade sur ses joues. Grand-mère a toujours été vieille. Nana a toujours été harcelée et turbulente. Elle n'avait juste pas à s'en soucier, avant qu'on lui enlève sa mère. Son plus gros problème, avant ce jour fatidique, prenait la forme d'une poignée de lycéennes ricanant comme des hyènes sur son passage. Alors pourquoi, au nom de tout ce qui est nommable sur cette foutue planète, pourquoi n'arrive-t-elle pas à détester son assassin ? Qu'a-t-elle fait pour mériter un sens de l'empathie aussi détraqué ? Sa mère était son monde. Sa supportrice, sa confidente, sa meilleure amie. Et aussi celle à lui avoir enseigné les valeurs qui l'empêchent de succomber à la haine à cet instant précis.

Gaël a détruit son monde, mais Morgane n'arrive pas à lui souhaiter le moindre mal.

Son poing s'abat rageusement sur le plancher, qui répond à son coup par un bruit mat. Pourquoi faut-il que ce soit lui ? Pourquoi pas n'importe qui d'autre dans cette foutue ville ? Quelqu'un qu'elle ne connaissait pas et qu'elle aurait pu haïr l'âme en paix ? Rien n'a de sens. Ses propres sentiments n'en ont jamais eu.


« Aide-moi, maman, supplie-t-elle. Aide-moi. »


Elle pose les mains à plat sur le plancher et ferme les yeux dans une prière muette. Le silence de la pièce est sa seule réponse.

Elle se réveille éreintée, allongée par-dessus les couvertures psychédéliques d'un lit qu'elle se souvient vaguement avoir gagné, après un énième cauchemar dont les images ne quittent pas ses yeux ouverts. Les messages de Nana et des résidents de la Petite Sirène fourmillent dans son téléphone. Elle ne le sort pas de son sac.




Mort tragique d'un adolescent sur le Toit du Monde

Même libérée de l'emprise de Johnny Gunn, Sunnyside continue de trembler. Azura Vaswani, un adolescent de dix-huit ans au passé turbulent, a été retrouvé mort cette nuit dans le quartier abandonné de la ville. Un passant anonyme a signalé des coups de feu, menant la police à cette sinistre découverte. Règlement de comptes entre lycéens ou guerre de gangs ? Sa tante et gardienne a refusé tout entretien, au contraire de ses camarades qui ont été plus qu'heureux de nous fournir moult témoignages et anecdotes concernant la victime.


En dépit des mots qu'il a sous les yeux, Gaël sourit tendrement. Moult témoignages et anecdotes. Il en mettrait sa main à couper, ouais.


« Tu es réveillé, mon cœur ? »


On toque à sa porte. Pris de court, Gaël froisse le journal entre ses mains avant de le poser en évidence sur ses genoux. Qu'il ne lise pas l'article serait aussi louche que l'inverse.

Il se masse le visage, prenant soin d'en supprimer toute trace de réjouissance, et se redresse dans son lit. Il est encore en pyjama ; quand Lawrence est venu le trouver pour lui jeter le journal à la figure, le garçon s'est enfoncé dans sa couette jusqu'au menton. Un seul regard de travers de la part de cet homme et il le trucidera avant que la police puisse l'arrêter.

Et peut-être l'arrêter lui. Gaël a beau vouloir s'y préparer, la perspective de se retrouver en prison le terrifie autant que la naïveté d'Azura l'attendrie. Il ne pourra pas échapper à ses crimes. Il pourra toujours fuir, ceux-ci finiront pas le rattraper un jour ou l'autre. C'est bien ce qu'on dit, non ?


« Oui ... »


En voyant Maxwell gagner l'autre côté de la porte, le cœur de Gaël tombe comme une pierre dans son estomac. Est-ce qu'ils l'arrêteront, lui aussi ? Est-ce qu'il se retrouvera derrière les barreaux pour complicité ? Dans ce cas, se reverront-ils seulement un jour ?

Gaël déglutit. Est-ce qu'il est en train de détruire la famille qu'il a eu tant de mal à trouver ?


« Où est-ce que tu es allé chercher ça ? »


La question sort le garçon de ses angoisses. Son père a avisé le journal et froncé les sourcils.


« Lawrence me l'a donné, répond-il d'une voix volontairement pitoyable. Il voulait que je voie l'article.

- Il est venu ici juste pour ça ?

- Oui.

- Bordel, souffle l'homme en se pinçant l'arête du nez. Je vais le descendre pour de bon. »


Gaël secoue la tête sans énergie. Il a beau savoir que Maxwell n'est pas sérieux (depuis quand lance-t-il ce genre de remarque à la légère, d'ailleurs ?), il préfère ne pas l'encourager. Tout sera bientôt terminé de toute façon.


« Ce soir. »


Gaël relève les yeux sans comprendre. Le matelas de son lit grince à peine lorsque Maxwell s'y assied.


« Tu voulais savoir quand les associés de Lawrence se réuniraient, précise-t-il. Ils le font ce soir. Je m'assurerai que Phil t'emmène loin d'ici jusqu'à ce qu'ils ... nous laissent en paix. Vous irez manger quelque part et regarder un film ou deux au cinéma ... Ce sera fini avant que tu t'en rendes compte.

- Tu viendras avec nous ?

- Je suis obligé de rester, Gaël. Tu sais comment ça fonctionne.

- Tu peux pas faire une exception, juste pour cette fois ?

- Non. Surtout pas pour cette fois. »


Attristé, le garçon baisse les yeux. Est-ce qu'ils comptent discuter de contrats importants ? Au diable tout ça ! Cette bande d'enfoirés tombera bientôt, et il ne compte pas laisser son père se prendre une balle perdue au nom de ...

Il frémit, la gorge serrée. Une balle. Une simple balle tirée au hasard par un malfrat a coûté la vie à l'homme qui l'a élevé. Il ne peut pas laisser la même chose arriver à celui qui l'a conçu.


« C'était la dernière fois, mon cœur. C'est promis. »


Gaël met un moment à collecter ses pensées et un autre à comprendre de quoi parle Maxwell. Le meurtre d'Azura. Bien sûr. Azura est mort hier soir ; comment l'oublier ?

Il hoche la tête comme un automate. Ne lui a-t-il pas déjà promis la même chose, autrefois ? Gaël n'arrive pas à s'en souvenir.


« Tu ne seras plus jamais seul, poursuit l'autre. Tu n'auras plus jamais à t'en faire pour quoi que ce soit. Je serai toujours à tes côtés, Gaël. »


Gaël pose sa main sur celle qui lui caresse la joue et esquisse un maigre sourire, les yeux fermés pour ne pas trahir ses larmes. Ensemble pour toujours. Encore un doux rêve qui ne verra jamais le jour.

Ses doigts se serrent autour de ceux de son père. Non, il ne peut pas laisser Maxwell se faire arrêter. Il n'est pas responsable des manigances de son frère. Si quelqu'un d'autre que Lawrence doit payer, c'est lui et personne d'autre. Gaël ne laissera plus jamais personne souffrir à sa place.

Ils demeurent ainsi un moment, assis en silence sans ressentir l'envie de le briser, jusqu'à ce que le téléphone de Gaël vibre sur le lit. Les yeux embués du garçon s'écarquillent en voyant le prénom d'Azura s'afficher sur l'écran. Il le pousse le plus naturellement possible sous l'oreiller.


« Ça doit être Morgane ou Holly, marmonne-t-il. Avec ce qui vient de se passer ... Elles doivent s'inquiéter pour moi. »


Il froisse le coin de sa couette entre ses doigts en espérant que son père saisisse le message. Par chance, celui-ci y a toujours été plus réceptif que la plupart de ses fréquentations.


« Bien sûr. Je vais te laisser. Appelle Phil quand tu seras prêt à partir. »


Gaël le remercie d'un signe de tête et l'écoute s'éloigner dans le couloir avant de saisir son téléphone. Il regagne l'intérieur de son lit, peu désireux d'en sortir pour le moment. La matinée est brumeuse, presque sinistre. D'imposants nuages gris s'amoncellent sur la ville. Gaël ne peut empêcher la vue de le faire frissonner. Cette météo est pourtant commune à Sunnyside.

Il ouvre les messages de son ami, espérant y trouver de quoi faire taire ses angoisses.




À: Gaël

     je squatte chez holly et cherry

     puisqu'on s'est tous réveillés ce matin je présume qu'on a réussi à berner le vieux cochon

     mais la police fait iech

     j'ai beau essayer de leur faire comprendre l'urgence ils me lâchent pas la nouille avec leurs conneries administratives

     tout le monde sait que lawrence est derrière tout ça mais ils veulent des PREUVES

     ils peuvent pas juste arrêter ce connard une bonne fois pour toutes ????????????????

     gaël ?

     t'es là ?


De: Gaël

     oui

     je réfléchissais

     moi aussi j'ai un problème avec son arrestation


À: Gaël

     ah ?


De: Gaël

     je veux pas que mon père tombe avec lui

     ça a jamais été son idée tout ça

     s'ils veulent des preuves, je peux en trouver

     ça permettra aussi d'innocenter maxwell


À: Gaël

     attends, non

     c'est super dangereux

     tu feras quoi si lawrence te pince ?


De: Gaël

     j'improviserai

     et il me pincera pas si je fais ça ce soir

     il sera occupé avec ses associés, wink wink

     ils me croiront tous dehors alors que je serai en train de fouiller son bureau


À: Gaël

     machiavélique

     mais suicidaire

     le gang se réunit ce soir ?


De: Gaël

     c'est ça

     on sait pas quand on aura une autre chance

     il faut agir ce soir. l'arrestation, les preuves, tout

     le problème c'est que mon père est obligé d'assister à la réunion

     je veux pas que la police ou quelqu'un d'autre le blesse par accident


À: Gaël

     je suis d'accord

     mais gaël, te mets pas en danger stp

     maxwell est adulte, il saura gérer la situation

     et t'as rien à rattraper. c'est pas ta faute tout ça


De: Gaël

     au contraire

     je suis la pièce principale de la machine

     c'est à moi de l'arrêter


À: Gaël

     sauf que t'es pas un boulon mais un être humain

     et la personne que j'aime le plus au monde


De: Gaël

     hahaha

     c'est bien pour ça que je dois le faire


À: Gaël

     ?


De: Gaël

     je te l'ai déjà dit

     tu m'inspires

     j'ai envie d'être une meilleure personne

     ...pour toi


À: Gaël

     on devient pas une meilleure personne en mourant


De: Gaël

     tu serais surpris


À: Gaël

     gaël


De: Gaël

     je plaisante

     personne va mourir

     on va tous s'en sortir et suivre une thérapie pour se remettre de tout ça

     on va y mettre fin ensemble, comme tu l'as dit

     je t'aime

     non attends

     oublie ce dernier message

     arrrgh


À: Gaël

     :D

     screenshoté et archivé


De: Gaël

     je te hais


À: Gaël

     mais bien sûr

     ♥ ♥ ♥


Un sourire fragile se dessine sur les lèvres d'Azura. Il s'étire sans bouger du lit de Cherry où il est toujours allongé. Où irait-il s'il se levait ? Il ne peut même pas ouvrir le store de la fenêtre sous peine de ruiner leur plan.

Il transmet les informations à Gina (la réunion du gang et la détermination de Gaël à trouver des preuves, bien qu'il n'en précise pas la raison) avant de revenir à des messages bien antérieurs.


À: Morgane

     bien rentrée ? holly t'a pas raccompagnée ?

     ?

     morgane... regarde ce chat (pièce jointe 0,98 Mo)

     :o

     tu dors ?


Le garçon est resté éveillé une partie de la nuit et a guetté sa réponse aussitôt qu'il a ouvert les yeux. La jeune fille, où qu'elle soit, demeure injoignable.

Il soupire en s'enfonçant dans l'oreiller, une boule d'angoisse nichée dans la gorge. Qui sait où Morgane a pu trouver refuge ? Après son laisser-aller de la veille, Azura ne peut pas s'empêcher d'imaginer le pire. Pourvu qu'elle ait un toit sur la tête. Pourvu qu'elle soit en sécurité. Devrait-il prévenir la police ? Non, l'intervention de ce soir sera leur priorité. Le commissariat de Sunnyside est minuscule ; tous leurs effectifs seront mobilisés pour l'occasion. Mais quand même ...


De: Gina

     Bien reçu. Horaire précis inconnu ?

     Gaël doit quitter les lieux avant notre arrivée. On compte sur toi pour le convaincre.


À: Gina

     j'y arriverai pas

     je crois qu'il s'inquiète pour les autres

     les résidents du manoir qui sont pas forcément impliqués, genre le personnel et maxwell


Azura se pince les lèvres. Il n'avait pas l'intention de mentionner Maxwell, mais le mêler au personnel rendra ses propos moins louches. Enfin ... il croit.


De: Gina

     Comment peut-il savoir qui est impliqué ou non ? Ce sera à la police d'en décider.

     Gaël est un civil. Il a été courageux, mais il ne doit pas interférer avec notre travail.


Merde.


À: Gina

     je sais pas, c'était juste une supposition

     je sais qu'on est proches mais on maîtrise pas encore la télépathie

     vous avez des nouvelles de morgane ? elle répond pas depuis hier soir et je m'inquiète un peu


De: Gina

     Sa grand-mère nous a appelés pour signaler qu'elle n'était pas rentrée de la nuit.

     Je suis sûre qu'elle va bien. On gardera l'œil ouvert.


Malgré le succès avec lequel il a changé de sujet, Azura pâlit. Qu'est-il arrivé à son amie ? Est-ce qu'on l'a enlevée ? Non, si elle était retenue par les hommes de Lawrence, Gaël le lui aurait fait savoir. Et puis, s'en prendre à elle maintenant n'aurait aucun sens. Peut-être a-t-elle juste découché le temps de remettre ses idées en place. Les deux garçons ne peuvent pas prétendre ne jamais être passés par là.

On toque à la porte comme pour l'empêcher de se faire du mauvais sang. Azura tourne la tête sans modifier sa position.


« Je suis en pyjama, prévient-il.

- On devrait s'en remettre » fait, de l'autre côté, la voix de Cherry.


Elle entre sans plus de cérémonie, talonnée par Holly. Les deux femmes arborent un air grave qui ajoute encore à l'angoisse du garçon.


« Qu'est-ce qui se passe ? s'inquiète celui-ci, enfin redressé.

- Euh, pour l'instant, rien. On voulait juste te prévenir que ... ben ... »


Cherry, à court de mots, cherche secours auprès de son aînée. Celle-ci s'avance pour se tenir entre elle et son neveu. Ses bras sont croisés ; ses traits, fermés. Azura se prépare au pire.


« Cherry pense qu'on n'a pas à te prévenir, dit-elle, mais voilà : on va faire tout notre possible pour faciliter l'arrestation des coupables. C'est-à-dire qu'on va partager nos informations avec la police.

- Ouais, enfin, techniquement, j'étais pas contre le fait qu'on le prévienne, souligne Cherry. Je voulais juste qu'on le fasse après être allées voir la police.

- Attendez, quoi ? Vous pouvez pas faire ça ! Qu'est-ce qu'on va faire s'ils vous jettent en prison ?

- Tu vois, souffle Cherry à sa voisine, c'est pour ça que je te disais d'attendre.

- On en a déjà parlé. C'est pas à toi de décider ce qu'on peut faire ou non, Azura.

- Mais ... »


Le regard que lui jette sa tante lui coupe la parole. Il fronce les sourcils, refusant de baisser les yeux.


« Pourquoi tout le monde veut se mettre en danger tout à coup ? râle-t-il. Ça vous suffit pas que Morgane ait disparu et que Gaël veuille jouer les kamikazes ?

- Sauf qu'on n'est pas Morgane ou Gaël, répond Cherry. On est nous. Et crois-moi, tu pourras pas nous faire changer d'avis.

- Qu'est-ce que vous savez de si important, de toute façon ? bougonne le garçon. C'est pas comme si vous étiez aux premières loges. Cherry est même pas mêlée à tout ça.

- Ben, premièrement, je sais combien de membres du gang de Myers sont encore en vie, alors je peux donner une estimation à la police. Deuxièmement, Holly a été une de leurs clientes. Elle pourra les éclairer sur les rouages de la magouille. Et troisièmement, on est des grandes filles capables de te maîtriser physiquement si besoin.

- Pas la peine de me menacer ! La police cherche à appréhender ces fils de putes depuis trois plombes, non ? Ils doivent être au moins aussi bien renseignés que toi. Et puis, Lawrence a fait des tas de victimes. Un autre client peut se charger de témoigner. Ils en retrouveront bien quelques-uns, non ?

- Azura ... »


Holly s'approche du lit avec prudence et fermeté, comme si elle s'attendait à ce qu'Azura lui saute à la gorge sans le redouter. Le garçon se contente de la suivre du regard tandis qu'elle s'assied près de ses jambes.


« On ne peut pas toujours tout confier aux autres. Parfois, il faut savoir sortir de l'ombre et faire le travail soi-même.

- Mais ... »


Les mots meurent dans sa gorge avant qu'il ose les prononcer. Ils ont tous joué un rôle dans cette enquête. Depuis des mois, Azura et son entourage se défoncent pour remonter la piste de merde semée par Lawrence. Pourquoi ses proches devraient-ils payer ? Pourquoi risquer la prison maintenant, alors qu'elles pourraient rester dans l'ombre et mener une vie paisible ? Par retour de conscience ? Mais pourquoi ? Elles n'ont rien à se reprocher de plus que Gaël.

Rien du tout.

Pas le moindre du monde.

Elles n'ont pas de sang sur les ...

Bon, OK, mais Stef n'était pas innocent. Et Cherry était juste une ado. Peu importe qu'elle n'ait quitté le gang de Myers que lorsqu'elle y a été obligée. Elle ...

Elles ...

Azura ferme les yeux. Il renifle, penaud. De qui se moque-t-il, encore ? Il ne veut simplement pas les voir partir. Il ne veut pas être à nouveau seul, privé de ses proches jetés en pâture à la justice. Quelqu'un doit le faire, il le sait. Il voudrait juste que ce ne soit pas elles. Pas eux. Juste pour cette fois, pas eux.


« J'ai peur, articule-t-il entre des larmes qu'il ne sent pas couler. J'ai peur, maman. »


Il entend ces mots plus qu'il a conscience de les prononcer. Sa vision, aussi bien brouillée par l'humidité que par la tornade d'émotions qui le prend jusqu'à la gorge, ne distingue pas les contours flous de Holly se pencher vers lui. Il sent juste son visage s'enfouir dans son pull dans le vain espoir d'échapper à tout ça.


« Je sais, mon poussin. Nous aussi. »


Azura s'accroche à sa tante sans plus se retenir. Son chagrin coule à flot sur son visage, ses hoquets soulèvent violemment ses épaules. Holly le berce comme un enfant, et Dieu qu'il aimerait en être un.

Cherry trouve une place libre à côté d'eux pour lui taper l'épaule. Jamais encore elle n'avait tenté de réconforter qui que ce soit - pas physiquement, pas dans ses souvenirs. Pourtant, une vague et incompréhensible nostalgie se joint à son geste. Azura frissonne. Il sait. Il ressentait la même chose, à l'époque où ses parents et lui formaient une famille.

Ils demeurent assis en silence jusqu'à ce que les pleurs d'Azura se tarissent et font durer l'instant quelques minutes supplémentaires. Seul un début de mal de dos convainc Azura de rompre l'étreinte. Il s'essuie le nez, honteux de son élan d'égoïsme, et garde la tête basse sans dire un mot.

Lorsque Holly et Cherry s'éclipsent de longues minutes de silence entrecoupé d'excuses plus tard, le garçon se recroqueville sur son lit le temps de laisser passer le chagrin. Son téléphone a vibré entre temps. Il l'a entendu mais n'y a pas prêté attention.

Il l'ouvre en espérant avoir des nouvelles de Gaël mais, à la place, tombe nez-à-nez avec un numéro inconnu. Ses yeux s'écarquillent au fur et à mesure qu'ils parcourent le SMS.


De: Numéro inconnu

     Bonjour, c'est Leïla. Tu sais... la fille des vestiaires. Je ne t'en voudrai pas si tu m'as oubliée, hahaha. Je ne suis pas du genre mémorable. Je sais que je ne t'ai jamais remercié en personne, mais... j'attendais d'être sortie de l'hôpital pour le faire. Une façon de me prouver que j'allais mieux, sans doute. J'ai appris trop tard que tu avais été transféré. Je suis désolée de ne pas t'avoir contacté avant. La rééducation prenait tout le temps et l'énergie dont je disposais. La plupart du temps, on devait m'obliger à la suivre. J'ai voulu mourir après tout. J'ignore si tu as déjà ressenti une chose semblable, mais c'était comme si une autre version de moi qui n'existait que dans ma tête voulait me pousser à l'acte. Cette fille a disparu aujourd'hui. Je ne vois plus Campbell quand je ferme les yeux. Je ne fais même plus de cauchemars.

     Ryan est passé prendre des nouvelles dès que j'ai été en état de recevoir de la visite. C'est lui qui m'a mise au courant pour ton expulsion. Ça semble dérisoire de dire ça aujourd'hui, mais je suis de ton côté. N'importe quelle personne décente le serait. Tu m'as probablement sauvé la vie ce jour-là, Azura. Si tu n'étais pas intervenu, je me serais déjà jetée d'un toit plus haut.

     J'espère que tout va bien à Sunnyside et que tu t'es fait plein d'amis. Tu le mérites. Et si tu acceptes, j'aimerais venir t'y voir cet été. Ryan a laissé entendre que tu ne rentrerais peut-être pas et j'ai toujours l'intention de te remercier en face. En attendant, je te souhaite le meilleur. Tu m'as sauvé la vie, alors prends soin de la tienne.

     À bientôt, je l'espère. XOXO


Les yeux noirs d'Azura sont si humides qu'il doit fréquemment battre des cils pour lire les dernières lignes. C'est vrai. Il est sorti de l'ombre lui aussi. Il a pris les choses en mains quitte à se les salir, sans se soucier des conséquences, au nom de ce qui est juste. Et il a fait une différence. Leïla va bien. Elle va bien. Physiquement, mentalement, moralement. Azura a tenté de sauver une jeune fille innocente et a réussi.

Bon Dieu de merde.

Est-ce ce que ressentent les autres en ce moment ? Holly, Cherry, Gaël ? L'envie de prendre les choses en main peu importe les risques, non pas pour soulager leur conscience mais par réelle envie de faire ce qui est juste ?

Azura a un léger soupir. Peu importe leurs raisons, il ne peut pas aller à l'encontre de leurs choix. Il n'en a pas le droit. Comment se serait-il senti, si ses amis lui avaient fait la morale pour avoir levé la main sur ce prof ? Il aurait eu envie de leur coller une bonne paire de claques, pour sûr. Peut-être en ont-ils envie en ce moment.

Malgré la situation, un léger sourire lui étire le bout des lèvres. Il s'est toujours battu pour que ses proches aient confiance en lui. Il est grand temps de leur accorder la sienne.




De: Azura

     holly et cherry se sentent aussi pousser des âmes de héros

     elles sont parties voir la police pour raconter ce qui leur est arrivé... sans te mentionner bien sûr

     en parlant de police, tu as l'interdiction formelle de chercher des preuves

     mets-toi à l'abri et attends que ça passe. ordre de gina


À: Azura

     tu crois que la police va m'empêcher de faire ce que je veux ?

     ça fait presque cinq ans que je commets des crimes sous leur nez


De: Azura

     je sais

     je disais juste ça pour te prévenir


À: Azura

     tu vas plus chercher à m'en empêcher ?


De: Azura

     non

     je crois que je comprends pourquoi tu fais ça

     et puis je te dis toujours de me faire confiance. c'est à moi de te faire confiance cette fois


À: Azura

     wow

     ta transformation en vrai délinquant est presque achevée


De: Azura

     dès que tout sera fini on braquera la pizzeria du coin

     j'ai trop envie de me boucher les artères


Gaël sourit tendrement, blotti au chaud dans son lit. Quand tout sera fini ... Combien d'entre eux restera-t-il ? Holly et Cherry doivent être au commissariat en ce moment-même ; il n'est plus seul à risquer la prison pour ses crimes. Azura doit l'avoir réalisé, mais le déni candide dans lequel il s'emmure a toujours fait partie de son charme. Aux yeux de Gaël, du moins.

Il ne peut pas lui mettre la réalité sous le nez. Pas maintenant. Pas avant que tout soit terminé.


À: Azura

     je braquerais n'importe quoi pourvu que ce soit avec toi

     mais pour en revenir à notre soucis principal

     je m'arrangerai pour être sorti avant que le gang arrive si ça te tient tant à cœur


De: Azura

     c'est le cas

     je veux pas te perdre

     une idée de l'heure à laquelle ils arrivent ?


À: Azura

     j'ai demandé à maxwell, il a dit 22h

     je confirmerai tout à l'heure

     mais vu qu'il m'a filé 4 places de ciné je crois qu'on est larges

     j'ai le temps de retourner tout le manoir avant de m'éclipser


De: Azura

     tu crois que lawrence serait capable de détruire des preuves en voyant les flics arriver ?

     ça se passera vite non ?


À: Azura

     il en est capable

     et puis ce sera le bordel avec le gang et la police

     il trouvera le moyen de leur filer entre les doigts comme une morue


Gaël serre le poing autour de son téléphone. Oui, il est certain que cette sale enflure fourbe trouvera un moyen. Les agents de police restants ne pourront pas le gérer en plus du gang. Ils sont trop peu nombreux, certains même trop peu compétents, et les hommes de Myers trop imprévisibles. Le manoir va se transformer en véritable boucherie.

Il se tapote le front avec le coin du portable, les mâchoires serrées. Peut-être ne seront-ils pas armés ? Gaël n'a jamais assisté à une de leurs réunions. Que Lawrence leur interdise tout port d'arme pour sa propre sécurité serait logique mais, une fois encore, qu'a-t-il à craindre d'eux ? Ces déchets humains ne sont bons qu'à suivre un chef de meute. Supprimer Lawrence reviendrait à supprimer leur raison de vivre.

Un râle se forme au fond de la gorge de Gaël. Y a-t-il une seule personne au monde que Lawrence craigne ? A-t-il seulement peur de la mort ? Dieu qu'il l'espère. Il veut voir la crainte dans ses yeux lorsque le juge prononcera sa sentence. Il veut y assister. La savourer, même séparé d'elle par l'écran d'une télévision accrochée dans le coin de sa cellule.


De: Azura

     ouais, ça risque d'exploser dans tous les sens

     j'espère qu'il en profitera pas pour se faire la malle une bonne fois pour toutes


À: Azura

     je le laisserai pas faire

     j'aurai plus rien à craindre une fois le gang neutralisé et il le sait

     la vache

     je paierais pour le voir me supplier à genoux de l'épargner


De: Azura

     je te comprends, mais je crois pas que le tuer te fasse du bien

     c'est mieux s'il est jugé et enfermé à vie

     il souffrira plus longtemps


À: Azura

     je sais

     je parlais juste d'un dernier recours


De: Azura

     sois prudent

     je vais voir ce que je peux faire de mon côté


À: Azura

     rien du tout

     tu restes où tu es et tu attends le feu vert de la police pour en sortir

     je t'enverrai des messages régulièrement si ça peut te rassurer


De: Azura

     t'as intérêt


Un sourire fugace, presque douloureux, tord le coin de la bouche de Gaël. Il joint les mains sur sa poitrine, son téléphone appuyé contre celle-ci, et soupire en direction du plafond. Son estomac semble vouloir se retourner sur lui-même. Jamais encore il n'a eu aussi peur de sa vie.

Il se passe une main sur le visage, peu surpris d'y sentir un filet de sueur froide s'y former. Peu importe à quel point il tente de se raisonner, Gaël n'arrive pas à se défaire de l'impression de courir à sa perte.


« Je t'aime » murmure-t-il.


Il demeure allongé quelques secondes supplémentaires avant de jeter ses jambes sur le côté pour se relever. Il a besoin de préparation, aussi bien physique que mentale. Et, pour l'instant, le garçon est toujours en pyjama.




Azura croit mourir d'inquiétude et d'ennui. L'énergie nerveuse accumulée dans son corps et son esprit par ces deux sentiments ne résulte qu'en une insoutenable frustration. Il ne peut rien faire. Rien du tout. Même allumer la chaîne-hifi risquerait de trahir une présence dans la maison. Holly l'a prévenu ; les murs sont fins comme du papier. Les narines qui chatouillent, et il est bon pour se pincer le nez quitte à faire sortir ses yeux de leurs orbites.

Il soupire en roulant sur le côté, n'osant même pas sortir de la chambre de Cherry tant que les deux femmes ne seront pas revenues. Que peuvent-elles être en train de raconter ? Si cela leur prend aussi longtemps, peut-être sont-elles déjà en garde à vue. Et si elles ne revenaient jamais ?

Il serre un oreiller contre son visage pour y grogner, impuissant. Il doit trouver de quoi s'occuper l'esprit. N'importe quoi. Sinon, il va devenir fou.

Il coupe le son de son téléphone par précaution avant d'ouvrir une page internet. Azura n'a pas abandonné l'idée de découvrir ce qui a pu leur arriver, à Gaël et à lui, pour qu'un tel fardeau s'abatte sur leurs épaules. Dieux, destin, sorcières ou facultés naturelles inexplicables ; il est presque sûr de ne trouver la réponse nulle part (sauf peut-être dans la bouche d'Iza, dont l'image s'impose à lui comme le ferait celle d'un rêve éloigné), mais ne s'arrêtera pas avant d'avoir tout essayé.

Il questionne Google comme un véritable tortionnaire, ajoutant ou supprimant des précisions dans l'espoir de le sortir de son silence. Rien. Aucun événement dérangeant, en dehors des morts subites et de cette averse apocalyptique, n'a été recensé sur la toile. Aucun fan de paranormal n'y a dédié de site douteux aux illustrations épileptiques. Le jeune homme avait beau ne pas s'attendre à grand chose, il ne peut empêcher un soupir de déception de se frayer un chemin jusqu'entre ses lèvres. Sont-ils vraiment condamnés à l'ignorance pour le restant de leurs jours ? Azura est celui à en avoir le moins souffert, mais connaître l'origine de cette merde aurait sans doute apaisé une partie de la douleur de Gaël et Morgane. Ne pas savoir le ronge de l'intérieur, alors ses amis ?

Il expire bruyamment, un avant-bras sur le front. Cela lui est complètement sorti de l'esprit après la mort d'Olga et tout ce qui a suivi (Tori), mais Iza a demandé à le revoir quand il aura terminé ce qu'il a entrepris. Sur le coup, Azura a supposé qu'elle faisait référence à son appel ou ses recherches, mais est-il possible qu'elle en sache beaucoup, beaucoup plus qu'elle le laissait entendre ? Cette femme est clairement suspecte ; l'impression qu'elle a laissée au garçon est plus proche de celle d'une entité mystique que d'un être humain. Rien de malfaisant, juste beaucoup trop mystérieux.

Il serre les paupières, le front plissé de contrariété. Ce qu'il a entrepris touche bientôt à sa fin. À ce moment-là, ou quand il quittera momentanément Sunnyside pour mettre ses affaires en ordre, il ira la trouver - et il doute d'avoir à la chercher bien longtemps.

Il grignote un reste de biscuits mous dénichés sur une pile de vinyles, le regrette et sombre dans un sommeil brumeux dont le tire le bruit de la porte d'entrée. Azura bondit sur son lit pour aussitôt gagner le rez-de-chaussée. Holly et Cherry se tiennent dans le couloir, leurs cheveux mis en pagaille par la brise printanière qui souffle à nouveau sur Sunnyside.


« Alors ? » les empresse le garçon.


Holly soupire en accrochant son manteau dans le vestiaire. De son côté, Cherry semble trop perturbée pour avoir entendu sa question. Elle retire sa veste d'un air mécanique, comme si elle venait d'enchaîner trois rouleaux de cette herbe planquée dans sa chambre.


« Laisse-nous arriver, tu veux ? répond Holly. C'était déjà assez éprouvant comme ça.

- Euh, ouais, pardon, mais qu'est-ce qu'ils ont dit ? Pour ... pour vous ? »


Sa tante le dévisage sans comprendre où il veut en venir (elle doit être plus perturbée qu'elle en a l'air). Quand enfin elle le fait, elle arque les sourcils comme si elle avait simplement oublié un élément de sa liste de courses.


« Oh. Eh bien, compte tenu des, je cite, circonstances exceptionnelles de la situation, du fait qu'on ait probablement évité à la police de se prendre une raclée ce soir et sans doute aussi parce que je suis ta gardienne et qu'on en serait pas là sans toi, aucune de nous ne sera inquiétée tant qu'on se tient à carreau à partir de maintenant. Sunnyside est une petite ville, poursuit-elle en se frottant l'arête du nez, ils vont vouloir trier les clients ou victimes des Everett au cas par cas. Je veux dire, leurs crimes ne sortent pas d'ici pour le moment, alors on va régler ça entre nous comme on l'a toujours fait.

- Je les ai aidés à dresser un profil de ce contre quoi ils allaient se battre en recoupant mes informations avec les leurs, enchaîne Cherry, les orbites rondes. Y a cette flic, Laura, ou Sirène ...

- Lauren, corrige Holly.

- ... qui m'a remerciée de ma coopération, tu te rends compte ? J'ai l'impression que ... Je sais pas, c'est comme si mon esprit avait eu un orgasme.

- Trop de détails » sourit Azura.


Cherry ne voit ni ses yeux brillants ni le soulagement de ses traits, mais ceux-ci n'échappent pas à sa tante. Le jeune homme se jette dans ses bras en fondant en larmes sans jamais cesser de sourire. Bien sûr, ils n'ont pas encore la tête hors de l'eau, mais chaque victoire est digne d'être célébrée.


« Tu es le pire, le plus stupide, le plus imprudent, le meilleur neveu que j'aurais pu souhaiter avoir. »


Un rire sincère, comme il n'en avait pas entendu depuis des années, s'échappe de la bouche ouverte d'Azura. Cherry lui ébouriffe les cheveux avant de les dépasser pour accéder à la cuisine.


« Vous savez ce qu'on est obligés de faire pour une occasion pareille ? Des lasagnes. »


Les deux autres approuvent en silence. Les grondements de leurs estomac réveilleraient les morts.

Ils ferment les rideaux, allument la chaîne-hifi et déjeunent dans un calme entendu. Les préoccupations pesaient si lourd sur les épaules d'Azura que le garçon a l'impression de flotter comme un ballon. Il regagne la chambre le ventre lourd, mais le cœur léger. Son téléphone repose à côté de l'oreiller sur lequel il pose la tête.


De: Gaël

     je t'envoie des sms vides toutes les 5 minutes dès que je commence

     ce sera le signe que je vais bien


À: Gaël

     ok

     holly et cherry sont dans le clair

     la police les laissera tranquille si elles se font pas remarquer


De: Gaël

     vraiment ? c'est top

     reposez-vous. je m'occupe du reste


Le conseil de Gaël suffit à le faire piquer du nez. Azura ne s'en rendait pas compte, mais il est épuisé.

Il remonte la couverture jusqu'à ses épaules et croise les bras derrière la tête. Il ne peut tout de même pas dormir pendant que Gaël risque sa vie là-bas. Il doit s'occuper. Regarder un film, n'importe quoi, qui l'aiderait à rester éveillé.

Malheureusement, la fatigue finit par prendre le pas sur l'inquiétude. Azura s'endort en milieu d'après-midi, s'enfonçant dans les brumes vaseuses du sommeil sans même s'en rendre compte.

Et, dehors, la tempête approche.




Il est l'heure.

Gaël inspire profondément par le ventre, espérant parvenir à écraser l'angoisse sous un flot d'oxygène. Il lisse sa veste grise du plat des mains comme si cela pouvait lui donner l'air plus innocent. Il connaît assez bien le manoir pour s'y mouvoir sans se faire repérer ; le plus difficile sera de convaincre Phil. Bien sûr, s'il échoue, le garçon a un plan de secours (s'éclipser dans la pénombre de la salle de cinéma), mais celui-ci lui ferait perdre un temps précieux. Quant à la troisième solution ...

Il fait tourner le flacon d'éther enrobé de tissu dans sa poche, les lèvres pincées. Il préfère ne pas en arriver là.

Il s'arrache à la contemplation de son reflet et trottine dans les couloirs sans s'y attarder. Croiser quelqu'un risquerait de faire voler sa résolution en morceaux. Il la sait fébrile, prête à éclater, comme un ballon entouré d'épines. Mieux vaut ne pas chercher à redescendre sur terre.


« Tu comptes t'éclipser sans me dire au revoir ? »


La voix de Maxwell cloue Gaël sur place. Il se fige si brusquement qu'il manque de trébucher, prend un instant pour se recomposer et se retourne avec un demi-sourire fade.


« On me chasse juste pour quelques heures, répond-il. Je te revois ce soir. »


Adossé à la colonne du hall, Maxwell hausse une épaule. Son regard se détache de Gaël pour se poser droit devant lui.


« Je sais. J'aimerais juste que tu me préviennes quand tu t'en vas.

- On n'a qu'à dire que je te préviens maintenant. À tout à l'heure, papa.

- C'est mieux. »


Le garçon attrape l'ombre d'un sourire lorsque Maxwell allume son cigare. Il s'approche pour une étreinte, peut-être la dernière, qu'il fait durer le plus longtemps possible. Contrairement à ce qu'il craignait, sa résolution ne s'ébranle pas. Au contraire, un sentiment de paix dissipe les derniers soupçons de doute la picorant encore. C'est ce qu'il doit faire. C'est ce qui est juste. Il le sait, à présent.


« Allez, file, dit Maxwell comme s'il l'avait senti lui aussi. Phil doit déjà t'attendre. Oh, et rappelle-lui de faire le plein sur la route. »


Gaël hoche la tête en silence. Ses semelles crissent sur le carrelage tandis qu'il s'éloigne vers l'immense sas d'entrée. Il pose une main sur la porte et ferme les yeux.

Il est l'heure.




« Alors, s'enquiert Phil en le voyant montant du côté passager, qu'est-ce qui te ferait plaisir ? »


Gaël fait mine de réfléchir en regardant par la fenêtre. Sa bouche dessine une moue pensive pas tout à fait feinte. La première partie de son plan consiste à convaincre Phil, mais à le convaincre de quoi au juste ? De mentir à ses employeurs pendant que Gaël part faire il ne sait quoi il ne sait où ? Lui dire la vérité ne ferait qu'envenimer les choses. Phil et lui ont beau être presque amis, le chauffeur prend son rôle trop à cœur pour lui permettre de comploter dans le dos des Everett.

Non, Gaël va devoir improviser. Encore.


« Ah ! »


Comme il l'espérait, son cri de douleur est assez convaincant pour faire lever le pied à Phil. La voiture s'arrête à l'angle du bois, sur un petit chemin de terre invisible depuis le manoir dont il n'est pourtant séparé que par moins de cent mètres. Pile ce qui lui fallait.


« Qu'est-ce qui t'arrive ? s'inquiètent Phil et ses sourcils froncés. Besoin d'un médicament ?

- Non, c'est juste ... »


Le garçon serre les dents en croisant les bras sur son bas-ventre. Phil y baisse les yeux et pâlit.


« Encore ? souffle-t-il. Mais je croyais que ...

- Je croyais aussi, le coupe Gaël, mais apparemment il peut y avoir des restes. J'ai regardé sur internet, c'est assez commun.

- Oh, euh, d'accord. Qu'est-ce qu'il te faut ? Tu veux que je te reconduise au manoir ? »


Gaël balaie l'air d'un geste détaché de la main. Il n'a jamais eu de restes, comme il le prétend (et peut remercier sa bonne étoile pour ça), mais Phil ne lui posera pas de questions à ce sujet. Gaël connaît l'opinion des hommes cisgenres sur les cycles menstruels mieux qu'il le voudrait. Alerte rouge, écœurant, à éviter à tout prix et à ne mentionner sous aucun prétexte. Il pourrait lui faire croire que son utérus est en train de fondre et de lui remonter par le nez depuis trois semaines que Phil hocherait la tête comme s'il avait affaire au phénomène le plus naturel du monde. C'est la raison pour laquelle ses règles ont toujours été son échappatoire favori.

Merde, dit comme ça, elles lui manqueraient presque.


« J'ai juste besoin de repasser par ma chambre et aux toilettes, dit-il, les traits tendus par une souffrance imaginaire. Ça me fera du bien de marcher un peu.

- Tu es sûr ? Je peux juste faire demi-tour et ...

- Certain. C'est pas comme si j'allais m'effondrer en route. »


Le regard de Phil se teint d'incompréhension. Gaël déglutit. Il ne comptait pas sortir le grand jeu aussi vite, mais le chauffeur ne lui laisse pas le choix.


« Mes ovaires, Phil ! s'exclame-t-il, les yeux écarquillés. Ils sont en feu, je les entends rugir comme des bêtes assoiffées de sang ! Je vais tacher le siège si je reste une seconde de plus, tu piges ?

- Oh ! Oh, oh ... euh, OK. »


Démuni, Phil lève les mains devant lui avant de déverrouiller les portières. Gaël sort de la voiture comme s'il y était enfermé depuis des jours et lui assène le coup de grâce.


« J'essaye de faire vite, mais je risque d'en avoir pour un moment. Je dois changer de pantalon et de ...

- Oui, d'accord, répond Phil avec une grimace contenue. Fais ce que tu dois faire et reviens ici. Je t'attends. »


Gaël lui adresse un sourire crispé avant de trottiner à travers les arbres. Avec le déclin du printemps et l'arrivée prochaine de l'été, ceux-ci sont trop touffus pour que Phil détermine sa trajectoire exacte. Le garçon en profite pour contourner le manoir jusqu'au dos de l'aile sud. Il ne peut pas se permettre d'être repéré par quiconque rôderait dans le hall.

Il escalade les branches épaisses du chêne blanc avoisinant sa chambre, esquivant de justesse ses branches fouettées par le vent, avant d'entrer par la fenêtre laissée entrouverte (et de se promettre de se débarrasser du flocon d'éther dès que possible en le sentant rouler dans sa poche). Ses pieds se posent précautionneusement sur la moquette. Les lèvres pincées, Gaël retire ses chaussures. Il sera moins bruyant ainsi.

Bon. Jusqu'ici, l'improvisation lui réussit plutôt bien.


À: Azura

     début de l'opération fuck lawrence

     je te recontacte dans 5 minutes


Il range son téléphone dans la poche intérieure de sa veste, peu désireux de le laisser tomber en chemin. 19h08. L'infirmière doit déjà avoir descendu le vieil Everett au rez-de-chaussée - celui-là, au moins, ne risque pas de lui poser problème. Lawrence regarde sans doute le journal du soir dans le salon, et quant à Maxwell ...

Le garçon pose une main sur la porte de sa chambre sans oser l'ouvrir. Son père ne gagne les étages qu'en cas d'absolue nécessité. Son bureau pourrait tout aussi bien ne pas ...

Il écarquille les yeux. Son bureau, c'est ça, il l'avait complètement oublié. Et si un élément compromettant s'y cachait ? Si quelque chose trahissant son implication dans cette affaire tombait entre les mains de la police et l'envoyait en prison lui aussi ?

Gaël se mord une lèvre. Et si ... Non, il n'aura jamais le temps. Et il est venu sauver les preuves, pas en faire disparaître. Si Maxwell doit tomber, eh bien ...

Il ferme les yeux et pose son front contre le bois de la porte, ses convictions vacillantes. Que cherche-t-il vraiment à faire ? Incriminer Lawrence ou innocenter Maxwell ? Son père a toujours pris soin de lui, mais a-t-il jamais tenté quoi que ce soit pour mettre fin à la situation ?


Pense pas à ça. Tu te serais déjà foutu en l'air sans lui.


Gaël secoue la tête comme pour répondre à son propre monologue. Le souvenir de Tori se referme autour de sa cheville comme la poigne gelée du détective disparu. Bien sûr, Maxwell ne le lui a jamais directement ordonné, mais combien de crimes a-t-il déjà commis en son nom ? Olga O'Malley et ses recherches trop pointues, Tori et sa façade trop fragile, et ...

Un goût de bile se répand dans la gorge du garçon. Au creux de son estomac, une flèche d'acier. Garde ton calme, Gaël, faisait la voix de Maxwell à l'autre bout du fil cette soirée d'août. Personne ne sera arrêté. Tu sais ce que tu as à faire. Tu en es capable. Ce n'est qu'une personne de plus.

Une personne de plus. Un chiffre, une forme sans visage pour grossir la légion cauchemardesque dont Gaël rêvait déjà à l'époque.

C'est ce qu'a dit Maxwell lorsque, une fois l'interrogatoire passé, la voiture d'Abigaëlle Delacroix descendait presque trop lentement la rue du Port. Gaël en est resté sans voix. Il regardait par la fenêtre, les épaules secouées de sanglots incontrôlables. Et, encouragé par l'infime poussée de Maxwell, a assassiné une personne de plus.

Le sang versé sur ses mains lui est bien égal. Depuis le départ, Maxwell ne s'en est jamais préoccupé. Gaël l'a supplié d'épargner Tori, enfermé dans les toilettes de ce maudit commissariat ; il a versé toutes les larmes de son être en répétant qu'il ne voulait pas le faucher, qu'il existait forcément une autre solution, juste pour se laisser convaincre par affection pour lui. Même le fait supposé que son fils ait dû abattre l'amour de sa vie ne lui a pas arraché un battement de cils. Pourtant ...

Gaël serre les mâchoires à s'en faire mal, la joue traversée par une larme de fureur bouillante. La possibilité n'a jamais quitté son esprit. Depuis toujours, il craint de n'être qu'un outil passé de main en main. Un pantin que même Maxwell manipulerait à sa guise. Pourtant, il s'en contentait. Il faisait face, chaque matin, au simulacre de vie qu'était devenue la sienne, affrontant et apprivoisant les flammes de l'enfer au lieu de les laisser le consumer comme il l'aurait fait seul. Parce qu'il aimait son père et que l'affection artificielle et intéressée de ce dernier lui semblait préférable à la solitude.

C'est fou comme un orphelin de quatorze ans peut être stupide, parfois.

Gaël ouvre la porte avec l'impression de se réveiller d'un long cauchemar. Il traverse l'aile sud sur la pointe des pieds, se figeant à l'abri d'un meuble ou d'une statue au moindre bruit suspect. Son cœur bat si fort dans sa poitrine que quiconque passant par-là pourrait l'entendre. Il y appuie la paume de la main comme si cela pouvait suffire à le calmer.

Son rythme cardiaque n'a pas diminué lorsque, une éternité plus tard, Gaël atteint enfin la porte du bureau de Lawrence. Les souvenirs de sa dernière visite s'imposent vicieusement à lui, flottant sous ses yeux comme la mèche de cheveux poisseux rapportée en guise de trophée. Gaël les repousse en collant son oreille à la cloison. Aucun son ne provient de l'intérieur, mais la plupart des pièces du manoir profitent d'une isolation assez incroyable - la palme revenant au sous-sol abritant le home-cinéma dont Gaël a profité plus d'une fois.

Il pousse la porte en retenant son souffle, prêt à se convertir à n'importe quelle croyance dont la ou les déités lui donneront le plaisir de ne pas croiser Lawrence là-dedans. Une expiration soulagée fait frémir les narines du garçon. Personne.

Il ferme la porte sans bruit et prend un instant pour se recomposer. En même temps, il fait part de son progrès à Azura. L'absence de réaction de la part de son ami ne le surprend pas. Gaël a bien entendu coupé le son et les vibrations de son téléphone, mais l'autre doit préférer ne prendre aucun risque. N'empêche, après tout ce qu'ils ont traversé, le fait qu'Azura le prenne encore pour un bleu le vexerait presque.

L'ombre d'un sourire passe sur le visage de Gaël avant que celui-ci retrouve son sérieux. Bon. S'il était Lawrence, où cacherait-il les documents susceptibles de ruiner sa vie ? Sa première pensée va à l'ordinateur portable ultra-moderne plié sur le bureau, mais Gaël balaie aussitôt cette hypothèse. Lawrence est un véritable fossile ; il est allé jusqu'à installer une ligne fixe dans toutes les pièces du manoir et engager un assistant pour rédiger ses e-mails à sa place. Non, s'il se sert de ce machin lui-même, c'est dans le vain espoir de suffisamment se durcir la nouille pour la triturer, rien de plus.

Les yeux caramel glissent jusqu'à la bibliothèque. Le meuble, immense, a été vissé au mur du fond et semble le toiser. Oui. S'il était Lawrence, c'est-à-dire un vieux connard prétentieux, il cacherait ses secrets dans les livres. Mais lesquels ?

Gaël se plante devant les rangées d'ouvrages au moins aussi vieux que leurs propriétaires sans savoir par où commencer. Il n'a pas l'occasion d'y réfléchir longtemps avant qu'un sursaut l'arrache à sa contemplation. Il tourne la tête vers la fenêtre, décontenancé. Il jurerait avoir entendu un bruit dans le jardin.

Sans trop s'en approcher de peur d'être aperçu, Gaël lance un œil par la vitre. Rien d'inquiétant. Au contraire, les lieux sont plongés dans un calme presque surnaturel. L'herbe verte, fraîchement tondue, ondule au rythme d'un vent de plus en plus violent, et aucun agent de sécurité ne patrouille dans le secteur pour le moment. Il a dû se faire peur tout seul. Ça lui arrive, parfois.

Avant de reporter son attention sur la bibliothèque, Gaël avise une nouvelle fois le bureau et décide de tenter sa chance avec les tiroirs. Le premier, celui qui contenait le revolver pas plus tard qu'hier matin, est étrangement vide. Lawrence dîne-t-il avec une arme à feu sur lui ? La pensée lui arrache un frisson. Quel malade.

Le second n'abrite que quelques dépliables sans importance (dont certains, à en croire les dates de distribution, ont été oubliés là depuis des années). Le troisième, de l'autre côté du bureau, est un nid à factures et autres courriers que Gaël n'aura jamais le temps de trier. Quant au quatrième ...

Il cligne des yeux, surpris. Le dernier est fermé à clef. Une petite serrure dorée scintille sous la poignée. Gaël la caresse pensivement du bout des doigts. Oui, s'il était un vieux connard prétentieux, il cacherait ses plus sombres secrets là où personne ne pensera jamais à les chercher. Derrière une serrure pas du tout suspecte dont la clef ne se trouve certainement pas dans un livre creusé de la bibliothèque.

Un soupir agacé tiédit l'air devant le visage de Gaël. Les railleries se bousculent dans sa tête (sérieusement, est-ce que ce type a jamais touché à un jeu vidéo de sa vie ? C'en est presque insultant) mais, plus important, comment deviner quel livre renferme la solution ? Si Morgane était là ...

Les traits du garçon s'affaissent. Si Morgane était là, elle ferait sauter cette serrure en moins de temps qu'il faudrait à Gaël pour lui demander ce qu'elle fout là. Mais il doit se faire une raison. La jeune fille ne se tiendra plus jamais à ses côtés. Non pas qu'il mérite qu'elle le fasse.

Il chasse les pensées parasites de son esprit et fait volte-face pour de nouveau rencontrer la bibliothèque. Y a-t-il un livre, parmi les dizaines de douzaines de livres présents, qui sorte du lot ? Non, bien sûr. Ce serait trop évident. Alors quel système mnémotechnique Lawrence utilise-t-il pour le retrouver ? Peut-être en a-t-il juste choisi un au hasard et possède-t-il une excellente mémoire. Si c'est le cas, il les aura bien baisés.

Gaël joint les mains sous le menton et expire doucement. Ce n'est pas le moment de baisser les bras. Il doit réfléchir. Qu'est-ce que Lawrence estime le plus, en dehors de lui-même ? Sa famille ? Mais il imagine mal un livre porter leur nom et, même dans le cas inverse, celui-ci ressortirait trop facilement aux yeux du premier venu. Non, il doit avoir en avoir choisi un qui ne parlerait qu'à lui - ou du moins à une quantité réduite de personnes.

Son index ganté parcourt le dos poussiéreux des couvertures. Certaines n'ont même pas été traduites. Français, espagnol et caractères inconnus fréquentent les titres anglophones comme pour mieux étaler la culture familiale. Qui cherche-t-il à berner ? Il a beau se donner des airs, Gaël sait que Lawrence ne maîtrise qu'à grand peine une seconde langue. Ce n'est pas pour rien que son frère, malgré le dédain qu'il lui inspire, hérite toujours de ses coups de fils à l'étranger. Tout le monde le sait, du moins au manoir. Lawrence ne doit pas vouloir que la rumeur franchisse ses murs.

Il continue d'examiner les ouvrages sur la pointe des pieds pour arriver à hauteur d'yeux de son oncle, la gorge sèche, lorsqu'il l'aperçoit. Un livre noir, au flanc frappé d'une petite cage dorée, sans titre ni auteur. La bouche de Gaël s'étire en un sourire narquois. Il le tient.

Il sort le livre de son emplacement et s'accorde un instant pour l'examiner. La couverture veloutée, particulièrement douce au toucher, ne présente rien d'autre que la même cage déjà aperçue sur le côté. La vision arrache une brève grimace à Gaël. C'est comme si Lawrence lui adressait un gigantesque doigt d'honneur sans même être là.

Comme il s'y attendait, le livre n'est qu'une imitation. Les pages, à première vue collées entre elles, ne sont qu'un bloc de plastique blanc. Plastique dont le centre a été creusé pour y pratiquer une ouverture.

Gaël sort la clef de son manteau de mousse et remet le bouquin en place. Son cœur semble se débattre dans sa cage thoracique. Des étoiles noires commencent à danser devant ses yeux lorsqu'il s'accroupit près du tiroir. D'une main tremblante, il introduit la clef dans la serrure. Celle-ci s'ouvre avec un petit bruit sec.

Un sourire presque dément déchire les lèvres du garçon. Il y est. Il le tient. Sous ses yeux se trouve un carnet en cuir que les sales mains de Lawrence ont déjà manipulé par le passé. Avec autant de prudence que s'il manipulait une relique, Gaël le sort du tiroir pour le feuilleter. Des noms, des sommes, des annotations. Cet enfoiré garde ses comptes là-dedans depuis le début. À chaque page, un nouveau mois commence, introduisant avec lui toujours plus de noms. Une petite croix devant ceux-ci indiquent les dettes payées. Gaël accélère le temps jusqu'à la dernière entrée, à peine surpris de lire le nom de Théodore Dickson quelque part entre les lignes, et sent un courant glacé parcourir ses veines. Tori Fairfield. Les caractères sont à peine reconnaissables sous la tache de sang qui les recouvre. Comme si quelqu'un, probablement Lawrence, avait posé un pouce sanguinolent sur le nom du détective.

Une poussée de larmes aussi brève qu'impromptue brouille la vision du garçon. Il s'essuie les yeux avant de cacher le carnet dans la poche intérieure de sa veste, aux côtés de son téléphone. Lawrence est bon pour la prison. Et, s'ils jugent ce carnet trop léger, Gaël se fera un plaisir de témoigner contre lui.

Il ignore la valeur donnée à la parole d'un tueur à gages, par contre.

Gaël se redresse et se secoue un coup pour se recentrer. Son travail est accompli. Mieux vaut rejoindre Phil avant qu'il commence à trouver son retard suspect.

Sa main est déjà posée sur la porte lorsqu'un le bruit d'un vase brisé, bien réel cette fois-ci, retentit en direction du rez-de-chaussée. Le cri étouffé d'un homme lui répond presque immédiatement. Par instinct, Gaël s'éloigne de la sortie. Qu'est-ce qui se passe, en bas ? Un accident ? Bordel, pourvu que personne ne décide de remonter. Si on le surprend ici ...

Le fil de ses pensées se déchire dans un sursaut. Le bruit suivant est semblable à un coup de tonnerre, mais comment Gaël pourrait-il le confondre avec celui-ci ? Il en a été l'initiateur moins de vingt-quatre heures plus tôt.

Un coup de feu. Quelqu'un, en bas, vient de tirer.

Qui, pourquoi ? Gaël ne se pose que confusément la question. La première directive que lui envoie son cerveau est de fuir, mais se jeter de la fenêtre de Lawrence lui briserait au moins les jambes. Terrible idée si un tireur fou s'est invité dans le manoir. Au moins autant que traverser toute la longueur de celui-ci en sens inverse pour regagner sa chambre.

Une deuxième détonation le pousse à agir. Se cacher. Il doit se cacher et joindre les secours. Il a au moins la chance d'avoir son téléphone sur lui ; même s'il ne peut pas appeler la police par peur qu'on entende sa voix, il peut toujours demander à Azura de le faire à sa place.

Il force ses jambes vacillantes à lui obéir et part se réfugier sous le bureau. Un gémissement apeuré franchit ses lèvres malgré ses efforts pour le retenir. Où est Maxwell ? Qui est ce taré qui a tout à coup décidé de faire feu ? La police ne peut pas encore se trouver sur les lieux. Il est beaucoup trop tôt pour ça, et Gaël aurait vu leurs véhicules encercler le manoir dans le jardin.

Il se recroqueville sous le meuble, un bras autour des genoux, et pianote sur son téléphone en essayant de réguler sa respiration. Il a l'impression d'étouffer. Son cœur est sur le point de lui broyer les os. Et il a beau les appliquer avec autant de soin que possible, aucun exercice de relaxation ne parvient à le calmer cette fois.


À: Azura

     sos

     y a des coups de feu dans le manoir je sais pas ce qui se passe

     appelle la police

     dis leur que je suis là bas

     j'ai peur azu

     je veux pas mourir


Il s'essuie le nez, les paupières serrées et tremblantes. Merde, après toutes les horreurs qu'il a commises, il pensait avoir un peu plus d'aplomb que ça.

Sa respiration se bloque d'elle-même lorsqu'il entend quelqu'un monter les escaliers à toute vitesse. Il se pose une main sur la bouche avant de reprendre son souffle, priant à qui voudra bien l'entendre pour que cette personne ne se dirige pas vers lui. Mais les pas se rapprochent. Gaël serre les genoux à s'en faire mal, les yeux fermés comme ceux d'un enfant espérant échapper au croque-mitaine.

Une exclamation étouffée s'échappe d'entre ses doigts quand la porte s'ouvre à la volée. Gaël ne peut pas le voir, mais le nouvel arrivant est suffisamment enragé ou paniqué pour avoir utilisé toute sa force. Le bois heurte le mur avec un bruit sourd avant de se refermer avec la même violence.


« Fait chier ! jure la voix affolée de Lawrence. C'est quoi ces conneries ? »


Gaël l'entend tourner la poignée dans tous les sens comme dans l'espoir de la fermer à clef. L'homme abandonne avec un nouveau juron et s'approche du bureau. Ses pas lourds font tressaillir Gaël. Il presse sa main contre sa bouche quitte à se priver d'oxygène et suit les chaussures de son oncle d'un regard humide. Un cri se fraie un chemin dans sa gorge pour cogner contre ses lèvres. Il n'en peut plus.


« Bordel ... bordel ! fait Lawrence en ouvrant le tiroir vide. Où est-ce qu'il est ? »


Malgré sa terreur, Gaël fait immédiatement le lien entre l'absence du revolver et la panique de son oncle. Il ne l'a pas sur lui. Mais alors, qui ... ?


« Qui est là !? »


La demande vociférante de Lawrence fait glapir Gaël, trahissant sa position. Il n'a pas pu se retenir. Il n'a jamais eu aussi peur de sa vie, même pas la nuit où il s'est réveillé en sueur pour trouver Hank assis à son chevet, les yeux fous et les mains baladeuses.

Lawrence se plie en deux pour regarder sous le bureau, lui arrachant un nouveau cri qui à son tour fait tressaillir l'homme.


« Laisse-moi tranquille ! lance Gaël entre ses larmes. Je suis pas là ! »


En désespoir de cause, Gaël ferme les yeux et se bouche les oreilles dans le vain espoir d'échapper à toute cette folie. Lawrence aboie un ordre qu'il n'entend pas et l'attrape par le bras.


« Debout ! répète-t-il. Qu'est-ce que tu fous là ? T'es de mèche avec lui, c'est ça ? »


Il tire le garçon de son repère et le secoue sans ménagement. Mais ses questions n'atteignent pas l'esprit de Gaël, qui se contente de le fixer de ses yeux hagards. Des yeux aussi ignorants que les siens.

De frustration, Lawrence le frappe du revers de la main. La tête de Gaël part en arrière pour se cogner au meuble de la bibliothèque.


« La dernière fois que je pourrai me servir de mes mains, c'est ça ? crache l'homme, s'adressant à un interlocuteur invisible. On va voir qui peut encore se servir de ses mains après ça ! »


Gaël s'est à peine remis du coup que la main de Lawrence se serre autour de sa gorge, lui laissant juste assez d'espace pour respirer. Le garçon agrippe son bras, tirant, griffant sans aucun résultat. L'homme est beaucoup plus fort que lui.


« C'est de ta faute, tout ça, continue de siffler celui-ci. Alors tu vas m'aider à arranger les choses. »


Un bruit de pas, beaucoup plus discret que les précédents, traverse le silence pour leur parvenir. Gaël, dont la terreur et l'irréalité de la scène ont gelé les sens, quitte son oncle des yeux pour les poser sur la porte d'entrée du bureau. L'homme y tourne la tête à son tour. Quelqu'un est en train de les rejoindre.

Lawrence jette Gaël devant lui avant de lui écraser la gorge de son avant-bras de manière à le prendre en otage. Les mains impuissantes du garçon ne cessent de chercher à se libérer. Il grimace en sentant le souffle chaud de l'homme faire frémir ses cheveux. Enfoiré. La glace recouvrant ses réflexes se brise et, s'il avait la moindre chance de s'en sortir par la suite, Gaël n'hésiterait pas une seconde avant de lui enfoncer son coude dans l'estomac.

La porte s'ouvre d'un coup de pied et Gaël écarquille les yeux. Il ignore qui il s'attendait à voir apparaître, peut-être un client revanchard ou un truc du genre, mais certainement pas Maxwell. Encore moins Maxwell avec les manches maculées de sang et un revolver braqué sur le front de son frère.

Il cligne des yeux en remarquant la présence de Gaël entre eux. Son regard impassible, insondable, se baisse vers son fils sans trahir autre chose qu'une maigre surprise.


« Qu'est-ce que tu fais là ? lui demande-t-il simplement.

- Baisse ton arme ! rugit Lawrence sans laisser une chance au garçon de s'exprimer. Baisse-la ou je lui tords le cou !

- La ferme, Lawrence, répond Maxwell d'un air ennuyé. C'est fini et tu le sais.

- Baisse cette putain d'arme ! »


La pression de son bras s'accentue sur la gorge de Gaël. Même s'il le voulait, il ne pourrait pas répondre à sa question. Un bruit étranglé s'échappe d'entre ses lèvres tandis qu'il essaie d'accrocher le regard de son père. Ce dernier plisse brièvement les yeux avant de faire comme il le lui est demandé. Il s'accroupit pour poser le revolver au sol, mais ne détache pas son attention de Lawrence un seul instant.


« Bien, souffle l'aîné, vraisemblablement rassuré. Maintenant, fais-le glisser vers moi.

- Non. Laisse partir Gaël d'abord. »


Lawrence se prépare à répliquer, mais y renonce au dernier moment. Maxwell a levé les mains et mis un pied sur le revolver ; que peut-il bien lui faire ? La seule personne capable de le tuer sans même le toucher est à sa merci. Il a l'avantage. Pour ce qui paraît être la première fois de sa vie, Lawrence a l'avantage sur cette insupportable pourriture sociopathe lui faisant office de frère.

Son bras se détend autour du cou de Gaël.


« Il va bien, tu vois ? Alors donne-moi cette putain d'arme ! »


Le regard de Maxwell s'affaisse un instant, comme s'il le soupçonnait de le prendre pour le dernier des abrutis. Son pied appuie un peu plus contre le revolver.

Gaël peinerait à dépeindre la suite exacte des événements. D'un coup de pied, Maxwell fait glisser l'arme jusqu'à la fenêtre. Lawrence la suit avidement des yeux. Il ne perd pas une seconde pour tenter de s'en emparer, jetant Gaël dans la direction opposée comme s'il ne s'agissait que d'une vulgaire poupée de chiffon. Les bras du garçon amortissent sa chute, mais la douleur remonte jusque dans son crâne lorsque son menton heurte le sol. Sortie de sa poche, la fiole d'éther enrobée de tissu roule tranquillement sur le parquet. Gaël a les yeux rivés sur celle-ci lorsque retentit un ultime coup de feu.

Il se bouche les oreilles avec un cri sans oser regarder. Sans oser voir la vie quitter le corps de son père avant même que celui-ci touche le sol. Mais le bruit de chute ne provient pas de sa direction. Il provient de celle de Lawrence.

Gaël ouvre un œil embué de peur et de chagrin pour le faire glisser dans la pièce. Maxwell se tient toujours debout devant la porte, un second revolver - le sien - au bout du poing. La fumée s'échappe encore de son canon. Quant à Lawrence ...

Gaël hoquette en découvrant ce à quoi il s'attendait pourtant. Son oncle gît renversé sur un plancher où grossit à présent une flaque rouge sombre. Le sang s'étale comme de l'encre sur le sol. Sur la tempe de l'homme, la balle ayant traversé son crâne a signé son passage d'une marque luisante à laquelle se superpose l'empreinte ensanglantée du carnet. Gaël bat des cils pour chasser la vision. Il ne peut pas le voir de là où il se tient, mais l'autre côté du crâne s'est ouvert comme la gueule d'une créature affamée. Des morceaux d'os et de cervelle ont éclaboussé la fenêtre du bureau.

Gaël retient un haut-le-cœur tandis que son père rejoint le cadavre en quelques enjambées. Le revolver qu'il tenait tant à atteindre se retrouve posé au creux de sa main de façon à ce qu'une personne extérieure à la scène n'envisagerait rien d'autre qu'un suicide. Maxwell recule d'un pas afin de contempler son œuvre. Celle-ci doit la satisfaire, car il revient à son fils sans lui accorder un regard de plus.


« Ça va, mon cœur ? Tu es blessé ? Qu'est-ce que tu fais là ? »


Les questions se perdent dans un voile de déni et de confusion avant de pouvoir atteindre Gaël. Le garçon garde les yeux rivés au corps de son oncle, à la carcasse de ce monstre qui l'effrayait tant quelques secondes plus tôt.

Mort.

Juste comme ça.


« Tout va bien, Gaël. Tu peux respirer maintenant. Personne ne te fera jamais plus souffrir. »


Maxwell, qu'il n'avait même pas vu s'approcher, l'aide à se mettre à genoux avant de l'étreindre comme il le fait parfois. Mais sa chaleur n'a rien de réconfortant.

Les yeux écarquillés de Gaël ne cillent pas tandis qu'il continue de scruter les restes de Lawrence. L'odeur métallique du sang lui soulève l'estomac. Rien, dans tout ça, ne va bien.


« Tu ... tu l'as tué ? parvient-il enfin à balbutier.

- Il ne nous laissait pas le choix, Gaël. Il ne nous aurait jamais laissés partir.

- Mais c'est ... c'était ta famille ... Il ...

- Non. C'est toi, la seule famille dont j'ai besoin. »


Une main empreinte d'une affection un peu trop insistante lui caresse la joue, ravivant la douleur de la claque. Gaël se pince les lèvres pour les empêcher de trembler. Trahir la terreur que lui inspire à présent son père serait la pire chose à faire.


« Je t'aime. Je t'aime tellement que j'ai l'impression d'en mourir. »


Gaël ne peut s'empêcher de déglutir. Son cœur bat aussi fort que lorsqu'il redoutait d'être la victime d'un tireur fou. Est-ce pour ça qu'il a tué Lawrence ? Pour libérer Gaël, parce qu'il l'aime ?

Ses yeux, qui s'en étaient détachés un instant, reviennent aussitôt au cadavre de son oncle. Ça, là, ce n'est pas de l'amour. C'est de l'assassinat pur et simple.


« Et ... et les autres ? trouve-t-il le courage de demander. C'est toi que j'ai entendu tirer ?

- Il y a eu un ... imprévu avec le gang de Myers, avoue Maxwell. Mais ne te soucie pas des autres. Le problème est réglé.

- Réglé ? »


Un sourire compatissant répond à sa question. Gaël sent un frisson lui secouer tout le corps. Non. Non, ce n'est pas possible. Il les a croisés en quittant le manoir. Il a ...

Il pâlit encore un peu plus en rassemblant ses souvenirs. Non. Il n'a croisé personne. Ni cuisinier, ni agent de sécurité, ni agent d'entretien. Pas même cette infirmière censée prendre soin du vieux Solomon Everett, cloué dans son fauteuil depuis des années. La demeure, comme son jardin, était plongée dans un calme surréaliste.

Un vertige le fait dangereusement tanguer, mais Maxwell le retient d'une main sur le bras. Il écarte les cheveux sur son front pour mieux le laisser respirer.


« Du poison, dit-il avant même que Gaël se le demande. Ils n'ont pas souffert longtemps. Ça a été un peu plus compliqué avec ces brutes qu'a embauché Lawrence, mais quelques mensonges et deux balles bien placées ont fait l'affaire. Je te raconterai les détails sur la route.

- La ... route ? »


Maxwell hausse les sourcils comme si la question n'avait pas lieu d'être.


« On quitte Sunnyside ce soir. Tu n'as plus qu'à faire tes valises. C'est ce que tu voulais, non ? C'est ce qu'on a toujours voulu. Plus rien ne nous retient ici, maintenant. »


Le regard effaré de Gaël tombe à ses pieds. Tu, nous, les pronoms se mélangent et s'assemblent dans l'esprit de son père. Il aurait dû le voir venir. Regarder la réalité en face tant qu'il en était encore temps. Bordel, Maxwell ignore encore tout de la survie d'Azura - et, vu son état, Gaël fera tout son possible pour que cela reste ainsi - alors il n'est pas étonnant qu'il s'attende à ce que le garçon accueille la nouvelle avec soulagement. Enfin, si tant est que l'on puisse accueillir quoi que ce soit avec soulagement lorsque le crâne explosé d'un homme gicle encore comme une fontaine à quelques mètres de soi.


« Oui, s'oblige-t-il à articuler. Oui, c'est ce que je voulais.

- Je suis désolé, mon cœur. Je sais que tu tenais à finir le lycée, mais Lawrence m'a forcé la main. Il te faisait du mal. Je ne pouvais plus rester simple spectateur. »


Il glisse une mèche caramel derrière son oreille comme s'il s'agissait d'une conversation lambda tandis que la réalité s'effondre autour de Gaël. Que devrait-il faire ? Il ne peut pas quitter Sunnyside. Il doit donner ces preuves à la police. Au nom de la vérité, au nom des victimes. Et, surtout, il veut retrouver Azura. Apprendre à aller mieux et passer ne serait-ce qu'une journée paisible avec lui, loin des cauchemars quotidiens, avant de purger la peine qu'il mérite.


« Quelque chose ne va pas ? »


Gaël lève un regard vide vers son voisin. Tellement de choses, dans leur situation actuelle, ne vont pas qu'il ne saurait pas par où commencer ses explications même s'il avait envie de lui en fournir.


« C'est ton petit ami, c'est ça ? présume-t-il, les sourcils froncés en une fine ligne noire. Gaël, je suis tellement désolé. Tu l'oublieras vite, c'est promis. Je t'aiderai à l'oublier. Je te rendrai si heureux que tu ne penseras même plus à lui. »


Une seconde main se joint à la première pour prendre son visage en coupe. Animé par un violent et soudain accès de panique, le garçon les repousse d'un geste brusque.


« Qu'est-ce que tu racontes ? sanglote-t-il, les yeux plissés. Je pourrai jamais l'oublier ! »


Un soupir déçu accueille ce que Maxwell ne perçoit que comme un entêtement puéril. Le moment est mal choisi pour en débattre, mais qu'il l'imagine oublier Azura aussi facilement le débecte. Comme s'il s'agissait d'une amourette éphémère. L'écoutait-il seulement lorsqu'il lui en parlait ?


« Et je peux pas quitter Sunnyside comme ça, poursuit Gaël tant qu'il en a encore le courage. J'ai une vie ici, j'ai des choses à faire. Où est-ce qu'on irait de toute façon ?

- Où l'on voudra, répond Maxwell, sourd à ses arguments. J'ai les moyens de te faire vivre comme un prince jusqu'à la fin de tes jours, Gaël. Tu n'imagines pas la quantité de choses qui nous attendent dehors. »


Les traits de Gaël portent encore les traces de son indignation lorsqu'il baisse pourtant les yeux. Il n'arrivera pas à le raisonner. Peu importe ce qu'il dira, Maxwell n'attrapera au vol que ce qui le confortera dans sa décision. Le reste ne sera qu'une suite de mots dépourvue de sens.

Désespéré, Gaël s'abandonne à un chagrin bruyant. Qu'est-il supposé faire ? Maxwell a un revolver et la volonté de l'utiliser ; pas contre lui, mais contre toute personne prête à lui porter secours. Et il refuse de déclencher une fusillade en son nom.


« Allez, va faire tes valises, tranche Maxwell en l'aidant à se relever. Ça ira mieux dès qu'on sera sortis d'ici. »


Gaël se laisse traîner jusqu'à sa chambre sans opposer de résistance. Il avise, du coin de l'œil, la fenêtre entrouverte que Maxwell ferme d'un coup sec. Le message est clair.


« Il y a encore quelque chose dont je dois m'occuper, dit-il en lui caressant les cheveux. Je te laisse rassembler tes affaires, d'accord ? »


Le garçon hoche faiblement la tête. La fureur et l'angoisse se bousculent en lui, s'entremêlant parfois, se superposant en une émotion paralysante dont il ne sait que faire. Heureux de le voir si obéissant, Maxwell s'éclipse sans plus de cérémonie.

Gaël se laisse tomber sur son lit sans même chercher à suivre son père du regard. De grosses larmes chaudes, qu'il ne tente pas de contenir, coulent sur ses joues. Comment en est-il arrivé là, au juste ? Qu'est-ce qu'il a raté ? Quelque chose, dans le comportement de Maxwell, aurait forcément dû l'aiguillonner. Mais le garçon ne se souvient que d'un vague pressentiment qu'il a aussitôt balayé, blâmant le stress causé par le sauvetage d'Azura au lieu du brasier scintillant au fond des yeux ambrés de son géniteur.

Il s'essuie le nez d'un revers de manche sans parvenir à tarir son chagrin - ça doit être héréditaire, pas étonnant qu'il soit aussi cinglé - et dresse la liste limitée de ses options. Bien sûr, il pourrait toujours fuir par la fenêtre, mais pour aller où ? Maxwell ne s'arrêtera à rien pour le récupérer. Pourtant ...

Il se pince les lèvres, les bras croisés sur sa poitrine comme s'il avait froid. Regardez-moi, songe-t-il. J'étais prêt à tout pour quitter cette ville, et maintenant je pleurniche parce que je veux rester.

Mais que peut-il y faire ? Sunnyside se portera mieux sans eux et le mal qui coule dans leurs veines.

Gaël rassemble quelques affaires dans une mallette - Gogo, trois tenues, le journal dans lequel un médecin lui a demandé de noter ses pensées mais qu'il ne fait que gribouiller de poèmes approximatifs, la trousse aux inscriptions défraîchies et la photo encadrée d'Azura et lui - avant de passer la tête par la porte. Maxwell n'est nulle part en vue. Gaël expire doucement. S'il doit disparaître, il aimerait au moins entendre la voix de son ami une dernière fois. Le rassurer, lui dire que tout est terminé. Et surtout, surtout, de ne le chercher sous aucun prétexte.

Il tourne le dos à la porte et compose son numéro. Ses doigts tremblants peinent à tenir le téléphone. Ça ira. Il ne lui dira que quelques phrases sans lui laisser le temps de réagir. Il fait ça pour lui. Il en est capable.

Mais les préparations de Gaël s'avèrent inutiles, car le garçon n'a affaire qu'à une messagerie automatique. Ses lèvres s'entrouvrent de surprise et de déception. Est-ce qu'Azura s'est absenté ? A-t-il laissé son téléphone dans un coin en allant fabriquer il ne sait quoi ?

Va-t-on le priver d'entendre la voix de son meilleur ami, juste une dernière fois ?


« Azu ... je ... »


Il déglutit dans l'espoir de donner plus de contenance à sa voix. Mais la simple idée de lui dire adieu suffit à la briser de nouveau.


« Je ... Tout va bien. Tout est fini. Je vais ... Je pense pas qu'on se reverra un jour. C'est mieux comme ça. C'est ... »


Il s'étrangle entre deux mots. Les larmes s'accumulent jusqu'à former une vague dans sa gorge.


« Te revoir après toutes ces années, c'était ... c'est ce qui m'est arrivé de mieux. Prends soin de toi, Azu. Prends soin de tout le monde. »


Le chagrin déforme ses traits en une grimace douloureuse. Il ne peut pas. Il ne veut pas.


« Je veux pas partir, Azu, sanglote-t-il. Je veux rester avec toi. Je veux être avec toi tout le temps, comme on disait quand on était petits. Tu t'en souviens ? »


Trop faible pour soutenir son propre poids, Gaël tombe à genoux. Il a l'impression qu'une force invisible cherche à l'enfoncer dans le sol.


« Décroche. Décroche, Azu, s'il te plaît. J'ai besoin de toi. J'ai besoin d'aide. »


Le silence impitoyable de la ligne pèse sur ses épaules comme une enclume. Gaël ignore combien de temps s'écoule avant qu'il raccroche, les yeux en nage et le cœur en morceaux. Il ignore également l'heure qu'il peut être lorsqu'il se relève en entendant les pas de son père s'immobiliser derrière lui.


« Je veux pas partir, papa, articule-t-il entre deux hoquets. Je peux pas partir. »


Il se sèche les yeux, se tenant d'une main à la barre de son lit. La présence de Maxwell se rapproche de son dos. La main qu'il pose sur son épaule est si délicate que Gaël la trouve presque rassurante. Peut-être que tout n'est pas perdu. Peut-être qu'en lui parlant, il aurait une chance de le convaincre.

Le bras de l'homme fait le tour de sa taille pour le presser contre lui. Gaël n'a pas le temps de glapir avant qu'une main s'abatte contre son visage, lui couvrant le nez et la bouche d'un morceau de tissu blanc. Le garçon est incapable d'esquisser le moindre geste. Chaque inspiration le laisse plus vaseux que la précédente, mais la panique l'empêche de la suspendre.

Ses yeux se ferment, l'envoyant rejoindre les abysses d'un sommeil sans rêve, avant qu'il puisse reconnaître l'odeur éthérée du mouchoir.




Maxwell charge le corps immobile de Gaël sur son épaule avec un soupir. Le garçon ne pèse guère plus qu'une plume ; ce qui l'agace, c'est la manière grotesque dont il l'a obligé à accélérer les choses. Il n'a jamais voulu en arriver là. Mais assister à la mort de Lawrence, en plus de connaître le sort du personnel, a vraisemblablement chamboulé le pauvre petit.

De sa main libre, Maxwell s'empare de la mallette fermée de Gaël. Que faisait-il encore sur les lieux, au juste ? Il n'a jamais répondu à sa question. Maxwell connaît suffisamment bien son fils pour avoir remarqué ses petits soucis émotionnels et impulsifs. Trouble de la personnalité borderline, ont diagnostiqué ces vautours de psychiatres avant de lui arracher le chèque des mains et de prendre la porte sans plus jamais répondre à leurs appels. Qui sait ce qui a bien pu lui passer par la tête quand il a décidé de revenir ? Maxwell rechigne à l'admettre, mais le raisonnement de Gaël lui échappe parfois.

Il descend l'escalier central, peu dérangé par l'odeur d'essence imprégnant peu à peu l'air du manoir, et ouvre le sas d'entrée d'un coup de pied. Une respiration sifflante provient encore de la salle à manger. L'ombre d'un sourire passe furtivement sur le visage de Maxwell. Il ne l'a pas oublié. Il garde juste le meilleur pour la fin.

Le véhicule aux vitres teintées l'attend non loin dans le jardin. Bien. Gaël a beau ne pas peser lourd, Maxwell se passerait volontiers d'un long aller-retour jusqu'à l'orée du bois.


« Qu'est-ce qui se passe ? s'enquiert Phil, paniqué, en faisant claquer sa portière.

- Rien. Aide-moi à l'installer. »


Peu avide d'explications, le chauffeur fait comme il le lui est demandé et dépose Gaël sur le siège passager avec l'aide de son employeur. Maxwell essuie les joues encore mouillées de larmes du garçon avant de déposer un baiser sur son front. La bête, dans son ventre, joue des griffes contre les parois de sa peau. Perdus dans les cheveux caramel, ses doigts se crispent comme des serres. Parfois, il aimerait s'ouvrir en deux pour le garder en lui à tout jamais. Il le dévorerait tout entier s'il existait un moyen de le faire sans le blesser.


« Veille sur lui le temps que je revienne, ordonne-t-il à Phil. Empêche-le de quitter la voiture s'il se réveille. Il est perturbé, ça ne serait pas sûr pour lui. »


L'accent britannique du chauffeur murmure un agrément qu'il entend à peine. Des nuages noirs, annonciateurs d'orage, s'accumulent dangereusement au-dessus d'eux. C'est étrange comme le climat a toujours semblé faire écho à ses émotions. Que racontait son père, déjà ? Que sa naissance fut accompagnée de la tempête la plus dévastatrice essuyée par la ville ? Et aujourd'hui, à la fin de tout, au commencement d'une nouvelle vie ...

Ses yeux se baissent sans émotion sur le vieil homme en fauteuil électrique. Ses doigts rachitiques sont trop faibles pour le manier d'eux-mêmes. Solomon Everett, autrefois craint par la plèbe de Sunnyside, gît devant lui comme s'il était déjà mort, la peau desséchée et les yeux si clairs qu'on les croirait aveugles. Sa tête rejetée en arrière fait ressortir les tendons de son cou. Il suffirait d'un rien pour qu'ils se rompent.


« Un dernier mot, papa ? »


En prononçant ces paroles, Maxwell vérifie le contenu de son barillet. Cinq balles. Quatre une fois qu'il se sera occupé de Phil. Le revolver de Lawrence lui aura évité bien des soucis. Il ne s'attendait pas à ce que certains membres du gang de Myers, Big Daddy et Tiny Tony pour être précis, se révèlent assez malins pour voir venir l'entourloupe. Dire que les autres se sont entre-tués comme des chiens en pensant profiter seuls de la prime mise sur la tête de Lawrence ...

La tête de Solomon pivote sur le côté jusqu'à pouvoir le contempler, le sortant de ses rêveries. Sous ses yeux inexpressifs et son nez presque inexistant, une bouche repoussante s'articule sans émettre le moindre son. Maxwell ne peut retenir une certaine déception. Le vieil homme n'a pas prononcé un mot depuis des années mais il pensait que, aux portes de la mort, sa langue se délierait.


« Je ne vais pas t'abattre, lui dit-il presque doucereusement. Le feu s'en chargera. Je veux que tu voies tout ce que tu as bâti partir en cendres. Tu es sûr et certain de rien avoir à me dire ?

- Pas ... »


Surpris, Maxwell bat des cils. Ses provocations semblent porter leurs fruits, en fin de compte.


« Suis ... pas ... »


Il s'approche, laissant les mots de Solomon se glisser dans son oreille avant de mourir dans une quinte de toux. Maxwell s'éloigne du fauteuil comme s'il venait de le pincer.

Non. Ils ne font aucun sens. Cet homme est dément depuis belle lurette de toute façon. Maxwell soupire, le regard bas. Tu parles d'un désenchantement.

Il sort son briquet de la poche intérieure de sa veste, l'allume et le jette parmi les meubles enduits d'essence. C'est tout de même une belle journée pour arrêter de fumer.




« Descends de là. Je vais conduire. »


D'abord surpris par sa demande, Phil finit par obéir. Gaël repose toujours paisiblement à ses côtés. Bien. Maxwell ne voudrait pas qu'il assiste à ça.


« Qu'est-ce qui se passe ? répète le chauffeur. Est-ce que c'est de la fumée que je vois ? Il faut ... »


La vue du revolver, braqué sur son front, lui coupe la parole. Il la perd définitivement lorsqu'une balle traverse son cerveau pour terminer son chemin un peu plus loin parmi les débris de sa boîte crânienne. Maxwell souffle sur le canon de son arme sans accorder un regard au corps de celui qui aura été son plus fidèle employé. Le métal est encore trop chaud pour qu'il puisse l'empocher, mais il n'a aucune envie de laisser un tel outil à la portée de Gaël. Qui sait ce qu'il serait capable d'en faire, après toutes ces émotions ? Gaël n'a aucune emprise sur ce qu'il ressent. Le pauvre petit risquerait de se blesser.

Maxwell s'assied à la place du conducteur sans prendre la peine de déplacer le cadavre de Phil. La police croira à une fusillade suivie du suicide de Lawrence. Inutile de leur dresser un tableau. Quant à Gaël et à lui, il ne reste déjà plus personne pour s'inquiéter de leur disparition.

Une infime vague de mépris agite les traits de Maxwell au souvenir de Joy. Quand il pense que cette traînée a osé abandonner leur fils ... Quel genre de mère commettrait un acte aussi cruel ? S'il la retrouve un jour, il se jure de lui faire payer de ses mains.

Personne ne blessera plus Gaël impunément tant qu'il sera là pour y veiller.

Le revolver a refroidi. Maxwell le range sous sa veste et se met au volant. Avant de réenclencher le contact, il se permet un instant de répit et ferme les yeux. Lorsqu'ils s'ouvrent, ceux-ci pivotent naturellement vers Gaël. Le garçon ne tardera pas à sortir de son sommeil artificiel. Peut-être aurait-il dû y aller un peu plus fort.

Du dos de la main, Maxwell lui caresse la joue. Non. Tout ira bien, à présent. Les monstres ont disparu. Il n'aura qu'à veiller sur lui quelques jours le temps qu'il se remette de ce qu'il n'aurait jamais dû voir.


« J'ai tellement de choses à te montrer. »


Son pouce s'attarde longtemps sur le visage de l'adolescent. Sa fierté, sa joie et son seul véritable amour. Son Gaël. Son petit garçon qui lui a probablement sauvé la vie, ou tout du moins lui a donné un sens.

Il fait tourner les clefs et exécute un demi-tour tout en douceur. La voiture descend sans bruit le jardin des Everett, aveugle à la fumée aussi noire que le ciel vers lequel elle s'élève, sourde aux cris étouffés de Solomon dont le fauteuil commence enfin à prendre feu.

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