Chapitre 32
And so we meet alone
Two players in a puppet show
De: Gaël
toit du monde maintenant
je t'y attendrai
Azura, occupé à se morfondre avec ses amies autour de tasses de thé, écarquille les yeux. La surprise le fait se lever de la banquette sans qu'il en ait conscience. À côté de lui, Morgane tressaillit. Son visage encore songeur se lève vers celui du garçon.
« Qu'est-ce qu'il y a ? Des nouvelles ? »
Azura demeure silencieux un instant avant de balbutier :
« Gaël est vivant. »
Il serre le téléphone au creux de sa main. Vu le nombre de tentatives infructueuses pour le voir et l'absence totale de réaction de la part de son ami, les pires scénarios commençaient à s'imposer à son imagination. Le soulagement lui arrache un léger soupir malgré le contexte.
Le SMS fait le tour de la table. Morgane est la première à secouer la tête.
« C'est un piège, décrète-t-elle. C'est peut-être même pas lui.
- C'est lui, tranche Azura. Je sais que c'est lui.
- N'importe qui a pu prendre son téléphone pour t'envoyer ça. Tu vas tout de même pas y aller ? »
Les yeux noirs soutiennent sans ciller le regard bleu ciel. Ils ne se baissent que pour presser l'icône d'appel sous le prénom de son meilleur ami. Azura enclenche le haut-parleur et pose son téléphone sur la table, les bras croisés. C'est lui. Même les tonalités prolongées ne l'en font pas douter un seul instant.
« Oui ? » fait, à l'autre bout de la ligne, la voix de Gaël.
Holly joint les mains devant sa bouche. D'apaisement, elle ferme les yeux. À ses côtés, Cherry se contente de baisser la tête. Ses traits fermés ne parviennent pas à leurrer l'œil expert d'Azura. La jeune femme ressent la même chose qu'eux. Seule Morgane se contente de froncer les sourcils.
« Gaël ! s'exclame Azura. Gaël, c'est bien toi ?
- Qui d'autre ?
- Qu'est-ce qui t'est arrivé ? Ça fait des jours que j'essaye de te contacter et ...
- La même chose qui t'est arrivée quand la pluie a commencé, coupe l'autre garçon. Attends un peu. Je peux pas te parler maintenant. »
L'assemblée de la Petite Sirène s'échange des regards soucieux. Azura se pince les lèvres.
« T'es encore en territoire ennemi, c'est ça ?
- Oui. »
Il arque les sourcils, surpris par la franchise de son ami. Et par son calme ; la dernière fois qu'ils se sont adressés la parole, Gaël était à peine reconnaissable. Se souvient-il seulement de leur échange ? Azura serait prêt à parier que non.
« On peut pas se retrouver à la Petite Sirène ? propose-t-il. Tout le monde sera là et ...
- Non.
- Je vois. Je dois être seul.
- Oui.
- Alors ... alors on se retrouve sur le Toit du Monde.
- T'es pas sérieux ? grogne Morgane entre ses dents. T'en reviendras pas, Azu. »
Un silence pesant accueille sa remarque. Azura met un moment à identifier son origine. Les pas de Gaël. Le volume du téléphone est si fort qu'ils entendaient le garçon marcher et il vient tout juste de cesser.
« Je suis sur haut-parleur ? »
Morgane grimace. Elle a foiré.
« Oui, avoue Azura à sa place. On s'inquiétait tous pour toi.
- Tu me feras pas avaler ça, rétorque Gaël après un rire amer. La moitié des personnes présentes dans cette pièce ont probablement envie de me tuer.
- Juste une, marmonne la jeune fille.
- Morgane » l'avertit Cherry avec un regard assassin.
La blonde la foudroie du sien avant de hausser les épaules. Elle baisse les yeux vers le téléphone, les mâchoires serrées comme pour s'empêcher de prononcer quoi que ce soit de plus - de trop.
« Je vois, soupire Gaël en reprenant son chemin. Je suppose qu'il avait raison.
- Qui ça ? s'interroge Azura.
- Personne. Oublie. Je te l'ai dit, je peux pas te parler maintenant. »
Le garçon consulte une dernière fois ses amies du regard. Puisqu'aucune d'entre elles ne prend la parole et que Gaël n'avouera rien de plus, il se permet de clore la conversation.
« D'accord. Je vais partir pour le Toit du Monde.
- J'y serai. »
La seconde suivante, Gaël a déjà raccroché.
« Azu, attends. »
La main de Cherry se pose sur son épaule au moment où le garçon ouvre son parapluie. Il se retourne, surpris. La porte de la Petite Sirène est fermée derrière elle.
« Azu ? répète-t-il.
- Bah quoi ? C'est bien comme ça qu'ils t'appellent, non ? »
Le concerné hausse les épaules. La jeune femme a raison, mais il ne s'attendait pas à ce qu'elle les imite un jour. L'inverse fait naître en lui un soupçon de plaisir, presque infime face à l'urgence de la situation à laquelle ils font face à présent.
« Je peux te parler une seconde ? demande Cherry en se passant une main sur la nuque. Juste ... avant que tu partes. On n'est pas sûrs de ce qui va arriver, alors ... »
Azura sent ses traits s'affaisser. Cherry a une de ces manières de dire les choses ... Néanmoins, il hoche la tête.
« Tu sais ... commence la jeune femme en s'asseyant sur la même bordure que l'était Holly la veille. Ça va bientôt faire cinq ans que ces conneries durent. Si Gaël est vraiment derrière tout ça depuis le début, ça veut dire qu'on a commencé à faire de la merde au même âge. Tu connais tout sur moi, maintenant, admet-elle à contrecœur. L'orphelinat, la rue, les gangs ... les dettes. Bloody Mary. Et c'est vrai que si Jason Myers avait rendu l'âme une minute trop tard, j'étais morte moi aussi. C'est vrai que Gaël m'a sauvé la vie. Et ... »
Elle se retourne pour vérifier où en sont les deux autres. Accoudée au bar les yeux clos, Holly semble plongée en pleine prière. Morgane est trop occupée à faire les cent pas autour des banquettes pour remarquer l'absence de Cherry. Cette dernière soupire à nouveau, résignée.
« ... qu'il l'a fait une deuxième fois, complète-t-elle. Mais pas de son propre chef. Je sais ce qui est arrivé à Stef, ajoute-t-elle avant qu'Azura puisse prétendre ne pas la suivre. Tu nous en as suffisamment dit pour que je comprenne de moi-même. Mais, tu sais ... quand les ennuis ont commencé avec lui, quand il ... quand il a commencé à me malmener, je me suis dit que c'était dans l'ordre des choses. Que l'espèce de volonté supérieure ou je sais pas quoi qui m'a sauvée devant Jason Myers voulait que je souffre un peu plus. Que j'expie mes péchés en étant à la place de mes victimes.
- C'est n'importe quoi, l'interrompt Azura en fronçant les sourcils. Tu méritais pas ce qui t'arrivait. Personne mérite un truc pareil.
- Je sais. Y a pas de volonté supérieure. Juste un monstrueux hasard et un gamin exploité. Ce que je veux dire, c'est ... Bordel, soupire-t-elle, j'en sais rien. Que j'ai autant de sang sur les mains que lui, je suppose. Que j'ai tué des pères, des frères, des fils, sans même qu'on m'y oblige. Que Myers et ses larbins ont ruiné autant de vies à cette époque qu'ils le font aujourd'hui. Alors si quelqu'un comme moi s'en est sorti, Gaël peut ... »
Cherry se mord la lèvre inférieure, le regard soudainement humide. Azura fait un pas vers elle. Derrière eux, la pluie s'abat sans fin sur la ville.
« Sauve-le, Azura, conclut-elle. Qui sait ce qu'il a dans la tête en ce moment. »
Elle lui attrape la main pour la presser dans la sienne. Azura lui rend le geste.
« C'est ce que je comptais faire.
- Je sais, rétorque la jeune femme avec un demi-sourire. Je voulais juste mettre les choses au clair. Sortir un peu les violons, maintenant que tout va bientôt finir d'une façon ou d'une autre. J'espère juste que ce sera la bonne.
- Compte sur moi. J'ai pas l'intention de laisser ces enfoirés d'Everett continuer à utiliser Gaël comme une marionnette.
- Je sais. Tu te rends compte que tu me donnes presque envie de croire au pouvoir de l'amour ? ricane Cherry. Avant toi, je me serais giflée pour dire une connerie pareille, mais maintenant ...
- Les gens changent, dit Azura. C'est pas toujours une mauvaise chose. Et je crois que c'est tout ce qui puisse encore nous sauver, au point où on en est.
- De quoi, l'amour ou le changement ? Tu m'as perdue en route.
- La compassion. Les mains tendues. Tu sais, le genre de trucs plus forts que le destin. »
Cherry le dévisage en silence. Au final, elle hoche la tête.
« Merci pour tout ce que tu as fait pour nous ... Azura. »
Les doigts de la jeune femme serrent une dernière fois les siens avant de les relâcher. Un goût amer emplit la gorge du garçon. Cette scène ressemble beaucoup trop à un adieu.
« On se reverra, décrète-t-il.
- J'espère bien. J'en ai pas fini avec toi. Holly et Morgane non plus, d'ailleurs. »
Elle lui adresse un clin d'œil humide qu'Azura accueille avec un sourire avant de s'en détourner. Gaël l'attend. Il est grand temps de mettre fin à tout ça.
Gaël fait de son mieux pour refouler les souvenirs heureux qui tentent de le noyer sur le Toit du Monde. Mais ils le submergent comme une marée, le laissant tremblant et à bout de souffle. Le garçon a pris place sous le parasol pour se protéger de la pluie à l'odeur putride et plié les genoux sous le menton. Un frisson le traverse tout entier. Il a froid. Il a tellement, tellement froid. Le plan qu'il a échafaudé en sortant du bureau de Lawrence est comme piégé sous une couche de glace. Même en imaginant qu'il apparaisse seul, Azura ne voudra jamais l'écouter. Comment pourrait-il en être autrement ? Gaël est un meurtrier. Un meurtrier mis face au dernier choix de sa vie.
Azura, Maxwell, ou lui.
Il serre les bras autour des genoux, le dos tourné à la porte de sortie. La solution existe. Il le sait. Il l'a trouvée. Mais, quelque part au fond de lui, il aimerait mieux en finir ici et maintenant.
La porte grince derrière lui. Gaël ferme les yeux, le front plissé. Il est temps de choisir.
« Gaël ? »
La voix d'Azura est comme un murmure porté par le vent. Le garçon s'approche prudemment de son ami. Il est venu seul, au final. À moins que la police toute entière l'attende derrière cette porte. Comment aurait-il procédé à sa place ? Il ne serait jamais venu sans renforts. Azura a toujours été le plus naïf des deux.
« Gaël, ça va ? C'est moi, Azura. »
Les lignes de son front se creusent davantage. Comme s'il pouvait confondre sa voix avec celle d'un autre.
« Reste où tu es » ordonne-t-il.
Azura émet un petit son surpris. Gaël ne peut pas le voir, mais il sait qu'il lui obéit.
Il se redresse difficilement, un ouragan dans la tête. L'expression inquiète qu'il trouve peinte sur le visage de son partenaire paralyse son corps. Par où commencer ? Que lui dire ? Azura doit se douter de la raison pour laquelle il l'a fait venir ici.
Alors pourquoi tu tires cette tête, putain ?
« J'ai pour ordre de te tuer. »
Gaël ne reconnaît pas sa propre voix. Il est comme déconnecté de son enveloppe corporelle. Dans quelques instants, il aura l'impression de regarder la scène de haut.
« Je vois. »
Azura froisse nerveusement la pointe de ses cheveux. Les souvenirs affluent dans l'esprit de Gaël. Il porte une main à sa tempe comme pour les en empêcher, conscient de la futilité de son geste. Cap' ou pas cap' ? Lui seul connaît la réponse.
« On sait ce qui se passe, Gaël, reprend Azura en tentant un pas en avant. On peut t'aider.
- Reste où tu es ! répète l'autre en reculant de trois fois plus. M'aider ? Vous avez aucune idée de contre quoi vous vous battez, putain ! »
D'épaisses gouttes noires s'abattent sur ses cheveux. Cette pluie n'est-elle pas la preuve de la rancœur d'Azura ? Pourquoi aider celui qui nous a privé d'un être cher ?
C'est un piège. Il te fait marcher. Il veut te tuer avant que tu le fasses.
« On sait, insiste le garçon aux yeux noirs. Les Everett, l'ex-gang de Jason Myers ... toi. La seule information qui nous manque, c'est comment et pourquoi on en est arrivés là. Et je ... j'avais espoir que tu m'aides à comprendre. »
Un rire mesquin, dénué de toute joie, franchit les lèvres de Gaël. Sa main gantée tente vainement de l'atténuer.
« Est-ce que t'as la moindre idée de ce qui m'arrivera si je parle ? demande-t-il d'une voix rauque. Pourquoi je suis pas allé voir les flics, selon toi ?
- On est seuls, lui rappelle Azura. Et tu as ordre de me tuer. »
Gaël, qui avait fermé les yeux, en ouvre un pour jauger Azura de son regard caramel. Aurait-il compris ? Y aurait-il une chance pour que son plan ...
Il te déteste. Fais-toi une raison, abruti. Ils te détestent tous. Morgane veut te tuer de ses propres mains. Qui te dit qu'il en a pas envie aussi ?
« Quoi ? »
La voix d'Azura le ramène à la réalité. Troublé par ses doutes, dépassé par les émotions entraînées dans leur sillage, Gaël a de nouveau fermé les yeux et reculé un peu plus. Il n'a même pas réalisé avoir parlé.
« Va te faire foutre, répète-t-il pourtant entre ses doigts. Allez tous vous faire foutre ! Je vous hais ! Je te l'ai dit, je vous déteste tous !
- Je t'ai connu meilleur acteur. »
La taquinerie d'Azura lui rappelle d'autres souvenirs. Leurs photos, leurs retrouvailles, les premières soirées partagées à la Petite Sirène. La main de Holly dans ses cheveux. Le bras de Morgane autour de son cou. Le duo ridicule qu'il formait avec Cherry le soir de Noël.
Celui qu'il formait avec Tori à la décharge, avant que Gaël le fauche à son tour.
« La ferme ! répète-t-il un ton plus haut. Qu'est-ce que ça change ? Vous me détestez ! Vous vous porteriez tous mieux si j'étais mort !
- Morgane a dit ça dans le feu de l'action, rétorque Azura. Elle ... elle a besoin de temps, c'est tout. Mais Cherry est venue me trouver juste avant que je te rejoigne. Elle m'a demandé de te sauver. Vous êtes pas si différents, elle et toi. Si elle a pu s'en sortir, alors ...
- C'est facile à dire pour elle. Qu'est-ce qu'elle penserait si je lui avais pas sauvé la vie deux fois ? Si j'avais tué Holly, à la place ? Tu crois qu'elle serait aussi clémente ?
- J'en sais rien, avoue Azura. Mais c'est pas arrivé, alors ça sert à rien de se poser la question.
- Pas encore. »
Une grimace ressemblant à un sourire étire les coins de la bouche de Gaël. Ses mains remontent son visage jusqu'à ce que le bout de ses doigts se retrouvent dans ses cheveux. Il voit d'ici la mine interrogatrice d'Azura. Interrogatrice, mais toujours inquiète.
Arrête de me regarder comme ça. Qu'est-ce qu'il faut que je fasse pour que t'arrêtes de me regarder comme ça, à la fin ?
« Qu'est-ce que tu crois qu'il va leur arriver si Lawrence apprend que t'es pas le seul au courant ? explicite Gaël. Ou si t'es encore en vie après ce soir ? Le gang de Myers fera le travail à ma place. Ils te tueront, Azu. Ils saccageront la Petite Sirène, Holly sera incapable de payer ses dettes, Cherry se retrouvera dehors ou en prison ... Ils ont même menacé la sœur de Morgane. Tu comprends ? Comme ça, elles seront toujours en vie pour m'en vouloir. Tout se rapporte toujours à moi. Tu vois quel égoïste je suis ?
- Ils frappent là où ça fait mal, répond calmement Azura. Y a rien d'égoïste à ça, Gaël. Je ... Merde, si on parle d'égoïsme, je me défends bien aussi. J'ai pensé qu'à moi tout ce temps. Si j'avais pas été aussi accaparé par mon nombril, j'aurais remarqué depuis longtemps que t'avais beaucoup plus de problèmes que moi. À la place, j'ai juste ... fermé les yeux encore et encore. Je suis désolé, Gaël. »
Celui-ci sent son cœur battre de plus en plus fort dans sa poitrine. Sa respiration s'accélère. Il commence à manquer d'air. Si la sincérité qui transpire dans le discours d'Azura est réelle, alors ...
Alors quoi ? T'as déjà fait trop de mal. Commis trop d'erreurs. Tout serait plus simple si tu te contentais de disparaître.
« Gaël, regarde-moi, supplie Azura. S'il te plaît.
- Non ! Toi, arrête de me regarder ! J'ai pas besoin de ta pitié ! »
Gaël tend une main devant lui pour dissuader son ami de faire un pas de plus. Un de ses yeux écarquillés, injectés de sang, devient alors visible. Son propriétaire le baisse aussitôt. Il ne verrait pas le visage d'Azura même s'il le regardait. La marée est trop violente.
« Je suis ... une menace, souffle-t-il en direction du sol. Pour toi, pour eux, pour tout le monde. Une bombe à retardement. Et je sais comment me désamorcer.
- Gaël ...
- Qu'est-ce que tu crois qu'il m'arriverait si la ville apprenait que j'étais le corbeau ?
- Personne n'a à savoir ça.
- Ils me tueraient, continue Gaël sans même avoir entendu la réponse d'Azura. Ils voudraient ma mort comme Morgane. Ils me feraient pendre ou ... pire. Comme ils le faisaient aux sorcières autrefois. Alors autant que je choisisse comment ça se termine.
- Gaël, même si t'avais le monde entier contre toi, je ... je me tiendrais entre vous. Je laisserai plus jamais personne te faire du mal. »
Le contact d'une main sur son bras le fait relever les yeux. Ceux d'Azura se tiennent à seulement quelques centimètres des siens. Comment a-t-il pu autant s'approcher sans qu'il le remarque ?
Ses jambes faiblissent sous lui. Il repousse la main d'Azura d'un violent geste du bras, les traits plissés de rage.
« La ferme ! La ferme, putain ! Tu veux me faire péter les plombs ou quoi ? »
D'abord décontenancé par sa réaction, Azura finit par s'éloigner d'un pas. Il écarte les bras comme pour l'y inviter. Son visage ne trahit rien d'autre que la résolution la plus ferme.
« Alors vas-y. Défoule-toi sur moi. T'as promis de me faire subir toutes tes crises de nerfs à l'avenir, tu te souviens ? »
La stupéfaction fait oublier à Gaël ses prochaines menaces. Ils sont face à face, à présent, et il ne discerne chez son meilleur ami que la confiance la plus totale. Les larmes commencent à se former dans les yeux caramel. Il a envie de se jeter dans ses bras. Il a envie de se jeter dans le vide.
« Comment tu oses me parler de promesses ? »
Le regard d'Azura s'arrondit brièvement. La voilà. La dernière aiguille fichée dans son cœur, celle qu'aucune quantité de temps ou d'amour ne saurait rendre moins douloureuse. Gaël se décide enfin à l'en arracher, quitte à noyer le monde sous l'hémorragie.
« Je sais ... commence Azura.
- Tu sais rien ! l'interrompt l'autre. Tu sais pas comment c'était ! T'étais pas là ! Personne était là ! Tu crois que les gens se préoccupent d'un orphelin et de sa mère alcoolique ? Tout le monde nous a tourné le dos ! Tout le monde, à part cet enfoiré de fils de pute de Jefferson ! Et toi, tu ... tu disparais et tu reviens quatre ans après la bouche en cœur sans en branler une pour que tout te réussisse ! Azura le héros, Azura le sauveur de petites blondes suicidaires ! Tu me dégoûtes !
- Je sais. »
Gaël s'interrompt, haletant. Ses mains tremblent près de ses hanches. Et il a beau ne pas les sentir, les larmes coulent à flot sur ses joues pâles. Même s'il ne voulait pas laisser son ami parler, il n'aurait pas la force de l'en empêcher. L'ouragan s'éloigne, mais la destruction qu'il a semée reste.
« Je sais que j'ai tout fait foirer quand je suis parti, complète Azura. Je sais que j'aurais au moins dû te prévenir ou te laisser ma nouvelle adresse, ou un numéro pour me joindre, mais ... j'ai été lâche. J'ai eu trop peur de t'approcher après la mort de Ray. Et mes parents ... j'avais beau les supplier, ils ont pas voulu attendre. Tout était déjà prêt. Du jour au lendemain, j'ai appris que j'allais quitter Sunnyside et tout s'est enchaîné. Mais j'aurais pu ... j'aurais dû te revoir au moins une fois. Je suis désolé, Gaël. »
Les bras du garçon s'abaissent lentement jusqu'à revenir à leur place originelle. Pris de court par son monologue, Gaël le regarde baisser la tête sans réagir.
« Je te demande pas de me pardonner ici et maintenant, poursuit Azura. Je te demande même pas de me pardonner, si t'en as pas envie. Mais je suis désolé. De t'avoir laissé tomber, de savoir qu'on t'ait fait suffisamment souffrir pour que t'en arrives là. C'est vrai que les chemins qu'on a parcourus depuis ont pas l'air de pouvoir se rejoindre, mais ... on peut essayer. C'est toujours comme ça qu'on a avancé, non ? En essayant. Alors ... »
Gaël se mord les lèvres pour les empêcher de trembler. Les yeux noirs de son ami sont humides eux aussi. Désolé que tu en sois arrivé là. Combien de fois a-t-il rêvé d'entendre ces mots ?
Ses poings se desserrent doucement. Un soupir humide vient caresser le visage de son voisin.
« Tu m'as abandonné une fois. Pourquoi ça te dérange de recommencer, maintenant que c'est moi qui te le demande ? Tu fais vraiment ... tu fais vraiment chier.
- Tu me repousseras pas, répond Azura avec une certitude insupportable. Pas cette fois. Et je te regarderai pas ... sauter du toit ou toute autre connerie que tu as prévue. Ça arrangerait rien, Gaël.
- Ça arrangerait tout, murmure le concerné. Sans le pouvoir, ils ... ils sortiront jamais de cette ville. Ils s'autodétruiront avant de vous faire plus de mal. Le reste du monde sera en sécurité. Et Maxwell et toi serez libres.
- Libres ? »
Gaël détourne le regard. D'une main, il s'empare de la barrière grise du toit. Un sourire nostalgique se peint sur ses lèvres. À gauche, l'océan. À droite, sa prison.
C'est mieux ainsi. Il aurait dû partir il y a bien longtemps déjà.
« Je te pardonne, souffle-t-il. Vis une belle vie pour moi, Azu. »
Dans sa confusion, Gaël ne réalise pas être à portée de bras de son ami. Azura le saisit par la taille alors même qu'il commence à se pencher par-dessus la palissade. Il le tire en arrière et tombe avec lui sur le sol. Les deux garçons atterrissent l'un sur l'autre avec un bruit sec. Gaël est d'abord étranger à toute sensation extérieure, avant de sentir la main d'Azura se poser sur sa nuque. Sa respiration chevrotante est assourdissante contre son oreille. Leurs vêtements poisseux se pressent les uns contre les autres avec un son humide. Gaël se laisse aller contre le sweat noirci de son ami, le corps vide de toute énergie. Ses membres sont aussi faibles que ceux d'un pantin dont on aurait coupé les fils.
« Laisse-moi » a-t-il tout juste la force de souffler.
Azura secoue la tête. Gaël ne renouvelle pas sa demande. Il ferme les yeux, les mâchoires serrées à s'en faire mal, pour s'empêcher de craquer. Pour épargner cette humiliation à Azura.
« Maman ... »
Un sanglot méconnaissable s'échappe d'entre ses lèvres pour disparaître dans le vent. L'étreinte de son ami se resserre autour de lui. Gaël rentre la tête dans les épaules pour mieux s'y blottir. Il trébuche dans les débris de son esprit, recherchant ses fondations pour s'y accrocher.
« Maman ... Je veux maman ... Papa ... »
Une main bienveillante s'invite dans ses cheveux. Pour la première fois depuis tout ce temps, Gaël la distingue nettement parmi les décombres. Ceux-ci se remettent lentement en place.
« Je suis là, murmure Azura lorsqu'il le réclame. Je serai toujours là, peu importe ce qui nous tombe dessus.
- Reste avec moi, sanglote Gaël à l'intention de son ami invisible. Reste avec moi.
- Toujours. C'est promis. »
Pour une raison qui le dépasse, Gaël choisit de le croire.
Il s'empare de la main qu'il lui tend et s'ouvre à lui comme un bourgeon s'ouvre au soleil. Son corps tout entier se détend sous une chaleur qui ne peut venir que de l'intérieur. Tout ce que ressent Azura, tout ce qu'il a jamais ressenti, se répand en lui comme s'il s'agissait de ses propres émotions. L'ahurissement de leur première rencontre tout comme la joie qui accompagna toutes les autres ; sa fierté chaque fois qu'il s'est tenu à ses côtés ainsi que son envie de le dépasser pour le rendre fier à son tour, autant par amour pour lui que par rivalité puérile ; les battements de son cœur lorsqu'il a réalisé la nature de cet amour - bien plus tard que l'a fait Gaël, ce qui n'étonne pas le garçon.
Toute la vie d'Azura défile en lui, le submergeant de souvenirs qui ne sont pas les siens. La culpabilité lui retourne l'estomac lorsqu'il se voit partir, la tête tournée vers la vitre arrière de la voiture comme s'il pouvait la faire reculer. La douleur d'un ballon de volley percutant son nez, le sourire confus d'un garçon aux cheveux jaune poussin, la timidité de sa sœur au visage entouré de tissu et tous les moments passés ensemble. Les milk-shakes des fast-foods et les nuggets de la cantine, l'agitation de la ville et les boutiques high-tech des rues piétonnes. Un sourire plane sur le visage de Gaël, si bien qu'il ne sent pas les doigts de son ami se serrer entre les plis de sa veste. Le bonheur d'Azura est le sien ; la souffrance de Gaël est la sienne. Les deux garçons partagent leurs cœurs comme s'ils ne formaient plus qu'un jusqu'à ce que leurs souvenirs les ramènent à l'instant présent. À ces deux garçons allongés sur le toit d'un hôtel en ruines, voué à la destruction ou au renouveau selon le bon vouloir d'une poignée d'argent.
« Mon Dieu, Gaël ... »
Azura sort de l'expérience pantelant, le poing serré de douleur. Ses yeux exorbités vont d'un point céleste à l'autre. Les souvenirs qui ont pris possession de lui sont si terribles, si oppressants que son corps tout entier a tenté de faire barrière pour l'en protéger. Il était incapable d'imaginer la moitié de ce qu'a traversé Gaël depuis tout ce temps.
« Je t'aime » est tout ce qu'il peut dire.
Il presse son ami contre lui, qui ne lui répond que par un murmure incompréhensible. Quelque chose a changé. Azura hume l'air pour s'assurer que tout ça ne l'ait pas simplement chamboulé. Un court instant, sa main quitte le dos de Gaël pour s'élever à plat dans les airs. Il ne rêve pas.
Autour d'eux, la pluie s'est arrêtée.
Gaël met un long moment à récupérer. Rien d'étonnant à cela ; Azura a passé deux nuits horribles lorsque la pluie a commencé. L'autre garçon devait tout juste sortir du coma lorsqu'il l'a contacté. Tout ça ajouté au phénomène précédent l'aurait vidé lui aussi.
Allongé sur la chaise longue avec son ami dans les bras, Azura prend le temps de réfléchir à ce qu'il a vu. À ce qu'il a ressenti. Que leur est-il arrivé, au juste ? C'est comme si leurs deux esprits s'étaient rejoints pour ne former qu'un l'espace de quelques instants.
Il soupire, calant sa respiration sur celle de son ami pour se calmer. Est-ce vraiment la chose la plus étrange qui leur soit arrivée ces derniers mois ? Ils devraient dresser une liste, la réduire à un Top 3 et élire le grand vainqueur, ne serait-ce que pour dédramatiser leurs traumatismes respectifs.
Inquiet, il baisse les yeux vers Gaël. Si l'enquête a laissé Azura traumatisé, qu'en est-il de lui ? Azura a vécu ses pires instants comme s'il s'agissait des siens. Chaque meurtre, chaque ouragan, chaque scarification - même aujourd'hui, le majeur troué de son gant droit lui a permis de se lacérer le visage tandis qu'il lui parlait. Une griffe rouge barre sa joue là où la peau a fini par lâcher.
Il écarte les cheveux caramel du front de son ami pour le rafraîchir. La grisaille commence à s'écarter et le ciel à bleuir. Une agréable brise printanière souffle de nouveau sur la ville. En contrebas, Azura peut voir les habitants quitter leur domicile avec l'espoir craintif que tout soit redevenu comme avant.
C'est drôle. Vu de là-haut, tout paraît à la fois gigantesque et insignifiant. Comme eux.
Il ferme les yeux et soupire, laissant le poids des dernières heures quitter ses épaules fatiguées.
« Tu comprends, maintenant ? »
Azura baisse les yeux vers son ami. Il a l'impression de les avoir fermés depuis une éternité.
« Tu as besoin d'aide, Gaël, dit-il avec l'espoir de ne pas le vexer.
- Je sais. »
De surprise, Azura arque les sourcils. Gaël réajuste sa position allongée pour la rendre plus confortable. Ses idées ont l'air de s'éclaircir.
« Maxwell a essayé de me faire voir des médecins, explique-t-il, mais Lawrence les a tous chassés. Tu sais que les rumeurs vont vite, ici. Les menaces aussi. Ils m'ont tous refusé dès qu'ils ont entendu mon nom. Les seuls docteurs que je voyais, c'était ... c'était ces salauds qui me retournaient dans tous les sens pour comprendre d'où venait mon pouvoir. J'avais l'impression d'être un mannequin en plastique. »
Gaël serre les dents et le poing. Le cuir de son gant grince légèrement. Azura accentue son étreinte. Il a vu ça aussi. Les prises de sang quasi quotidiennes, les examens répétitifs qui ne menaient nulle part, les tests cruels que Gaël a refusés jusqu'à ce que Lawrence perde patience et ne lui laisse plus le choix.
L'homme se fiche bien que son ami ait toujours eu plus d'empathie pour les animaux que pour les êtres humains. Gaël a abattu plusieurs douzaines de chiens et chats errants, un tas de trucs collés sur la tête et partout ailleurs pour observer son activité corporelle et cérébrale ; sans doute espéraient-ils trouver un moyen de développer ce pouvoir chez un autre. Mais, hormis le pic de température interne subi par le garçon chaque fois qu'il en fait usage, leur seule découverte aurait pu se faire rien qu'à l'aide de leurs yeux.
Gaël pourrissait de l'intérieur chaque fois qu'il liquidait une cible, pourtant, son organisme se régénérait en l'espace de quelques heures. Seule une utilisation intense et prolongée de son don pourrait représenter un danger pour lui. En l'apprenant, Lawrence a songé à lui injecter une maladie avant de juger l'expérience trop risquée. Sans doute préférait-il conserver son arme de destruction massive avérée plutôt qu'en faire une passerelle vers une immortalité hypothétique.
La colère fait battre le cœur d'Azura. Lawrence. Si Gaël est un corbeau en cage, cette enflure intouchable en détient la clef.
« Et la clinique ? tente-t-il. Celle où va Cherry pour ses groupes et sa psy ?
- Jamais essayé, répond Gaël en secouant la tête. C'est pas comme si Lawrence me laisserait y aller.
- C'est lui, la source de tous les problèmes. Si on réussissait à s'en débarrasser ...
- Non ! l'interrompt Gaël. Si tu fais ça, le ... le gang ...
- Je sais. J'ai vu. »
Les yeux paniqués de Gaël papillonnent entre les siens avant de se baisser à nouveau. Il doit y avoir un autre moyen, une solution miracle à laquelle ils n'ont pas encore pensé. Les choses ne peuvent tout de même pas continuer ainsi.
« Je t'ai vu tuer Campbell, murmure Gaël. J'ai tout ressenti sauf de la culpabilité. Je ... je t'envie. »
Perdu dans ses pensées, Azura met un moment à revenir sur terre. Le changement de sujet le surprend tout comme l'inverse. La culpabilité n'est pas ce qui rongeait le plus les souvenirs de Gaël (non, pas comme cette rage sourde et aveugle qui recouvre certains moments de sa vie d'un brouillard rouge sang au travers duquel il est impossible de percevoir la moindre trace de lumière), mais Azura en a tout de même ressentie. L'accident d'Abigaëlle, le meurtre improvisé de Tori ; ces deux-là ont jeté un voile de ténèbres sur les maigres espoirs de Gaël d'être pardonné par ceux dont il est le plus proche.
« Si je devais me sentir coupable, ce serait pas pour une enflure pareille, décrète-t-il. Si je pouvais, j'en tuerais trois autres comme lui. Merde, je tuerais bien tous ceux de la Terre. Nos situations sont pas comparables, Gaël. T'as jamais eu le choix.
- Je sais pas ... J'aurais peut-être pu ... »
Sa phrase demeure inachevée. Gaël se mord doucement le poing, cherchant un moyen de se punir, un moyen de se poser en bourreau, mais Azura sait qu'il n'en trouvera pas. Il a senti la main de Joy se dérober à la sienne lors des funérailles de Ray ; senti le goût et l'odeur de la haine emplir sa gorge et ses poumons un soir où il traînait à la décharge. Il a lu le journal du lendemain à travers les yeux de son ami ; appris la disparition mystérieuse de Jason Myers avec la même stupéfaction horrifiée que lui. Il a ployé sous son désespoir lorsque Joy refusait de le regarder et encore plus de lui adresser la parole. Alors il a suivi sa logique et cherché secours auprès de la seule personne encore susceptible de l'écouter.
Nathan Jefferson. Le seul être humain de cette époque à ne pas lui avoir tourné le dos.
En lieu et place d'une oreille bienveillante, Gaël a trouvé un homme fasciné aux demandes de plus en plus insistantes. Il a d'abord vu son récit balayé d'un rire condescendant, le rire d'un adulte mis face aux cauchemars loufoques d'un enfant, mais, à force de détails, est parvenu à le convaincre. Alors Jefferson lui a demandé une démonstration.
Ce sont ses paupières qui se sont arrondies lorsque Gaël a écarquillé les yeux. Son cœur qui s'est affolé lorsqu'il s'est retrouvé coincé contre le plan de travail d'une cuisine bien plus modeste que celle de sa demeure actuelle. Elle s'appelle Annabel McCornick, a murmuré l'homme. Tu veux voir son visage ? Tiens, le voilà. Je peux t'aider, Gaël, je ne demande que ça. Mais il faut que je sois sûr de ce que tu avances. Tu comprends, n'est-ce pas ?
Gaël a pris la fuite jusqu'à la même foutue décharge où il s'est toujours réfugié depuis. Il n'est rentré chez lui que lorsque la nuit menaçait, sa peur du noir revenue au galop depuis les récents événements. Mais sa maison n'était hantée que du fantôme de sa mère.
Décharge. Maison. Décharge. Maison. Gaël est revenu sonner à la porte de Jefferson trois jours plus tard. Le jour où Annabel McCornick a trouvé la mort.
Ce jour-là, les rouages de la machine se sont mis en marche sans que Gaël les entende. Comment aurait-il pu prévoir ce qui arriverait ? Il n'était qu'un orphelin à la recherche d'un foyer. Pourtant, son séjour chez Jefferson n'est rien d'autre qu'une longue journée brumeuse entrecoupée de quelques secondes de lucidité. Peut-être a-t-il vraiment tenu des propos indécents à son égard ; peut-être l'incident à venir avec Hank l'a-t-il suffisamment traumatisé pour qu'il le projette sur le professeur. Gaël lui-même l'ignore. Mais le papier récupéré chez Jefferson après sa mort, celui qui s'est consumé dans sa cheminée le soir-même, n'avait rien d'une photo. C'était une lettre de remerciements.
Jefferson n'a jamais eu pour autre ambition que d'enseigner à l'Université de Sunnyside - qui, à l'époque, venait tout juste d'ouvrir ses portes à l'initiative des Everett. Est-ce de voir leur nom inscrit sur les plaquettes d'entrée qui lui a donné l'idée ? Gaël n'en sait rien. Il se souvient juste s'être retrouvé devant les trois Everett encore en vie, un soir d'été, les mains de Jefferson vissées à ses épaules comme pour l'empêcher de fuir. Ses jambes tremblaient tant qu'il craignait de s'effondrer sur le plancher du salon. Il les entendait parler sans saisir un mot de ce qu'ils se disaient ; cherchait désespérément une trace de compassion chez le vieil Everett en chaise roulante ou son fils aîné, mais ils ne le regardaient même pas. Seul l'homme au cigare, resté en retrait comme s'il refusait de prendre part aux négociations, ne le quittait pas des yeux. Gaël s'est accroché à lui jusqu'à ce que Lawrence l'y arrache en demandant une nouvelle démonstration.
Le garçon a fondu en larmes. Il ne voulait pas, ne pouvait pas faire ça. Il voulait juste ...
Juste une fois, Gaël, l'a convaincu Jefferson. Une dernière fois, et tu auras tout ce que tu veux.
Mais Gaël n'a eu ni la paix ni le soutien qu'il désirait. Jefferson, lui, s'en est tiré avec une fortune dont il n'avait pas dépensé une moitié le jour de sa mort. Et la machine était huilée.
Azura inspire profondément par le ventre, se plongeant une nouvelle fois dans les souvenirs restants de son ami. La suite, ils l'ont vécue ensemble. La haine grandissante de Gaël pour Jefferson, dont le meurtre improvisé n'a pas eu l'effet dissuasif escompté ; les remontrances de Lawrence, qui se réjouissait quelque part de voir disparaître la seule personne extérieure à leur famille connaissant la vérité sur cette affaire. La trahison de Burk, qui, ignorant tout des méthodes surnaturelles employées par les Everett, a fini par les menacer de tout avouer à la police après avoir suffisamment profité de leurs services pour assurer la prospérité de son usine ; le complot visant à le faire accuser sous peine de voir sa femme et leurs enfants mourir un à un. La piste suivie par Olga O'Malley jusqu'à croiser le nom des Everett et signer son arrêt de mort, l'ordinateur détruit par une main désespérée, l'homme prénommé Hank ayant sorti Joy de sa léthargie et plongé Gaël dans un nouveau cauchemar. Son amour pour Maxwell, déjà présent avant l'incident qui l'a consolidé et la promesse qui l'a scellé.
La promesse.
Azura comprend, à présent. Gaël comptait partir. D'une façon ou d'une autre, le garçon avait l'intention de disparaître de sa vie comme il a disparu de la sienne. C'est pour cette raison qu'il cherchait tant à se faire haïr. Pour ne pas faire souffrir Azura plus que nécessaire.
Il se pince l'arête du nez en soupirant. Pourquoi Gaël ne peut pas raisonner de manière un peu plus simple ?
« Je suis désolé pour Tori, renifle celui-ci. Pour la mère de Morgane. Pour ...
- Je sais. Je l'ai senti.
- J'essaye de m'en vouloir pour les autres, j'essaye, mais j'y arrive pas. Je sais que c'est mal, mais ... je m'en fiche. C'est comme s'ils étaient juste des noms. Des chiffres, des formes sans visage qui cherchent à m'étouffer la nuit. T'as déjà eu l'impression d'être la seule personne réelle au monde ?
- Jamais très longtemps. C'est ce que tu ressens en ce moment ?
- Ça me bouffe. Je vois les gens mendier dans la rue, parfois, mais je ressens rien alors que tout est toujours si intense d'habitude. J'arrive même pas à me mettre à la place de quelqu'un d'autre et pourtant, j'entre dans une rage folle au moindre problème. Je suis toujours en colère. Toujours. C'est comme si ma tête allait exploser. J'ai ... j'ai l'impression d'être en train de mourir ou de devenir fou. Pourquoi moi ? Pourquoi nous ? Qu'est-ce qu'on a fait ? »
La voix de Gaël se brise de nouveau. Son dos s'arrondit et, malgré le cuir qui le recouvre, son pouce se retrouve pincé entre ses lèvres. Azura secoue la tête en signe d'ignorance. Il aimerait bien le savoir, lui aussi. Pourquoi deux amis d'enfance sans histoires ont soudainement développé cet horrible don et failli se monter l'un contre l'autre ? Pourquoi tout semblait aussi bien prévu depuis le départ pour que Gaël en arrive là aujourd'hui ? Et Morgane, dans tout ça ? C'est comme si quelqu'un là-haut s'était juste dit Hey, donnons des pouvoirs à ces trois-là et voyons ce qui se passe. Ça sera super drôle. Et puis je vais tricher un peu pour pimenter l'action.
Le regard furieux d'Azura se lève vers le ciel. Si les dieux existent, il jure de s'en venger.
« Ça peut toujours être utile, plaisante-t-il malgré tout. Tu sais, en cas de self-défense et tout ça.
- Pourquoi tu vois toujours le verre à moitié plein même avec un pouvoir pareil ?
- Parce que tu le vois toujours à moitié vide. »
Gaël esquisse un maigre sourire. Il s'essuie le nez, le regard toujours empli de souffrance.
« Tu le verrais à moitié vide à ma place, dit-il. Regarde ce que je suis devenu. Papa me détesterait. Si c'est pour finir comme ça, j'aurais préféré ne pas naître.
- Eh, je suis content que tu sois né. Et c'est pas fini. Loin de là. »
Peu convaincu, Gaël baisse la tête. Il la relève d'un geste brusque, les lèvres tremblantes.
« Le ... le plan, balbutie-t-il. Je dois t'expliquer le plan.
- Eh, du calme. Une chose à la fois.
- C'est important. C'est pour te sauver. Je peux pas ...
- Je sais. Mais c'est important que tu reprennes bien tes esprits, aussi. »
Gaël se rallonge à contrecœur. Azura lui caresse les cheveux avec un sourire encore fragile. Il le savait. Il savait depuis le départ que son meilleur ami n'avait jamais eu l'intention de le tuer. Morgane avait une raison légitime d'en douter, mais il est sûr que Holly le savait elle aussi. Quant à Cherry ... Azura ne saurait pas le dire. Une partie de la jeune femme lui échappe toujours.
« Tori me manque. »
La voix chétive de son ami le tire de ses pensées. Azura baisse les yeux, la gorge nouée. Gaël a serré le poing et commencé à frotter son pouce contre ses lèvres. Il est encore trop tôt pour mentionner le détective sans rouvrir la blessure causée par son départ.
« Je sais, murmure Azura. À moi aussi.
- Il a pas eu ma chance, tu sais. »
Azura bat des cils sans comprendre. Il mettrait un tas de mots sur Gaël, mais chanceux n'en fait pas partie.
« Ta chance ? répète-t-il.
- Celle d'échapper à son Hank. Il a rien vu venir. Il était déjà brisé avant, mais je crois que ça a ouvert la brèche pour de bon. Il a ... il a voulu se tuer, il y a longtemps. Je crois que je suis la seule personne à qui il en ait parlé. »
Les traits d'Azura se tendent sans qu'il en ait conscience. Les paroles du commissaire se bousculent en lui comme une tempête. Il ne pourrait pas les repousser même s'il y mettait toutes ses forces.
« Tu devais être le seul à écouter. Le seul à t'être assez approché du gouffre.
- Je l'ai tué, articule Gaël entre deux sanglots à peine contenus. J'ai tué le seul ami que j'ai eu en dehors de toi ... en dehors de tout le monde à la Petite Sirène, parce que j'ai préféré nous couvrir avec Maxwell plutôt que le laisser vous dire ce qu'il savait. J'aurais pu le laisser faire. J'aurais pu le laisser avouer et faire comme si j'étais pas au courant, mais j'ai choisi Maxwell. J'ai ...
- T'avais pas le choix, Gaël. C'était lui ou vous.
- J'ai ... j'ai essayé, Azu. Je te promets que j'ai essayé, mais ...
- Je sais. Je sais. »
Gaël serre les dents à s'en faire mal, mais un long gémissement s'échappe tout de même d'entre elles. Il jure contre tout, contre lui-même, contre Lawrence. Contre cette femme qui a poussé Tori à faire appel à leurs services. Azura sait. Il sait.
Ils laissent leurs larmes se tarir en silence, toujours pressés l'un contre l'autre. Les yeux d'Azura caressent le ciel dégagé, rejouant en esprit chacun des événements l'ayant mené ici aujourd'hui.
« La lettre ... songe-t-il à voix basse. Elle était de toi, finalement.
- Hm, marmonne Gaël en guise de confirmation. C'était la pire idée du monde. Sans ça, tout aurait fini par se tasser, mais j'étais en panique. Même la mort de Jefferson vous a pas dissuadés de continuer. Alors j'ai pris un bout de papier, je me suis assuré de pas laisser d'empreintes et ... »
Le garçon fait un moulinet de la main droite pour illustrer la suite.
« J'en ai même pas parlé à Maxwell, conclut-il. Quand je l'ai fait, il a aussi eu l'air de penser que c'était la pire idée du monde, surtout que c'est ça qui a officiellement relancé l'enquête. Alors il a demandé à Tori ... à Tori de ... faire ce qu'il a fait. Ce qui a servi à rien, au final, puisque Lauren avait déjà donné la lettre au service approprié. J'ai juste ... détruit ce qu'il y avait entre eux comme j'ai détruit tout le reste.
- Tu faisais ça pour nous faire peur. Pour nous protéger. C'est ... presque gentil, dans un sens.
- J'essayais. Regarde où on en est maintenant.
- C'est sans doute mieux comme ça. Qui sait où on en serait si on avait arrêté ? La police aurait continué à brasser du vent, les magouilles auraient continué ... Et toi ... »
Azura préfère s'arrêter là. Les poings de son ami se serrent sur sa poitrine. Certes, Tori (Tori ...) serait encore parmi eux et Azura n'aurait pas une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête, mais que serait-il advenu de Gaël si les événements avaient suivi leur court ? Est-ce qu'il aurait fini par mourir en tentant d'assassiner Lawrence ? Est-ce qu'il aurait disparu et pris la route avec Maxwell après avoir fini le lycée, comme ils se l'étaient promis ?
Azura se pince les lèvres. Est-ce que cette promesse tient toujours ?
« Tu vas vraiment partir ? » ne peut-il s'empêcher de demander.
D'abord, Gaël ne réagit pas. Azura regrette aussitôt d'avoir ouvert la bouche. Il ne peut pas lui demander de choisir entre son père et lui. Pas maintenant, ni à tout autre instant. Certaines questions ne se posent pas. Il devrait l'avoir appris, depuis le temps.
Pourtant, Gaël finit par hausser une épaule. Lentement, avec précaution, comme s'il craignait de se briser un os. Azura retient son souffle.
« Je veux rester avec toi, dit enfin Gaël. Et ... avec Holly et Cherry aussi, si elles veulent bien de moi. Peut-être ... peut-être même Morgane. C'est juste ... cette ville. Je la supporte plus.
- On a tous de bons et de mauvais souvenirs ici, médite sombrement Azura. Mais rien nous empêche de chercher un autre endroit où vivre quand t'iras mieux et que tout se sera arrangé. Et je vois pas pourquoi Maxwell pourrait pas venir avec nous. Il faudra bien quelqu'un pour financer le déménagement, après tout. »
Les yeux ronds de Gaël rencontrent les siens. La surprise qu'il lit dans ceux-ci lui pince le cœur. Est-ce qu'il s'attendait vraiment à ce qu'Azura refuse ? Pourquoi a-t-il posé la question, selon lui ? Pour savoir s'il allait être débarrassé de lui ? Bon Dieu, Gaël.
« Tu serais d'accord ? demande ce dernier.
- Bien sûr que je serais d'accord. J'ai pas l'intention de passer le restant de mes jours loin de toi. Tu peux même pas deviner ça, avec ton niveau d'intelligence ? Heureusement que c'est moi qui veux devenir profileur. Tu ferais pas un pli. Et ... »
Azura n'allait rien ajouter de très spirituel, mais il s'interrompt tout de même. Gaël a fondu en larmes sans signe annonciateur. Il lui frotte les épaules, décontenancé. Qu'a-t-il dit de si terrible ? Est-ce qu'il devrait s'excuser ? Parler d'autre chose ?
« C'est ... c'est rien, fait Gaël avec un vague geste de la main. C'est juste les restes de tout à l'heure. Et du ... du soulagement, je crois. C'est rien. Ça va mieux. Je suis prêt à te parler du plan. »
Gaël se frotte les yeux avant de s'essuyer le nez d'un coup de manche. En effet, l'étincelle familière brille à nouveau au fond des iris caramel. L'éclair de génie qu'Azura n'est jamais parvenu à égaler. Le Gaël qu'il connaît remonte à la surface.
« C'est une idée que t'as eu tout seul et en panique ? s'enquiert Azura. Je suis pas sûr d'être prêt à l'entendre.
- Ce sera moi le plus en danger si ça foire. Et y a aucune raison pour que ça foire.
- Et c'est censé me rassurer ? Crétin. Je préférerais mourir cent fois plutôt que te savoir en danger.
- Je rêve ou tu m'as traité de crétin ? Crétin.
- C'est sur la deuxième partie de la phrase que t'étais censé te concentrer. Crétin.
- Je préfère l'ignorer. »
Gaël, dont les genoux reposent à présent de chaque côté du bassin d'Azura, croise les bras avec une moue satisfaite. Son expression lui rappelle les sourires arrogants de leur enfance. Azura ne peut empêcher une pointe de nostalgie de se frayer un chemin jusqu'à son cœur.
« Lawrence par lui-même n'est qu'un vieil enfoiré avec un flingue, reprend Gaël. C'est le gang de Jason Myers qui pose problème. S'il les avait pas sous ses ordres, je pourrais me débarrasser de lui sans problème. Son père est trop vieux et trop sénile pour y faire quoi que ce soit, et Maxwell serait probablement content de pouvoir cracher sur son cadavre.
- Il faudrait que la police parvienne à les arrêter, songe Azura.
- Mais je les ai presque jamais croisés et on connaît pas leurs vrais noms. Et on peut quand même pas demander à Cherry d'aller voir la police pour leur fournir ça. Elle finirait en prison elle aussi. Alors tout ce qu'on sait, c'est qu'ils rencontrent leurs clients ... ou victimes dans l'appartement dont t'a parlé Holly. Ils doivent se relayer. Si la police en chope un ou deux, ce sera pas suffisant. Lawrence saura que quelque chose cloche et tout va partir en vrille.
- Alors il faudrait tous les réunir au même endroit. Tu crois que ce serait possible ?
- J'en sais rien, avoue Gaël avec un air contrarié. J'y réfléchis encore.
- Je croyais que t'avais un plan ?
- J'ai dit que j'avais un plan pour te sauver toi. Pas pour nous sauver tous.
- Mais ...
- C'est toi ma priorité pour l'instant, Azu. Lawrence te veut mort avant ce soir. »
Azura se prépare à protester, mais les sourcils froncés de Gaël ont raison de lui. Il lève les mains avant de les laisser retomber à plat sur ses cuisses pour signifier sa défaite.
« D'accord. J'écoute.
- Bien. Comme je viens de le dire, Lawrence te veut mort avant ce soir. Ça veut dire que tu devras figurer dans la rubrique nécrologique du journal de demain matin et que Holly devra faire du bruit cet après-midi. Quelque chose comme Oh non, mon neveu parti sur le Toit du Monde ne donne plus de nouvelles depuis plusieurs heures, comme c'est inquiétant. Ce serait bien si les voisins ... ou quiconque passe encore par ici entendait un coup de feu, aussi.
- Un coup de feu ? »
Gaël hoche la tête. Il plonge la main à l'intérieur de sa veste mais s'immobilise un instant avant de la ressortir, comme si ce qui s'y cachait le dégoûtait. Azura comprend vite pourquoi. Entre les paumes maintenant ouvertes de Gaël luit un revolver argenté. Le même que celui dont le menaçait Lawrence plus tôt dans la journée. Le sang d'Azura refroidit dans ses veines.
« T'es ... t'es sûr de ton coup ?
- Certain, fait Gaël avec un bref hochement de tête. Je l'ai demandé à Maxwell. Je m'en suis jamais beaucoup servi, mais il m'a appris les rudiments. Je devrais pouvoir tirer une ou deux fois dans le mur au cas où ils seraient assez tordus pour venir vérifier - et je sais qu'ils le sont.
- Mais, euh ... pour le reste ?
- Tu veux dire, comment on apprendra que tu es mort ? Qui découvrira ton cadavre si on signale un coup de feu dans le secteur, à ton avis ? »
Azura réfléchit un instant, puis écarquille les yeux.
« La police. Et puisqu'ils sont de notre côté ...
- Exact. Tu pourras tout leur expliquer et je suis sûr qu'ils auront un plan plus élaboré que le mien. J'ai pas pensé à tout ce qui est constatation du décès et tout, mais ça devrait suffire à berner Lawrence quelques temps. Tant que ça ressemble à une scène de crime et que ta mort apparaît dans le journal de demain ...
- Si tous les journalistes de Sunnyside sont comme la Fouine, on mettra pas longtemps à en trouver un prêt à nous rendre service contre des informations. Si la police promet de les lui donner en avant-première ...
- C'est ça. Assure-toi juste de rester caché le temps que le reste se fasse. Personne doit te voir, même pas la petite mamie du coin. On sait pas qui ils ont dans leur poche. Même moi, je sais pas tout. Je suis juste ... un rouage dans la machine. »
Gaël baisse les yeux au sol, les traits plissés d'amertume. Azura sait qu'il donnerait tout pour abattre Lawrence lui-même, mais ses mains sont déjà suffisamment sales. Plus de sang, même celui d'une telle enflure, ne les blanchirait pas.
« Je prépare la scène et je pars, décide Gaël en se relevant (le froid qui prend tout à coup sa place fait frissonner Azura). Si on me voit avec la police, ça peut nous retomber dessus et on doit pas prendre le moindre risque. T'as bien compris ce que tu dois faire ?
- Attendre ici que la police arrive et leur expliquer la situation, résume Azura. Partir d'ici dans une housse mortuaire et me planquer quelque part en attendant que d'autres se tapent tout le travail. Je sens que je vais bien m'amuser en essayant d'expliquer ça à Holly et aux autres.
- Cherry sera admirative de mon génie, dit Gaël en soupesant le revolver. De mon côté, j'appellerai pour signaler un coup de feu dans les alentours. Je resterai pas assez longtemps au téléphone pour qu'ils m'identifient, mais j'essaierai de faire en sorte qu'ils envoient le commissaire. Je gonflerai peut-être un peu le truc en disant avoir aperçu un membre du gang de Jason Myers. Laisse-moi juste ... »
Gaël sort une petite fiole emplie de liquide rouge pour la poser sur la chaise longue. Azura le regarde faire avec incompréhension et curiosité.
« Qu'est-ce que c'est ?
- Du sang de tortue.
- Est-ce que j'ai envie de savoir pourquoi tu te promènes avec du sang de tortue sur toi ?
- Nos cuisiniers ont parfois des lubies bizarres, répond Gaël en haussant les épaules comme s'il s'agissait de la chose la plus banale du monde. Si je t'abats de dos alors que tu es assis là ... le sang devrait gicler comme ça. Je peux pas me contenter te tirer dans le mur sans laisser aucune trace, tu comprends ?
- Euh, ouais. Comment tu fais pour penser à tout ça ?
- J'ai regardé Dexter pendant que t'étais parti. Tu devrais mater un peu plus de séries policières, monsieur le futur profileur. Elles ont plus à apprendre qu'on a tendance à le croire.
- Je prends note. Mais la fiole est pas un peu trop basse ? Si tu veux faire comme si tu me tirais dans le dos ...
- Je sais, mais on fait avec ce qu'on a. J'ai jamais tiré avec une arme, je peux pas te demander de la tenir pour moi.
- OK, OK. C'est toi l'expert. »
Le coin de la bouche de Gaël s'étire en un sourire arrogant et familier. Malgré l'improbabilité de leur situation, Azura trouve cela réconfortant.
Gaël s'éloigne de la fiole et la vise du mieux qu'il peut, les deux mains fermement cramponnées à la crosse du revolver. Il ferme un œil et tire le bout de sa langue pour mieux se concentrer, les muscles des bras et du dos tendus. La vue arrache un frisson à Azura. Pourvu qu'il n'ait plus jamais à faire ça.
« Je t'aime. »
La déclaration soudaine de son ami fait bondir son cœur comme un point d'exclamation. Gaël a lâché la fiole du regard et lui adresse un sourire reconnaissant, les yeux débordants de tendresse.
« Je sais, dit-il avant qu'Azura puisse répliquer. Toi aussi. Te foire pas, d'accord ? Le plan dépend autant de toi que de moi.
- Je me foirerai pas. On va mettre fin à tout ça ensemble. »
Il hoche la tête, résolu. Gaël fait de même avant de revenir à la fiole. Il se stabilise avec difficulté et soupire.
« Prêt à mourir ? »
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