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Chapitre 13

I don't mind if there's not much to say
Sometimes the silence guides our minds


Le lendemain, Morgane débarque armée d'un sac plastique empli de petits moules en forme d'étoiles. Ils s'entrechoquent avec un bruit métallique en atterrissant sur le comptoir. Intrigué, Azura en fait tourner un entre ses doigts avant d'interroger son amie du regard.


« On va faire des biscuits chocolat-orange, explique celle-ci. En forme d'étoiles parce que c'est Noël. T'inquiète pas, ajoute-t-elle à l'intention de Gaël, c'est assez facile et je serai là pour t'aider. Mais ! En contrepartie, j'aurai besoin de votre avis sur un truc.

- T'as pas besoin de nous rendre service pour qu'on donne notre avis sur un truc, tu sais. »


Elle balaie les propos d'Azura d'un haussement d'épaules. Du sac, elle sort une énorme orange.


« Y a un truc qu'on doit faire reposer au frigo, alors au travail ! On fera le reste cet aprem quand tous les clients seront partis.

- Et les ingrédients ? soulève Gaël. On va tout de même pas utiliser ceux du bar.

- Holly est d'accord. Je lui ai demandé quand elle m'a déposé chez moi hier soir, et elle a accepté dès que j'ai dit que c'était pour toi. »


Par timidité, Gaël rosit. Il y a quelque chose de gênant à être le favori d'une femme comme Holly.

Azura regarde ses amis s'affairer d'un œil attentif tandis qu'il reste assis au comptoir, leur adressant parfois quelques mots d'encouragement. Quand vient l'heure d'ouvrir le bar, les deux garçons assistent Morgane en cuisine bien que la jeune fille se débrouille tout aussi bien sans eux. Le dernier client, un homme d'âge mûr qui leur promet de revenir accompagné, disparaît à 14h20. Gaël et Morgane reprennent leur préparation aussitôt la vaisselle terminée.


« Et voilà, annonce la jeune fille vingt minutes plus tard. Y a plus qu'à mettre tout ça au four, napper de chocolat et laisser sécher. Bravo, Gaël ! »


Mortifié par les restes de pâte et de chocolat liquide qu'il a sur les mains, Gaël ne réagit pas plus à la tape que Morgane lui met dans le dos qu'aux applaudissements d'Azura. De là où il se tient, le jeune homme a même l'impression que ses doigts ont commencé à trembler.


« Attends ! lance-t-il en le voyant ouvrir le jet d'eau. Laisse-moi goûter d'abord. »


Il rejoint ses deux amis et attrape la main de Gaël entre les siennes. Sans plus réfléchir, Azura s'empare de son index pour le glisser entre ses lèvres. Le parfum d'orange et de chocolat, mêlé à la chaleur de Gaël, se déploie dans son palais. Il écarquille les yeux.


« C'est bon. C'est vachement bon. »


Le ricanement sournois de Morgane et le silence stupéfait de Gaël le font soudainement prendre conscience de sa position. Il laisse tomber sa main, écarlate.


« Quoi ? se défend-il. On le faisait tout le temps quand on était petits, ça a jamais été bizarre.

- Si vous le dites ... »


Morgane fait mine de retenir ses rires sans vraiment chercher à le faire. Aussi embarrassé que son ami, Gaël se retire en direction de l'évier sans dire un mot. Azura reprend sa place avec une moue penaude.


« Merci, répète Gaël une fois calmé. Tu fais ça souvent ?

- On essaie de changer de sujet ? s'amuse Morgane.

- Peut-être. »


Il enfile ses gants. Azura déplore déjà la disparition de la peau délicate de ses poignets. Dans le four, les biscuits durcissent peu à peu, emplissant le bar d'une odeur appétissante.


« En fait, vu que ma mère a toujours eu beaucoup de travail, je me suis mis en tête super tôt de tout faire pour l'aider, raconte la jeune fille. J'ai commencé à tester des recettes dès que j'ai appris à lire. Évidemment, au début, c'était ... douteux, au mieux. Je mixais les ingrédients selon leurs couleurs pour que l'assiette soit jolie. Enfin bref, j'ai évolué et commencé à faire des trucs plus élaborés. Après la naissance de Nana, je faisais déjà presque toute la cuisine toute seule sans que ce soit jamais devenu une corvée. J'aimerais bien ouvrir un restaurant un jour. »


Azura hoche sagement la tête. À côté de lui, Gaël écoute le récit avec intérêt.


« C'est rafraîchissant de voir quelqu'un être aussi sûr de soi, songe-t-il.

- C'est l'approche inéluctable de la mort qui fait cet effet. »


Gaël sourit là où Azura n'ose pas réagir. Morgane a un sens de l'humour particulier.


« Je plaisante, précise-t-elle. Désolée si c'était bizarre. C'est juste que ... »


Elle croise les bras, le front plissé. Les deux garçons la dévisagent avec curiosité.


« Avant vous ... avant tout ça, quand maman était encore vivante ... j'étais la fille populaire. Et je dis pas ça pour me vanter ou quoi que ce soit. C'était horrible. Je peux vous raconter ?

- Bien sûr. »


Elle hoche la tête, reconnaissante, et s'assoit sur un tabouret du comptoir. Ses amis restent debout de l'autre côté. Azura pose les mains sur le bar pour s'y appuyer tandis que Gaël se repose contre le frigo.


« En fait, commence Morgane, quand j'étais petite, j'avais pas du tout d'amis. Je passais mon temps toute seule ou avec maman. Elle m'a toujours encouragée peu importe dans quoi je me lançais, et Dieu sait que je me suis lancée dans un tas de trucs sans queue ni tête, mais quand je la voyais monter en grade et jeter les criminels en prison ... j'avais l'impression que je pouvais tout faire aussi. C'était ... Non, c'est toujours mon héroïne. Mais quand on est ado ... »


Elle lève les yeux vers Azura et Gaël comme pour leur demander de comprendre. Ils hochent la tête à l'unisson. Ils sont tous passés par là.


« Je sais même pas pourquoi ça collait pas avec les gens, poursuit la jeune fille. J'avais juste l'impression d'être sur une toute autre longueur d'onde. Je me suis jamais vraiment sentie comme eux, je m'intéressais presque jamais à leurs conversations ... J'en ai même jamais eu de sérieuse comme on est en train d'en avoir là. Mais j'en avais marre d'être celle qu'on pointe du doigt, alors avant d'entrer au collège ... je me suis fabriqué une personnalité artificielle, soupire-t-elle. J'ai cherché à comprendre ce qui rendait les gens si différents de moi et j'ai essayé de les imiter. C'était une vraie obsession. Et le pire, c'est que j'ai réussi. Je faisais semblant d'être la fille toujours positive, toujours à l'écoute, toujours de bonne humeur, comme ces nanas de la télé ... La fille qui se plaint jamais même quand elle se fait marcher dessus. Et je suis devenue une blonde populaire.

- Et après, il y a eu les cauchemars » comprend Gaël.


Morgane hoche la tête. Son visage se tend lorsqu'elle reprend la parole.


« J'ai été élevée dans la même mentalité que ma mère. Elle m'a transmis ses valeurs altruistes, vous savez, le genre de truc qu'a tout bon chrétien, alors ça a pas été si dur de faire semblant. J'étais pas difficile, je m'entendais bien avec la plupart des gens. J'ai bêtement cru que ceux qui gravitaient autour de moi étaient mes amis et j'ai voulu leur parler de mes angoisses. Je vous laisse deviner comment ça a fini.

- Mal, devine Azura. La fille à qui on a donné le rôle de bouée sentimentale qui a des problèmes à son tour ... Personne a dû l'empêcher de prendre l'eau.

- Exactement. Enfin, s'ils m'avaient juste laissée tomber, ça aurait été vivable, mais ils se sont mis à raconter partout que j'étais folle. Ils me comparaient à Jeanne d'Arc, vous savez, la Française qui entendait la voix de Dieu. Bien sûr, ajoute-t-elle avec une grimace, tout le monde est heureux d'avoir un proche qui tend la main à son voisin peu importe à quel point son cas est désespéré, mais quand il s'agit des croyances qui lui ont enseigné ces principes c'est une autre histoire. J'ai aussi cru que j'avais perdu un boulon, pendant un temps. Mais ... »


Elle s'interrompt, chagrinée. Azura comprend. La mort de sa mère lui a prouvé une bonne fois pour toutes qu'elle était saine d'esprit, mais à quel prix ? Quel genre de monde est aussi cruel ?


« Vous êtes les seules personnes dont je me sois jamais sentie proche en dehors de ma mère, leur avoue-t-elle en tripotant la pointe de ses cheveux. Le reste, c'est comme si ... comme si le monde était un orchestre symphonique et que j'étais ... comment dire ...

- Un instrument désaccordé, complète Gaël. Oui, je vois ce que tu veux dire. Personne voudrait de ça. »


Azura baisse les yeux, songeur. Un instrument désaccordé ... Il se demande si la comparaison se tient également pour Gaël et lui. Ils ont toujours été à la fois seuls et ensemble, comme s'ils tournaient le dos au monde tout en se tenant la main. L'image le fait sourire.


« Bref, conclut Morgane, voilà comment j'en suis arrivée à être assise toute seule au fond de la classe à écouter les autres ricaner sur mon dos. Heureusement que j'ai mes deux têtes brûlées préférées pour me servir de gardes du corps. On parlait de quoi, déjà ? Du fait que je voulais ouvrir un restaurant ? Vous voulez faire quoi, vous, plus tard ?

- Euh ... »


Pris au dépourvu, Azura interroge son ami du regard. Celui-ci réfléchit un moment avant de donner sa réponse.


« Quelque chose de stimulant, comme procureur ou médecin. Plutôt procureur. Et toi ?

- Euh, bafouille à nouveau Azura. Je sais pas trop. J'aime bien ce qu'on fait en ce moment, alors ... peut-être enquêteur. Je sais pas. Un truc en rapport avec les criminels, en tout cas. »


Morgane hoche la tête, les yeux plissés comme si elle cherchait à lire en lui. Elle se retourne peu après pour surveiller le four.


« Les biscuits sont cuits, signale-t-elle. Je vais pouvoir vous faire essayer mes cocktails en attendant qu'ils refroidissent un peu.

- Tes cocktails ? »


La jeune fille a un rire malicieux. De son sac (qui, décidément, ne semble pas avoir de fond), elle tire une bouteille de sirop de cerise. Azura comprend son intention avant même qu'elle la formule.


« Cherry adore la cerise, c'est ça ? dit-elle. Je vais lui faire boire autre chose que de l'alcool. C'est pas trop mon domaine par contre, les mélanges de boissons, donc j'ai besoin de vous pour tester mes idées.

- On risque rien ? s'inquiète Azura.

- Seulement vos vies. »


Morgane ouvre le frigo avec un clin d'œil pendant que Gaël sort les biscuits du four. En humant leurs effluves, Azura se rappelle malgré lui de la sensation laissée par Gaël sur sa langue. Il rougit, honteux.


« Celui-là, il est parfait, déclare-t-il après avoir frisé l'overdose de sucre une demi-douzaine de fois. Change rien.

- Il est peut-être un peu amer, médite Gaël.

- Tu crois ? J'ajoute de la cerise ?

- Je vais mourir si t'ajoutes encore une seule goutte de ce truc » se lamente Azura.


Il se laisse choir sur son tabouret, le visage rejeté en arrière. Il tuerait pour un verre d'eau.


« OK, tranche Morgane avec tout le sérieux du monde, on va dire que c'est la meilleure tentative pour l'instant. Je note les doses et je vous laisse vous remettre. »


Elle griffonne sur son carnet pendant que les deux garçons se ruent sur l'évier. La jeune fille ne semble pas avoir conscience de leur détresse.


« Dites, demande-t-elle en trinquant avec de simples verres d'eau, vous faites quoi pour le nouvel an ? Ma grand-mère est toujours couchée à dix heures, alors je me disais qu'on pourrait peut-être se faire un marathon Gogo et Morgane. Quatre saisons, quarante-deux épisodes de vingt minutes chacun ... ça fait huit cent quarante minutes ... soit quatorze heures, calcule-t-elle. Si on commence tôt et qu'on s'y prend bien, ça peut le faire. Nana voudra certainement regarder avec nous. Vous en pensez quoi ?

- On ferait ça chez toi ? s'enquiert Azura.

- Si ça vous dit. J'ai une grande télé et l'intégrale de la série en Blu-ray.

- Tu sais, dans une autre vie, on doit être des âmes sœurs, soupire Gaël. Je ramènerai de quoi grignoter.

- Et je ramènerai ... de quoi grignoter aussi, dit Azura. Et pour manger pour de vrai ?

- On commandera des pizzas, décide Morgane. On perdra du temps si on fait la cuisine. »


Ils hochent la tête et vident leurs verres d'un trait. Les biscuits nappés de chocolat sèchent au-dessus du four. Seul le tic-tac d'une montre, invisible à leurs yeux, rythme leur silence soulagé.


« Je suis vraiment contente d'être tombée sur vous » dit tout à coup Morgane.


Les deux garçons relèvent les yeux de leur coupe pour les poser sur leur amie. Celle-ci lisse la pointe de ses cheveux détachés avec l'air de chercher ses mots. Au final, elle hausse les épaules. Ils ne sont pas dans une série télévisée. Pas besoin de grands discours pour se comprendre.

Elle attrape leur verre pour les remplir et trinquer une seconde fois, radieuse.


« À notre concerto bancal. Je vous aime, les mecs. »




Sous prétexte qu'il n'est pas attendu avant quinze heures, Gaël passe une seconde nuit au grenier. Azura le soupçonne surtout de ne pas vouloir rentrer chez lui.


« Je peux te demander quelque chose ? » fait Gaël peu après leur réveil.


Encore un peu hagard, Azura met un moment à accepter. Son ami arbore une expression sérieuse qui le fait hésiter.


« Tout ce que tu veux, dit-il tout de même.

- Tu peux me couper les cheveux ? Juste un ou deux centimètres. Je voudrais être à l'aise pour Noël. »


Surpris, Azura cligne des yeux.


« C'est tout ? Mais, euh ... je sais pas faire ça, moi.

- C'est facile. On les laisse comme ils sont, t'auras juste à les tailler un coup. C'est dans tes cordes. »


Gaël part à la recherche de ciseaux et d'une bassine avant qu'Azura puisse protester. Ils s'assoient en tailleur sur la banquette, l'un parfaitement détendu, l'autre regardant sa paire de cisailles comme si elle risquait à tout moment de lui échapper des mains pour assassiner son ami.


« Je suis prêt » signale Gaël.


Azura déglutit. Des yeux, il remonte le dos de Gaël jusqu'à la naissance de ses omoplates - là où se tarit le ruisseau caramel. L'arôme de son propre shampoing vient lui chatouiller les narines. Il pose sa main libre sur la chemise blanche, provoquant chez son voisin un frisson qui ne lui échappe pas.


« Un centimètre, c'est ça ?

- Un centimètre. »


Il se pince les lèvres en s'emparant de la pointe de ses cheveux. Advienne que pourra.


« Désolé pour tout à l'heure, murmure-t-il lorsque ses gestes deviennent plus assurés.

- Hm ?

- Tu sais ... Ton doigt, tout ça. Je ... j'ai pas réfléchi. Je me suis pas dit que ça pouvait être bizarre.

- Oh. »


Gaël considère ses propos en silence. De son côté, Azura s'attaque à une mèche si douce qu'elle lui file presque entre les doigts. Plus il les regarde et plus il a envie d'y plonger tête la première.


« Pourquoi tu portes toujours des gants ? s'enquiert-il. J'aime bien tes mains, moi.

- Parce que je déteste avoir des trucs dessus, surtout des trucs pâteux. Mais je prends note.

- En attendant, t'as un goût de cuir, le taquine Azura. J'ai presque fini derrière. »


Gaël se retourne quand il le lui demande et se retrouve nez-à-nez avec lui. Azura en a le souffle coupé. Il approche une main tremblante de son visage, prêt à affronter l'énorme mèche qui lui tombe entre les deux yeux, mais s'arrête en route. Parées des reflets du soleil matinal, les iris de Gaël ne lui ont jamais paru aussi splendides. Ni aussi rouges.


« Me regarde pas comme ça, bafouille-t-il. Ça me déconcentre.

- Tu veux que je regarde où ?

- Je sais pas. Ailleurs.

- Hm ... Je pensais que c'était moi le plus gêné, dans la relation.

- T'es surtout le plus gênant. »


Gaël rit avant de lui accorder quelques instants de répit. Azura s'attaque au plus difficile. Les cheveux dégradés qui se déversent jusqu'à sa mâchoire lui paraissent interminables.


« T'es devenu vachement beau, tu sais, dit Gaël à l'instant où retentit son dernier coup de ciseaux.

- J'ai toujours été vachement beau, rétorque Azura en espérant masquer son embarras. T'étais juste trop jeune pour le remarquer. Et ... voilà, je crois que j'ai fini. T'en penses quoi ?

- Pas grand chose. T'as pas de miroir.

- T'es exactement le même avec un centimètre de cheveux en moins. Sers-toi de ton imagination. Ou mieux, de ton téléphone.

- Hm ... Ça me paraît bien. »


Son sourire part se loger dans l'estomac d'Azura sans passer par la case départ. Le jeune homme ébouriffe ses cheveux déjà négligés.


« Je compte sur toi si jamais j'ai besoin d'une coupe. De toute façon j'ai pas d'argent pour le coiffeur.

- Ça marche. Merci, Azu. »


Gaël se penche en avant pour l'embrasser sur la joue. Azura a l'impression d'avoir été propulsé droit sur le soleil. Il se tend comme un élastique, les joues écarlates, le cœur prêt à exploser. Amusé par sa réaction, Gaël prolonge le baiser. L'autre garçon sent son sourire sur sa peau.


« Faudra qu'on reprenne là où on en était avant d'être interrompus, un de ces jours » murmure Gaël.


Azura aimerait l'inverse, mais rien de particulièrement spirituel ne lui traverse l'esprit.




En arrivant devant chez lui, Gaël a encore le sourire aux lèvres. Même la vue de la maison bleue ne suffit pas à l'effacer. Il tourne ses clefs dans la serrure, pensant à peine à ce qui l'attend à l'intérieur. Il avait fini par se croire incapable d'éprouver un tel bien-être. Demain à la même heure, il sera chez Holly en compagnie d'Azura en train de déguster la délicieuse tartiflette que la femme aura préparée pour eux. Quant à ce soir ...

Il ferme la porte derrière lui, comptant silencieusement les secondes. Il aimerait déjà y être.


« Gaël ? Gaël, c'est toi ? »


Malgré toute sa bonne volonté, la voix de sa mère lui arrache une grimace. Gaël pose sa boîte de biscuits sur le meuble d'entrée sans retirer ses chaussures. Ça ira. Il n'est ici qu'une heure tout au plus.

Il entre dans le salon et est surpris de voir la machine à coudre fonctionner. Debout près de celle-ci, Joy a le teint plus pâle qu'une morte. Elle s'avance vers lui et l'attrape par les bras. Ses mains squelettiques les frictionnent hargneusement comme pour s'assurer qu'il ne s'agit pas d'un mirage.


« Gaël ...

- Salut, maman.

- Non mais t'étais passé où ? Je me faisais un sang d'encre ! J'en ai assez, que tu disparaisses comme ça ! »


Gaël hausse les épaules, se délivrant de son emprise par la même occasion. Son regard désintéressé pivote vers le frigo en même temps qu'il s'y dirige. Il a besoin d'eau.


« Réponds-moi, insiste Joy, lancée à sa poursuite. Tu étais avec eux, c'est ça ? Avec lui ?

- Tu préfères que je te dise que j'ai dormi dehors ?

- Change de ton. Je t'ai déjà prévenu, Gaël. Je veux que tu arrêtes ça.

- Ça m'est égal. »


Il boit son verre d'eau, les yeux obstinément braqués à côté de sa mère.


« Qu'est-ce que tu crois que ça va t'apporter ? poursuit celle-ci sans se départir de sa colère. Hein ? Après quoi tu cours ? Explique-moi. Parce que j'ai beau essayer, je ne te comprends pas. »


Un rire sans joie secoue les épaules de Gaël. C'est ça. Bientôt, ce sera lui le détraqué irrationnel de la famille.


« Tu crois que j'ignore ce que tu fais ? ajoute Joy avec un geste du bras vers la table du salon. À quoi tu joues ? Ces ...

- Parle pas de ça, tranche Gaël d'un ton sec. Tu sais rien du tout.

- Alors explique-moi. Je suis prête à t'écouter. »


L'espace d'un instant, Gaël est prêt à la croire. Puis il se rappelle la table, l'alcool, et cette cicatrice qu'il a toujours sur le crâne. La haine dans son regard lorsqu'elle l'a poussé. Il aimerait lui faire confiance, mais comment le pourrait-il ?


« Pas aujourd'hui, dit-il simplement. J'ai pas envie de me disputer avec toi.

- C'est triste, si on ne peut plus se parler sans se disputer.

- La faute à qui ? »


Gaël fusille sa mère du regard. Il refuse d'être tenu responsable de ça.


« Je fais de mon mieux, Gaël, soupire sa mère. Je sais que ça t'arrange bien de l'oublier, mais Ray n'était pas seulement ton père. C'était mon mari. J'ai ...

- Te sers pas de lui comme excuse ! »


La poigne de Gaël se resserre tant autour de son verre qu'il manque de se fissurer. Il n'avait pas l'intention de perdre son calme, pas maintenant, pas aujourd'hui, mais il en a assez. Quand est-ce que cette femme cessera de se comporter en victime ? Il veut retrouver sa mère. Il veut retrouver la mère qu'elle était avant que tout s'effondre autour d'eux. Mais cette Joy est aussi morte que l'homme qu'ils ont enterré quatre ans plus tôt.


« Hypocrite, enchaîne-t-il, ses mots résonnant entre ses oreilles sans qu'il ait la force de les en empêcher. Tu veux que j'arrête d'aller les voir ? On n'aurait même pas pu garder la maison sans eux ! Qu'est-ce que tu voulais que je fasse ? Que j'attende qu'on finisse à la rue ? C'est ça, l'avenir que tu voyais pour nous ? Papa aurait honte de t... »


Son verre lui échappe. Gaël l'entend se briser avant de réaliser l'avoir lâché. Il cligne des yeux, stupéfait, une main sur la partie chaude de sa joue. Joy a encore le bras levé. Les sourcils froncés, l'œil sévère, elle semble loin de regretter la gifle qu'elle vient de lui mettre.

Tout en gardant le regard suffisamment bas pour ne pas croiser le sien, Gaël redresse la tête. La respiration lourde de Joy est seule à ponctuer le silence. Finalement, elle tente un pas en avant. Gaël recule d'autant.


« Dégage ! crache-t-il. Je te hais ! Je te hais, putain ! Je voudrais que tu sois morte à sa place ! »


Il la pousse sur le côté pour lui échapper, pour quitter cet endroit avant de que l'un d'entre eux commette l'irréparable. Il ne ferme pas la porte derrière lui. Joy ne le suivra pas de toute façon.

Gaël chavire jusqu'à la rue adjacente, sa notion du temps inhumée sous un océan de rage. Il s'assoit sur le trottoir humide, abattu, le souffle court. Respirer. Il doit respirer. Sinon ...

Il ouvre la bouche dans l'espoir de se faciliter la tâche. Une pluie drue, glaciale, harponne son visage comme des milliers d'aiguilles. Sa joue lui fait encore mal. Son cœur ne cesse de s'alarmer que lorsque Gaël se retrouve complètement trempé. Il s'essuie le nez, autant mouillé par la pluie que par son chagrin, et sort son téléphone de sa poche. Il ne perd pas son temps en messages inutiles cette fois.


« Gaël ? fait la voix déformée d'un homme. Tout va bien ?

- Tu ... tu peux venir me chercher maintenant. J'attends dehors. »


Il essuie un court silence. Avec lui, Gaël n'a jamais eu besoin de s'expliquer bien longtemps.


« Je suis là dans cinq minutes. Tu me raconteras, d'accord ?

- Oui ... »


Entre deux reniflements, Gaël laisse sa main tomber sur son genou. Il raccroche, sentant déjà dans son crâne les prémices d'une migraine. Ses pensées le ramènent complaisamment à Azura. Au sourire que sa présence fait naître sur le visage du jeune homme - et de la jeune fille. Il s'est senti si bien, ces jours-ci. Sauf. Voulu. Aimé. Tout ce que le monde lui refuse depuis quatre ans.

À l'exception, peut-être, d'une personne.

Le visage à l'abri entre ses genoux, Gaël sent le froid engourdir le reste de son corps lorsque la pluie cesse brutalement. Il lève les yeux, mais pas suffisamment pour croiser le regard ambre de l'homme accroupi devant lui. Il a trop honte.


« Je peux plus vivre ici, gémit-il tout de même. J'en peux plus. »


Une main ferme, aimante, presque paternelle, vient caresser sa nuque. Ses paupières tombent d'elles-mêmes. Joy ne le touche plus ainsi depuis une éternité.


« J'ai oublié quelque chose, se rappelle-t-il avant de monter dans la voiture aux vitres teintées. Une boîte sur le meuble d'entrée. C'est ... c'est important. Je ...

- J'y vais, dit l'homme. Grimpe.

- Mais ...

- Tu vas attraper froid. »


Gaël abandonne et fait comme il le lui est demandé. Il glisse sur la banquette arrière, trempé des cheveux aux orteils, et regarde l'homme au parapluie s'éloigner par le carreau sombre. L'odeur de tabac le dérange à peine.


« Gaël. »


La voix du chauffeur, d'ordinaire si effacé, le surprend. Gaël s'arrache à sa contemplation pour croiser son regard perçant et s'empare timidement de la serviette qu'il lui tend.


« Merci. »


L'homme, un sexagénaire britannique aux cheveux gris impeccablement coiffés et à la petite moustache retroussée, lui tourne le dos sans un mot de plus. Encore trop abattu pour l'utiliser, Gaël tord la serviette entre ses doigts. Que dira Joy, à son retour ? Il aurait dû se contrôler. Avaler ces horreurs avant qu'elles lui sortent de la bouche.


« Je vais encore foutre de l'eau partout » songe-t-il à voix basse.


Sur le siège avant, Phil réajuste son rétroviseur.


« Eh bien, il me semble que personne n'est là pour s'en plaindre aujourd'hui. »


Gaël redresse la tête. Le regard bienveillant du conducteur le laisse pantois. Ils ont toujours été en bons termes, mais jamais au point où Phil tente de lui remonter le moral. Il lui fait donc pitié à ce point ?

Il bafouille une affirmation et s'essuie le visage. Presque machinalement, le garçon enfonce les doigts dans la poche de sa poitrine pour en sortir la petite fleur. Il l'approche de son nez. Le parfum des pâquerettes est inexistant, mais s'occuper les mains tarit un tant soit peu son angoisse.

L'homme au parapluie revient peu après. Il prend place aux côtés de Gaël, qui s'empare de la boîte de biscuits pour la déposer à ses pieds. Pourvu qu'il n'ait pas regardé à l'intérieur. Il n'est déjà pas très fier de ses créations, alors s'il doit en plus se passer de l'effet de surprise ...


« Regarde qui j'ai trouvé. »


Le cœur de Gaël bondit dans sa poitrine. D'un geste vif, il s'empare de la peluche que lui tend l'homme pour la serrer contre lui. Le parfum d'une époque révolue emplit ses narines. Ses malheurs le préoccupaient tant qu'il en avait oublié Gogo.

Les gestes fermes mais jamais brusques, l'homme lui sèche doucement les cheveux. La serviette paraît moelleuse sur sa peau. Sans le vouloir, Gaël se laisse aller en avant et finit blotti contre sa chemise. Il ferme les yeux, apaisé. Il a si chaud tout à coup.


« Allez, dit l'homme. On rentre chez nous. »




Holly habite une petite maison étriquée à un étage proche du centre-ville. En y entrant, Azura sent tout de suite la chaleur du foyer tomber sur ses épaules. Celle-ci le rassure ; le jeune homme n'est jamais particulièrement bien couvert. Il accroche sa veste au porte-manteau d'une entrée tout en longueur et suit Holly dans celle-ci, manquant de percuter Cherry lorsqu'elle sort de la cuisine pour le saluer.


« Eh, mon gars ! J'aime bien ton pull. »


Azura baisse les yeux vers lui-même en se demandant si la jeune femme a définitivement abandonné l'idée de retenir son prénom. Encadré de sapins, d'étoiles et de flocons de neige, un facehugger à la queue dressée surmonte les mots Christmas Hugs tandis que, sur le pull de Cherry, un père Noël en style 8-bit se livre à une occupation peu catholique en compagnie de son cerf. Glauque, mais pas surprenant.


« Merci. Euh, j'aime bien le tien aussi.

- On porte ce genre de truc moche qu'une fois par an, alors autant se faire plaisir non ? T'as vu le gros poulpe de Holly ?

- C'est Cthulhu avec un bonnet et une barbe de Noël, corrige la concernée. Bon, Cherry, je te confie Azura cinq minutes le temps d'aller chercher Gaël. Essayez de pas faire exploser la maison pendant que je suis partie.

- On t'attendra, promis. »


Azura est le premier surpris de voir Holly sourire. En attendant son retour, le jeune homme s'accroupit devant le four. À l'intérieur, des coupelles emplies d'une délicieuse tartiflette n'attendent plus qu'à cuire. Il se pince les lèvres, affamé.


« Tu veux écouter quoi ? » demande Cherry.


Il se redresse pour rejoindre la jeune femme, qui l'attend près d'une chaîne-hifi flanquée de deux petites tours CD. L'appareil paraît vieux, mais entretenu avec soin. Azura ne peut retenir un petit sifflement admiratif.


« Je savais pas que Holly avait tout ça.

- En fait, ils sont surtout à moi, corrige Cherry. C'est tout ce que j'ai gardé de mon ancienne vie. À part les trucs embarrassants, eux ils sont à Holly.

- Genre Lady Gaga ?

- Eh, on dit pas de mal de Lady Gaga dans cette maison. Tu crois que quelqu'un d'autre pourrait faire ce qu'elle fait sans avoir l'air complètement ridicule ? Non. Alors respecte-la. »


Azura détaille les tours avec un sourire satisfait. De son index, il parcourt le dos des boîtes à CD.


« La bande son de Pulp Fiction ? lit-il. Cool ! La vache, ajoute-t-il à l'arrivée des premières notes, j'adore cette intro.

- Un monument, approuve Cherry. Elle te donne pas envie de danser partout en te tapant la honte ?

- Mais grave.

- Ouais, bah, on va devoir se retenir jusqu'à ce que Holly revienne. Pas envie de provoquer une catastrophe. »


Déçu, Azura l'aide à préparer la table en trépignant. Puisque Cherry ne se gêne pas pour se servir en chips et saucisson, le jeune homme ne tarde pas à l'imiter.


« C'est le privilège de garder la maison » commente la jeune femme.


Ils s'essuient les mains et la bouche en vitesse en entendant la porte claquer. Azura gagne le couloir pour accueillir son ami, qu'il s'attend à voir affublé d'un pull aussi ridicule que le sien. Ce qu'il trouve à la place lui coûte sa respiration. Au lieu d'une vulgaire tenue de laine, Gaël apparaît vêtu d'une veste plus blanche que la neige qui tomberait dehors s'ils n'étaient pas à Sunnyside. Sous le col de sa chemise, blanche également, repose un nœud papillon qu'il ne tardera pas à desserrer. Là où Azura n'a enfilé qu'un bête jean, le même depuis deux mois, Gaël a choisi un pantalon noir flambant neuf. Le jeune homme ne s'est jamais senti aussi mal fringué.


« Je sais, soupire son ami devant son regard insistant. On m'avait pas dit qu'il fallait mettre un pull moche.

- Non, c'est ... c'est bien, bafouille Azura. C'est ... c'est joli. »


Il déglutit, le souffle court. Le mot est faible.


« C'est un de mes cadeaux, explique Gaël. Je me disais que j'allais l'inaugurer aujourd'hui, mais rétrospectivement ... c'est peut-être trop.

- Ça donnera un peu de classe à l'endroit, le rassure Holly. Allez, mon poussin, avance. On sera plus à l'aise dans la cuisine.

- J'ai de quoi rattraper la prochaine fois, confie-t-il à Azura sur la route. Un pull rose super moche qui n'attend qu'une occasion d'être porté.

- Sérieux ? Y a quoi dessus ?

- ... Des pancakes. »


Azura sourit en se l'imaginant. Il paierait cher pour voir Gaël dans cette horreur.

Ils déposent leurs cadeaux au pied d'un modeste sapin et s'installent autour de la table ronde. Azura s'en doutait, mais Holly ne garde pas chez elle une seule goutte d'alcool. Loin de lui l'idée de s'en plaindre. Il trouve cela plus rassurant de savoir qu'elle les raccompagnera sobre.

La délicieuse tartiflette est telle que le vendait son titre. Azura termine son assiette avec le rose aux joues, mais la chaleur de son plat n'est pas la seule responsable. Sous la table, la jambe de Gaël n'a cessé de chercher la sienne.

L'après-midi est déjà bien entamée quand il se retrouve les mains plongées dans l'eau sale de la vaisselle. Il s'empare des ustensiles tendus par sa tante et les rince sans rechigner. Plus loin dans la pièce, Gaël et Cherry ont poussé la table pour jouer un remake approximatif de la scène de danse de Pulp Fiction. La bande-son du film se répète une troisième fois déjà (et suffisamment fort pour couvrir tout bruit ambiant).


« Merci d'être venu, dit Holly sans même baisser la voix. Et ... pour l'autre fois aussi. Ça faisait longtemps que j'avais pas vu Cherry s'amuser comme ça.

- C'est quand tu veux » répond Azura, empruntant les mots de la jeune femme.


Il la voit sourire du coin de l'œil. Ses pouces, occupés à astiquer un petit moule à dessert dans lequel se trouvait un délicieux cupcake, ralentissent pensivement.


« Tu sais, moi aussi je traînais souvent à la décharge quand j'avais l'âge de Gaël » murmure-t-elle.


Surpris par cet aveu soudain, Azura interrompt son nettoyage pour poser un regard interdit sur sa tante. Derrière eux, les deux autres se dandinent sans prêter la moindre attention à leur échange.


« Sérieux ? Pour quoi faire ?

- Pour être une ado en pleine rébellion, je suppose, répond Holly en haussant une épaule. Tu dois t'en douter, mais j'ai pas grandi dans la famille la plus fonctionnelle du monde. J'ai même acheté un scooter, quand j'étais un peu plus vieille, avec l'intention de me faire la malle, mais j'ai frôlé la mort à peine sortie de la ville. Comme si elle voulait me rappeler que j'avais aucune chance ailleurs. »


Elle ponctue son récit d'un coup d'œil par-dessus son épaule. Gaël et Cherry, dont les connaissances en chorégraphie semblent limitées, ont décidé d'improviser la majeure partie de leur danse.


« J'entends mes clients parler de fantômes, parfois, poursuit-elle. De voix, de lumières en direction de la décharge. Les jeunes hantent cet endroit sans même le savoir. La plupart d'entre eux dansent déjà sur leur tombe.

- On mourra pas ici.

- Non, bien sûr. Vous avez une chance de finir ailleurs. »


Holly esquisse un sourire nostalgique en revenant à sa vaisselle. Azura se pince une lèvre. La femme lui fait de la peine et il s'est promis de ne pas le faire aujourd'hui, mais l'occasion est trop bonne pour ne pas sauter dessus à pieds joints.


« T'es pas contente d'être là ? demande-t-il.

- Chez moi ? Pourquoi je serais pas contente ?

- Non, je veux dire ... là. À Sunnyside. »


Sa tante plisse le nez dans une grimace écœurée.


« Qui serait content d'être à Sunnyside ? Je te l'ai dit, si j'en avais les moyens, je me serais tirée depuis longtemps. Sans Cherry et vous, je crois que je préférerais encore me planter en scooter n'importe où ailleurs plutôt que rester un jour de plus dans ce trou à rats.

- Ouais, plus ça va et plus j'ai l'impression que tout le monde veut partir. La ville me fait un peu pitié.

- Eh, me dis pas que tu préférerais pas être au bord d'une belle plage du sud. Comme tout le monde, d'ailleurs, ajoute-t-elle avec un soupir résigné. À part les Everett, peut-être.

- T'es coincée à cause d'eux, c'est ça ?

- Ouais. Ils sont pas du genre à te laisser disparaître quand tu leur dois quelque chose. »


Ses propos éveillent une sensation vive dans un recoin de l'esprit d'Azura. Il a l'impression d'être sur le point de saisir une vérité essentielle mais, déjà, la sensation s'estompe. Il fronce les sourcils, préoccupé.


« Enfin, reprend Holly, assez parlé de moi. Comment tu vas, toi ? Le lycée, tout ça ? Les autres sont gentils avec toi ?

- Ils me parlent pas. Ça doit être mon aura criminelle qui leur fait peur.

- Oh ... Bah, je suppose que c'est toujours mieux que s'ils te harcelaient.

- Clair. Ils se font tellement dessus que même Gaël et Morgane sont protégés contre les railleries maintenant.

- Tant mieux, tant mieux. T'as pas oublié tes devoirs de vacances, j'espère ? »


Azura secoue la tête, les yeux dans le vide.


« Je pourrais pas même si je le voulais. Gaël me laisserait pas faire. Mais avec ... avec ce qui est arrivé à monsieur Jefferson, ajoute-t-il d'un air innocent, je fonctionne un peu au ralenti. J'arrête pas d'y repenser. Le pauvre.

- Qui ça ? Qu'est-ce qui lui est arrivé ? »


Du coin de l'œil, Azura étudie la réaction de sa tante. Elle a simplement froncé les sourcils, les mains plongées dans l'eau mousseuse. Soit elle est bonne actrice, soit le nom n'éveille pas chez elle le moindre soupçon de reconnaissance.


« Un ancien prof à nous, explique Azura. Il est mort il y a pas longtemps. C'est la dernière victime de tu-sais-quoi.

- Oh ... Parlons pas de ça aujourd'hui, tu veux ? »


Il place une dernière coupelle dans l'égouttoir et hausse les épaules. Il aura essayé.


« Allez, les jeunes ! crie Holly après s'être essuyé les mains. On arrête de se trémousser et on va ouvrir les cadeaux ! »


Elle n'a pas à le dire deux fois. Cherry glisse en chaussettes jusqu'à la chaîne-hifi, se rattrapant de justesse à la table ronde lorsqu'elle manque de déraper. Une fois la musique arrêtée, elle les rejoint au pied du sapin pour s'y asseoir en tailleur avec eux. Azura sent une joie enfantine lui bomber le torse. Son genou se heurte en douceur à celui de Gaël. Noël ne l'a pas autant excité depuis des années.


« Oh, nom de D... Je veux dire, oh, la vache, fait Holly en découvrant son service à thé. Il est ... il est magnifique. C'est de vous ? »


Elle lève des yeux ronds vers les deux garçons. Du bras, Gaël désigne l'ensemble de leur petit groupe.


« De nous trois, confirme-t-il (Azura ignorait tout de la participation de Cherry). Ça vous plaît ?

- Si ça me plaît ? C'est extra. Merci, mon poussin. »


Elle étreint Gaël, qui lui rend le geste le sourire aux lèvres. Ses joues rosissent de plaisir. Bien sûr, Azura et Cherry n'ont pas droit à la même attention.


« Le cadeau d'Azura, maintenant, annonce Gaël en tirant une grande boîte carrée de sous le sapin. De la part de nous trois.

- J'aurai le droit de te faire un câlin aussi si j'aime bien ?

- Depuis quand t'as besoin de ma permission ? »


Gaël lui adresse un clin d'œil, mais son ami ne se laisse pas déstabiliser. Il déchire le papier cadeau pendant que Cherry serre précieusement contre elle ses chocolats à la cerise et sa nouvelle collection de vinyles. En voyant ce qui se cache à l'intérieur, Azura cesse de respirer. Une figurine de la Reine Alien du film de 1986, haute de soixante centimètres et entièrement articulée.


« Holy shit, dit-il une octave plus haut que prévu. Je ... je la cherche depuis que je suis venu au monde. Elles étaient toutes parties, comment t'as ...

- On l'a rachetée à quelqu'un qui l'avait jamais sortie de sa boîte. On a dû y mettre le prix mais vu que t'es sur le point de pleurnicher, on dirait que ça valait le coup.

- Je suis pas sur le point de pleurnicher. »


Azura avale ses larmes. Il l'est totalement.


« Tiens, dit-il en tendant son présent à Gaël. J'espère que ça aura pas l'air trop pathétique.

- Y a pas de cadeau pathétique. »


Il pose les boîtes de thés de Noël offertes par Holly et Cherry sur ses genoux et s'empare du dernier carton. Le cœur d'Azura bat d'appréhension. Il ne se détend qu'en voyant la joie illuminer le visage de Gaël lorsque celui-ci y plonge le nez.


« Est-ce que c'est ce que je pense ? »


Azura sourit sans répondre. Les mains pourtant habiles de son ami peinent à sortir le contenu de son emballage. Quand enfin il le dépose au centre de leur petit cercle, Cherry ne peut retenir un sifflement d'admiration.


« C'est celle de Devil's Rock ? »


Azura hoche la tête, fier de lui.


« Et regarde ça ! »


Il se penche en avant pour actionner un petit interrupteur situé sous le socle. La grande roue, miniature mais tout de même impressionnante, s'illumine de la même lueur marine que la véritable. Gaël écarquille les yeux comme pour mieux la voir. Du bout du doigt, il pousse la nacelle décorée de fleurs de lotus.


« C'était la nôtre. »


Azura confirme silencieusement. Gaël a dû être le seul à remarquer les différents motifs.

Il le serre dans ses bras sans un mot de plus, comblé. Azura ferme les yeux. L'odeur neuve de ses vêtements se mêle à celle de la tartiflette. Blotti contre son cou, son nez frémit au contact de ses cheveux. Il ne s'est jamais senti autant chez lui depuis son départ.


« Merci, Az... Oh, la vache ! »


Il rompt l'étreinte, surpris, et suit le regard que Gaël a braqué sur la fenêtre. Celui d'Azura devient aussi choqué. Non, il ne rêve pas. De l'autre côté de la vitre, si gros qu'on ne peut les confondre avec de la pluie, tombent des flocons de neige. Son cœur bondit dans sa poitrine. Il n'a jamais neigé à Sunnyside. Pas une seule fois en quatorze ans qu'il a passés ici. Quelles sont les chances pour que cela arrive précisément aujourd'hui ?

Azura se pince avant de grimacer de douleur. La vue lui paraissait beaucoup trop belle pour être vraie, mais il ne rêve pas. Il ignorait que Sunnyside était capable de leur offrir un si beau cadeau.


« J'ai toujours voulu voir l'océan sous la neige, souffle rêveusement Gaël.

- Bah, allez-y, fait Holly. Ce serait dommage de rater ça.

- Mais ...

- On vous suivra de loin avec Cherry. On a dû se lever tôt pour cuisiner, alors on est un peu fatiguées.

- Non, moi je pète la ... Aïe. »


Cherry se masse les côtes là où Holly vient de lui donner un coup de coude. Celle-ci adresse un sourire rassurant aux deux garçons.


« On vous rattrape. »


Gaël attrape la main d'Azura avec impatience. De justesse, ils se rappellent d'enfiler leurs chaussures. Azura tâtonne la poche intérieure de sa veste. Bien. Il est prêt.

Ils courent jusqu'au bord de la plage et y parviennent essoufflés. Azura se penche en avant, les mains sur les genoux le temps de reprendre sa respiration. Gaël n'en a pas besoin. Il expire doucement, debout près du petit muret de pierre.


« T'imagines s'il neigeait assez longtemps pour recouvrir toute la plage ? songe-t-il.

- Je pense pas ... que ça arrive ... de sitôt ...

- Pas ici en tout cas. »


Gaël se retourne. La vue de son ami écarlate lui arrache une exclamation effarée.


« Azu, ça va ? Vite, viens t'asseoir ! »


Il le prend par le bras pour l'approcher du muret qui les sépare de la plage. Azura l'enjambe avant d'y poser les fesses, embarrassé.


« J'avais oublié à quel point tu frôlais la mort au moindre effort, le taquine Gaël. Pardon.

- C'est ... c'est rien ...

- T'es plutôt mal barré pour devenir détective, non ? Y a pas des épreuves physiques à passer pour rejoindre la police ?

- Ouais ... Je devrais peut-être plutôt viser profileur. Au moins, je pourrai ... utiliser ma matière grise ... »


Il s'essuie le front d'un coup de manche et souffle un grand coup. Ça commence à aller mieux.


« Y a un truc que j'ai envie de faire depuis que t'es rentré, dit Gaël une fois son ami remis. Tu saurais deviner quoi ?

- J'ai des idées, mais je pense que t'es encore un peu trop sage pour ça.

- T'es con ! Je veux nous prendre en photo. À deux devant la plage, comme ... comme quand on avait quatorze ans. »


Azura arque les sourcils.


« On est justement à deux ... devant la plage ...

- Le hasard fait bien les choses, non ? sourit Gaël. Oh, regarde. Morgane m'a envoyé une photo. »


Il lève son téléphone à la hauteur des yeux d'Azura. Sur l'écran, un plat aux couleurs d'automne semble tout juste sortir du four.


De: Morgane

     Joyeux Noël ! Mes lasagnes aux cinq légumes ont encore besoin d'être peaufinés ;(


« Elle m'a envoyé la même, dit-il après vérification.

- C'est parce que je lui ai montré la tartiflette. Je parie qu'elle regrette de pas être venue. Bon, t'es prêt ? Fais pas de grimace, OK ?

- Comme si c'était mon genre. »


Gaël lui adresse une ondulation sceptique des sourcils. Ils se rapprochent le plus possible, c'est-à-dire pas beaucoup plus qu'ils le sont déjà, et sourient à la caméra. Azura se sent empli de la même joie qu'il a ressentie quatre ans plus tôt. Par surprise, il embrasse Gaël sur la joue. Celui-ci lui rend le geste une seconde plus tard. Ils continuent ainsi un moment, leurs rires étouffés par le vent et le remous des vagues.


« On arrête là ? C'est genre la quinzième photo que tu prends.

- C'est pour mieux les trier ensuite. Dis ... »


Gaël plisse le front, les yeux baissés vers leur premier cliché.


« Tu trouves que je ressemble à mon père ? »


Surpris par la question, Azura hausse les sourcils. Il détaille les traits raffinés de son ami pour mieux les comparer à ceux de Ray - du moins à ceux dont il se souvient. Son physique a toujours été moins affiné que celui de son fils. Plus ... abrupt, comme s'il avait été taillé dans la roche et Gaël façonné dans le marbre par une main de maître.


« Pas vraiment, répond-il. Mais tu sais, j'ai jamais beaucoup ressemblé à ma mère. Pourquoi, ça te tracasse ?

- Non. Non, je voulais juste ton avis. Mais t'as raison, ça veut rien dire. »


Gaël s'étire les bras en soupirant. Remis de leur course, Azura repasse de l'autre côté du muret pour se lever. Il est resté assez assis pour aujourd'hui.


« À propos de photos, j'ai autre chose pour toi. »


La mine curieuse de son ami ne tarde pas à se planter face à la sienne. Azura fouille la poche intérieure de sa veste pour y trouver le précieux cadre doré, que Gaël détaille d'un air charmé. Il a fait sortir, quelques jours plus tôt, la photo prise devant cette plage avant son départ. La protection qui la recouvre scintille des mêmes teintes que le cadre qui l'entoure (même si, avec le recul, Azura aurait probablement pu se passer de paillettes).


« T'avais l'air de bien l'aimer, alors ... je me suis dit que je pouvais bien t'offrir ça. J'espère que tu la mettras dans ta chambre. Je sais que tu meurs d'envie de me voir tous les jours au réveil.

- T'as pas idée. Merci, Azu. T'étais pas obligé de m'offrir plusieurs cadeaux, tu sais.

- Ben, la roue, c'était pour commémorer ta première sortie de Sunnyside. La photo, c'est plus personnel, tu vois ?

- Je vois. Mais c'était pas vraiment ma première sortie de Sunnyside, en fait.

- Sérieux ? »


Azura écarquille les yeux. Devant lui, Gaël paraît gêné.


« T'es allé où ? Et maintenant que t'as lancé le sujet, j'accepterai rien d'autre qu'une réponse claire et précise.

- Oh, j'étais pas vraiment quelque part. Plutôt dans un avion, puis sur un bateau ... puis encore dans un avion. J'ai été malade une semaine rien qu'à cause des transports.

- Attends, tu veux dire, comme une croisière ? T'as fait une croisière ? »


Gaël hoche la tête. Le souvenir fait naître un vague sourire sur son visage, mais rien de comparable à ce que ressentirait Azura à sa place.


« Je sais que tu vas poser la question, poursuit-il, alors je vais te raconter. C'était pour mes seize ans, on a fait escale aux Bahamas et j'ai passé la moitié du voyage à vomir sur m... sur tout le monde parce que j'ai sifflé du rhum à la paille. J'en ai pas profité un seul instant.

- Pourquoi t'as sifflé du rhum à la paille ? T'avais pas seize ans ?

- Pour avoir l'air adulte. Et j'ai menti.

- Et cette croisière, c'est ... quelqu'un qui te l'a offerte ? »


Gaël hésite. Ses yeux scrutent le sol à leurs pieds, mais pas aussi nerveusement que les précédentes fois où ils ont abordé le sujet. Il devait se douter qu'Azura chercherait à en savoir plus.


« Oui, avoue-t-il. C'est quelqu'un qui me l'a offerte.

- La même personne qui vient te chercher en limousine ?

- Parfois.

- Et la même personne qui t'a offert ça, suppose Azura en balayant son costume du regard.

- Eh, fais pas comme si ça te plaisait pas ! T'as passé ton temps à me regarder.

- Et t'as passé le tien à me faire du pied.

- J'étais discret, au moins. »


Gaël croise les bras avec un sourire joueur, qu'Azura lui rend. Il n'a pas envie de lui en demander plus. Il a envie de profiter de l'instant.


« Moi aussi, j'ai autre chose pour toi, annonce son ami.

- Oh ? »


Gaël glisse une main dans la poche étroite de son pantalon. En voyant ce qu'il en sort, les yeux d'Azura se mouillent. Un feutre. Un feutre brun caramel, identique à celui qui a rendu l'âme le jour de leur rencontre.


« Tu t'en souviens ? demande-t-il d'une toute petite voix.

- Toujours. Mais ... ça va ? Tu vas pas pleurer, quand même ? Je voulais juste te faire la blague, tu sais, parce que tu tombais toujours en panne de feutre brun à l'époque. Si j'avais su que ça te ferait cet effet ... »


Gêné, Azura s'essuie d'un coup de manche. Il a beau vouloir les retenir, les larmes franchissent sans peine le barrage de ses paupières.


« C'est la nostalgie, dit-il. C'est juste ... Ça me manque, tout ça. »


Gaël pose sa main sur la sienne pour lui faire serrer le poing autour du feutre.


« Moi aussi, murmure-t-il. Mais on peut pas passer le futur à regretter le passé, tu sais. On doit faire avec ce qu'on a. »


Azura hoche la tête. Son ami a raison et il le sait. Il le sait très bien. Il ne peut juste pas s'en empêcher. Leur enfance lui paraît si heureuse, comparée à ce que la vie leur offre à présent. Mais si Gaël, malgré les malheurs qui lui sont tombés dessus, a su rester fort, pourquoi pas lui ? Sa résolution, celle de devenir une personne dont son ami serait fier, tient toujours. Il avale ses larmes.


« En parlant du passé, dit-il pour se changer les idées, tu te souviens de ce que tu m'as promis ? Tu devais me raconter pourquoi t'as relevé mon défi aussi facilement. Et je sais que tu sais de quel défi je parle.

- Oh ... tu t'en rappelles. »


Gêné, Gaël s'ébouriffe les cheveux. Le vent n'est plus seul à rosir ses joues. Il fait les cent pas le long du muret, cherchant ses mots, cherchant son calme. Azura le regarde avec amusement. Ses larmes sèchent sur ses joues. Il l'obligera à tenir cette promesse, même s'il doit le soudoyer pour ça.


« Hm ... Bon, commence Gaël, je suppose que t'as compris depuis le temps. Je voulais que ce soit avec toi. Tu sais, mon ... mon premier baiser. Je t'aimais bien. Je te trouvais beau et drôle, et gentil, et tu m'inspirais, et j'ai ... j'ai toujours pensé que tu m'aimais bien aussi, alors ... Oh, putain, soupire-t-il en se cachant le visage dans les mains. C'est trop gênant. On peut pas laisser tomber ?

- Beau, drôle et gentil ? répète Azura. Dans cet ordre ?

- Tu te fous de moi, en plus ? Le respect est mort.

- C'est pour la science !

- Mets drôle en dernier, dans ce cas. »


Il retire ses gants de son visage rouge écrevisse. Le sourire aux lèvres, Azura chasse d'un coup de moufle la neige logée dans ses cheveux et en profite pour lui caresser la joue.


« Je suis content d'être rentré, souffle-t-il. Ça doit être la meilleure chose qui me soit arrivée de toute ma vie.

- Moi aussi. Enfin, plutôt la deuxième.

- La deuxième ? Tu me vexes, là. Qu'est-ce qui te fait plus plaisir que la fois où je t'ai percuté dans le hall du lycée ?

- T'avoir rencontré la première fois. »


Azura, qui prenait le sujet à la rigolade, sent son sourire s'estomper. Il demeure figé droit comme un piquet, les yeux rivés à ceux de son ami, oubliant même de respirer. Face à lui, Gaël tente de balayer sa remarque d'un rire embarrassé. Celui-ci ne parvient même pas aux oreilles d'Azura. Il contemple la neige tomber sur ses lèvres, contenant à grand peine l'envie d'y poser les siennes. Lorsqu'il lui touche le menton pour essuyer les flocons de son pouce, les rires de Gaël cessent aussi brusquement que le sourire de son ami. Il redresse la tête et ancre ses prunelles à celles de son voisin. Azura ne les a jamais connues aussi dilatées.

Un baiser timide, écourté par l'incertitude, vient se déposer par-dessus son pouce. Azura ne prend pas le temps de fermer les yeux avant de s'écarter de nouveau. Une fleur éclot dans son ventre. Face à lui, Gaël le dévisage sans avoir l'air de comprendre ce qui vient d'arriver. Son regard interroge le sien, volant d'un point à l'autre comme si la réponse se cachait parmi ses traits.

Déjà prêt à bafouiller des excuses, Azura recule d'un pas. Gaël s'avance d'autant. Il jette ses bras autour de son cou, fermant les yeux avant même de rencontrer ses lèvres. Surpris, Azura bat des cils. La neige fond sur ceux de son ami. Son visage, si proche, si chaud, pivote doucement avec leur baiser. Azura ferme les yeux pour mieux en profiter. Ses bras, qui pendent à ses côtés depuis tout ce temps, font le tour du corps de Gaël pour mieux le presser contre le sien. Encombrés par leur nez, gênés par leurs dents, les deux garçons sourient de leur maladresse. Leurs lèvres sèches, froides, s'échangent de tendres et lentes caresses. La main gantée de Gaël descend la piste de sa nuque pour venir glisser sur celle de son dos. Azura soupire. La fleur, dans son ventre, déploie ses pétales dans tout son être.

Leur souffle a des relents de tartiflette, mais ils n'ont jamais été aussi heureux.

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