Chapitre 12
- Lundi 28 juin -
— J'ai réparé l'abreuvoir d'Hélios, tu n'auras pas à t'occuper de ça.
Jules grogna un remerciement à l'attention de son père. Il lui était reconnaissant de l'aider, mais d'un autre côté, une tâche en moins à réaliser signifiait qu'il pourrait rentrer plus tôt. Et il n'en avait pas spécialement l'envie aujourd'hui.
François, un balais en main, se tenait à l'entrée de l'étable que Jules s'appliquait à nettoyer. Le beau temps était toujours au rendez-vous, permettant à leur cheptel de profiter de la verdure des prés et à Jules de nettoyer les installations - même si elles ne resteraient pas propres bien longtemps.
— T'avais pas une réunion de mairie ou un truc du style ?
— Pas aujourd'hui.
Pour appuyer son fils, il commença à frotter le sol pour retirer le plus gros des saletés. Évidemment, les lieux ne pourraient jamais être nets. Dès le lendemain, les vaches fouleront de nouveau les allées pour la traite et leurs efforts seront repoussés. Seulement, ce n'était pas une raison pour ne jamais astiquer.
Plusieurs minutes durant, seul le bruit de leurs outils se fit entendre. Régulièrement, François tournait le regard dans la direction de son fils. Un sentiment de fierté s'empara de lui à la vue de son aîné, concentré et appliqué. Il ne pouvait qu'être fier de sa progéniture. Jules menait l'exploitation d'une main de maître.
L'école d'agriculture n'avait été qu'une formalité pour lui. Il avait obtenu son bac sciences et technologies de l'agronomie et du vivant avec facilité. Le diplôme en poche, il s'était mis à la tâche pour redresser la barre de l'exploitation familiale, lui redonner ses lettres de noblesse, sans pour autant se reposer sur ses acquis. En parallèle, il avait passé son BTS comptabilité en alternance. Ce dernier avait été plus laborieux. La fatigue s'était fait sentir. L'épuisement du poids des responsabilités sur ses frêles épaules de jeune adulte avait manqué de peu de le faire lâcher prise. Il s'était accroché, battu et avait tenu.
Alors François ne pouvait qu'être envahi par un sentiment de satisfaction d'avoir une telle progéniture. Néanmoins, une pointe de regrets venait assombrir ce tableau. Il avait été absent. Trop longtemps. Trop souvent. Et Jules avait été obligé de prendre des responsabilités, de grandir plus vite que son âge ne l'exigeait.
Parfois, les mots durs qu'il avait prononcés à son encontre résonnaient à ses tympans. Leur relation avait été mise à mal et François avait pensé que jamais, il ne serait en mesure de réparer ses erreurs. C'était sans compter sur l'empathie de son fils. Le temps avait été nécessaire, mais il avait fait son œuvre. Parfois, il sentait encore des relents de rancœur et d'amertume, mais l'orage était moins sombre, moins violent qu'en cette dure période où il avait pensé que son ciel ne s'éclaircirait plus jamais.
François lâcha le balais. Le bruit résonna lorsque l'objet rencontra le sol, mais il n'en eut cure. Jules releva la tête au son produit, juste à temps pour voir son père se diriger vers lui pour le serrer dans une étreinte ferme. Le patriarche en profita pour respirer l'odeur de son fils. Sa fragrance de bébé l'avait quitté depuis longtemps, pour faire place à un parfum plus prononcé, masculin et viril. Pourtant, lorsqu'il s'offrait un moment comme celui-ci - ce qui était rare -, il avait la sensation que des effluves de sa tendre enfance envahissaient ses narines.
— Je suis tellement fier de toi, murmura-t-il, ses bras toujours fermement entourés autour du buste de son fils.
Surpris par cet élan d'amour, Jules resta quelques secondes stoïque, avant de finalement encercler le corps de son père à son tour. Si les gestes d'affection envers Mélanie et Arthur étaient innés, vis-à-vis de son géniteur, c'était une autre histoire. Ils étaient plus réservés, discrets et rares. Non pas qu'il n'aimait pas son père, mais leur relation avait été plus tendue, comme un fil si fortement étiré qu'il allait céder. Et cette distance entre eux avait forcément eux des conséquences.
Ils restèrent ainsi un court instant, avant de finalement se séparer, sans un mot. François récupéra le bien qu'il avait abandonné pour reprendre ses activités, tout comme le fit son fils.
— Tu veux en parler ? demanda François, qui venait de terminer sa tâche.
— De quoi ?
— Jules, soupira François. J'ai beau ne pas avoir été le meilleur père du monde, je vois très bien que quelque chose te tracasse.
Il pouvait difficilement ne pas s'en apercevoir. Jules avait ce tic nerveux qui ne le quittait pas depuis des années. Inconsciemment, ses doigts venaient frotter son sourcil droit, avant de chatouiller le bout de son nez. Outre ce geste révélateur, il avait esquivé le petit-déjeuner en famille, tout comme le repas du midi. A une autre période de l'année, un autre jour, François aurait pu le concevoir, mais pas aujourd'hui. La journée était plus que basique et classique, sans surcharge prévue. Le comportement de son aîné n'avait donc rien à voir avec son travail.
— Tu n'es pas un père catastrophique, papa, le rassura Jules.
Preuve en était que François avait raison. Malgré les paroles rassurantes de Mélanie la veille, Jules ressassait les mots de Louis. Son esprit ne pouvait s'empêcher de tergiverser. Louis avait frappé là où ça fait mal, touché son point faible : sa famille.
Il s'apprêtait à répondre que non, il ne tenait pas à discuter de ce sujet, mais il n'en eut pas l'occasion.
☆
— C'est pas possible ! jura-t-il en levant les yeux au ciel.
Enervé, il donna un coup de pied dans les gravillons sous ses semelles. Un nuage de poussière s'envola suite à ce geste, lui arrachant un éternuement et le faisant plisser des yeux.
Arthur et Raphaël s'étaient éclipsés après le petit-déjeuner pour une nouvelle randonnée équestre. Si, une nouvelle fois ils avaient hésité prétextant que Louis ne pouvait pas passer sa journée seul, ce dernier les avait menacé d'un coup de pied aux fesses s'ils se privaient pour lui. Contrits, ils avaient enfourché leur monture et pris la route.
Mélanie profitait de son dernier lundi de tranquillité avant les vacances scolaires. Au programme : manucure, pédicure, coiffeur et tout ce qu'une femme coquette appréciait. Louis avait vu l'occasion rêvée de se retrouver en tête à tête avec Jules pour mettre les choses à plat et s'excuser.
Seulement, l'aîné des Guerin semblait bien décidé à l'éviter. Après avoir esquivé le petit-déjeuner - qu'il avait pourtant préparé comme tous les matins -, Louis l'avait cherché sans parvenir à lui mettre la main dessus. Il faut dire que Jules avait un avantage. Il avait toujours vécu au milieu de ses installations, quand Louis avait rechigné à venir se terrer à la campagne pour quelques jours de vacances. Il avait donc compté sur l'heure du midi.
Encore une fois, raté ! A peine Louis avait-il mit un pied dans la cuisine, que Jules sortait de la pièce, un sandwich fait à la vite entre les doigts. Louis s'était retrouvé avec la seule compagnie de François pour le déjeuner. Si le père de famille était agréable et n'avait rien vu, ni entendu de la dispute qui les avait opposés, Louis n'en était pas moins gêné de lui faire face et d'être seul avec lui. Assis sur sa chaise, il aurait souhaité être une petite souris pour aller se terrer dans un trou.
Pourtant, le repas avait été agréable. Louis avait habilement esquivé le sujet de sa famille, pour se concentrer sur ses projets d'avenir. François l'avait écouté avec attention et intérêt, au plus grand étonnement de Louis, peu habitué à une telle prévenance.
Il avait espéré que Jules viendrait prendre un café, ou une quelconque autre boisson, mais rien. C'est ainsi que Louis se retrouvait à chercher une aiguille dans une botte de foin. A ce rythme-là, Arthur et Raphaël seraient rentrés avant qu'il ne mette la main sur Jules.
Il souffla, frotta la poussière sur son short, puis partit en direction de l'étable. Il s'était déjà rendu dans celle-ci à deux reprises le matin même, mais pas une seule fois cet après-midi. Et s'il devait camper avec les vaches pour avoir la possibilité de croiser Jules, très bien ! Il pouvait renoncer à son confort le temps d'une soirée - enfin, en théorie. Louis avait bien des défauts, mais la fatalité n'en faisait pas partie.
Décidé, il franchit donc les portes ouvertes, mais se figea immédiatement. Il avait, certes, trouvé sa proie, mais personne n'avait besoin de lui indiquer qu'il n'arrivait pas au bon moment pour qu'il le sache.
Jules était enfermé dans une étreinte ferme de la part de son père. Des perles d'eau salée se précipitèrent au bord des paupières de Louis à cette vision. Il retint difficilement un reniflement, puis quitta les lieux. Malgré sa volonté et son obstination, il ne voulait pas rompre ce moment père/fils.
☆
— On est rentré ! s'exclama Arthur.
— Merci de le préciser, j'avais pas remarqué, rétorqua Jules, sarcastique.
En réponse, Arthur lui tira la langue alors que les lèvres de Raphaël s'étiraient dans un large sourire, amusé.
— Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu nettoyais, je t'aurais aidé, râla Arthur en voyant la propreté, inhabituelle, des locaux.
— Tu es là pour déstresser en attendant tes résultats, pas pour astiquer.
— Et alors ? Je peux aider quand même.
Dans un geste affectif, Jules poussa Arthur vers la sortie. Son cadet pouvait se plaindre, il n'aurait pas gain de cause.
— Tais-toi et file. Je dois aller cuisiner.
François les abandonna pour vaquer aux dernières tâches, remplaçant Jules au pied levé. Le trio pénétra dans la demeure en discutant gaiement, pour trouver Louis, assis dans le canapé, les épaules basses et les yeux rougis. Il glissa ses mains sur son visage pour enlever les dernières traces de larmes, mais ce geste ne suffit pas à duper Arthur et Raphaël.
Sans un mot, les deux acolytes allèrent s'installer aux côtés de leur troisième membre. Ils glissèrent leurs bras autour de son cou pour un câlin réconfortant.
— C'est bon, les mecs, s'amusa Louis après plusieurs secondes.
— Sûr ?
— Certain ! Vous pouvez...
Louis ne termina pas sa phrase. Arthur était déjà debout, sortant du salon en s'exclamant qu'il allait prendre une douche, alors que Raphaël prétexta avoir un coup de fil à donner. Louis se retrouva enfin en présence de Jules, ayant ainsi la possibilité de faire ce qu'il tentait vainement depuis hier : s'excuser.
Sa motivation retrouvée grâce à cette opportunité, il quitta les assises confortables du canapé, pour aller rencontrer celles plus dures des sièges hauts.
— Désolé.
Jules stoppa son mouvement à l'entende de ce mot, avant de reprendre sa découpe du poisson, sans adresser un seul regard à son interlocuteur. Pour autant, Louis ne se laissa pas abattre et enchaîna, d'un ton plus décidé.
— Je suis désolé de m'être comporté comme ça samedi, et de ce que j'ai dit. Je... Je voulais que tu le saches et te présenter mes excuses.
— D'accord.
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