15. Four out Five - Arctic Monkeys
Adossée contre son lit à baldaquin, Rose tâchait de comprendre le calcul d'Arithmancie qu'elle fixait depuis dix minutes, mais c'était sans compter la folle gigue que dansaient les chiffres pour la narguer. Elle expira bruyamment et laissa tomber sa tête contre la poutre en bois. Elle n'avait pas revu Hugo de la journée. Pas même au dîner. Elle avait eu beau fouiller du regard la table des Poufsouffle de long en large, aucune trace de son petit frère. Tout le monde n'avait pas sa chance, lui avait-il dit... Elle ne s'était jamais sentie particulièrement chanceuse, mais peut-être que tout le problème était là, justement. Peut-être prenait-elle tout pour acquis, oubliant d'être humble et altruiste. Et c'était comme ça qu'elle avait traîné Scorpius dans la boue pendant des années et comme ça qu'elle avait négligé Hugo. Rose avait déjà eu cette prise de conscience avant le Bal du Souvenir, mais visiblement, elle avait encore beaucoup de chemin à faire...
Brusquement, elle fit basculer ses jambes pour se redresser d'un bond. Rose jeta un rapide coup d'œil à sa montre puis à sa tenue. Une fois rentrée de la Grande Salle, elle avait passé un pantalon de jogging noir difforme au point de devoir le remonter jusqu'en haut de ses hanches. Elle avait également dû en caler le bas dans d'épaisses chaussettes en laine décorées de petites salamandres.
Pour le look, on repassera, mais pour le confort... c'était l'idéal.
- Oh et puis merde... dit-elle pour elle-même.
Elle dénicha son sweatshirt Arctic Monkeys, enfila ses chaussures et descendit l'escalier en colimaçon menant à la salle commune. Aucun de ses camarades ne lui prêta attention quand elle passa le tableau de la Grosse Dame. Les couloirs avaient l'air vides, mais il restait un peu plus d'une heure avant le couvre-feu aussi n'était-elle pas à l'abri d'une rencontre. Elle ne croisa cependant personne, ni lorsqu'elle descendit les sept étages, ni lorsqu'elle traversa le hall. Elle dévala la volée de marches qui menait au couloir des cuisines et, dépassant le tableau de la coupe de fruits, continua d'avancer jusqu'aux tonneaux entassés dans un renfoncement de pierre.
Et là, les choses se compliquaient.
Rose examina les tonneaux, caressant le rugueux du bois, tripotant les interstices dans l'espoir d'y trouver... elle ne savait pas vraiment quoi. Elle toqua sur l'un pour en tester la résonance et avant qu'elle puisse comprendre ce qu'il lui arrivait, un flot de vinaigre jaillit et l'aspergea. Elle se figea, les lèvres entrouvertes de surprise, les bras ouverts. Lentement, elle baissa les yeux sur ses vêtements imbibés.
- Non mais c'est pas possible ! C'est quand qu'elle se termine cette journée ! éructa-t-elle soudainement.
Le préfet-en-chef, un septième année de Poufsouffle, choisit précisément ce moment-là pour apparaître. Rose se tourna vers lui en entendant ses bruits de pas et il éclata de rire en voyant l'énorme tache sur ses habits. Elle le considéra d'un œil noir.
- Toi, tu as essayé d'entrer dans notre salle commune !
- Bien joué, Sherlock, grinça la Gryffondor.
- Je m'appelle Adrien.
- Tu m'en vois ravie.
Il croisa les bras sur sa poitrine et la dévisagea en décidant d'ignorer son sarcasme.
- Qu'est-ce que la capitaine des Gryffondor fait à cette heure-ci chez les Poufsouffle ?
- J'ai besoin de voir mon frère.
- Hugo, c'est ça ?
- Oui, tu peux lui dire s'il te plaît ?
Il continua à sourire en la regardant, mais finit par obtempérer. Se plaçant devant les tonneaux, il tapa sur le deuxième en partant du bas sur un rythme précis, lequel s'ouvrit pour dévoiler l'entrée d'un passage montant en pente douce. Curieuse, Rose jeta un coup d'œil par l'ouverture mais Adrien se retourna vers elle.
- T'as peur que je vole vos secrets ? attaqua-t-elle sans pouvoir s'en empêcher.
- Attends là, se contenta-t-il de répondre.
Rose attendit cinq bonnes minutes en faisant les cent pas. Quand la porte bascula à nouveau, elle s'attendit à voir son cadet, mais ce fut le préfet qui sortit. Elle regarda derrière lui, espérant encore qu'Hugo le suive. Adrien arborait une expression gênée.
- Désolé, il dit qu'il ne veut pas te voir...
- Sérieux ! Je me suis fait arroser de vinaigre par un fichu tonneau capricieux et il veut pas ramener ses fesses !?
Le jeune homme eut un sourire contrit et ne sachant que dire, lui fit un petit signe avant d'amorcer un geste pour retourner dans sa salle commune.
- Attends !
Rose lâcha un soupir, la tête renversée en arrière. Elle se passa les mains sur le visage, subitement vidée de ses forces. Quand elle reporta son attention sur Adrien, celui-ci la regardait, intrigué.
- Tu peux... tu peux lui dire que je suis désolée, s'il te plaît ? Et que... j'attendrais qu'il soit prêt à me pardonner...
Elle lut une compassion qu'elle ne méritait pas sur son visage. Il hocha la tête et après l'avoir remercié dans un souffle, elle repartit en direction de la tour des Gryffondor, l'âme en peine.
Le lendemain, Hugo ne se manifesta pas. Rose fut tentée de faire le pied de grue devant la salle commune des Poufsouffle mais elle savait que son petit frère avait besoin de plus de temps. Elle se résigna à prendre son mal en patience, consciente qu'il ne reviendrait probablement pas vers elle avant plusieurs jours.
Elle s'était tant inquiétée pour Hugo, tellement focalisée sur tout ce qu'elle avait loupé avec lui, qu'elle en avait oublié la dernière phrase qu'il avait prononcé avant de partir de la bibliothèque. Mais ses paroles tintèrent à nouveau dans son esprit quand elle se trouva devant la salle d'Étude des moldus le vendredi. Son cœur loupa un battement. Elle eut envie de faire demi-tour, sécher un cours qu'elle appréciait, rien que pour ne pas avoir à s'asseoir près de Scorpius.
- Vous songez à rebrousser chemin, miss Weasley ? Je vous comprends, moi aussi j'hésiterais si je devais écouter encore pendant une heure les conséquences du Brexit.
Rose sursauta et se retourna vers le professeur Didwell, à qui elle bloquait l'entrée. Il l'observait avec un sourire en coin, les yeux pétillants.
- Oh, non, je n'allais pas...
Il sourit un peu plus et gentleman, l'invita d'un geste du bras à le précéder dans la salle. Elle s'arma de courage et rejoignit sa place. Scorpius leva les yeux vers elle. Immédiatement lui revinrent en tête l'Amortentia et son parfum de pomme, la dinde qui lui avait fait un clin d'œil et l'écrasante jalousie.
« Et le jour de la Saint Valentin, tout le monde n'a pas un Scorpius Malefoy pour l'aimer. »
L'heure promettait d'être longue...
***
Scorpius avait espéré pouvoir parler à Rose. Il avait hésité à se rendre à la tour des Gryffondor le mercredi mais s'était finalement ravisé et la veille, il ne l'avait pas vu de la journée. Le professeur Didwell avait cependant contrecarré ses plans en la retenant à la fin du cours.
Il poussa un soupir en se frottant les yeux. Le professeur Hingston leur avait donné à rédiger deux rouleaux de parchemin sur les Inferi et plus il écrivait, plus son estomac se crispait. Il ne parvenait pas à concevoir un tel degré de magie noire. Tuer pour pouvoir faire des cadavres des marionnettes... C'était tellement inhumain, monstrueux, que toutes les fibres de son corps se révoltaient.
Scorpius décida de prendre une pause et étendit les jambes devant lui. Les mains derrière la tête, il étudia le manteau de la cheminée près de laquelle il était assis. Des figures compliquées y étaient gravées comme un entrelacs de broderies sophistiquées. Elles lui rappelaient le manoir familial et ses meubles ouvragées. Une pensée en entraînant une autre, le cerveau encore embrumé par son devoir de Défense contre les forces du mal, il songea à sa famille. Les Malefoy, bien que connu pour leur idéologie pro-Sang-pur, avaient toujours été relativement inoffensifs. La lignée de Scorpius fourmillait d'ancêtres manipulateurs, vaniteux, insidieux, indignes de confiance, mais les choses ne s'étaient réellement corsés qu'à partir de Lucius. En rejoignant les rangs du Seigneur des Ténèbres, Lucius avait fait basculer la famille dans la magie noire. Et si Scorpius pouvait tolérer que sa famille ait été un berceau de cupidité et d'arrogance, il avait plus de mal avec le fait qu'ils aient été mangemorts. Qu'ils aient pu torturer, tuer, créer des Inferi. Plus il grandissait, et plus ses interrogations le hantaient.
Le jeune homme s'ébroua l'esprit. Imaginer tous les crimes dont son père était peut-être coupable allait le rendre fou, aussi décida-t-il de se concentrer sur autre chose.
Comme une certaine Gryffondor qui lui donnait du fil à retordre. Deux soirs plus tôt, il avait été à deux doigts de monter au tableau de la Grosse Dame pour lui parler. Il n'avait pas rêvé son ton sec lorsqu'il avait admis avoir reçu des cartes de Saint Valentin, pas plus qu'il n'avait inventé ses yeux étincelant de colère au clin d'œil de Lya Zabini. C'était plutôt bas de se réjouir de sa jalousie, mais il n'y pouvait rien, le simple fait d'y repenser faisait naître un sourire sur ses lèvres.
- Tu souris bêtement, l'informa négligemment Albus.
Scorpius eut un léger sursaut, ne l'ayant pas entendu arriver. Depuis qu'ils s'étaient expliqués, son meilleur ami avait petit à petit accepté ses sentiments pour Rose. Il tâchait toutefois de ne pas trop s'épancher, histoire de ne pas jouer avec le feu.
- Tu t'es perdu en chemin ?
- J'ai dû aider Lily sur son devoir de Potions.
Albus se laissa tomber à côté de lui sur le canapé en cuir et jeta un œil à ses affaires éparpillés.
- Inferi ?
- Yep.
Le jeune Potter parut peser le pour et le contre quelques instants, conscient qu'il avait ses propres rouleaux à écrire.
- ...bataille explosive ? trancha-t-il.
- Al, t'as vraiment une mauvaise influence, répondit Scorpius, déjà en train de ranger plume et encre.
Le lendemain, Albus et Scorpius se rendirent dans la Grande Salle pour leur troisième leçon de transplanage. Celles-ci avaient commencé début février et pour l'instant, seuls deux élèves avaient réussi à transplaner, sans toutefois réussir à réitérer leur exploit. Selon l'employée que le Ministère avait envoyé pour les former, c'était tout à fait normal, mais Scorpius sentait bien que ses camarades trépignaient. Tout le monde avait été enthousiasmé par l'idée de pouvoir se déplacer d'un point à un autre d'un claquement de doigt, malheureusement, l'enseignement était pour le moins nébuleux.
- On va finir par se rendre aveugle à fixer ce cerceau, ronchonna Albus.
- Tu n'es pas assez déterminé, mon p'tit lapin !
Rose déboula près des deux garçons. Elle affichait un sourire malicieux, mais Scorpius remarqua qu'elle avait l'air fatiguée et soucieuse. La tête légèrement penchée sur le côté, il lui jeta un regard interrogateur, mais elle se déroba rapidement à son attention.
- Gary Finnigan prend les paris sur le désartibulement de Warren Belby aujourd'hui, enchaîna-t-elle.
Le trio se tournèrent d'un même mouvement vers Warren. Le pauvre avait le teint cramoisi à force de concentrer tous ses efforts sur son cerceau.
- Merlin, on dirait qu'il a avalé un Souafle.
- Ou qu'il ne va pas tarder à en pondre un.
Scorpius et Rose échangèrent un regard espiègle. Le jeune homme eut à peine le temps de sentir sa poitrine se réchauffer que leur instant de complicité s'effrita et s'évanouit. En se raclant la gorge, la Gryffondor avait détourné les yeux.
- N'oubliez pas, mes lapins ! Focalisez votre esprit sur votre destination, imaginez-vous remplir l'espace avec détermination et tournoyez avec décision pour trouver votre chemin dans le néant ! chantonna la monitrice en parcourant les rangs.
Son timbre haut perché arracha une grimace à Albus. La sorcière lui faisait penser à Blanche-Neige, cette princesse de Disney écervelée et naïve qu'il avait vu une fois à la télé chez le cousin de son père, Dudley Dursley. Harry avait tenu à garder le contact avec ce qui lui restait de la famille de sa mère, et ainsi, à ce que ses enfants et ceux de Dudley se rencontrent. Leurs visites étaient toutefois assez rares, surtout depuis que les trois enfants Potter étaient scolarisés à Poudlard.
- T'as entendu, mon lapin ? Saute dans le cerceau, lança-t-il à Scorpius avec une voix de fausset.
Le professeur Eyre, qui supervisait la formation avec les trois autres directeurs de maison, passa près de lui à ce moment-là et le toisa, un sourcil haussé. Rose essaya de faire passer son rire derrière un toussotement, feignant d'avoir avalé sa salive de travers.
- Bois un peu d'eau, lui conseilla le jeune Malefoy avec un sérieux remarquable.
- Montrez-moi ce que vous savez faire tous les trois, les tança le maître des potions peu crédule.
Finalement, Warren Belby ne s'était pas désartibulé et aucun des trois n'étaient parvenus à transplaner. Ils se faufilèrent parmi les sixièmes années qui s'agglutinaient encore devant la Grande Salle.
- Rose !
Les sourcils légèrement froncés, la jeune fille jeta un regard vers Albus et Scorpius comme pour vérifier qu'ils étaient bien à ses côtés, avant de se retourner pour voir qui d'autre pouvait l'interpeller. Scorpius vit le préfet-en-chef s'avancer en faisant un signe à l'aînée Weasley. C'était un Poufsouffle à la mâchoire carrée, surmonté d'un nez légèrement empâté, et aux cheveux blond foncé. Derrière ses lunettes d'hipster, ses iris bruns brillaient d'un éclat chaleureux. Ses joues étaient creusées de deux petites fossettes tandis qu'il souriait à Rose. Une vague d'irritation déferla sur Scorpius sans prévenir.
- Oh, salut !
- Tu as réussi à te débarrasser du vinaigre ?
Rose eut un léger rire.
- Je vais en avoir pour un moment pour faire partir l'odeur, je pense.
- Dommage, j'aimais bien tes chaussettes à salamandres.
Mais pardon ?
- Tu as pu parler à ton frère ? poursuivit le Poufsouffle sans s'émouvoir de la présence de ses deux acolytes.
Le sourire de Rose se fana un peu.
- Euh non... non, pas encore.
Scorpius suivait l'échange en se renfrognant toujours un peu plus. Près de lui, Albus n'avait pas plus l'air de comprendre.
- Je peux plaider ta cause, si tu veux.
Le préfet-en-chef accompagna son offre d'un nouveau sourire qui déplut fortement à Scorpius.
- Oh non, c'est gentil, mais t'en fais pas. Je gère.
- Certaine ? Je suis préfet-en-chef, je peux facilement l'obliger à te parler, offrit-il sur le ton de la plaisanterie.
- Non vraiment, t'inquiètes, assura Rose d'un ton affable.
- Bon. N'hésite pas si tu as besoin de quoique ce soit.
Sur ces mots, il sourit une dernière fois à Rose, fit un petit hochement de tête aux deux Serpentard et s'en fut. Scorpius le regarda s'éloigner, les sourcils froncés.
- D'où il sort, lui ?
Le blond remercia intérieurement Albus d'avoir posé la question qui lui brûlait intensément les lèvres.
- C'est Adrien, se contenta de répondre Rose en haussant les épaules. Bon, vous venez avant qu'il n'y ait plus de place à la bibliothèque ?
À la grande frustration de Scorpius, elle s'engagea dans l'escalier sans en dire plus. Mécontent, scandalisé, il lui emboîta le pas avec son cousin. C'était quoi cette histoire de vinaigre et de chaussettes ? Et qu'est-ce que venait faire Hugo là-dedans ? Et pire, cette invitation à ne pas hésiter pour quoique ce soit.
Au tour de Scorpius d'expérimenter la jalousie.
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