Luna ♪

J'ai l'impression qu'un énorme sourire est plaqué sur mon visage quand je quitte la maison, et j'ai complètement conscience que je ne suis pas crédible. Surtout parce que Nolan est garé devant la maison, et que mes parents connaissent sa voiture. On s'en fiche, car ce n'est pas cela qui va briser mon bonheur.

Je vais retrouver Apollon.

Je vais retrouver Paul.

Enfin.

Apollon ∞

Je ferme les yeux et me remémore son expression peinée quand elle m'a dit non. Revenir dans cet endroit m'apporte plein de choses. Je suis juste bien ici. Parce qu'elles sont toutes les deux présentes dans cette maison. Luna est sur le canapé, dans le salon, le jardin entier, dans mon cœur. Émilie, elle, était dans la chambre du haut, dans la voiture, sous le porche.

Le truc, avec les gens qui se trouvent une place dans ton cœur, c'est que même si tu fais tout pour les en retirer, pour les envoyer à l'autre bout de ton monde, ils sont toujours près de toi, quoi que tu fasses. À partir du moment où quelqu'un entre dans ton cœur, il faut se le dire, tu es tout simplement foutu. C'est tout.

C'est ce que j'ai dit à Luna. Je ne voulais pas l'aimer, parce que je ne me l'autorisais pas. Je n'avais pas le droit. Puis je me suis rendu compte qu'en essayant de l'éloigner de moi, elle ne faisait que se rapprocher. C'est là que j'ai compris que j'étais dans la merde. Maintenant je regrette de lui avoir avoué mes sentiments dans ces conditions. Et de réaliser à présent que mes lèvres n'effleureront sûrement jamais les siennes.

Luna ♪

Je commence à reconnaître l'environnement. Nolan s'arrête cent mètres avant la maison, me laisse descendre, puis quand il s'assure que je suis arrivée à destination, il demi-tour et repart en sens inverse. Mon portable vibre dans mes mains.

[Tu vas tout défoncer, Lù.]

Je me retourne pour lui sourire et il agite mon bras dans les airs avant de disparaître à un virage. J'inspire, j'expire, et je me mets en marche. La sonnette est inutilisable, bien sûr. Je fais le tour afin d'entrer par la porte fenêtre, l'aperçois assis sur le canapé, le regard dans le vide, tourné vers le plafond.

Apollon ∞

Un bruit dans le jardin. Je sursaute. Me retourne. Elle est là, comme si une vision s'offrait à moi. Je bondis sur mes pieds car elle me fait un signe de la main. J'enfile mon manteau. La rejoins.

Luna ♪

— Je ne pensais pas te trouver ici, me souffle-t-il.

Je souris, lui tends la main, il la saisit, entrelace ses doigts aux miens et presse fort sa paume contre la mienne comme s'il craignait que je m'en aille une nouvelle fois. On s'assoit côte à côte sur les marches de la terrasse délabrée, silencieux. Je pose ma tête sur son épaule, il pose la sienne sur la mienne. Ses mèches blondes contre ma joue sont douces, c'est agréable. Il sent bon.

— C'est à mon tour de m'excuser, Apollon, fais-je en insistant bien sur son prénom complet.

— Je n'aurais jamais dû fuir comme je l'ai fait. Je suis désolée.

Apollon ∞

C'est tout ? je pense intérieurement. J'en aurais aimé plus. Qu'elle me parle de ses sentiments.

Mon sourire se dessine quand elle reprend la parole après s'être raclé la gorge.

— Et... je voulais aussi m'excuser pour avoir surréagi de cette façon. Je ne sais pas pourquoi j'ai pris aussi peur quand tu m'as avoué qui tu étais tout ce temps.

Son souffle fait voler ses mèches noires et elle cligne des paupières plusieurs fois, le regard dans le vague.

— En fait... si, je sais pourquoi, d'ailleurs.

Je me tais, peut-être qu'elle attend de moi que je dise quelque chose afin d'être sûre que je l'écoute, mais je reste silencieux, me concentrant sur sa respiration et sur la pression de sa main froide contre la mienne.

— Je suis tombée amoureuse d'Apollon, pour te dire la vérité. Et... je crois que j'ai fini par tomber amoureuse de Paul aussi, mais je ne pouvais pas me l'avouer, je pensais ne pas avoir le droit de tomber amoureuse de la personne qui m'a apporté le pire dans ma vie. Mais voilà : celui qui m'a fait vivre le pire m'a aussi fait ressentir le meilleur. Je ne savais pas quoi penser de cela à l'époque.

Mon pouce caresse le dos de sa main et je la sens frissonner, surprise par ce contact agréable.

— Mais maintenant, je sais, Paul. Et je me déteste d'avoir dû te croire perdu pendant plus d'un mois pour réussir à m'en rendre compte. Je craignais de faire un choix. Je ne pouvais pas choisir entre Paul et Apollon. Quand je me suis rendu compte que je n'aurais pas à choisir, j'ai... paniqué de bonheur, on va dire, et à présent je suis là pour te dire que je ne veux pas te perdre. Jamais. Et que si tu veux toujours de moi, alors...

Mon cœur palpite, je n'ai jamais ressenti cela aussi fort depuis longtemps. Je n'ai envie que d'une seule chose, à cet instant précis.

Luna ♪

Je me décale de son épaule pour le regarder dans les yeux. Ses iris gris orage me transpercent en entier, lisent mon âme, et j'adore ça.

— C'est plus problématique de la part de la Lune de tomber amoureuse du Soleil... Parce qu'ils ne peuvent se voir qu'à l'aube et au crépuscule... Mais ces entrevues sont encore plus belles que celles de n'importe qui. Alors personne, personne ne peut empêcher la Lune de tomber amoureuse du Soleil, car sans cela, les couchers et levers de l'astre roi seraient bien mornes.

Je me mords la lèvre, bien consciente de son regard figé sur le bas de mon visage, cette fois-ci, je n'ai plus peur.

— Alors oui, je suis tombée amoureuse du Soleil, et j'en suis fière. Maintenant...

Mon regard ne peut s'empêcher de dévier vers sa bouche qui m'attire, cette tension inextricable qui me prend par le fond du corps et me guide sans que je ne puisse rien y faire vers lui. Tout converge vers Apollon Da Costas en cet instant précis. Ses yeux dérivent une nouvelle fois vers mes lèvres et une vague de chaleur s'empresse d'irradier dans mon corps entier. Il se penche pour me susurrer à l'oreille, une main glissant sur ma hanche :

— Tu comptes préserver cette... tension longtemps, Lù ?

Nos visages sont tout proches, je me consume sous son toucher.

— Et puis merde, murmure-t-il en réduisant l'infime distance entre nous.

Tout explose en moi, et il me semble que c'est la meilleure sensation au monde. Mes jambes sont en coton, j'ai l'impression de me dérober quand il me contemple, et mon cœur bat si vite que j'ai le sentiment qu'il pourrait imploser. Je m'accroche à son tee-shirt comme si ma vie en dépendait, je le veux encore plus près, encore plus fort. Je crois que je n'ai jamais ressenti pareille sensation, pareil désir.

Sa langue demande l'accès à ma bouche, je le lui donne sans hésiter, frissonnante de bonheur. Nos lèvres qui se meuvent les unes contre les autres me semblent irréelles, mais la pression de la main de Paul contre ma nuque pour m'attirer plus près encore m'assure que je ne rêve pas.

Ses paumes pétrissent mes hanches, et il me fait passer une jambe par-dessus les siennes pour me hisser contre lui.

Le temps semble s'être arrêté, tandis que mon corps et mon esprit crient intérieurement à l'unisson : enfin !

Apollon ∞

J'étais tout simplement incapable d'attendre plus longtemps. En plus, même si le désir nous fait brûler sur la terrasse, le froid commence à se faire ressentir. Luna s'accroche à mon torse sans s'arrêter de m'embrasser, et je retiens une larme de glisser sur ma joue, cette dernière perlant au coin de mon œil. Qui l'eut cru, que la petite des sœurs Charleston me ferait plus d'effet que son aînée tant convoitée ?

Il n'y a pas de bruit, nous sommes perdus dans une maison abandonnée au milieu des champs, je n'aurais pas pu rêver meilleur endroit pour lui faire découvrir qui je suis devenu, uniquement grâce à elle. Car elle est tout pour moi, mon remède, ma Lune, mon éternité.

Pour toujours et à jamais.