
•| 15|| Un talent caché ∞
Apollon ∞
C'est quoi ce... bordel ?
Luna Charleston tombe dans mes bras comme une poupée de chiffon et mes doigts agrippent automatiquement ses épaules pour l'empêcher de chuter vers le sol. La douceur de sa peau sous mes mains fait monter en moi une vague de chaleur mais je déglutis pour la faire s'évanouir. Elle n'a pas le droit d'être là. Je m'accroupis et l'emmène avec moi, faisant reposer sa tête contre mes cuisses, puis l'appelle doucement en secouant son épaule du bout des doigts, sans trop oser la toucher.
— Luna ?
Elle ne réagit pas, les yeux fermés, comme inconsciente. Une bouffée de panique m'envahit et je décide de la prendre dans mes bras pour l'emmener à l'infirmerie. Le creux de ses genoux et sa nuque se positionnent presque naturellement sur mes bras, et dans cette position, je ne peux ignorer le parfum caractéristique du chèvrefeuille qui émane d'elle. Quand elle pousse un soupir fatigué en plissant des paupières, je ne peux m'empêcher de la serrer contre moi un petit peu plus fort alors qu'elle agrippe ma chemise, l'air de ne pas vouloir me quitter. Je me sens presque regretter lorsque nous passons la porte blanche du pôle médical.
— Da Costas ? s'égosille l'infirmière en nous voyant arriver. Qu'avez-vous fait ?
Je suis sûr qu'elle pense que je suis responsable de l'état de Lù par principe, étant donné que je suis souvent au centre des conflits... Je ne réponds pas, tourne les talons et m'en vais après avoir déposé la jeune fille sur un matelas. Au pire je serai désigné comme coupable et la fille aux cheveux noirs en sera heureuse. Je le mérite, pour elle. Si seulement elle savait...
Je voulais m'excuser, mais c'est impossible. La nuit prochaine, je ne la retiendrai pas aussi longtemps pour pas qu'elle s'évanouisse de fatigue. Parce que c'est con, quand même.
Luna ♪
Une odeur de désinfectant me prend au nez, j'ai toujours détesté ça. Je retire la serviette humide de mon front et tente de me lever sans vaciller, ça ne marche pas. Je frotte mes paupières, presse mes yeux et secoue la tête pendant que les souvenirs de la matinée affluent. Paul, la réserve, je n'ai pas mangé...
— Vous allez mieux ? me lance une infirmière en me tendant un verre d'eau avec un cachet pour le mal de crâne.
— Moyen...
— Voulez-vous rentrer chez vous ?
Je hausse les épaules, ressens la douleur qui me perce la tête, et finis par acquiescer.
— Je vais y aller, mes parents ne sont pas disponibles et je n'habite pas loin.
Elle me tend un papier d'excuse et me laisse sortir avant la fin des cours. Qu'est-ce-que ma tête tourne... et je n'ai toujours pas mangé...
Mon sac pesant une tonne sur le dos, je traîne les pieds sur le trottoir, m'arrêtant toutes les deux secondes pour reprendre mon souffle et faire passer le malaise. Une voiture s'arrête devant moi. Je frissonne. J'ai l'impression d'être prisonnière d'un tourbillon, tournant encore et encore sur moi-même. Cette fois, je ne peux pas empêcher ma tête de plonger une nouvelle fois vers le sol.
Apollon ∞
Sécher est une habitude chez moi. J'ai autre chose à foutre que poireauter en cours au milieu d'idiots beaucoup trop sérieux pour être vrais. Quand je suis assis en face du tableau à m'ennuyer, des vagues de souvenirs me submergent, insupportables traumatismes qui me rattrapent dès que mon esprit n'est pas occupé.
En roulant vers le café j'aperçois Luna Charleston, encore une fois. J'ai l'impression de la voir partout depuis qu'on se parle virtuellement... Elle vacille encore, toute fragile, et je vois là un bon moment pour tenter de m'excuser, je gare donc ma caisse devant elle.
Son regard croise le mien, je hausse un sourcil, puis le baisse car je me rappelle m'être fait promis d'arrêter de lui faire du mal après tout ce qu'elle m'avait dit hier soir — cette nuit. Je claque la porte, elle perd le contrôle de son corps, tombe, je cours, me jette sur elle, la serre dans mes bras et grâce à moi, sa tête ne s'écrase pas contre le bitume. Deuxième fois que je la rattrape aujourd'hui, ça commence à faire beaucoup. Je la porte sur mon épaule et la mets dans la voiture, attendant son réveil.
Je ne me reconnais plus. Peut-être que c'est bien. « Tu as le droit d'être qui tu veux être au fond de toi », avait-elle écrit à "Apollon". Je vais essayer. D'être qui je voudrais être. En commençant par arrêter de lui faire du mal car elle n'est pas sa sœur et que je n'ai pas à me venger de ce que m'a fait son aînée.
— Apollon ? murmure-t-elle dans son sommeil.
Ses cheveux noirs tirés en un chignon sont décoiffés, je tire sur les baguettes ornant sa coiffure et ses mèches lisses dégringolent le long de ses épaules frêles.
Je la secoue par l'épaule.
— Luna ?
Sa tête dodeline et elle papillonne des paupières, les yeux dans le vague. Je peux totalement imaginer la fatigue quelle doit ressentir, et je m'en veux soudain de la maintenir éveillée la nuit, alors qu'elle a tant de problèmes et que son sommeil doit déjà être beaucoup trop agité.
— Moui ?
Je ne sais pas à quel moment quelque chose a changé en elle, mais c'est récent. Elle a un truc de nouveau qui est... Mais qu'est-ce-que je raconte, bordel ?!
— Luna !
Son visage épuisé se tourne vers moi, ses yeux aussi profonds que la nuit m'inspirent de la peur, pour une fois. Elle a peur de moi... Malgré tout, je me lance, comme l'autre jour avec Nolan. Cette fille est incroyable, elle arrive à me faire m'excuser...
— Écoute, je suis désolé. Je n'aurais jamais dû te faire autant de mal. Je sais que ce n'est pas le genre de truc qui se pardonne avec une pauvre excuse mais je tenais à le faire tout de même.
Elle hoche le menton de bas en haut avant de replonger dans le sommeil. Je teste sa capacité de réaction en claquant des doigts devant ses yeux : aucun geste. Je suis foutu, je parie qu'elle n'a rien entendu.
Émilie m'avait donné son adresse il y a longtemps, "au cas où", avait-elle dit. Heureusement que je la connais aujourd'hui car je ne sais pas comment j'aurais fait avec une Luna dormant sur mon siège passager.
Arrivé à destination, je la hisse sur mon épaule, fouille dans son sac et trouve ses clés. Je ne sais pas comment elle fait pour rester plongée dans ce sommeil si profond alors que je monte les escaliers pour la déposer sur son lit.
Je pense qu'elle n'était pas assez consciente pour entendre les excuses, d'ailleurs. Je retournerai la voir demain. Et ceci n'est absolument pas un prétexte pour retourner lui parler.
*
★ 05/06/2015 ★
J'ai retrouvé ma mère une corde autour du cou, assise la tête dans les genoux au milieu de la salle de bains. J'ai compris que quelques mois après, quand elle est morte, que la trace rouge autour de son cou était dû à la corde, et qu'elle avait essayé de mourir. Je lui en ai beaucoup voulu, je lui en veux toujours de m'avoir abandonné aux mains de mon tortionnaire de père.
«Parfois, Apollon, le ciel est bleu au-dessus des nuages», m'avait-elle dit ce jour-là.
C'était vrai, en soi. C'est pour cela que j'ai essayé de la rejoindre. Mais j'ai échoué. Et mon père ne m'en a que plus blâmé d'avoir essayé de mourir seul, et pas de ses mains de tueur à lui.
*
[Il m'est arrivé des choses incroyables
aujourd'hui.]
[Ah bon ? Quoi par exemple ?]
[Paul Da Costas a débarqué alors que j'allais manger,
en me disant qu'il voulait me parler,
puis je suis tombée, il m'a fait me relever
mais je me suis évanouie de fatigue.
Et en rentrant il m'a récupérée sur la route
parce que j'ai fait un autre malaise
et m'a ramenée chez moi.]
Heureusement que je sais déjà ce qu'il s'est passé, parce que sinon, je n'aurais rien compris.
[Attends... on parle bien
de ton harceleur là, non ?
Il voulait quoi ?]
[Oui. Il s'est excusé, je crois.
Je sais plus.
J'étais un peu dans les vapes,
Je n'ai plus trop conscience de la scène.]
Alors elle s'en rappelle vaguement. Je retournerai la voir demain, s'il le faut.
[Apollon ?]
[Oui ?]
[Tu as serré les poings ?
Ou les dents ?]
Elle commence à bien me connaître, je l'admets. Entendre mon prénom est toujours aussi frustrant.
[Les dents.
Trop forte.]
[Je sais, je sais.]
[J'avoue qu'écrire mes souvenirs
chasse les mauvais esprits de ma tête.
Ils se couchent sur le papier et
sortent de ma mémoire.]
[J'ai un poète devant moi.
C'est beau ce que tu écris,
tu te rends compte ?]
[Tu racontes n'importe quoi.
Ça va à part ça ?]
[J'ai de la compote à la place
de la matière grise
et je crois qu'un éléphant a élu domicile
sur mon cerveau.]
[Je te laisse dormir,
tu dois te reposer.]
[Bonne nuit !]
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro