La "Team William"
— Venir au Québec?
La voix de Charles a fait un bond dans les aigus.
Je l'imaginais déjà élaborer une longue liste d'excuses qui lui éviteraient de quitter le périmètre de son fief.
— Tu sais, William, c'est difficilement envisageable. Avec cette histoire de plan immobilier qui menace de défigurer notre beau village, je dois rester pour apporter tout notre soutien au Maire. Tu es sûr que tu as besoin de moi ? Il doit bien y avoir d'autres Vampires prêts à t'aider, non ?
Le soutien au Maire. Il avait au moins fait l'effort d'être original.
— Je ne suis pas spécialiste, Charles, mais je pense qu'en règle générale, nos espèces se font la guerre, non ?
Il a pesté au bout du fil.
— C'est un vieux cliché William, il y a longtemps que la plupart d'entre nous ont dépassé ces ridicules clivages séculaires.
J'ai ri malgré moi.
— Comment le saurais-tu, Charles ? Tu ne quittes jamais le village !
— On peut tout se faire livrer avec Internet et les gens d'ici mangent bio. Pourquoi irais-je ailleurs ?
Aie. Son laïus sur le sang n'allait pas tarder à arriver.
— D'ailleurs, tu sais ce qu'ils consomment au Canada ? Tu connais ma répulsion maladive pour les conservateurs et mon dégoût pour la nourriture industrielle. La présence du moindre colorant dans le sang me fait frissonner, mon palais est délicat, tu le sais. Les Américains...
—... sont comme nous autres, ai-je continué. Tu trouveras ton bonheur ici. Au pire, tu mystifies un villageois et tu l'embarques. Cela lui fera des vacances et tu auras une réserve de sang pur à disposition. Bon sang ! Charles, je fais appel à notre longue amitié. C'est une question de vie ou de mort. J'ai besoin de vous. J'ai une Salémite contre laquelle je ne peux rien faire, Abbot qui veut m'utiliser pour soi-disant capturer un démon du nom de Baphomet, et...
— Attends... tu as bien dit « besoin de vous »? M'a-t-il coupé.
J'ai expiré, je savais que cette partie allait être problématique.
— Oui. J'ai besoin de ton savoir scientifique et de ta culture.
Et d'un vampire de son âge comme force de frappe, mais je ne lui ai pas dit, il était non violent.
— Les connaissances ésotériques de Grazzie sont indispensables, ai-je ajouté.
Silence.
— Tu sais bien qu'elle ne peut pas, m'a-t-il répondu.
C'était compliqué, mais pas impossible. Le fantôme de Graziella était attaché à une vieille coiffeuse. Elle ne s'en éloignait jamais. Un peu comme Fritz et sa voiture.
— J'y ai pensé. Il suffit de faire voyager le meuble avec vous. Je suis certain que sa taille passe dans la soute d'un gros avion.
Silence à nouveau.
— Non. Pas d'avion. C'est hors de question. Tu imagines la pauvre Grazzie, elle serait déstabilisée. On va prendre le bateau.
Il ne manquait pas d'air. C'est lui qui avait peur, oui !
— Le bateau, c'est au moins une semaine, Charles. Je serai peut-être dans la soupe d'une Salémite d'ici là !
Et tu imagines tout ce temps passé sur un navire à devoir te nourrir du sang de voyageurs dont tu ignores la traçabilité ?
Il a poussé un soupir à fendre l'âme.
— Bien. Je vais en parler à qui de droit. Je vais regarder les billets, faire les réservations sur Internet, et prévoir de me mettre trois beurrées de protection UV sur le visage.
— Attends avant de raccrocher, Charles !
Tu avais évoqué une chose importante, au téléphone, avant que le portable ne grille dans mes mains.
— Oui, je m'en souviens, c'était à propos du Warlock sur les clichés. Graziella a eu un flash, elle m'a dit qu'il n'était pas humain, que c'était un démon.
Bon. L'information avait passé sa date de péremption. Tant pis.
— Merci, mais c'est un peu tard. Tiens-moi au courant pour les billets.
J'ai raccroché et me suis étendu sur le lit de l'hôtel. J'avais encore quelques heures à tuer avant de me rendre à cette maudite conférence de presse. J'étais déjà passé au poste de police. J'avais dû expliquer à un agent incrédule que j'avais erré dans la nature et survécu grâce à la chasse et ma connaissance des baies sauvages. Je n'avais plus qu'à espérer que cette histoire ubuesque ne donne pas des idées à mon agent. Je me voyais mal devoir faire le clown dans une émission du type « Naked and Afraid ».
Mais mis à part le calvaire qui m'attendait face aux micros des journalistes, j'étais plutôt satisfait. La « Team William » prenait forme. Maintenant, je n'avais plus qu'à espérer que Rose se remette vite sur pied et surtout qu'elle puisse me laisser tout lui expliquer. Ce n'était pas gagné d'avance, mais je gardais espoir. C'était une fille perspicace.
Après, le plan était simple : je devais laisser croire à Abbot que j'étais son gentil chien, et enquêter sur la piste des Adlets d'Amarok. Ce qui nous laissait le temps de trouver un moyen de sauver Rose de la malédiction du Wendigo sans devoir passer par la médication douteuse de son père. Sans ce levier, Abbot ne pouvait plus me tenir en laisse. J'étais confiant. Avec Charles et Graziella à mes côtés, rien n'était impossible. Le serpent allait bientôt pouvoir goûter à son propre venin.
Fritz aussi aurait son utilité en temps voulu. J'avais prévu qu'il s'attaque aux données d'Abbot et de son organisation.
Le fantôme hacker. Celle-là, tu ne vas pas la voir venir, Monsieur « J'insiste sur ce point ».
J'ai pris la télécommande pour me détendre et m'informer sur ce que la télévision pouvait nous offrir de plus stupide. L'écran s'est allumé sur un Gordon Ramsay furibond dont les vociférations étaient entrecoupées de bip, alors qu'il agitait ses mains devant une pauvre fille au bord des larmes.
Puis le téléphone de l'hôtel a sonné. Ma main a hésité avant de saisir le combiné.
— M. Nothington?
C'était la voix chevrotante d'un vieil homme. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai eu en tête l'image d'un vieux parrain de la mafia.
— C'est possible. Qui le demande ?
— Ha, je suis rassuré, mes sources m'avaient bien parlé de votre retour à Chicoutimi, mais je voulais en avoir le cœur net.
Il avait éludé ma question.
— Mais encore, vous ne vous êtes pas présenté.
— Vous avez causé beaucoup de dégâts chez les Adlets, a-t-il ajouté.
Bien, bien. Ce type pouvait être n'importe qui, mais il connaissait l'existence des êtres surnaturels. Attention, ce pouvait aussi être la Salémite.
— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, Monsieur...?
— Nous avons un ennemi en commun, et je pense que nous devrions nous rencontrer.
Réflexion faite, le vioc était peut-être sourd comme un pot.
— À qui ai-je l'honneur ? Ai-je répété, en lâchant un grognement.
— Je suis disponible, là, tout de suite, je vous attends dans le lobby de l'hôtel.
J'ai regardé ma montre. Il restait une heure et demie avant la conférence.
— Cela ne sera pas bien long. J'évite de rester trop longtemps à la même place, a repris la voix chevrotante.
— Bon sang ! Il va falloir me donner votre nom, sinon, allez vous faire foutre.
— Bien sûr, Monsieur Nothington, je suis Amarok.
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