Convocation
— Secouez-vous William! Aidez-moi à la porter.
Je suis resté immobile un moment. Figé sur place autant par la surprise que par la gravité de mes blessures.
Aussi, le chagrin et la colère se disputaient les traits de mon visage.
Mon instinct me poussait à utiliser mes dernières forces pour sauter sur Abbot et le tailler en pièces, mais la survie de Rose était plus importante.
La main du Diable était pointée vers le Wendigo, dont la chair, partiellement brûlée, tombait en lambeaux noirâtres de sa carcasse. Le monstre se tenait à distance. Un feu intense brillait dans ses petits yeux jaunes.
(WILLIAM !)
(WILL...!)
La voix s'est stoppée net dans ma tête.
— Ce n'est pas la peine Thomas. Tu sais que je peux rompre le lien, a dit Maximillian sur un ton de défi.
Le monstre a grogné et a fait deux pas en arrière.
J'étais haletant, mes plaies étaient trop profondes, je perdais beaucoup de sang, mais hors de question d'abandonner. Alors j'ai puisé dans mes réserves et j'ai avancé.
En progressant vers Abbot et Rose, j'ai croisé le regard de l'homme-bouc. Il était toujours à la même place, les bras croisés. Impossible de lire quoique ce soit sur son visage d'animal. Aucune émotion, aucune odeur, aucune vie.
Mon cœur s'est serré lorsque mes mains se sont posées sur Rose.
Elle était livide, ses yeux ouverts contemplaient le vide, mais son pouls battait encore. Très faible, presque éteint. Et c'était de ma faute.
— Si vous m'aidez William, je peux la sauver.
Il avait fixé son regard de reptile sur moi. Le même visage qu'à l'époque. Il n'avait pas vieilli d'un poil.
J'ai regardé la jeune sorcière à nouveau.
Son père était le Diable. Le savait-elle ?
Le Wendigo n'attaquait pas, mais ne nous quittait pas des yeux.
Nous sommes parvenus à atteindre l'entrée. Une fois dans le vestibule, nous avons déposé Rose sur un tapis. Puis, Abbot a verrouillé la porte, a psalmodié quelques formules et a jeté de la poudre sur le sol.
Je me suis écroulé, j'ai posé ma main sur la joue froide de Rose et mes yeux se sont fermés.
Je me suis réveillé dans un fauteuil. Une tasse de thé fumante reposait sur une petite table en bois. Abbot cherchait un livre dans une bibliothèque massive.
— Vous survivrez William... vous avez un don pour ça, m'a-t-il dit sans se retourner.
Le son de sa voix, l'arrogance de son ton. Le fait de le voir, debout et bien vivant...
Je me suis levé, ignorant la douleur et le sang qui s'échappait de mes bandages.
Je l'ai saisi par le col de son costume et je l'ai plaqué contre la vitre de la porte de sa bibliothèque.
Je le regardais, mais je ne voyais que l'image d'Elizabeth attachée à la croix et la file de soudards.
Il ne bougeait pas, ses yeux de serpents restaient immobiles dans leurs orbites.
Ses lèvres pincées n'avaient même pas frémi.
J'ai posé mes mains autour de son cou et j'ai serré. J'entendais les sanglots d'Elizabeth résonner dans ma tête, comme les fantômes qui venaient me hanter d'un lointain passé.
Je pouvais le tuer, là tout de suite, lui briser la nuque — crac — comme je l'aurais fait avec un biscuit sec.
— Rose, est-il parvenu à articuler, alors que son visage s'empourprait et que ses yeux se révulsaient.
J'ai desserré ma prise.
— Si tu me tues, elle meurt.
Je l'ai lâché.
Évidemment. Cette ordure trouvait toujours un moyen pour s'en sortir. Il a réajusté son col.
— J'aime cette fougue chez vous William. J'aurais tant aimé la voir se manifester plus souvent. Vous êtes une telle déception à bien des égards.
Je ne l'écoutais pas.
— Pourquoi ?
Il a penché sa tête de biais, comme l'aurait fait un automate.
— Pourquoi l'avoir tuée ?
— Vous êtes en plein délire William, Rose est faible mai...
— Elizabeth ! Pourquoi ? Vous étiez son père !
Une lueur de surprise a brillé dans ses yeux sans vie.
— Après toutes ces années... vous pensez encore à cet épisode ! Mais enfin William, réveillez-vous ! C'est pour vous que je l'ai fait, et j'insiste sur ce point, vous ne seriez même pas là, à me parler, sans ce nécessaire, quoique regrettable... incident. J'ai libéré la bête en vous ! Fais de vous un être puissant, presque immortel. Vous devriez me remercier plutôt que de me jeter l'opprobre !
J'ai craché ma rage.
— Vous avez arraché mon cœur, vous avez creusé un trou noir dans ma poitrine. Vous avez fait violer votre fille ! Cela en valait-il la peine ?
— Je suis un pragmatique, William. Je ne gaspille pas les vies inutilement. Et je pense que cela en valait la peine, même si vous m'avez déçu par la suite. Et puis, vous l'avez tué, pas moi. Un sourire moqueur s'est dessiné sur ses lèvres.
Je l'ai plaqué au mur à nouveau. Mes crocs sont sortis et j'ai rugi.
— Une fois que Rose sera sur pied, je vais vous bouffer le cœur ; c'est une promesse Abbot !
Il a souri.
— Pourtant, mon cher William, vous ne cessez de me dire que je n'en possède aucun.
Il n'allait pas sans sortir comme çà. J'avais tant de questions à lui poser.
Lui poser des questions, sauver Rose, le tuer. J'allais faire ça, dans cet ordre.
— Je n'ai jamais cessé de vous observer William. J'ai suivi vos aventures dans le Gévaudan avec un grand intérêt, j'insiste sur ce point. Votre engagement contre les Allemands durant la première et la Deuxième Guerre... jusqu'à votre déchéance ; devrais-je plutôt qualifier cela d'hibernation ?
Il a émis un petit rire nerveux.
Abbot a sorti un livre de la bibliothèque, c'était un de mes romans : Cœur D'automne.
— Cela vous dérange ? m'a-t-il demandé en ouvrant le livre.
J'ai voulu répondre, mais il a commencé la lecture d'un passage.
« Sa longue chevelure d'or retombait lourdement sur ses épaules dénudées. Clarisse avait fait tomber son peignoir de coton blanc et s'avançait doucement vers le lit, féline. Ses yeux d'ambre, juste soulignés par un trait noir brillaient intensément de cet éclat sauvage qui l'avait rendu fou dès leur première rencontre. Cette fille espiègle et toujours souriante l'avait fait fondre dès les premiers instants. »
Il a fermé le livre, puis il a feint une mine de dégoût.
— De l'étron littéraire, mélange écœurant de sucré, de clichés et d'adverbes, a-t-il commenté.
Ses yeux luisaient d'une colère froide.
— C'était pour exorciser vos traumas William ? C'est à cela qu'on doit toute ce sentimentalisme dégoulinant ? C'est abjecte prose indigne d'un prédateur, d'un alpha à l'apex de la pyramide. Un loup qui se fait agneau ? Un roi qui se fait valet ? Quelle honte !
Il a jeté le livre à terre.
— Vous êtes faible, et j'insiste sur ce point, vous n'êtes pas digne de ma fille. Rose est parfaite ! Il y a plus de testostérone dans son petit doigt que dans les boules molles et flaccides qui vous servent de couilles. J'ai failli la perdre à cause de vous ! Pourquoi êtes-vous venus au manoir ?
— Rose m'a dit que... son « père » pourrait m'aider à comprendre la sorcellerie derrière la lettre que j'ai reçue.
Il a ri.
— Enfin, William réfléchissez. C'est moi qui vous ai convoqué ici. J'ai de grands projets pour mon chien préféré.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro