Appât
J'ai soupiré. Fritz me fixait. Ses grands yeux de cockers s'étaient embués de larmes derrière ses lunettes.
— Voilà pour l'histoire Charles. J'avais fini par tuer celle que j'aimais, Abbot avait disparu de l'arène et je ne l'avais jamais revu. Thomas et moi avions fui. Il m'avait aidé à contrôler ma colère et à fermer les verrous de la cage de la bête. En revanche, le temps n'a jamais guéri ma blessure, mais j'ai continué à vivre. Puis, quelques années plus tard, mon cousin a emprunté la voie de son père pour aller combattre dans les colonies. Alors, si tu arrives à trouver un lien avec la Salémite dans tout ça, bravo.
Silence.
— Excuse-moi, on a été coupés au moment où tu rejoignais ton Oncle Alvin après la mort de ta mère. Tu pourrais répéter ? m'a dit Charles.
Je me suis crispé sur le siège.
— Quoi ?
J'ai entendu son rire froid exploser par saccades derrière le combiné.
— Ne panique pas, c'est une blague... Tu permets ? J'avais besoin de détendre l'atmosphère. Ce n'est pas la plus gaie des histoires que j'ai entendues.
Il n'avait pas tort. Mes mains étaient moites, ma gorge était sèche. Me replonger dans ces souvenirs avait été un calvaire. Reste que son humour était à chier.
— Quelque chose t'a interpellé dans mon récit ?
— Si j'ai bien compris, tu es une sorte d'hybride ?
— Quel rapport avec la sorcière ?
— Indirect. Mais puisque tu as été créée à partir d'un loup d'Amérique et que la Salémite semble traquer une lignée spécifique... Je me disais qu'on avait une piste.
Bien sûr. Il avait raison.
— Les motards ! Ce sont des Adlets, des fils d'Amarok.
— Voilà déjà ton premier lien. Trouve qui est cet Amarok !
J'avais déjà entendu ce nom. C'était une légende inuit.
— Et Graziella, elle en pense quoi ?
— Elle a le majeur levé et elle pense que tu devrais consulter.
— Cela m'aide beaucoup, ai-je soupiré.
— Non sérieusement... elle est certaine que des évènements majeurs se cachent dans tes absences lorsque la bête prenait le contrôle. Des parties importantes manquent à ton puzzle. Il te faudrait une hypnose ou... tiens ton amie Rose est sorcière non ? Elle pourrait t'aiguiller.
Mon amie... peut-être, si je pouvais lui faire confiance. J'avais encore la photographie sous les yeux. Quel était son vrai lien avec Thomas ?
— Enquêter sur la lignée d'Amarok, me faire farfouiller le cerveau par une sorcière, ensuite ?
— La lettre. Celle que tu as reçue. Ton amie a dit qu'elle était ensorcelée. D'après ce que tu m'as raconté, ce lien avec ton cousin, cette dette de sang t'aurait obligée à lui obéir, c'est cela ?
J'ai allumé.
— Un sort aurait donc été inutile, ai-je conclu.
— Exact. Je ne pense pas que c'était une double précaution, mais plutôt que ce n'est pas ton cousin qui a écrit cette lettre. Pour une raison ou une autre, quelqu'un te voulait ici, mais pas lui.
Qui à part la Salemite ? Et comment pouvait-elle connaître mon existence en Europe ?
— Autre chose. Comment je tue cette saloperie ? ai-je demandé.
J'ai attendu que Charles finisse de parler avec Grazzie.
— Tu ne peux pas. Désolé, mais cela requiert de la magie, de la sorcellerie, des enchantements. Tu peux la chasser de son enveloppe à coup de crocs et de griffes, c'est tout.
Rose. Quelque chose me disait qu'on allait devoir encore passer du temps ensemble. La Salemite continuerait à me traquer, et j'aurais besoin de ma petite sorcière pour l'éliminer. J'étais donc devenu un appât. Un gros appât.
— Rien d'autre ?
— Si, je voudrais que tu m'en dises plus sur Abbot à l'occasion. C'est fascinant qu'à cette époque il ait pu faire toutes ces découvertes et ces expériences sur les êtres surnaturels. Je rêverais de pouvoir mettre la main sur ses notes.
J'ai cru qu'il avait plaisanté. Mais le ton de sa voix ne contenait aucune trace d'humour.
— Et aussi, je viens de comprendre pourquoi tu vois les fantômes. Tu le dois au sang de vampire qui a servi à te créer. On est donc cousin... en quelque sorte.
Non. Je n'avais qu'un cousin, et il était mort.
— Ah, a-t-il continué ! J'ai failli oublier le plus important ! Tré...
L'iPhone a grésillé dans mes mains et s'est éteint. Une odeur de composant brûlé m'a envahi les narines.
Plus de courant non plus. La maison était plongée dans le noir.
— Pas normal pantoute, m'a dit Fritz à l'oreille.
Pas une panne, non.
— C'est des ondes EMP ?! Le pc est foutu Câliss ! a dit Fritz sur le ton d'un enfant à qui l'on vient de briser un jouet.
Qui ? Comment ?
Le fantôme m'a regardé avec une moue coupable.
— Esti de dossier encrypté à mârde, m'a-t-il dit en susurrant comme s'il craignait d'être entendu.
— Devait y'avoir un criss de signal... ils ont dû tracer l'IP, Tarbarnak !
Restait à savoir qui étaient ces « ils ».
— Tu peux aller vérifier ? Cela m'aiderait merci, ai-je demandé à Fritz.
Il m'a souri et disparu.
J'ai levé la tête, tiré les rideaux de la chambre tout en étant collé au mur.
J'ai jeté un rapide coup d'œil.
Je n'ai rien vu d'autre que les arbres qui dansaient dans le vent aux abords du chalet.
Mon odorat restait au point mort lui aussi, pas d'odeurs corporelles détectées.
Tchtomp ! Le son d'un lanceur de balle de tennis.
La vitre s'est brisée et j'ai vu un projectile valser dans la chambre.
Une grenade !
Elle a rebondi sur le matelas et cogné contre le mur avant de tomber sur le parquet et tourner comme une toupie en sifflant.
Merde. J'ai sauté vers la porte.
Trop tard.
Un gaz s'est échappé du projectile et s'est rependu à la vitesse d'une nuée ardente dans toute la maison.
Par réflexe, j'ai niché ma tête dans les manches de mon T-shirt pour filtrer l'air, mais de la fumée s'était déjà engouffrée dans mes narines et dans ma gorge.
J'ai commencé à suffoquer et mes jambes se sont dérobées sous mon poids.
Chlorure d'argent...
Ma vue se brouillait et je sentais mes bronches s'embraser.
Transforme-toi William !
J'ai canalisé ma rage... Et tant pis pour la maison de Maé.
J'ai hurlé. Mais rien ne s'est passé. Le loup est resté dans la cage. Bordel, pas normal !
L'entrée... C'était ma seule chance.
J'ai titubé et trébuché en prenant appui sur les murs en rondin.
Puis j'ai rassemblé mes dernières forces et je me suis lancé sur la porte. Elle a valsé sous mon poids.
J'ai roulé sur le sol, me suis allongé sur le dos et j'ai ouvert grand la bouche pour respirer.
Un homme en cagoule, vêtu d'armure a fait irruption dans mon champ de vision. Le bout de son fusil s'est collé à mon nez.
Un fusil ? Encore ?
Puis, l'individu a hoqueté de surprise et il s'est écroulé à côté de moi.
Je suis resté sur le dos, je n'avais plus de force.
— J'espère que sauver ta peau ne va pas devenir une habitude !
Rose.
Elle m'a saisi par les bras et m'a tiré.
— Allez, bouge ton cul ! a-t-elle hurlé
J'ai réussi à me mettre à genoux, puis à me redresser.
— T'as vraiment des goûts de chiotte. Tu ne ressembles à rien dans ce Jogging. Allez, monte dans la voiture qu'est-ce que tu attends ? Les chasseurs rappliquent !
Les chasseurs ? Mais combien d'ennemis avais-je ici ?
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