Je me suis réveillé à sept heures, en entendant du mouvement derrière ma porte. C'étaient les habitants du camp qui se levaient. Je me suis vite habillé, et je les suivis. Je n'ai pas vraiment fait attention à ce qu'il y avait sur le palier hier, passionné dans mes dessins. Pourtant j'en aurais tant appris ! La vie ici se déroule en deux temps : le matin, heures de repos pour les enfants, et l'après-midi, heures de repos pour la plupart des adultes. Aproximativement. C'est un groupe d'écolier qui me l'apprend. Ils ont été surpris quand je leur ai dit que je ne venais pas du camp, mais ils comprennent vite. Bien plus vite que ne comprendraient les enfants du Camp du Dernier Cerf.

   Les habitants du camp ne semblent pas vraiment se soucier du chaos qui règne au-dehors. Pour eux, le monde se limite à leurs bâtiments fermés et isolés. Je n'ai aucune envie d'être plaint à cause de mon passé dans le Désert, mais un peu d'empathie envers ceux qui luttent pour survivre serait la bienvenue de la part de ceux qui n'ont plus rien à craindre. Il faut que je voie Paul, ou Mira. Ils pourront sûrement m'expliquer.

   On m'indique que Mira travaille au bâtiment 13, alors j'y vais. Je me rends vite compte que ce qui se passe dans ces bâtiments est tout à fait différent du reste du camp. Les hangars sont de plus en plus immenses, et remplis d'ordinateurs et autres machines étranges.

   Je trouve Mira en grande conversation avec un homme en blouse. Ce n'est pas le seul habillé ainsi. La plupart de ceux qui travaillent ici le sont. Mira me voit arriver, et l'homme se retourne. Quand il semble me reconnaître -alors que je ne l'ai jamais vu- il se tait, et une ombre passe sur son visage. Il dit encore un mot que je ne peux pas entendre, et se retire. En passant à ma hauteur, il me siffle :

_Tu n'es pas unique, d'accord ? N'oublie jamais ça. Tu es trop jeune de plus de dix ans. Mira se trompe : tu ne peux pas être l'enfant de la prophétie.

   Il secoue la tête, prend une expression affligée, et tourne les talons. Une fois qu'il est parti, Mira s'adresse à moi :

_Thomas travaille avec moi autour de la prophétie. Lui aussi répond à ses termes, c'est donc un enfant de la prophétie. Ce qui ne signifie pas, évidemment, que tu n'en es pas un aussi. C'est justement ce pourquoi nous sommes en désaccord lui  et moi.

_C'est un enfant de la prophétie ? je demande. Alors il faut qu'on ramène le Soleil ensemble ?

_Non, il ne faut pas. Vous allez le faire, c'est différent.

_Comment peut-il y avoir plusieurs enfants de la prophétie ?

_C'est simple : si aujourd'hui j'imagine une prophétie qui dit qu'un jour naîtra une fille rousse qui aura quatre frères, et que cette fille découvrira le moyen de sauver l'humanité, alors il est très probable que ma prophétie désigne plusieurs filles différentes, et il est probable également que si l'une d'elles connaît cette prophétie elle aura plus de chance d'essayer d'y répondre, et donc de réussir. C'est pour cela que les prophétie se réalisent toujours. Tu comprends ?

   Je réfléchit un instant. Ce qu'elle dit n'a pas de sens. Je réponds simplement :

_Non.

_Ce n'est pas grave, répond-t-elle avec un sourire, tu te rendra bien vite compte par toi même. Mais tu es venu me voir de toi même. As-tu une question ?

_On est où là ? Pourquoi tu n'es pas habillée comme tous les autres ?

_Ici ? s'étonne-t-elle en regardant alentours. Ici nous sommes dans les quartiers de recherche. Les gens que tu vois tout autour de nous travaillent sur le projet d'une nouvelle source d'énergie, en substitution au Soleil. J'ai beau leur dire que l'enfant de la prophétie ne tardera pas à réaliser ce qu'on attend de lui, ils n'en écoutent pas un mot. Ils nous traitent de tous les noms, ne veulent pas nous croire. Tu ne dois pas te laisser avoir par ce qu'ils racontent, d'accord ? C'est toi qui ramènera le Soleil, pas leurs expérinces. D'accord ?

_D'accord.

   Je suis rassuré. Mira m'a dit ce que j'aurais voulu entendre, je suis bien destiné à être un sauveur. Et elle a sûrement raison, aucune expérience ne ramènera le Soleil. Je suis plus déterminé que jamais à accomplir la prophétie.

   Nous marchons un peu, et finissons par arriver à la partie du quartier de recherche où Mira travaille, après être passé devant des chercheurs penchés sur des projets d'énergies, de nourriture ou de recréation d'êtres vivants. J'ai été impressionné par ce dernier projet, mais Mira l'a balayé d'un revers de la main : ils n'y arriveront jamais, c'est impossible.

   Dans le quartier de Mira, je reconnais Thomas, et un groupe de chercheurs. Peu d'entre eux travaillent sur un ordinateur ou des machines complexes, mais plutôt sur des livres, des cahiers, des shémas. Quelqu'un appelle Mira, alors elle me dit de retourner dans ma chambre pour la fin de la journée, sans passer par les quartiers de recherche. Demain j'irais me fondre avec les autres enfants, et j'irais à l'école l'après-midi. Heureusement que Claudia m'avait appris à lire et écrire avant que je ne m'enfuie.

   Je fais donc le tour d'un bâtiment, et finis par retrouver mon palier. Il est onze heures et demi. Je passe le reste de la journée à attendre l'heure qui suit. Puis je m'endors sans faire attention à l'heure qu'il est.