Jour 3
Un oiseau me regarde. Il attends. Non, les oiseaux n'attendent jamais. Ils sont impatients. Les hommes aussi ont été impatients. Ils le sont toujours. L'oiseau ne bouge pas, ses grands yeux de miroir sont rivés sur moi, comme s'il pouvait me tuer d'un simple regard. Après tout je suis si faible, trop faible pour bouger. Je suis mort, la petite voix avait raison. Je ne reverrais plus mes amis. Je ne reverrais plus Claudia.
CLAUDIA !
Mon hurlement me fait sortir instantanément de mon rêve. Plus d'oiseau, plus de petite voix. Je mets quelques instants pour me remémorer hier. Le Camp du Dernier Hibou. Le bureau dans lequel je me suis endormi. La porte s'ouvre soudainement et l'homme entre dans la pièce, soucieux. Il est suivi d'une jeune femme que je ne connais pas non plus -il est décidément impossible que je sois rentré chez moi. Tous deux sont soulagés de me voir en pleine santé.
_Ne cries plus comme ça petit, souffle l'homme.
_Vous m'avez pas dit c'est quoi votre nom.
Je dis n'importe quoi, je n'ai pas totalement les idées claires. Mon erreur fait sourire la jeune femme. L'homme se présente comme Paul, et sa fille, Mira. Ils ont des questions à me poser mais d'abord je dois manger. Paul sort de la pièce, me laissant seul avec le silence de Mira. Cette dernière décide de le briser après un peu plus d'une minute.
_Claudia, c'est ta mère ?
_Non, je grimace, c'est ma tutrice. Je n'ai pas de mère.
Elle fait une moue désolée, et se replonge dans la contemplation de l'horloge. Je me rends compte que j'ai dormi jusqu'à onze heures du matin. Sans qu'on vienne me réveiller, je ne l'ai pas fait seul. J'ai honte. Paul revient, avec de la nourriture. Je ne mange pas tout, il y en a beaucoup trop. Les deux adultes s'assoient ensuite en face de moi. Ils ont des questions, mais aussi sûrement des réponses.
_Pourquoi n'es-tu pas dans ton camp, Naël ?
_Je sais pas.
Pathétique, comme réponse. Mais c'est vrai : je ne sais pas trop ce qui m'a pris. Peut-être que j'en avais marre qu'on se repose sur moi en prétextant une stupide prophétie. Et même si ce n'était pas stupide, il n'y a aucune raison que ce soit moi. Pourquoi moi ? Non, inutile de se poser des questions maintenant, je ne pourrais pas y répondre.
Paul n'insiste pas, et il commence à me poser des questions sur mon trajet jusqu'ici. Je lui raconte la tempête de neige, l'oiseau, le digicode. A chaque mot, je vois son regard se remplir d'espoir, et le sourire de Mira s'agrandir. A la fin de mon récit, elle prends enfin la parole :
_As-tu déjà entendu parler de la prophétie ? Celle qui parle d'un enfant sans père ni mère sachant entendre les oiseaux, et qui déciderait de combattre l'ère du Désert avant ses dix ans. Celui qui ramènera le soleil.
_Oui, je soupire. Mais cet enfant n'existe pas.
_Naël, articule-t-elle en fixant son regard dans le mien. Tu es l'enfant de la prophétie.
_Non.
_Pourquoi ?
_Parce que j'ai plus de dix ans, et que je n'ai jamais décidé de combattre l'ère du Désert. Et surtout parce que personne ne pourra jamais faire revenir le Soleil.
Un silence. Je crois que j'ai crié. Peu importe, s'ils me gardent ici en espérant que je vais les sauver, ils peuvent toujours attendre. Même si j'ai changé d'avis sur ce que je voulais faire en partant du camp, je ne crois toujours pas en cette prophétie. Mira prends soudain la parole.
_Je ne pense pas que tu ai plus de dix ans. Ensuite tu as décidé de t'enfuir de ton camp, ce qui correspond à combattre l'ère du Désert. Et pour finir, même s'il y a des chances pour que l'enfant de le prophétie n'ai aucun pouvoir pour nous sauver, elles sont faibles, et il serait quand même l'enfant de la prophétie. Car cette prophétie existe. Qu'elle ai été faite avant ta naissance ou après n'y change rien. Tu es l'enfant de la prophétie. Même si tu ne le veux pas et que tu n'as aucun pouvoir sur quoi que ce soit.
_Pourquoi ce serait moi ?
Les minutes suivantes se déroulent dans le silence. Ses yeux n'arrêtent pas de me regarder, j'ai l'impression qu'elle n'en cligne jamais. Je me rends compte que son père est parti depuis longtemps après la dernière parole échangée. Elle se rends compte que mon attention vacille, et reprends :
_Naël, quel âge as-tu ?
Impossible de lui mentir, elle le verra immédiatement. Je vois à l'horloge qu'il est déjà une heure et demi de l'après-midi. Cela fait plus de heures qu'elle attend de me poser la question.
_J'ai neuf ans.
C'est tout. Rien d'autre. Juste une lueur solide de satisfaction dans le regard de Mira. Elle se lève, et s'apprête à partir. Avant de passer la porte, elle me demande si je préfère rester ici encore un jour ou deux ou si j'ai assez récupéré pour me balader dans le camp. Je sais que si je sors, tout le monde me regardera. Elle ne tardera pas à faire savoir ce qu'elle sait, et je déteste être le centre de l'attention. Même si je me sens bien mieux qu'hier, je décide de ne pas bouger pour l'instant. Je dois d'abord penser à me changer. J'avais pris dans mon sac des vêtements de rechange -optimisme, toujours- et je porte les même de puis maintenant trois jours. Ensuite, je vais dormir encore un peu, parce que j'ai peur de m'ennuyer. C'est ce que je fais.
Je me réveille vers cinq heures du soir. Je me rends compte que je viens de gâcher une journée entière en ne faisant rien. De toutes façons, qu'est-ce que je pourrais faire ? Même la petite voix ne semble pas avoir de réponse à ça. Je sais seulement que je ne vais pas sauver notre planète de ce qui l'attend. Mais l'heure n'est pas à y penser. Je trouve sur un plateau mon repas. Soupe, et salade grise.
Après avoir mangé, je cherche dans mes affaires quelque chose à faire. Rien dans mon sac, rien dans mes poches. Je cherche dans la pièce, notamment dans l'armoire sur un des murs. J'avais raison, c'était bien un bureau avant l'ère du Désert. J'y trouve des crayons de couleur et du papier. Je n'ai jamais appris à dessiner, mais la lampe devant moi sera un excellent modèle.
Maintenant, j'ai tout mon temps.
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