Prologue
"Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort"
C'était une connerie. Du moins dans son acceptation banale et contemporaine. Au quotidien, la souffrance n'endurcit pas. Elle use. Fragilise. Affaiblit. L'âme humaine n'est pas un cuir qui se tanne avec les épreuves. C'est une membrane sensible, vibrante, délicate. En cas de choc, elle reste meurtrie, marquée, hantée.
Jean-Christophe Grangé, le passager
Sur les routes de bitumes encore humides de la rosée du matin et embuée d'un pâle brouillard, elle filait sur son deux roues, habillée de noir et sac sur le dos, semant des fleurs bleues derrière elle. Des myosotis, plus précisément.
Ses chaussures hautes en tissus étaient fraichement recouvertes de terre et d'herbe verte comme celle d'un pré. S'arrêtant enfin, elle descendit de sa moto et s'approcha d'une haute grille métallique. Sa main rougie par le froid abaissa sa poignée et tira vers elle, constatant avec soulagement que le cimetière était ouvert.
Sous le grincement strident du fer, elle entra et se dirigea immédiatement à l'endroit qui l'intéressait. Le marbre gris sous la fumée, le froid et le silence donnait à la scène des allures de film d'horreur, mais la brune ne frissonnait pas. S'agenouillant devant un caveau, elle posa son sac au sol, l'ouvrit et en sortit une multitude de fragiles petites fleurs qu'elle étala pêle-mêle du bout de ses doigts.
Le myosotis symbolisait le souvenir ainsi que l'amour véritable dans le language des fleurs.
"Wade Blake 1984-2036
Jeanne Lowe-Blake 1987- "
Si son père l'avais quitté il y a deux ans suite à une maladie incurable et progressive, sa mère s'accrochait encore à la vie, bien qu'elle aussi atteinte, probablement contaminée par son défunt mari.
Lyne Blake - car c'était son nom - se releva doucement et sortit, le visage calme. Pourtant, depuis quelque temps, son esprit n'était absolument pas aussi paisible. En conflit intérieur, elle hésitait chaque soir à s'adonner aux jeux dangereux de l'alcool et des armes blanches, rongée par une solitude noire comme son âme et dévorée par le chagrin. Le chemin retour fût plus amer, sachant qu'une longue journée de travail l'attendait encore une fois.
La jeune femme était entrée dans la police à l'âge de 21ans, major de promo et orpheline de père depuis à peine quelques jours. Trop timide pour oser demander un jour de congé, elle avait raté le jour où celui-ci se faisait enterrer.
Moins de trois mois plus tard, elle fût désignée comme partenaire du lieutenant Anderson et, à la surprise de tous, l'homme avait prit Lyne sous son aile. Ils se comprenaient mutuellement, partageant la même douleur. Elle n'avait plus de père et lui plus d'enfant, et maintenant qu'ils se connaissaient, cela paraissait moins dur - enfin, uniquement quand ils étaient ensembles. Seuls, ce n'était pas la même chose -
Ayant pour habitude d'arriver tôt, elle se gara et entra dans le piste de police de la ville où elle avait emménagé pour ses études et son travail : Detroit.
Les locaux étaient sûrement déjà remplis, mais elle s'attendait à ce que son supérieur soit absent. Une fois à l'intérieur, la brune porta sa main à ses lèvres et souffla tout en les frottant dessus pour les réchauffer. Saluant ses collègues d'un petit signe de tête, elle s'arrêta net à quelques mètres. Un homme - de grande taille, visiblement - s'était installé dans le siège du lieutenant. Fronçant légèrement les sourcils, elle s'approcha un peu plus de cet inconnu.
« Excusez moi, vous attendez quelqu'un monsieur ?
— Le lieutenant Anderson, oui. On m'a dit de l'attendre ici, à son bureau.
— Vous pouvez encore attendre monsieur. Ce serait un miracle qu'il se joigne à nous avant midi. Je peux récupérer vos coordonnées pour vous contacter lorsqu'il sera de retour.
— Laisse tomber Blake, lança une voix derrière elle qui appartenait à l'inspecteur Gavin. Tu vois pas que tu parle à un bout de plastique ? »
Tournant le regard sur celui à qui elle avait parlé, elle remarqua enfin la diode située sur sa tempe.
« Oh je... Je suis désolée monsieur...
— Sérieusement ? Monsieur ? Pourquoi tu t'excuses auprès un putain d'androïde ?! s'exclama-t-il en s'éloignant, l'air exaspéré. »
Elle soupira pour contrôler le flot d'insultes qu'elle mourrait d'envie de proférer à son encontre dès qu'il venait lui adresser la parole avant d'enfin porter un peu d'attention à l'androïde, maintenant debout et droit comme un i.
« Je suis Connor, l'androïde envoyé par Cyberlife dans le but de vous aider, vous et le lieutenant dans les enquêtes concernant les déviants.
— Les déviants ? Mais nous sommes affectés aux homicides ! »
Elle se laissa tomber sur sa chaise, passant une main sur son visage et s'aidant de l'autre pour retirer son blouson de cuir qui l'étouffait dans la chaleur ambiante du commissariat. Elle se rendit alors compte qu'elle ne s'était pas présentée à l'androïde. Mais sûrement l'avait-il déjà scanné ?
« Je m'appelle Lyne. Lyne Blake. Enfin, ça, tu le sais déjà je pense...
— Je ne vous ai pas encore scanné, mademoiselle Blake. Je ne savais même pas que le lieutenant Anderson avait une partenaire.
— Eh bien maintenant tu le sais, Connor. »
Elle préféra mettre un terme à la conversation, allumant son ordinateur après avoir mit ses lunettes. La journée promettait d'être longue...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro