Ivan ne bougeait pas de la cuisine, malgré le regard assassin de son frère.

- Ivan? insista Dimitrei d'une voix menaçante.

- Dima, répondit son frère. Je pense que c'est toi et moi qui devons avoir une discussion, Jade, si tu le permets...

- Ne donne pas d'ordre à ma femme Iva, aurais-tu perdu l'esprit?

- C'est toi qui dit ça Dima? s'énerva Ivan. Tu te moques de moi?

A cet instant, je vis qu'ils se ressemblaient, leurs regards étaient aussi sombres, leurs postures défensives et prêtes à attaquer à la fois, les deux frères étaient prêts à s'affronter. Une partie de moi voulait les laisser faire, j'étais certaine qu'Ivan aurait le dessus sur Dimitrei, c'était certain, il était plus fort que lui.

- Je sais que tu aurais voulu être à ma place Ivan, que tu aurais voulu goûter à chaque parcelle d'elle, mais tu ne peux pas et ça te frustre. Alors tu as décidé de revêtir ton costume de preux chevalier, mais lorsqu'elle verra à quel point nous nous ressemblons, tu auras perdu.

Dimitrei jubilait, il adorait ce moment, son regard passait de son frère à moi et il attendait quelque chose.  Il attendait que je le défende, que je prenne son parti en sachant pertinemment que le résultat serait le même, je perdrai. Je pris alors le bol qu'Ivan m'avait préparé et m'approchai de ce dernier avant de l'embrasser sur la joue.

- Merci Ivan, murmurai-je. Mais je ne vaux pas la peine de te fâcher avec ton frère...

Il m'attrapa le poignet délicatement et me regarda comme si j'abandonnais tout.

- Jade...

- Tout va bien Ivan, soupirai-je.

Je les laissai, sans un regard pour Dimitrei et remontai dans ma chambre avant d'entendre leurs éclats de voix. Je repris mon souffle devant la porte de ma chambre, je me sentais soudainement épuisée et un haut le coeur me retourna l'estomac. Je me précipitai vers les toilettes, malgré mon estomac vide.

- Jade? Tu vas bien ma puce?

La voix de Catarina me surprit et je me relevai tant bien que mal.

- Arrêtez de me demander comment je vais, vous savez parfaitement que je vais mal, dis-je en me rinçant la bouche.

- C'est mon fils...

- C'est un monstre! Vous le saviez Catarina, moi non, j'étais une gamine détruite et il m'a broyé pour me refaçonner à sa guise.

- Alors quitte le, murmura t-elle.

Je la regardai surprise, le quitter?

- Vous et moi savons que c'est impossible, nos vies sont liées et la seule issue possible est la mort, pour l'un ou pour l'autre... Je préfère mourrir, je ne survivrai pas, même si je le quitte, je céderai surement à la folie alors je préfère mourrir.

Je m'installai sur mon lit et mangeai la soupe qu'Ivan m'avait préparé, j'avais une faim de loup et je me sentais nauséeuse à la fois, mais je me forçai à manger, sous le regard inquiet de Catarina.

- Tes marques, toutes ces cicatrices qu'il y a sur ton corps, c'est elles qui te sauveront quand tout sera terminé Jade... Tu les verras et tu sauras à quoi tu as survécu, que tu es vivante, ça te rappellera qui tu es et qui te ne voudras plus jamais être surtout...

Ces mots étaient sincères, elle pensait réellement que je pouvais m'en sortir, mais elle avait tort. Si une fille s'en sortait après tout ça, je ne savais qui elle serait, mais il n'y aurait plus rien de moi, plus rien de Jade. Je m'allongeai sur mon lit, épuisée, et je m'endormis aussitôt.

Mon réveil fut douloureux, mon estomac m'ordonnait de rejeter tout ce que j'avais ingurgité la veille et la douleur qui s'ensuivit ne me rassura pas. Je savais, au fond je savais, mais je ne voulais pas y croire, je ne voulais pas l'accepter, je n'en voulais pas.

Dimitrei était assis sur mon lit lorsque je retournai dans ma chambre et son regard me sondait.

- Mama m'a dit que tu te sentais mal depuis hier... Nous allons aller à l'hôpital, pour que tu fasses un examen complet.

- Non, j'ai juste besoin de dormir, je ne veux pas sortir Dimitrei, répondis-je en m'allongeant de nouveau.

- Je m'inquiètes pour ta santé physique Jade...

- Je veux juste dormir, s'il te plaît, je veux dormir...

Mes larmes coulaient sans que je ne puisse les retenir, je savais que je ne pourrais pas y échapper longtemps.

- Qu'est-ce qu'il se passe moya luybov (mon amour)?

Je ne dis rien et laissai la fatigue m'emporter encore un peu, juste le temps d'oublier, mais Dimitrei en avait décidé autrement. Il ne me laissa pas m'endormir et me porta jusque sa voiture, avant de démarrer en trombe.

- Je t'emmène à l'hôpital Jade, dis moi que tu n'as pas fais une bêtise, s'il te plaît...

Il pleurait, Dimitrei pleurait parce qu'il pensait que j'allais mourir. Il pensait que c'était la fin, que j'avais réussi à faire ce que j'avais promis, en finir avec ma vie.

- Jade, je suis désolé, je... Je sais que je t'ai brisé, je sais que je suis un monstre à tes yeux, je le sais. C'est mon problème, ça l'a toujours été, j'ai développé une obsession pour toi depuis que je t'ai vu, je t'ai voulu et je ne peux pas supporter de te perdre, je ne peux pas Jade! Tu comprends n'est-ce pas? Tu m'as toujours compris, je le sais, ton regard ne mentait pas, je t'ai tout donné, tout ce qu'Andrei t'avait pris, mais je comprends maintenant. Je comprends pourquoi il ne voulait plus te laisser, tu es comme un oiseau en cage, on te donne un peu de liberté et tu nous échappe, c'est impossible de t'arrêter. Tu deviens inaccessible et ma vie sans toi n'est rien, rien du tout, je ne peux vivre sans toi... Pardonne moi, pardon mon amour...

Ses pleurs étaient si forts, qu'une partie de moi en fut chamboulée. Je savais que c'était lui, lui qui parlait, l'homme que j'avais aimé et pas celui qu'il était vraiment. Il s'arrêta devant l'hôpital et me porta avant de courir à l'intérieur et de hurler à un médecin de m'examiner.

- Calmez-vous monsieur, nous allons nous occuper d'elle! lança un infirmier.

- Elle a peut être pris quelque chose, il faut lui faire un lavage d'estomac!

Je n'écoutais plus ce qu'il disait, une partie de mon coeur espérait que tout s'arrête, alors je laissai mon esprit s'échapper aussi loin qu'il le pouvait. Je savais qu'on me faisait des examens, et lorsque je me retrouvai seule avec le médecin, je repris le contrôle de mon esprit.

- Comment vous sentez-vous Madame Romanov?

Le regard qu'il me lançait n'était qu'une confirmation de ce que je savais déjà.

- Depuis combien de temps? demandai-je.

- Vous le saviez?

- Je m'en doute depuis hier soir. Alors combien?

- Dix huit semaines, dit-il. Il est temps que vous preniez soin de vous, sinon...

- Je n'en veux pas...

La porte s'ouvrit sur Dimitrei et l'inquiétude que je vis sur son visage, me donna encore plus envie de mourrir.

- Alors docteur? Qu'est-ce qu'il se passe? Est-ce qu'elle va bien?

- Félicitation Mr Romanov, votre épouse est enceinte, cependant il va falloir que nous la gardions quelques temps en observation, son état est alarmant. Elle a beaucoup de carences, elle...

Je croisai le regard de Dimitrei et je vis l'espoir naître. L'espoir que cet enfant issu d'un viol, serait la clé de tout, la clé de ma guérison, mais il se trompait royalement, cet enfant était mon arrêt de mort. Je n'en voulais pas, je n'étais pas faite pour être mère, Dimitrei n'en voulait pas non plus...

- Mon Dieu... Vous êtes sur docteur? Ma femme porte mon enfant?

- Oui, de quatre mois et demi...

Je savais qu'il avait fait le calcul, pour savoir si c'était lui le coupable ou non. Mais peu importait, cet enfant ne pouvait pas voir le jour, il ne pouvait pas venir au monde, dans mon monde, et celui de Dimitrei. Comment allait-il survivre? Comment allait-il survivre à un père pervers et une mère folle? Je ne l'aimais pas, je ne l'aimerais pas, je le savais et j'étais certaine qu'il le savait aussi, c'était pour cette raison qu'il ne s'était manifesté que récemment. Il avait déjà ingurgité tant de drogues, vécu tant de choses à travers moi, et puis il n'existait pas encore non? Il n'était pas encore de ce monde, alors je devais l'épargner.

- Faites ce qu'il faut, nous ne savions pas, nous... Est-ce que ça va aller? Est-ce qu'ils vont récupérer? demanda Dimitrei en me prenant la main.

- Nous allons lui donner les meilleurs soins possibles, dit le médecin avant de nous laisser seuls.

Dimitrei murmurait dans sa barbe, en pleurant, en ruminant, en me demandant pardon, en posant sa main sur mon ventre et le caressant délicatement.

- Dimitrei? appelai-je.

Il releva la tête, et me regarda avec tout le pardon du monde dans ses yeux.

- Cet enfant ne verra jamais le jour, je te le promets, je n'en veux pas, il ne peut pas avoir des parents comme toi et moi! Alors soit certain d'une chose, tout ce qu'il me reste à vivre, je le mettrai en oeuvre pour sauver cet enfant, et le sauver c'est ne pas lui donner vie...