Adam me tient la main fermement, il me soutient alors qu'après ce qu'il vient de me livrer, ça devrait être l'inverse.

- Tu es prête? me demande t-il devant le bureau de mon avocat. Ton frère voudra surement te parler...

Est-ce que je suis prête? Je ne pense plus avoir le loisir de me poser cette question, Dimitrei est mort et je dois être lavée de tout soupçons, je ne l'ai pas tué.

Nous entrons dans la pièce, Anthony est là, mais Maitre Ramsay non.

- Jade...

Nous nous regardons, c'est lui, c'est mon frère, nos regards s'accrochent assez de temps pour que je le sache, pour que j'en sois certaine.

- Je suis désolé d'avoir réagi comme ça, je... Tu es là... Tu es là, devant moi, vivante...

Adam me presse la main doucement et me dit qu'il nous laisse un moment seuls. J'acquiesce et il me caresse la joue avant de sortir.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé? demande mon frère une fois que nous sommes seuls.

- Quelle histoire t'a t-on raconté?

- Juste que tu étais partie vivre chez un oncle qui pouvait te soigner parce que tu étais gravement malade.

Waw... Ça ne m'étonne qu'à moitié mais je ressens un pincement au coeur en l'entendant dire ça.

- Malade hein..., dis-je en riant nerveusement. Deux cent mille dollars, voilà ce que je vaux Anthony, c'est ça l'histoire.

- Je ne comprends pas, dit-il après quelques secondes.

- Andrei m'a acheté pour deux cent mille dollars à ta mère, si quelqu'un était malade c'était bien eux.

Il me regarde comme si j'étais folle, il pèse le pour et le contre, analyse la situation et semble conclure que je suis folle.

- Maman n'a pas fait ça...

Il est bouleversé, je ne sais pas pourquoi je lui ai dis ça, il ne mérite pas de subir ma rancoeur envers sa mère.

- Tu as raison, dis-je. Je suis malade Anthony, c'est ça la vérité, je ne sais même plus ce qui est vrai de ce qui ne l'est pas. Mon mari est mort, je ne me souviens de rien, j'étais pourtant présente... Garde tes distances, c'est mieux.

Il ne dit rien, et finit par froncer les sourcils.

- Tu es nouveau ici j'ai l'impression... Tu ne devrais pas associer ton nom au mien Anthony, il n'y a rien à gagner, rien du tout, j'ajoute en appuyant sur la dernière phrase.

Il s'apprête à répondre lorsque la porte s'ouvre sur maitre Ramsay et Adam. Ce dernier se précipite à mes côtés avant que la porte ne s'ouvre sur son collègue l'inspecteur Lamberts et deux officiers de police.

- Jade Romanov, vous êtes en état d'arrestation pour le meurtre de Dimitrei Romanov, annonce t-il.

Je me répète la phrase plusieurs fois avant de sentir un des officiers me prendre les poignets pour me menotter. Je me mets à hurler et à me débattre lorsqu'il me touche, tout se mélange dans mon esprit, un flot d'images m'inonde et plus je me débats plus il force.

- Ne me touchez pas!

Adam intervient, il repousse l'officier tandis que l'autre se jette sur lui.

- Lamberts! Arrête ça! Je vais le faire, je vais lui passer les menottes! hurle t-il à son tour.

Je sens des mains sur mes avants bras, des mains sur ma poitrine, des mains arrachants mon chemisier, des mains autour de mon cou serrant ma gorge, m'empêchant de respirer, je sens tout ce que seul Adam arrive à effacer, je sens tout et je me sens sombrer.

- Jade! Jade c'est moi Adam, regarde moi, regarde moi Jade.

Je sens une main sur ma joue, une main que je connais, la main d'Adam.

- Voilà regarde moi, tout va bien, respire, tout va bien.

Il inspire puis expire et je l'imite, je m'accroche à ces deux saphirs bleus qui me rassure tant.

- Je vais te passer les menottes, ça ne sera pas douloureux et tu les enlèveras dés que tu arriveras au poste, tu comprends?

J'acquiesce et il ne me quitte pas des yeux lorsqu'il me passe les menottes.

- Je t'accompagne jusque la voiture et je serai juste derrière, juste derrière toi Jade.

Un des officiers, dont le visage est griffé s'approche.

- Ne l'approche pas! S'il te plait, dit Adam.

- Tu ne seras pas là lorsqu'elle sera..., commence l'inspecteur Lamberts.

- Tu me dois bien ça après tout ce que j'ai fais pour toi! siffle t-il.

Quelque chose se passe entre eux, je vois Adam se crisper, puis Lamberts lève les mains en signe de paix et lui indique la sortie. Il me prend la main avec un sourire rassurant, il parle mais je n'écoute pas, je réalise que, même si je ne me souviens pas, c'est surement moi qui aie tué Dimitrei.

Je me laisse entraîner, je sais que j'ai fais la promesse de me battre, que la partie de moi qui veut vraiment se relever le souhaite également. Cependant, lorsque je me retrouve dans la voiture de police et que la porte se referme, lorsque les yeux d'Adam ne sont plus ce que je vois, je sens tout m'abandonner, tout.

J'ai déjà vécu un procès, celui de Dimitrei et c'était horrible, mais j'étais la victime. Cette fois-ci je suis suspecte, dans un pays qui n'est pas le mien, avec personne d'autre que moi même.

Nous arrivons au poste et je sors du véhicule, l'officier me guide vers l'intérieur en prenant soin de ne pas me toucher. Je suis emmenée dans une salle d'interrogatoire et mon avocat me suit de près, sans Adam. L'inspecteur Lamberts s'installe, et une femme entre à son tour.
J'ai toujours les menottes, mais je ne dis rien, j'attends de savoir ce qu'il s'est passé et la preuve de ma culpabilité.

- Bonjour Mme Romanov, commence la femme en appuyant sur mon nom, je suis le détective  chef Jane Staford.

Je vois la surprise de maitre Lamberts également, si le chef en personne procède à mon interrogatoire, c'est qu'il y a eu intervention de quelqu'un de haut placé. Je sais que Dimitrei est très proche de l'ambassadeur de Russie, malgré son passage en prison il restait un homme respecté et surtout craint par beaucoup. Elle m'explique que tout va être enregistrée.

- Dites nous ce qu'il s'est passé cette nuit là, poursuit-elle sans attendre. Après analyse, nous avons bien trouvé une autre empreinte sur le second couteau, mais également la votre, qui était présent avec vous? C'est l'homme avec qui vous avez eu des rapports sexuels? Votre mari vous a surpris et ça a dégénéré? La prise de drogue faisait partie de la mise en scène? enchaîne t-elle.

C'est ce qu'elle pense? Que j'ai trompé Dimitrei et que je l'ai tué lorsqu'il m'a surpris?

- Ce sont vos services qui ont annoncé à ma cliente qu'elle avait été droguée et violée, et maintenant vous parlez de mise en scène? intervient mon avocat.

- Maitre ce n'est pas à vous que je pose la question. Un homme a été sauvagement tué, votre mari, dit-elle en me regardant de nouveau. Que s'est-il passé? insiste t-elle en haussant le ton. Vous devriez coopérer Jade, dans votre intérêt.

- Je ne sais pas, dis-je.

- Vous ne savez pas si vous avez tué votre mari de quatorze coups de couteau?

Elle ouvre un dossier remplis de photos du cadavre de Dimitrei. Quatorze...

- Quatorze coups de couteau, répète t-elle. Et seul le dernier lui a été fatal selon le légiste! Que s'est-il passé? Regardez ces photos et dites nous ce qu'il s'est passé.

Je la regarde brièvement, c'est une brune au regard brun, sévère, sans pitié. Pour arriver à cette place, elle a dû travailler dur dans un monde essentiellement masculin.

- Répondez, me dit maître Ramsay.

- Nous devions rentrer à Saint Petersbourg, il a... Il a commandé un diner et mit un film, je ne me souviens pas de la suite... Je... Je me suis réveillée dans cet état et j'ai découvert son corps, j'ai trébuché dessus c'est comme ça que je l'ai trouvé... Je ne l'ai pas tué...

- Vous ne souvenez pas de la suite mais vous affirmez que vous ne l'avez pas tué?

- Dimitrei est... Je n'aurai pas pu le tuer, il a toujours eu le dessus sur moi, il...

- Qui était présent alors? Vous n'étiez pas seule?

- Quoi? Non... je... je ne sais pas, je ne sais plus.

- Vous avez appelé l'inspecteur Campbell, pourquoi? Est-ce qu'il était là ce soir là?

- Non! dis-je en me levant vivement. Adam n'était pas là! Il n'a rien à voir dans cette histoire! Rien du tout!

- Asseyez-vous.

- Adam n'a rien à voir dans tout ça, il n'était pas là!

- Asseyez-vous Jade, répète t-elle d'une voix douce.

- Je n'aurais pas du l'appeler, mais je ne connais que lui ici, il n'était pas là!

- Pour la dernière fois, asseyez-vous Jade, votre excès de colère détonne avec l'image de la femme fragile que vous voulez donner.

Je la regarde de nouveau, elle cherche quelque chose, je ne sais quoi.

- La preuve est irréfutable, passez aux aveux, votre peine sera allégée, ça évitera d'engendrer des frais à la justice, et ça vous évitera de devoir raconter devant un jury toute votre histoire, ajoute t-elle.

- La preuve est irréfutable? Une preuve sur laquelle se trouve deux empreintes? C'est ce qui a été annoncé à ma cliente! Vous la désignez comme la coupable alors que vous savez qu'une autre personne était présente, en l'occurence un homme. Dimitrei Romanov était une figure importante. Il venait de signer un contrat très important pour la ville, c'est pour cette raison que vous faites votre travail à moitié et qu'il vous faut un coupable à tout prix? C'est politique ou financier?

- C'est la justice maitre, ce mot vous est inconnu étant donné les personnes que vous défendez, réplique t-elle.

- Puis-je avoir un moment avec ma cliente? Le système judiciaire de notre pays lui est complètement inconnu, elle doit connaître le fonctionnement avant de prendre une décision.

- Très bien, dit l'inspecteur Lamberts en coupant sa collègue.

- Le système lui est peut être inconnu, mais lorsqu'on commet un meurtre, on va en prison, c'est la même chose en Russie, je suppose, lance t-elle avant de se lever.

Elle claque la porte en sortant et je sursaute en entendant ce bruit. Mon avocat me parle, j'écoute distraitement, il parle de caution, de passage devant le jury si je plaide non coupable, de Cour de la Couronne, et d'autres choses qui m'échappent. Ne savent-ils pas qui est Dimitrei? Ce qu'il m'a fait? Le temps qu'il a passé en prison? Comment aurais-je pu le tuer à main nues, alors que je suis incapable de soutenir son regard? Quelque chose ne va pas, quelque chose n'est pas normal.

- Ils ont saisi la cour, une caution va être fixée ou non, selon ce que vous allez plaider Jade. Plaidez non coupable, vu les éléments présentés et votre premier interrogatoire à l'hôpital, une autre empreinte a été retrouvée, il cherche un coupable et vous êtes la coupable idéale. Plaidez non coupable.

Je ne réponds pas, la promesse faite à Adam me revient, je dois me battre, au moins pour lui. La détective pense que c'est lui qui était présent cette nuit là, mais je suis certaine que ce n'est pas le cas, et j'ai le sentiment qu'elle veut aussi détruire sa réputation.

- D'accord, dis-je.

- Très bien, nous allons attendre que la cour fixe la caution, et vous pourrez au moins rentrer chez vous, en attendant le procès.

Seul l'inspecteur Lamberts revient, il n'est pas seul, je confirme machinalement que je plaide non coupable, je signe ce que mon avocat me demande de signer et je suis conduite dans une autre pièce où on me demande de patienter, seule.

Je me souviens du procès de Dimitrei, son avocat m'avait demandé de raconter dans les moindres détails chaque rapport sexuel forcé que j'avais subi, ça avait été une torture pour moi. Tout le monde me regardait, les hommes semblaient curieux, comme s'ils voulaient savoir ce que ça faisait de faire subir toutes ces choses à une femme. Je pose ma tête sur la table, tentant de chasser toutes ces images qui déferlent dans mon esprit.

La porte s'ouvre au bout d'un temps que je suis incapable d'évaluer et la détective entre, accompagnée de mon avocat.

- Nous allons vous déférer devant le tribunal qui décidera de vous placer en détention ou de fixer une caution, dit-elle.

Deux femmes entrent et me ramènent jusqu'à une voiture. Le trajet est silencieux, je me laisse guider jusqu'à la Magistrates' court, le coeur battant. Je ne supporterai pas d'être enfermée dans une cage, je ne peux pas... Je sens que ma respiration s'accélère, que mes oreilles sifflent et que des bouffées de chaleur m'assaillent. Non, je ne dois pas craquer, pas maintenant, je n'ai pas le droit. Je laisse mon avocat parler, jusqu'à ce qu'on me pose la question.

- Que plaidez-vous?

Mes yeux ont de plus en plus de mal à rester ouverts. Ne sombre pas Jade.

- Que plaidez-vous, répète le juge en face de moi.

- Non coupable.

Je sens son regard sur moi, mais j'évite de lever les yeux.

- Nous demandons une libération sous caution, intervient maitre Ramsay. Ma cliente n'a pas de casier judiciaire, elle ne représente aucun danger pour la société. Elle n'a plus son passeport, elle ne peut quitter le pays et son état actuel nécessite des soins.

Rien, le juge reste silencieux. La prochaine étape est le procès, je ne sais pas si je vais résister une deuxième fois à cette épreuve.

- La caution est fixée à cent mille livres. Vous devrez rester à Londres jusqu'au début de votre procès, annonce t-il en refermant le dossier.

Lorsque j'entends sa réponse, je lâche prise et je me laisse sombrer, la meilleure protection que je connais, la seule protection que je connais.