Je me laisse faire, désorientée.

Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive, je vois un médecin m'aider à me lever, je crois que je l'ai vu un peu plus tôt mais je n'en suis pas sure. Un agent de police me passe des menottes aux poignets et je le suis, du moins je me laisse entraîner. Il me parle, mais je ne distingue pas ses mots, j'essaye de déchiffrer ce qu'il dit mais rien n'y fait, ma vision est brouillée et un sifflement résonne dans ma tête.

Un homme arrive et se place devant moi, il me regarde, je vois sa main bouger, je crois qu'il veut me faire réagir mais je n'en suis pas sure, je ne suis sure de rien, tout est flou. Soudain je reçois de l'eau glacée sur le visage.

- Jade? Est-ce que vous m'entendez?

Je cligne des yeux à plusieurs reprises et l'inspecteur Lamberts est là, en face de moi.

- Je suis désolé mais vous ne réagissiez pas, dit-il. Nous allons vous emmener au commissariat pour procéder à votre interrogatoire, votre avocat sera présent vous comprenez?

- Mon avocat? demandai-je

- Oui, Maître Ramsay.

Je mets quelques minutes à comprendre que c'est l'avocat dont m'a parlé Adam, son ami. Nous sortons de l'hôpital à la tombée de la nuit, les portes s'ouvrent à peine que plusieurs flashs m'aveuglent et je suis assaillie par des journalistes qui me posent plusieurs questions.

- Madame Romanov, avez-vous tué votre mari?

- Qu'est-ce qu'il s'est passé cette nuit là?

- Est-ce lui qui vous a mise dans cet état?

Plusieurs micros sont tendus dans ma direction, plusieurs personnes me regardent, et je me laisse entraîner dans la voiture qui démarre tout de suite, sous le choc.

- Ils sont là parce que Mr Romanov venait de signer un contrat juteux avec le groupe Dean & Donnel, l'un des plus gros employeurs du pays. Ça a fait la une des journaux, surtout qu'ils étaient en difficulté et risquaient de devoir licencier des milliers de personnes.

Un contrat? Dimitrei était venu à Londres pour affaire? Nous arrivons au commissariat, et l'inspecteur Lamberts m'emmène dans une salle d'interrogatoire où se trouve un homme que je ne connais pas.

- Bonsoir Madame Romanov, je suis Maître Ramsay et je vais assurer votre défense si vous êtes d'accord. Est-ce que les menottes sont nécessaires? Vous voyez bien l'état de ma cliente!

- C'est la procédure Ramsay et vous le savez.

- Elle n'est pas en état d'arrestation pour le moment.

Les menottes sont retirées de mes poignets mais je ne bouge pas, j'observe la pièce et les mots de mon avocat font échos dans mon esprit. Je vais peut être passer le reste de ma vie en prison, pour le meurtre de Dimitrei, que je ne suis même pas sure d'avoir tué.

- Vous pouvez vous asseoir Jade, me dit l'inspecteur.

Je prends place près de mon avocat, et la douleur irradie mes côtes. Je me rends alors compte que je ne me suis pas vue depuis ce soir là, alors je me relève.

- Restez assise Jade, lance fermement l'inspecteur Lamberts.

- Est-ce que je peux me regarder dans le miroir? S'il vous plaît...

Il me donne son accord et je me dirige vers le miroir. Je ferme les yeux quelques secondes avant de les ouvrir à nouveau et de découvrir avec effroi les dégâts sur mon visage.

Je comprends maintenant pourquoi ma vue me paraissait si troublée, mes yeux sont à peine ouverts, deux énormes marques violacées les entourent. Ma mâchoire est également marquée et j'ai une ouverture sur la joue, Dimitrei n'y est pas allé de main morte, c'est la première fois qu'il me frappe au visage, il ne l'avait jamais fait avant, question d'image. J'ouvre ma veste et une bande large enserrent mon thorax, j'ai des hématomes sur les bras et j'ai du mal à croire qu'il ait pu me laisser autant de marques. Mes cicatrices sont visibles et étrangement, elles me rassurent, je suis sure qu'il s'agit bien de moi et que tout ça est réel.

Je retourne m'asseoir, les mots d'Adam en boucle dans mon esprit, ne pas avouer ce dont je ne me souviens pas, un crime que je ne suis pas certaine d'avoir commis et je suppose que les preuves matérielles me diront si je suis coupable ou non.

- Très bien Jade, nous allons pouvoir commencer. Sachez d'abord que vous n'êtes pas en état d'arrestation pour le moment, alors je tiens à vous remercier de votre collaboration. Est-ce que vous pouvez me raconter ce qu'il s'est passé la nuit du 18 février?

Mon coeur s'arrête, le 18 février? Ça s'était passé le 18 février et je n'avais pas réalisé que nous étions ce jour là...

- Je ne sais pas... Je...

- Prenez votre temps, commencez pas le début de votre journée.

- J'ai été chez le Dr Peters, c'était notre dernier rendez-vous, dis-je.

- Le Dr Peters?

- Oui, c'est mon psychiatre.

- Vous consultez depuis longtemps?

- Vous n'êtes pas obligée de répondre à cette question Mme Romanov, intervient mon avocat.

- Oui depuis plusieurs mois, presque un an.

- Vous étiez toujours mariée à Mr Romanov, malgré ce qu'il vous a fait subir, pourquoi?

Il emploie un ton avenant, qui se veut rassurant, mais je me sens soudainement mal à l'aise, je ressens quelque chose de malsain.

- Cette question n'a pas lieu d'être pour le moment Inspecteur, ne répondez pas Jade, tenez vous en aux faits.

- Après le rendez-vous chez le Dr Peters, Dimitrei m'attendait dehors alors je suis montée dans la voiture et nous sommes rentrés.

- Il vous attendait dehors? Durant toute votre séance?

- Oui.

- Très bien.

Il prend des notes, je ne sais pas ce qu'il écrit mais il noircit un cahier depuis que nous avons commencé.

- Ensuite nous sommes rentrés, nous avons dîné à la maison, il a mis un film je crois, je ne me souviens plus... Lorsque j'ai ouvert les yeux, j'ai découvert son corps sur le sol...

- Comment avez-vous découvert le corps?

- J'ai trébuché, il y avait du sang partout et je l'ai vu.

- Qu'avez-vous fait après?

Je reste silencieuse pendant quelques secondes, je sais qu'il connait la réponse et j'ai l'impression qu'il veut me faire parler d'Adam.

- J'ai appelé le commissaire Campbell, j'ai vu le téléphone de Dimitrei et je l'ai appelé.

- Pourquoi l'avoir appelé lui? Pourquoi pas le 999?

- Je... Je ne sais pas, c'est la première personne à laquelle j'ai pensé, je...

La porte s'ouvre et un des policiers qui était à l'hôpital donne un dossier à l'inspecteur qui le regarde attentivement avant de le refermer.

- Ce sont les résultats des analyses? demande Maître Ramsay.

- Oui. Nous avons trouvé des traces de scopolamine et d'atropine, les deux substances qu'on trouve dans la drogue qu'on appelle "le souffle du diable".

- Qu'est-ce que c'est?

- C'est une drogue qui provoque une suspension du libre arbitre et un effacement de la mémoire, ça explique pourquoi vous ne vous souvenez de rien...

J'ai été droguée? Je ne comprends pas pourquoi Dimitrei aurait fait ça, il avait d'autres moyens de me maîtriser.

- Qu'en est-il des empreintes? demande mon avocat.

- Nous avons trouvé une empreinte sur l'arme du crime, mais ce n'est pas la votre Jade, nous avons également trouvé cette empreinte un peu partout dans l'appartement.

- Aucune preuve matérielle n'incrimine ma cliente alors, elle est libre de partir?

L'inspecteur ignore mon avocat.

- Vous connaissez surement la personne à qui appartient ces empreintes, c'est quelqu'un que vous avez laissé entrer chez vous.

- Non... Personne n'est entré chez moi, c'est impossible...

- Quelqu'un vous a drogué et c'est peut être cette personne qui vous a mise dans cet état, alors réfléchissez.

- Ecoutez, ça fait trois jours que ma cliente est traitée comme une criminelle alors que vous n'avez aucune preuve matérielle la mettant en cause! Les seules traces de sang que vous avez trouvé sur elle sont les siennes et celles sur ses mains lorsqu'elle a trébuché sur le sol! Alors elle va rentrer se reposer et reviendra demain pour répondre à toutes les questions que vous aurez. Venez Mme Romanov, partons!

Je le suis, je ne veux pas rester ici, si je suis libre de partir. Les informations qu'il vient de me donner tournent dans mon esprit, c'est impossible... Dimitrei aurait fait entrer quelqu'un chez moi? Pourquoi? Non, il n'aurait jamais accepté que quelqu'un entre dans ma chambre, dans mon intimité, il ne l'aurait pas supporté.

- Jade?

Je me retourne et regarde l'inspecteur Lamberts.

- Nous avons également... Vous avez été agressée sexuellement et les traces de spermes prélevées ne sont pas celles de votre mari.

J'entends et je comprends ce qu'il vient de me dire mais je rejette complètement cette information et je sors de la pièce pour rejoindre maître Ramsay.

- Je vais faire une déclaration, pour que les journalistes cessent de vous désigner comme la coupable maintenant qu'on à la preuve que vous n'êtes pas impliquée. Je vais vous appeler un taxi et vous pourrez rentrer vous reposer. 

- Non! Je... Je ne veux pas rentrer chez moi, je vais... Je vais me débrouiller...

Nous nous arrêtons devant l'ascenseur.

- Je vais appeler Adam, et lui dire que vous êtes libre.

- Non, il a déjà eu assez de problèmes à cause de moi, je vais prendre une chambre d'hôtel, je vais me débrouiller. Merci d'être venu, je vous réglerez dés demain...

- Ne vous inquiétez pas pour ça, Adam est un ami d'enfance et il tient à vous, je vous accompagnerez jusqu'au bout. Si je ne le tiens pas au courant, il risque de m'en vouloir alors je l'appelle.

Il sort son téléphone et discute avec Adam pendant que nous sommes dans l'ascenseur et la porte s'ouvre au rez de chaussé.

- Il est dans le parking, il vous attend. Je vous accompagne, tenez, voici votre sac et la prescription du médecin, je vous appellerai demain, ne répondez à aucune question sans ma présence.

J'acquiesce et le suis jusqu'au parking sous terrain et lorsque je vois Adam tout ce que je retiens depuis ces trois jours se brise, je fonds en larmes et il me prend dans ses bras.

- Tout va bien Jade, je suis là, c'est fini...

Mes pleurs redoublent, les derniers mot de l'inspecteur ne sont pas longtemps restés dans les abîmes de mon cerveau, quelqu'un m'a violé et ce n'est pas Dimitrei... Les bras d'Adam me paraissent soudainement moins sécurisants, moins rassurants, moins confiants. J'essaye de ne pas ressentir de dégout mais je n'y arrive pas, je sais que c'est Adam, je lui fais confiance, mais je ne veux plus qu'il me touche alors je me dégage.

- Tout va bien, tu ne risque rien, viens tu vas te reposer...

Il tend la main pour me la prendre mais je recule, sous son air surpris.

- Okay, je ne te touche pas, tu veux bien monter dans la voiture?

Il ouvre la portière et je monte sans un mot. Je me répète sans cesse que j'ai confiance en lui et j'y crois, je le sais, je le ressens, il démarre et allume le chauffage.

- L'inspecteur Lamberts a dit que j'avais été droguée par ce qu'on appelle le souffle du diable. Il dit que c'est pour ça que je ne me souviens de rien...

J'attends qu'il réagisse mais il ne dit rien, concentré sur la route.

- Il dit qu'ils ont trouvé une empreinte sur l'arme du crime mais ils ne savent pas à qui elle appartient, ils ont trouvé cette même empreinte partout chez moi.

- C'est Lamberts seul qui t'a interrogé?

J'ignore sa question et continue.

- Il m'a dit que j'avais été violé et que ce n'était pas Dimitrei, quelqu'un était là ce soir là, il m'a dit que je connaissais cette personne, que je devais réfléchir.

Adam s'arrête brusquement sur le bas côté et se tourne vers moi.

- Je... Je suis désolé... Je... je te promets que je vais trouver le coupable Jade, je te le promets...

- Ne fais pas de promesse que tu ne peux pas tenir Adam, et puis c'est pas comme si c'était la première fois que ça arrivait, je vais m'en remettre...

Il parle mais je ne l'écoute pas, je tourne ma tête contre la vitre et ferme les yeux.