3- Pour tout l'or du monde
Louise avalait la poussière de ses foulées rapides, mobilisant ses muscles pour intensifier l'allure. Elle jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule. Les deux gorilles gagnaient du terrain.
- Cours ! ordonna le Malotru.
Louise s'élança à sa suite, triplant sa vitesse. Leurs poursuivants accélérèrent, percutant d'un coup d'épaule les promeneurs trop lents.
Les formes dansèrent sous sa vision instable, l'oxygène se raréfiait dans ses poumons en feu. Ils remontaient la rue, luttant contre une pente abrupte et une foule trop dense. L'endurance du tennis compensait son physique délicat, et Louise se maintenait à un bon mètre de son guide. Leurs assaillants les talonnaient.
Vingt mètres les séparaient.
Louise poussa sur ses jambes pour accélérer le rythme.
Dix mètres.
Ils dépassèrent l'échoppe d'un viticulteur. Le Malotru poussa la pyramide de cartons qui s'effondra sur le passage. Le liquide carmin inonda la terre, les éclats de verre miroitaient au soleil. Un attroupement de curieux se forma devant le commerçant fou de rage, ralentissant les deux gorilles.
Louise louvoyait entre les promeneurs, galopant derrière l'inconnu à pleine vitesse. L'adrénaline dopait ses sens, la terreur allongeait ses foulées et anesthésiait son esprit.
Soudain, ils s'arrêtèrent net. A l'autre bout de la rue, cinq uniformes noirs fonçaient droit sur eux.
- La garde ducale, marmonna le Malotru.
Derrière eux, les deux hommes se rapprochaient d'un pas tranquille, un sourire mauvais plaqué aux lèvres. Ils étaient cernés.
- Viens ! ordonna-t-il.
Il sprinta vers les gardes. Louise reprit sa course folle, le souffle erratique et l'estomac contracté. L'étau se refermait sur eux.
Soudain, le jeune homme piqua sur la droite. Louise s'engagea à sa suite dans une ruelle étroite, sombre, bordée d'escaliers descendants vers les entrailles des masures. Un doigt sur la bouche, le Malotru désigna le plus proche. Ils dégringolèrent les marches à la volée pour se tasser contre une porte en bois pourri.
Aussitôt, une dizaine de bottes piétinèrent la ruelle.
- Ils sont passés par là, aboya un soldat. Ne les laissez pas s'échapper.
Le troupeau s'ébranla dans un capharnaüm fracassant pour s'évanouir dans le silence.
Le Malotru, un index sur les lèvres, signalait un danger encore présent. Accroupie sous un ciel découvert, Louise étouffait sa respiration haletante. Une main nerveuse se porta à son cou, à la recherche de son médaillon. Ses doigts se refermèrent sur le vide. Elle remonta jusqu'à la base de sa nuque. Rien.
- Mon médaillon ! chuchota-t-elle dans un éclair de panique.
Elle fouilla ses poches, balaya les marches de ses prunelles noisettes. Aucune trace du collier. La panique compressa sa poitrine, des larmes perlèrent au coin de ses paupières.
"Ma petite lune, promets-moi de ne jamais enlever ce pendentif."
Une profonde tristesse l'envahit. D'un revers de manche, Louise chassa les larmes qui se bousculaient. Elle s'avança vers les marches, lorsqu'une main ferme lui agrippa le poignet.
- Qu'est ce que tu fais ? interrogea le jeune homme d'un ton froid. Ils vont te voir !
- J'ai perdu mon médaillon sur le chemin, il faut absolument que je le retrouve.
- Sûrement pas, rétorqua-t-il. C'est beaucoup trop risqué. Tu restes ici.
Louise bouillonnait de colère et de tristesse. D'un geste rageur, elle s'arracha à son emprise.
- Ce collier est le dernier souvenir qu'il me reste de ma mère.
Avant qu'il ne réagisse, elle se précipita vers l'escalier, gravit les marches quatre à quatre en ignorant ses appels furieux.
La ruelle était déserte : ni hommes ni médaillon.
D'un pas furtif, Louise rejoignit l'intersection. Elle glissa une tête prudente vers la rue agitée, la poitrine étreinte d'une sourde angoisse. Et si l'un des promeneurs l'avait volé ? Et si l'un des animaux l'avait piétiné ? Ses souvenirs se résumaient à ce médaillon d'or. Sa mère... Son coeur se serra. Elle mordit sa lèvre inférieure et déglutit.
Soudain, un reflet doré accrocha son regard. Niché sous les plis d'une chemise crasseuse, son médaillon reposait entre les seins ronds d'une solide matrone. Elle se pressait vers la sortie du boulevard, des coups d'oeil suspicieux jetés à la ronde. Deux mètres en contrebas, une silhouette drapée de noir remontait l'allée, une épée large comme un tronc attachée dans le dos.
Louise se pétrifia. Réclamer son collier attirerait l'attention du garde. La sagesse lui soufflait de fuir.
Mais il était tout ce qu'il lui restait.
Louise fendit la foule, le front baissé. Elle aborda la femme, sourire aux lèvres :
- Combien pour le collier ?
La vieille loucha sur sa poitrine, puis plissa les yeux.
- T'as de quoi payer ?
Louise pencha la tête vers la droite et plissa les lèvres en une moue dubitative.
- Ça dépend, c'est du vrai ?
La matrone ricana, dévoilant une rangée de dents noirâtres.
- Pour sûr, comme tu n'en verras jamais dans ta vie, ma petite.
Le garde arrivait à leur hauteur.
- J'ai besoin de vérifier par moi-même, exigea Louise. Je me suis fait rouler trop de fois.
La femme secoua la tête et rapprocha d'elle son opulente poitrine.
- Fais comme tu veux, petiote, mais il reste autour de mon cou.
- J'ai besoin de l'avoir entièrement en main, s'entêta-t-elle. Je veux vérifier la chaîne, le fermoir et tout le reste pour m'assurer qu'il vaille mes mille pièces d'or.
Elle avait promis une somme au hasard, et à la mine illuminée de la vieille, elle avait tapé juste.
- D'accord, capitula-elle. Mais pas d'entourloupe, les gardes ne sont pas loin.
Un frisson lui dévala l'échine. L'homme en noir marchait d'un pas martial vers l'autre bout du boulevard, empêchant toutes retraite. Elle attrapa son médaillon, le contact rassurant de l'or froid au creux de sa paume. Louise s'éloigna d'un pas, l'élevant au soleil d'un air concentré.
- Alors ? s'impatienta la vieille. Tu le prends ?
Louise bondit en avant, dissimulant le pendentif sous son pull gris.
- Au voleur ! hurla la femme. Elle s'échappe !
Louise bouscula un homme à grand coup d'épaule. Des pas lourds martelèrent les pavés. On lui attrapa le bras. Un sinistre craquement déchira l'air. Une douleur sourde irradia sa clavicule.
Le pommeau froid d'une épée fracassa son crâne. Le monde s'évanouit.
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