13- La Course aux étoiles
Ses foulées avalaient de moins en moins de distance, écourtées par le poids écrasant de sa robe et l'inconfort de ses souliers en verre. Ses poumons enflammés crachaient leur souffrance, un point de côté lui brûlait l'estomac et son souffle saccadé mourrait dans le fond de son corset.
Louise céda à la douleur qui affluait de toute part, stoppant sa course pour se courbée en deux, l'air frais de la nuit englouti par sa gorge avide.
- Tu fais quoi, là ? demanda Orion qui revenait en arrière. Je te signale que les gardes sont à nos trousses.
- Je n'en peux plus, articula Louise entre deux respirations. Ce corset me prive d'air, et cette robe affreuse pèse une tonne. Sans compter sur ces chaussures à talon qui ne m'aident pas beaucoup, pesta-t-elle.
- Il faut que tu enlèves ton corset.
Louise re redressa à moitié, une main plaquée sur sa côte gauche.
- Très drôle, vraiment. Et explique-moi comment je suis censée y arriver toute seule, ce truc est impossible à défaire sans aide extérieure.
Orion réduisit la distance qui les séparait et se positionna dans son dos.
- Ne bouge pas, intima-t-il.
Louise comprit ses intentions et se redressa vivement.
- Hors de question, s'exclama-t-elle un peu trop vite.
Un sourire moqueur ourla les lèvres d'Orion.
- Et pourquoi ça ? Interrogea-t-il, amusé par la gêne qu'il devinait se peindre sur la figure de la jeune fille.
- Parce que... et bien parce que..., bafouilla-t-elle.
Orion dégagea les mèches blondes d'un geste autoritaire et déboutonna le haut du corsage, juste sous sa nuque.
- C'est bien se qu'il me semblait, railla-t-il. Il n'y a aucune raison valable. En attendant, cinq petits chiens bien armés de sa très chère altesse sont lancés à nos trousses, alors tu vois, on ne va pas s'embarrasser des détails.
Louise ne répliqua rien, mal à l'aise. Elle reconnaissait la nécessité de la chose, mais leur proximité la dérangeait.
Les doigts agiles d'Orion courraient dans son dos, elle percevait son souffle chaud sur la peau glacée de sa nuque. Il dénuda les charnières du sous-vêtements en quelques secondes, et le froid ne s'infiltra qu'avec plus de verve sur son épiderme. Alors qu'elle s'attendait à ce qu'il délasse un à un les noeuds retenant les baleines, l'éclat d'une lame métallique brilla sous la lune pour trancher toutes les cordelettes d'un coup sec.
- Tu peux l'enlever maintenant.
- Louise se planta face à lui, les mains plaquées sur le taffetas pour maintenir le tissu contre sa peau.
- Tourne toi d'abord.
Son éternel demi-sourire accroché au coin des lèvres, Orion effectua un demi-tour vers le chemin désert, bras levés en signe de reddition.
- Ta demande m'étonnes, argua-t-il tandis que Louise se dévêtait de son corsage. Je n'ai jamais eu à me retourner lorsqu'une fille se déshabille.
- Navrée d'avoir blessé ton égo, marmonna Louise en se délestant de l'objet de torture.
Elle balança le corset par-dessus la haie à la manière d'un javelot. Le vêtement décrivit un arc de cercle dans le vide pour s'écraser, hors de vu, sur le chemin sablonneux.
Louise enfila les manches bouffantes de taffetas soyeux, rajusta son corsage pour barrer l'accès du vent frais à sa peau, et respira l'air du soir à grandes goulées. La sensation de l'oxygène déferlant dans ses poumons sans entraves agita en elle un sentiment de bien être qu'elle n'avait plus connu depuis deux jours.
- Je peux me retourner ? s'impatienta Orion.
- Non.
Louise retroussa ses lourdes jupes au niveau des hanches, et s'attaqua aux sautoirs d'osier qui arrondissaient la robe en un large cercle. Attachés par un mécanisme d'emboitement, les paniers métalliques et tressés pesaient un bon kilo. Louise se contorsionna pour atteindre les attaches positionnées à la naissance de sa colonne vertébrale.
Les cerceaux tombèrent au sol en un cliquetis métallique, soulevant une trainée de poussière et de grains de sable. D'un coup de pied haineux, elle dégagea les encombrants paniers à l'autre extrémité de la largeur du chemin, et rabattit sa robe sur ses jambes nues.
- C'est bon, prévint-elle.
Orion se retourna, l'observant se débattre avec les attaches de sa robe.
- Tu veux de l'aide ?
- Non merci, rétorqua-t-elle, les coudes pointés vers le ciel sombre.
Elle bataillaient contre un bouton récalcitrant qui ne rentrait pas dans la minuscule bouclette de cuir.
- On n'a pas toute la nuit, asséna-t-il.
Un sourire moqueur ourlait ses lèvres, et il détaillait la scène de ses pupilles amusées.
- Maudite robe, grogna Louise, les bras rompus de fatigue à force d'être levés vers la lune.
- Tu es sûre que tu ne veux pas d'aide ? Insista Orion, nonchalamment adossé à une des haies de charme.
- Ne me fais pas croire qu'on est pressé, répliqua-t-elle. Tu nous as entrainé ici sans réfléchir, et maintenant, on est perdu au milieu de nul part. Personne ne s'échappe de ce labyrinthe vivant s'il n'a pas de plan.
- Qui a dit qu'on était perdu ?
Au même instant, des claquements de bottes et des voix graves s'élevèrent non loin de leur position. Les hommes n'étaient pas assez proches pour distinguer des bribes de conversation, mais leur présence déclencha chez Louise un regain de panique.
- D'accord, abdiqua-t-elle, dépêche toi de me nouer ce foutu bouton, et après on sort d'ici en suivant ton plan génial.
Orion balaya les mèches blondes au contact de sa nuque et attacha le corsage d'un geste habile.
- Te voilà devenue raisonnable, lui susurra-t-il à l'oreille.
Le jeune homme s'écarta d'elle, et Louise flottait sur un nuage de délivrance. Délestée d'un bon kilo de métal et d'un objet de torture, ses mouvements se fondaient à nouveau de la nuit avec légèreté. Le taffetas sombre de sa robe bleue tombait à ses pieds en ligne droite, sa poitrine se soulevait au rythme des pulsions de son coeur sans oppression aucune.
- Dépêche toi, lança Orion en s'enfonçant dans le labyrinthe.
Louise s'élança au coeur des croisements géométriques et bosquets parfaitement entretenus. Ils reprirent leur course, bifurquant aux intersections d'un pas vif et décidé. Comme dans le Palais doré, Orion s'orientait sous la lune sans la moindre hésitation.
Soudain, une silhouette drapée de noir se jeta sur lui, un couteau à la main droite. Rapide comme l'éclair, Orion s'accroupit, évitant le coup mortel. Il dégaina un minuscule poignard qu'il planta d'un coup sec dans le mollet de son adversaire. L'homme tomba à genoux, hurlant de douleur. D'un mouvement précis, Orion lui transperça le coeur. Le garde s'effondra dans un gargouillis répugnant.
Les mains plaquées sur sa bouche, Louise fixait le cadavre noyé dans une mare de sang, les yeux écarquillés d'horreur. Orion en arrachait son arme sanguinolente, essuyant le plat de la lame sur son uniforme noir.
- En route, ordonna-t-il. Son cri a signalé notre position, il faut partir.
Elle contemplait le corps sans vie étendu à ses pieds, incapable d'en détacher le regard. Un rouge noirâtre s'écoulait de la plaie béante, nimbant le sol comme un coulis de fruit rouge. Une nausée atroce lui souleva l'estomac.
- On bouge, répéta Orion de sa voix grave.
Louise reprit sa course, le coeur pulsant à une vitesse folle contre sa cage thoracique. L'échos sec des claquements de bottes sur la terre sablonneuse se dissipait dans l'immensité du lieu. Ses talons hauts meurtrissaient la chaire de ses pieds, ses poumons privés d'air la torturaient.
Elle concentra son ouï sur le silence environnant, partagée entre la terreur inspirée par ses poursuivants et la vision cauchemardesque du cadavre. Les secondes s'égrenèrent sans qu'un seul souffle de vent ne secoue les branches des charmes.
Les rayons lunaires éclairaient une haie de taille astronomique, ses feuilles compactes décrivant un arc de cercle parfait.
- C'est une impasse, commenta Louise, paniquée.
Orion ignora sa remarque. De sa démarche nonchalante, il atteignit le murs de branches entrelacées qui leur faisait face. Ses mains accrochèrent un point invisible, actionnèrent une poignée imaginaire, et un pan du charme pivota.
- Madame, désigna-t-il l'ouverture béante d'un geste théâtrale.
Quand Louise l'effleura de ses manches, un haut le coeur lui broya l'estomac. Elle vomit toutes ses tripes sur ses chaussures.
- Charmant, commenta-t-il d'un ton froid.
Elle ouvrit la bouche pour s'excuser, mais aucun son ne franchit ses lèvres. Meurtrier, pensait-elle de toutes ses forces. Elle foula les pavés inégaux d'un pied branlant, la stabilité de ses appuis fragilisée par ses talons de verre. Baignée des rayons pâles de la lune, la ruelle réfléchissait un calme désertique, dénuée de vie.
- Et maintenant ? On fait quoi ?
L'arrière goût de vomit empâtait sa bouche.
- Cap sur le sud.
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