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Chapitre XXVIII

Le choc des sabots ferrés et le roulis sonore des roues sur le pavé de la cour accompagnèrent le carrosse de Lorianne Nordraman, tandis qu'il quittait son domaine pour s'engouffrer dans la nuit. Le dernier d'une longue procession. Ne restaient que les guerriers de Danastar York, tous lourdement équipés.

Le chef de clan lui avait fait ses adieux et ne tarderait pas à suivre les autres seigneurs pour rentrer chez lui, à pied. Les Alycans sont si sauvages et bestiaux, songea Amadeus. Heureusement qu'ils sont à ce point diminués, sinon je gage que nous marcherions tous au pas d'un roi Alycan. Les membres de cette lignée n'aimaient guère fréquenter les routes et les villes des hommes, aussi traversaient-ils les régions désertes, et au pas de course, chargés de tout leur attirail, infatigables... et bivouaquaient le jour. Ils ne s'encombraient pas de servants. Combien de fois n'avaient-ils pas permis de surprendre l'ennemi, durant la guerre du Fléau. En de rares occasions, à la bataille, ils chevauchaient, juchés sur une bête que leur proximité rendait nerveuse. Mais la terre ferme avait toujours eu leur préférence.

Le seigneur Danastar, emmitouflé dans sa fourrure, entouré de ses Bluteynirs, discutait avec Braggo. Le second, dernier Alycan directement issu de Joramun, avait permis au premier et aux siens d'en réchapper lors du massacre organisé par les Draken, bien des siècles auparavant. Il a fallu recourir à une Moisson pour en venir à bout... Agovar n'avait pas lésiné sur les moyens. Le clan York était ainsi le dernier clan d'importance. Et de nombreux lambeaux d'autres familles alycanes s'étaient fédérés derrière lui.

Amadeus ne pouvait entendre ce qu'ils se disaient. Il savait que Danastar avait souvent proposé à son féal de rejoindre sa Meute, comme il appelait leur petite fédération. Pour ce qu'il en savait, il lui avait même proposé de lui céder sa place de chef. Mais Braggo avait toujours décliné l'offre. Lorsque le seigneur Morfroy l'avait interrogé sur les raisons de ce refus, son féal lui avait expliqué qu'il ne croyait guère en l'idéal de la Meute. Certes, d'après lui, son existence était une bonne chose, elle permettait de représenter leurs intérêts minoritaires, mais il ne fallait pas se bercer d'illusions. Même réunis sous une seule bannière, les Alycans ne pesaient rien face aux autres lignées. Trop peu nombreux, trop faibles, piètres intrigants, ils ne pouvaient rivaliser avec l'ambition démesurée des maisons d'importance. C'était d'autant plus vrai depuis la fondation du Chapitre Noir.

Danastar et Braggo s'empoignèrent l'avant-bras et ce salut guerrier mit fin à leurs palabres. Le seigneur York fit un dernier signe de la main en direction d'Amadeus et se détourna. La course des chefs de la Meute peupla à nouveau la cour d'échos métalliques. Enfin, ils s'enfoncèrent dans la campagne nappée de brumes basses, les gardes refermèrent le portail et son domaine retrouva une quiétude longtemps escomptée.

Les familles s'en retournaient chez elles pour préparer l'inévitable conflit, rassembler leurs forces, convoquer vassaux et féaux. La plupart d'entre elles lui avaient laissé un représentant pour suivre le cours des événements et défendre leurs intérêts. Mais après toute cette effervescence, sa demeure paraissait vide à présent. Tout cela ne fait que commencer.

Il se trouvait au seuil d'un nouvel âge, Amadeus pouvait le sentir. Une page de l'Histoire était sur le point de se tourner. Cette impression d'être acteur et témoin d'événements qui le dépassaient, il la connaissait pour l'avoir déjà éprouvée. J'étais si jeune et avide, si fier de me dresser au côté d'un visionnaire qui avait le courage de donner corps à sa vision. Il marchait aujourd'hui dans les pas d'Agovar, son aînarque, le roi nosferatu. Aussi net que s'il s'était agi de la veille, il le voyait encore, prophétisant une victoire écrasante sur l'empire, assis sur son trône noir à Lossoth. Et il y avait cru avec une telle conviction. Il se remémorait cette nuit estivale, la première d'une longue conquête, la nuit des noces de l'empereur Taedden. Cette nuit-là, j'ai cru que le plus dur était fait. Sous l'éclat de la lune et des torches, dans la frénésie du combat, il revoyait Déclin, l'épée d'Agovar, plonger en travers du corps de l'empereur, provocant, d'un simple geste, une effroyable guerre entre trois successeurs. Il s'était senti si puissant !

Mais je ne commettrai pas les mêmes erreurs.

Braggo entra avec lui dans le hall illuminé par l'éclat agité des coupes à feu. Un servant se précipita pour refermer la porte derrière eux dans un claquement retentissant. Le son résonna longtemps dans les couloirs déserts. Le brouhaha était mort avec le départ de leurs invités.

Amadeus tourna son regard de glace vers son féal. « Je n'ai pas vu Salazar. Sais-tu où il se trouve ?

-Nous devons discuter. Salazar est parti. »

Le seigneur Morfroy se figea. Le traître a laissé tomber son masque... La perte de Corso le vrilla une nouvelle fois. « Bon, nous sommes chez nous et la plupart des oreilles se sont égaillées, mais il en reste cependant quelques-unes dans ces vieux murs. Allons dans mon bureau. » Il héla le servant, qui plantait toujours à côté de l'entrée. « Une bouteille de Château Mérault 214 grand cru, dans mon bureau. »

Le valet s'inclina et disparut. Amadeus soupira. Il aurait préféré du sang, mais le faire couler dans une coupe était un gâchis juste bon pour les rituels cérémonieux et, pour l'heure, il n'avait pas de temps à perdre avec un esclave nourricier. Le vin, un excellent millésime, ferait l'affaire.

L'esprit encombré de questions, Amadeus monta dans son bureau avec son féal. Il tisonna un coup le foyer. Cette nuit était plus fraîche, presque surprenante après la canicule. Puis il s'installa dans l'un des fauteuils face à l'âtre et invita Braggo à faire de même. Il n'eut pas à patienter longtemps avant de voir arriver sa précieuse bouteille.

Impatient, il congédia le servant et se servit lui-même un verre. Amadeus prit néanmoins le temps de humer son vin avant de le porter à sa bouche. « Bien, nous voilà tranquilles. Tu dis que Salazar est parti ?

-C'est exact. Vous ne l'avez pas vu aujourd'hui, car il a quitté le domaine. Vous m'aviez demandé de le surveiller, c'est ce que j'ai fait.

-Il a quitté le domaine ? Il n'a rien laissé... ni rien pris ? »

L'Alycan secoua la tête. « Il s'est enfui. Vous aviez raison, c'est un traître, et un lâche. Et s'il avait tenté de prendre quoi que ce soit, le vol lui aurait valu la mort. Je n'aurais pas hésité. Mais comme vous m'aviez dit de le laisser en vie et que rien ne permettait de l'incriminer...

-Bien entendu, tu as bien fait. »

De toute manière, les comptes, les lettres, les chartes... tout était au nom des Morfroy. Mais Salazar peut manquer de courage, manquer de chance, manquer de jugeote à la rigueur... je suis cependant bien certain que jamais il ne manquera d'or. Ce scélérat avait un don indéniable pour ce qui était de faire fructifier la richesse. C'était ce talent qui l'avait mis dans le pétrin lorsqu'il était encore mortel et qui avait attiré l'attention d'Amadeus. Et, en dépit de sa trahison, ce dernier continuait de s'en féliciter, car jamais sa fortune n'avait été plus grande. Mais ce serait dommage de voir ce don garnir d'autres coffres que les miens.

Par contre, le seigneur nosferatu se demandait ce qui avait pu pousser son infant à se détourner de lui. Il était pourtant bien placé, au sein de l'une des plus puissantes familles du Chapitre. Depuis combien de temps préparait-il sa trahison ? Était-ce seulement une trahison, ou bien voulait-il uniquement se débarrasser de Corso ? Ces deux-là ne s'appréciaient pas. Salazar lui enviait l'affection d'Amadeus. Un peu comme moi avec Agovar... je ne m'en suis tracassé que trop tard. Et son lieutenant avait fini par considérer le jeune Alycan comme un rival. Salazar avait fui avec une famille ennemie cette nuit, cela ne faisait aucun doute. Mais, finalement, peut-être ne cherchait-il qu'un nouveau protecteur après avoir fomenté l'éviction de Corso et constaté que la situation lui échappait.

Toujours est-il qu'il connaît mon secret. Et il y avait fort à parier que la famille Maedanel aussi, à présent. « Eh bien, si tu as suivi sa trace, je suppose que tu as vu avec qui il est parti ?

-Je ne l'ai pas vu aujourd'hui non plus. Il a dû prendre ses dispositions pour échapper aux regards. C'est un Draken après tout. » Le feu de l'âtre jetait des reflets rougeoyants, démoniaques, sur les traits sauvages de Braggo. Sa bouche dessina une moue méprisante dans sa barbe. « Mais je sais avec qui Othon s'est entretenu hier. Et Othon a disparu, lui aussi.

-Le Croisé ? Il a toujours été sa créature. Alors ? Othon est allé voir les jumeaux Maedanel au nom de Salazar ?

-Non, pas les jumeaux Maedanel, mon seigneur. J'avais aussi fait suivre le Croisé, et mon homme l'a vu quitter les appartements de Lyovar Tyreön.

-Le Timoré ? »

Voilà qui était surprenant. Salazar aura-t-il eu peur de s'associer à des Lamiah ? C'est vrai qu'ils étaient retors, calculateurs, intrigants. Pas facile de leur faire confiance. Mais Lyovar le Timoré...

Braggo renifla. « J'ai eu du mal à y croire, moi aussi. Ce freluquet qui a hérité sans le vouloir d'une famille sans pouvoir. Pourquoi Salazar irait s'acoquiner avec lui ? »

Et cependant, tandis qu'Amadeus se défaisait de ses préjugés au sujet du seigneur Tyreön, tandis qu'il remettait en perspective la situation, sans se laisser inspirer par l'image de ce personnage faible, taiseux, sans influence au Chapitre, ce « chef des renégats », la réalité le frappa de plein fouet. Par les enfers ! Tout était limpide. C'était là, sous ses yeux, mais il avait refusé de voir. Il n'était pourtant pas facile de l'abuser.

Il but une grande gorgée de son vin sombre pour remettre de l'ordre dans ses idées. « Je crois... Je crois en vérité que le seigneur Tyreön est un rusé petit malin. Il fait avec ce qu'il a et visiblement, il le fait bien. » Son féal lui adressa un regard perplexe. « Considérons ce prétendu timoré, développa Amadeus, rien ne le prédestinait à diriger une famille. Il a beau être un nosferatu de troisième génération, il n'était que le dernier infant d'une famille fort nombreuse. Malifar a engendré un grand nombre d'infants. Bon, Solomon et Adriana ont péri avec lui lors de la guerre contre l'empire. Mais Istvan a hérité de l'autorité et, derrière lui, combien d'autres avaient préséance sur Lyovar ? Margot, Daren, Mercutio, Laeryn, Dionella...

-Et Jebaïr, compléta Braggo.

-Et Jebaïr, en effet. Lyovar n'arrivait que dernier de cette génération. Est-il vraiment timoré ou, peu concerné par la couronne, n'a-t-il pas voulu se battre pour le retour à une royauté Tyreön ? Ou alors a-t-il prémédité l'échec des siens ? Je ne sais pas. Il s'est tenu à l'écart du conflit et, après notre victoire, lorsque nous avons mis à mort les meneurs de la rébellion, il s'est trouvé être un chef de famille tout désigné. Il n'était pas à proprement parler un renégat, puisqu'il n'avait pas brandi les armes contre les loyalistes. Et il était l'héritier direct de la famille... »

Son féal se mit à scruter les reflets dansants sur sa griffe d'acier. « Je ne vois toujours pas où cela nous mène. Il n'a consolidé aucune alliance, à part peut-être avec d'autres familles renégates tombées en disgrâce, il prend à peine la parole aux sessions du Chapitre... Il ne s'est pas battu pour la couronne et il ne se bat pas davantage pour ses intérêts aujourd'hui. C'est un faible.

-Ou c'est ce qu'il désire que l'on croie. Rien de plus redoutable qu'un ennemi sous-estimé. Il attend peut-être simplement une opportunité, la bonne occasion. Lorsqu'on est au plus bas, lorsqu'on n'a ni force ni pouvoir, on ne cherche pas à s'attirer les foudres de ses ennemis. » Le regard d'Amadeus brillait intensément comme il prenait la pleine mesure de son aveuglement. « Il a fait profil bas, voilà tout. Mais imagine qu'il nous renverse nous, les Morfroy... Ce n'est certainement pas la pauvre famille de cette pleurnicheuse de Lorianne Nordraman qui va tout à coup prendre la tête de la lignée Draken. La famille Tyreön serait très bien placée pour revendiquer à nouveau l'autorité sur la plus puissante des trois lignées nosferatus.

-Mais comment pourrait-il espérer nous renverser ? »

Amadeus vida son verre avec une sorte d'avidité, à mesure que ses pensées se clarifiaient, et s'en servit un nouveau. « Comment nous renverser, dis-tu ? Grâce à une botte secrète, une arme capable de bouleverser les équilibres du pouvoir.

-Vous parlez du contenu de votre coffre secret ?

-Précisément. J'ai beau y réfléchir, analyser la situation, je ne sais pas si Salazar avait pour but final de nous trahir. Peut-être a-t-il vu dans son entreprise un moyen de satisfaire deux appétits à la fois : éliminer Corso et découvrir ce que contenait ce coffre. Toujours est-il que, surtout à la lumière de ce que tu viens de me révéler... nous courons un grand danger. »

Braggo ne frémit pas. Pas son genre. Mais son intérêt avait néanmoins été piqué. L'Alycan donna un petit coup de sa main métallique sur l'accoudoir de son fauteuil. « Bien, peut-être à présent me direz-vous ce que contenait ce coffre ?

-Je crois en effet que l'heure est venue. Ce n'est plus vraiment un secret de toute façon. » Un frisson lui parcourut l'échine. Un véritable frisson. Cela remonte à si longtemps... même pour nous. Lui aussi avait été un traître et, étrangement, il n'en ressentait que plus d'empathie pour Salazar. « En vérité ce secret est vieux de quatre siècles. Lorsque le roi Agovar apprit que l'empire, réunifié derrière Tristan, marchait sur Lossoth, il décida de se ménager une échappatoire. Bien sûr, il n'avait pas renoncé à écraser son adversaire sous ses propres murs, mais il avait beaucoup perdu depuis la mort de Malifar et le doute le gangrenait. » Les yeux perdus dans les flammes, tandis qu'il évoquait pour la première fois ce souvenir à voix haute, il percevait le poids du regard de son Féal. « Il prit des dispositions pour aménager un sarcophage, dans une salle secrète au plus profond de la forteresse. Pour le cas où il serait terrassé. Il se débarrassa ensuite du moindre témoin de ses arrangements et, alors que le martyr moisissait dans nos geôles et que les mortels s'assemblaient à nos portes sous la bannière de l'empereur Lorcän, il eut à choisir une personne de confiance. Un ami sûr, pour veiller sur son sommeil et le réveiller une fois rétabli... » Amadeus serra les dents, lui-même stupéfait par l'intensité de sa rancœur après tant de temps écoulé. « Il choisit Kellen Nordraman et lui remit un pli scellé à n'ouvrir qu'en cas de défaite. Malheureusement pour lui, j'avais des yeux partout. Le seigneur Kellen avait pour consigne de se tenir à l'écart du danger, mais je le tuai de mes propres mains et lui subtilisai le pli. »

Le seigneur Morfroy sourit. Chose rare, il était parvenu à surprendre Braggo. Abasourdi, l'Alycan frappa l'accoudoir au point d'y laisser un coup de griffes. « Ce pli était dans votre coffre durant tout ce temps ? Je suppose qu'on y trouve l'emplacement du sarcophage, les moyens d'y accéder... Vous auriez empêché votre roi de survivre ?

-Non. Enfin, je ne sais pas exactement. Vois-tu, Agovar, cruellement blessé, s'est retiré des combats. La vie le fuyait, mais je suis presque sûr qu'il a réussi à atteindre son sarcophage sans le secours de Kellen. » Amadeus soupira, partagé entre la honte d'avoir à révéler cela à un Alycan et l'orgueil à l'évocation de sa propre audace. « Pour autant que je sache... le primarque s'y trouve toujours. »

Son féal n'y tint plus et quitta le fauteuil. Quelques longues enjambées plus tard, il s'immobilisa et le détailla. « Vous voulez dire qu'il est peut-être encore en vie ?

-Qui sait ?

-Mais personne n'est venu approvisionner son sarcophage en sang.

-Jamais un nosferatu n'est mort de faim, à ma connaissance. La faim peut certes rendre fou, la faim est douloureuse, insupportable, la faim nous diminue... et fait de nous des bêtes. Mais si le primarque hiberne dans son sarcophage, il est probablement à l'abri de tels affres. »

Ce qu'il restait d'Agovar ne devait pas être beau à voir, peut-être n'en restait-il que de la poussière... mais Amadeus sentait au plus profond de lui que son aînarque était toujours là, enfoui sous les vestiges déserts de sa cité royale, attendant que quelqu'un le délivrât de son sommeil éternel.

De son côté, Braggo, appuyé au manteau de la cheminée, tentait d'appréhender cette nouvelle réalité qui s'ouvrait. Comme tout le monde, voici quatre siècles qu'il croyait que le dernier primarque était mort à Lossoth en affrontant l'empereur couronné par Tristan. On ne balaie pas quatre cents ans de conviction si aisément.

Il se tourna finalement vers son seigneur, et ce dernier put sentir le poids de son jugement. « Pourquoi ? souffla son féal. Pourquoi ? Agovar était votre roi, votre aînarque, le dernier primarque... vous lui deviez votre loyauté. Pour sa couronne ? Vous ne l'avez pas même revendiquée.

-Après la défaite, nous avions tous autre chose en tête que de faire valoir des droits. Et devant qui les faire valoir ? Des familles dispersées, cachées, terrifiées, abasourdies ? Et lorsque les choses se furent calmées, après que les années eurent émoussé les mémoires des mortels, lorsque nous pûmes quitter nos antres, nous n'avions certainement pas besoin d'une nouvelle guerre. Plutôt que de combattre Istvan, et peut-être aussi d'autres ambitieux, les Lamiah auraient pu vouloir s'affranchir... j'ai proposé de fonder le Chapitre. J'ai ainsi muselé les Tyreön, successeurs légitimes de la couronne, et j'ai mis tout le monde d'accord sans effusion de sang.

-Mais vous avez trahi le roi. »

C'était la stricte vérité. Il aurait pu arguer que Kellen Nordraman serait peut-être mort au cours du siège ou de sa fuite et ainsi emporter le pli secret dans la tombe, il aurait pu prétendre qu'il n'était pas censé connaître l'existence du sarcophage caché. Mais Kellen était mort de sa main. Le souvenir de son regard incrédule, la gorge tranchée, dans une flaque de sang à l'ombre impénétrable du trône noir, était encore très net dans sa mémoire. Et le pli était ensuite resté dans son coffre.

« C'est vrai, admit Amadeus. Et je n'ai nul besoin de justifier mes actes devant toi. Mais je t'apprécie, Braggo, et, si je doute que mes explications te satisfassent, du moins favoriseront-elles éventuellement un jugement moins dur. » L'heure était aux aveux et, étrangement, un fardeau parut glisser peu à peu de ses épaules. « Un roi ne doit pas seulement être fort, n'est-ce pas ? Bien sûr, il doit se faire respecter et, s'il est capable de mener ses hommes lui-même à la bataille, c'est un indéniable atout. Mais avant tout, un roi se doit de démontrer sa compétence à régner. Même un Alycan doit pouvoir en convenir.

-Suggérez-vous qu'Agovar était inapte à régner ? »

Le seigneur Morfroy se frotta le menton. Au point où nous en sommes, à quoi bon taire quoi que ce soit ? « Si Malifar était le plus vaillant de ses princes, le défenseur le plus valeureux et le plus zélé d'Agovar, j'estime pour ma part avoir toujours été son conseiller le plus avisé. Je n'ai jamais eu à cœur que le bien de notre lignée. Et ce rôle, je m'en serais acquitté sans faillir, sans exiger la moindre contrepartie, si seulement j'avais été mieux écouté. Même lorsque le roi s'obstinait dans ce que je jugeais être une erreur, je le soutenais et tentais de tirer le meilleur parti de la situation.

« Ainsi, lorsqu'Agovar envisagea de réunir les trois lignées, je lui fis part d'emblée de ma réserve. Nous avions la lignée Draken bien en main et ces autres, ces étrangers, les Lamiah surtout, ne m'inspiraient pas confiance. J'étais certain que, tôt ou tard, ils apporteraient leur lot d'ennuis. On ne m'écouta pas, et la guerre éclata. Orane a bien joué son coup en contraignant mon aînarque à massacrer les tiens, Braggo. Heureusement, j'ai réussi à le convaincre de recourir à la Moisson... Lorsqu'il s'est rendu compte qu'il avait été le jouet de la reine Lamiah, il a fallu la mater, elle aussi.

« Ensuite, une fois les lignées bien muselées, une fois les deux autres primarques éliminés, je suggérai à mon maître de patienter, d'attendre que notre souveraineté leur devînt coutumière... voire d'éliminer les chefs des maisons turbulentes afin d'y élire des sujets plus complaisants. Mais Agovar voyait venir l'opportunité de concrétiser son grand projet, d'asservir les mortels et de quitter cet anonymat qui lui pesait tant. Et je suis forcé de lui reconnaître un certain génie pour avoir si bien orchestré le chaos dans l'empire.

« J'aurais presque pu prophétiser sa chute, mais je croyais encore en lui. Et il a évité bien des écueils, souvent grâce à mes conseils, jamais il n'a trébuché... jusqu'à la mort de Malifar. » Amadeus désigna son féal du menton. « Tu as loyalement servi Malifar. Tu l'as aimé, je crois, comme on peut aimer un frère d'armes, un maître juste. Alors dis-moi, toi qui l'as peut-être mieux connu que quiconque : comment le plus puissant seigneur du roi, le général de ses armées, a-t-il été défait par des lambeaux d'armées de mortels désespérés ? Comment est-il tombé, quand la guerre paraissait gagnée ? »

L'énorme Alycan se tourna, dos au foyer. Son immense silhouette se découpait en ombres démentes. C'était Malifar qui l'avait épargné et lui avait offert cette griffe de métal pour remplacer sa main manquante. Braggo nourrissait un respect absolu pour ce guerrier plein d'honneur, ce meneur charismatique. Il s'était mis à son service à l'issue du massacre des siens. Amadeus n'avait hérité de sa féauté qu'après la chute d'Agovar, lorsqu'il avait été contraint de fuir avec lui devant l'avancée des mortels.

Plus renfrogné que jamais, il croisa les bras sur son large poitrail. « Je sais où vous voulez en venir. J'ai entendu les rumeurs, moi aussi. Mais les rumeurs... on en chuchote tellement depuis la création du Chapitre Noir.

-Je ne pense pas que cette rumeur-ci soit sans fondement.

-D'après vous, le roi Agovar aurait pu lui-même organiser la défaite de Malifar ?

-En tout cas, ça ne me paraît pas improbable, bien au contraire. Malifar avait remporté combien de victoires ? Sa réputation s'émaillait de combien de coups d'éclats ? Il était plus que respecté, il était adulé. Ses soldats lui étaient d'une loyauté à toute épreuve. Quoi qu'il en soit, le roi avait toutes les raisons de vouloir la mort de son premier infant. D'abord la convoitise, comment ne pas envier la gloire des nombreuses victoires de Malifar ? Ensuite, surtout, la crainte, car comment ne pas trembler devant son influence grandissante ? Malifar aurait réclamé la couronne, ses hommes la lui auraient offerte sur un plateau. Il se chuchotait déjà qu'il était le véritable conquérant de l'empire.

« Agovar n'avait pas prévu cette conséquence, au début de la guerre, lorsqu'il avait confié le commandement de ses troupes à son infant. Je pense qu'il s'est senti menacé, qu'il s'est trouvé confronté à un choix difficile. Et il a dès lors provoqué de sa propre main le déclin qui devait mener, plus tard, à sa chute. »

Son féal eut un imperceptible haussement d'épaules. « Vous vous êtes lassé de n'être pas écouté. Vous avez préféré régner par le truchement du Chapitre plutôt que de ne pas régner du tout.

-Il y a de ça. Et il y a de la... déception. » Cela lui fendait le cœur de l'admettre, mais, avec le temps, Amadeus avait été forcé d'accepter la vérité. « Je n'ai jamais été aimé. Pas comme Malifar. En dépit de mon dévouement, en dépit de mes efforts, pour la lignée, pour obtenir l'estime de mon maître... Lorsque Malifar a été défait, j'ai cru que mon heure était venue. Naïvement, j'ai pensé qu'il y avait une place à prendre. J'étais le second. Nul n'avait préséance sur moi. Et cependant, à l'heure du doute, le roi ne s'est pas tourné vers moi. Il m'a préféré le médiocre Kellen Nordraman. » Comme pour faire passer cette amertume qui lui restait en travers de la gorge, il but une longue lampée de vin. « Donc, oui. J'ai bel et bien trahi le roi Agovar, mais j'éprouve le désagréable sentiment d'avoir été trahi le premier. »

L'autre le fixait, immobile, impassible devant l'âtre. « Et pourquoi avoir conservé ce pli ? Si vous n'aviez pas l'intention de réveiller le roi, ce document représentait un danger. Voyez dans quelle situation vous vous trouvez. »

Avec un sourire sans joie, Amadeus remarqua que son féal s'excluait dudit danger. Mais il avait raison. Nul n'ignorait la loyauté alycane. Braggo serait au-delà de tout soupçon quant à son implication. Et bien sûr, nul ne renoncerait à s'attacher son service. Il changerait de maître, voilà tout. Ce ne serait pas la première fois.

« Je l'ai conservé, répondit le seigneur, car il pouvait aussi bien me servir d'atout en fonction de la situation, en fonction de mes besoins. » Sans surprise, Braggo ne parut pas saisir l'étendue de son assertion. Son mutisme l'invita à poursuivre. « C'est simple, pourtant. Si par hasard je m'étais trouvé en mauvaise posture, si de malheureuses circonstances m'avaient fait déchoir, si un ennemi m'avait eu en son pouvoir... il m'aurait suffi d'aller réveiller le primarque, d'accuser mon ennemi de mon forfait et de me présenter en héros salvateur. Plutôt retrouver mon ancien statut de prince négligé que de goûter la défaite, n'est-ce pas ? »

Il n'attendait pas l'approbation de l'Alycan. L'art de la conspiration lui était étranger. Toutefois il n'était pas idiot, bien sûr, si elles ne lui inspiraient que mépris, il pouvait néanmoins comprendre ses motivations. « Mais maintenant, c'est Lyovar Tyreön qui va s'en charger. Vous allez déchoir, quand lui va passer pour un héros.

-C'est en effet ce que je ferais à sa place. C'est pourquoi je vais devoir me résigner à partir, moi aussi.

-Pas pour fuir ?

-Oh non, la bataille n'est pas encore perdue. Je puis encore les prendre de vitesse et achever le roi tant qu'il est vulnérable. Ceci, par contre, risquerait de diviser les familles, de créer des conflits, de mettre à mal notre actuel projet. Ou alors... je pourrais réveiller le roi moi-même. » Le seigneur Morfroy soupira. Plus de doute, il devait se résigner à modifier ses plans. Tout ça pour avoir conservé ce damné pli. Tout ça pour avoir laissé Corso seul avec Salazar. D'une façon ou d'une autre, son infant devrait payer le prix fort. « Je serais curieux de voir le visage de Salazar, découvrant qu'il est accusé d'avoir comploté contre le roi et dissimulé le secret de sa retraite. »

Braggo restait sans voix. Le seigneur nosferatu pouvait presque lire en lui comme dans un livre ouvert. Après tout ce temps passé à son service, son féal continuait de découvrir l'étendue de la matoiserie de son maître.

Finalement, le guerrier remua et retrouva l'usage des mots. « Vous allez partir vous-même ? Vous n'avez pas une guerre à superviser ?

-Je ne puis laisser cette tâche à nul autre. Si je suis contraint d'éveiller Agovar, c'est mon visage qu'il devra voir en premier. Pas question de lui envoyer un larbin.

-Désirez-vous que je vous accompagne ?

-Certes, ton épée serait la bienvenue dans cette épreuve. Mais tu es le plus à même de régler mes affaires en mon absence et j'ai confiance en toi. Tu vas devoir réunir nos vassaux, traiter avec les représentants que nous ont laissés les autres familles et veiller au grain tant que cette affaire me retiendra au loin.

-Et si les représentants posent des questions ? Ils ne vont pas manquer de remarquer votre absence. »

C'est vrai... ça ne restera pas un secret très longtemps. De toute manière, Braggo ferait un piètre menteur. « Dis-leur simplement... que je me suis mis en quête d'un vieil allié. Ainsi, tu ne leur mentiras pas vraiment. Et les membres du Chapitre auront un os à ronger.

-Le Chapitre... j'ai l'impression qu'il connaît ses derniers instants. »

Sans méprise possible, Amadeus perçut la satisfaction dans sa voix. « Tu vas me réunir une équipe solide. Nous voyagerons léger. Je veux le Crochu comme capitaine et Florient pour superviser les servants. Et je veux Parsifal.

-Parsifal ? Ne risque-t-il pas de vous trahir ?

-Tu m'as dit que Salazar et Othon avaient disparu. J'en déduis qu'ils ont laissé Parsifal derrière eux. Il est blessé, il aurait sans doute représenté un poids mort... il doit bien nourrir un peu de rancœur. C'est le moment ou jamais de le récupérer à notre profit. Et j'ai dans l'idée qu'il pourra nous être utile.

-Très bien. Il va me falloir un peu de temps.

-Je ne partirai pas avant demain. De toute façon, je dois te donner toutes mes consignes avant de partir. Mais commence donc par réunir mes gens pour le voyage, qu'ils se préparent eux aussi. »

Le puissant guerrier s'inclina et quitta le bureau.

Quant à Amadeus, il resta seul face aux bûches crépitantes, seul face à ses vieux démons, face à cet avenir à nouveau trouble. Mais, d'une certaine manière, la situation ne comptait pas que de mauvais côtés. Peut-être sera-ce pour moi et Agovar l'occasion de nous racheter l'un pour l'autre... Et sinon, l'autorité d'un primarque pourrait consolider leur unité mieux que le Chapitre. Sous sa férule, la conquête ne serait plus remise en question. Et il aura besoin de moi, de mes plans et dispositions, du soutien de ma famille. Retrouver sa place de second n'était pas tellement moins enviable que de devoir partager le moindre fragment de pouvoir avec les éternels insatisfaits du Chapitre. Sans compter qu'une fois la domination établie, il sera plus aisé de défaire un unique souverain qu'une assemblée, serait-elle désunie.

Décapiter un dragon plutôt qu'une hydre.


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