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Chapitre XXIX

Le jour mourait, saignait sur de lourds bancs de nuages. Et les longues silhouettes noires des conifères les cernaient d'ombres qui dodelinaient dans la brise. Encore emmitouflé dans sa couverture, à l'abri au creux de la laine jetée sur sa tête à la manière d'une capuche, Corso quitta la charrette et se joignit au cercle formé autour du feu de camp. Les autres frissonnaient dans leurs manteaux, auprès de la flambée. Il s'assit sur une bûche.

Arrod passait une pierre à aiguiser sur le fil de sa lame, presque avec tendresse. Lyren, lui-même couvert de mailles, achevait de nouer son haubert dans le dos d'Artemus. Son chapelet entrelacé dans les doigts, son fourreau en travers des cuisses, Estrella murmurait une prière.

Ça sent la guerre.

De l'autre côté du feu, la Balafre l'observait, les yeux ronds, les lèvres pincées. Bien entendu, il avait fini par comprendre de quelle nature était Corso, et il le digérait plutôt mal. Il est complètement paniqué, le bougre. Mais le nosferatu essayait de le ménager. Raison pour laquelle il avait pris soin de s'installer à l'opposé de lui. À son côté, Rosie était pelotonnée dans les bras de sa mère, qui lui fredonnait une chanson. L'une comme l'autre sentaient que cette nuit serait dangereuse et Mira berçait doucement sa fille pour la rassurer.

« On peut se rapprocher du feu, maman ? demanda la gamine.

-Nous sommes déjà juste à côté, Rosie. Tu ne voudrais pas te brûler.

-Mais je tremble... »

Sa mère soupira. « N'aie crainte, nos amis veilleront sur nous. »

Corso se leva et déploya sa couverture pour les en envelopper. Le soleil avait disparu derrière les cimes crochues de la sapinière, il n'en avait plus besoin. Le vampire croisa le regard de la fillette et lui fit un clin d'œil. Tandis qu'il la bordait, elle lui attrapa la main et caressa du pouce les vilaines cicatrices de ses paumes. Ses doigts étaient si minuscules dans la paluche de l'Alycan. « Tu sauras quand même tenir ton épée ? » demanda-t-elle.

Il hocha la tête. « Mais si quelqu'un essayait jamais de vous faire du mal, avec ou sans épée, je lui réserverais un bien mauvais sort.

-Espérons seulement que tu ne nous prépares pas le même », grinça Arrod.

Corso se redressa de toute sa hauteur, arqua un sourcil, mais ne lui consentit pas d'autre réponse. Le Cassim cherchait toujours à le pousser dans ses retranchements. Qu'est-ce que Mira peut bien lui trouver ?

Artemus, enfin harnaché, se préparait une pipe. « Les siens veulent sa mort, n'est-ce pas ? Vous avez pu constater que Corso s'est battu à nos côtés, à l'auberge.

-C'est votre instinct qui vous dit ça ? Parce que le monstre, lui, peut vous raconter ce qu'il veut. » Arrod désigna le nosferatu de la pointe de sa lame. « Qui nous dit que les types de l'auberge n'étaient pas simplement une bande rivale de la sienne ? Qui nous dit que, maintenant que nous lui avons sauvé la peau, il ne va pas simplement nous attirer chez ses amis, d'autres monstres tout aussi sanguinaires... et gentiment se débarrasser de nous ? »

Le vent gémit dans les frondaisons et Corso put en voir quelques-uns frémir. La Balafre était tout pâle. Artemus alluma sa pipe à l'aide d'un tison. « Morbleu ! Mercenaire, vous atteignez doucement les limites de ma patience. Trouvez-vous que nous ayons besoin de davantage de craintes, d'appréhensions, de doutes ? Vous faites peur à la gamine, vous ranimez les inquiétudes de notre ami Ed, vous semez la dissension et, à terme, nous empêcherez d'agir dans l'unité, comme une seule et même équipe. » Contrarié, il tira quelques courtes bouffées. « Nous n'avons pas besoin de ça, surtout pas cette nuit. Enfin quoi, fiez-vous à moi quand je dis qu'on peut lui faire confiance. Je le jure devant Dieu et sur tout ce qu'il y a de plus sacré ! Et si, néanmoins, vous êtes trop obstiné pour comprendre, de grâce taisez-vous. »

Un silence suivit ses propos, uniquement rompu par les sons de la forêt qui s'éveillait à la nuit et, parfois, par le craquement brasillant des bûches. Et le ciel, tout à coup, cracha sur eux une petite bruine désagréable.

Estrella rabattit sa capuche. « Nous y sommes. Alors, comment procéderons-nous ?

-Nous allons nous approcher, dit Artemus, tenter de voir combien ils sont. Nous aurons l'effet de surprise. S'ils sont nombreux, si c'est nécessaire, nous nous séparerons en deux afin de pouvoir les prendre à revers et de bénéficier deux fois de la surprise. En nous y prenant correctement, si on ne leur laisse pas le temps de réagir, nous devrions tous rentrer en un seul morceau... et nous aurons notre prisonnier.

-Bon sang, ma pauvre Céleste... nous ferons éclater la vérité. Elle ne sera pas morte en vain.

-Et nous devons nous attendre à quoi au juste, comme résistance ? s'enquit Arrod. J'espère qu'ils seront moins nombreux que la dernière fois, et moins bien armés. Nous ne sommes pas retranchés dans une auberge fortifiée, cette fois.

-Corso a parlé de deux sentinelles, en général, c'est bien ça ? »

Le templier attendit confirmation. Le nosferatu fit un petit signe de tête. J'ai toujours l'impression d'être un foutu traître. Mais un coup d'œil à ses deux rouquines suffit à raffermir sa détermination. « D'habitude, pour surveiller un lieu, on poste deux veilleurs. Ils peuvent être accompagnés d'un nombre variable de servants. Par contre, mon maître prend soin de ses mortels et a largement les moyens de les équiper. Vous pouvez compter sur un bon outillage.

-Au moins ça fera du butin ! s'enthousiasma le Cassim. Espérons qu'ils aient aussi des chevaux. Et leurs maîtres, les deux monstres, il faut s'attendre à des guerriers, j'imagine ? »

Corso haussa les épaules. « Les nosferatus de haut rang ne sont jamais dévolus à ce genre de tâches. Ce seront sans nul doute des rejetons de basse génération. Je devrais pouvoir m'en occuper. » L'Alycan avait exigé sa propre participation. Laisser les mortels affronter des vampires seuls lui avait paru trop dangereux. Cette arrogance que nous avons vis-à-vis d'eux... Mais il avait été catégorique. Ainsi attaqueraient-ils de nuit. « L'issue de l'affrontement entre mortels, par contre, me paraît plus hasardeux. Tout dépend de leur nombre.

-Et de notre talent.

-Dans ce cas aucun problème, déclara Estrella, j'ai pu voir ce que chacun d'entre vous valait avec une arme à la main, au Rouge Royaume. Il me paraît ardu de réunir une meilleure équipe. »

Le vieux templier échangea un regard avec elle. « Je déplore tout de même l'absence de frère Gabriel, cette nuit encore plus que les autres. Son épée n'aurait pas été de trop. Je veux toutes les lames disponibles, pour l'attaque. »

La Rose de Fer haussa les sourcils, mais les réactions de Corso et d'Arrod furent plus énergiques. « Hors de question, lâcha le vampire.

-Et Mira et la gamine ? » s'insurgea le mercenaire.

Du tuyau de sa pipe, Artemus désigna la charrette. « Elles resteront ici, nous éteindrons le feu. Nous sommes à l'écart de tout. » Il se tourna vers la jeune femme et prit un ton rassurant. « Tout se passera bien. Et ça ne prendra pas des heures non plus. Nous serons vite de retour. Toutefois, quoi qu'il arrive, si nous devions ne pas donner signe de vie avant l'aube, je vous invite à partir avec votre fille. Je vous confierai notre argent.

-Vous ne pouvez tout de même pas nous laisser toutes seules, dans ces bois, avec ces choses qui rôdent tout près ?

-C'est vrai, convint Estrella, il vaut mieux laisser quelqu'un avec elles. Je peux rester si tu veux. »

Le Vieux Lion secoua la tête. « Non, je te veux avec nous. Et puis, ils ont des comptes à te rendre, pas vrai ? Je préfère laisser Ed au camp, s'il faut absolument se séparer d'une lame. » Il pivota vers la Balafre. « Vous êtes secoué. Vous nous avez menés jusqu'ici, mais vous n'avez peut-être pas besoin d'en faire plus. Qu'en dites-vous ? »

Le gaillard parut sincèrement soulagé. Corso, pour sa part, n'était qu'à demi rassuré. Mais bon, il s'agissait tout de même d'un soldat de métier et il ne fallait certes pas trop dégarnir leur petite escouade non plus. Il en remontrerait à un ou deux malandrins tout de même... « Dans ce cas, vous pourriez me prêter votre armure, proposa-t-il à Ed. Je suis à peine plus épais que vous et cette jaque de cuir déchirée que je me traîne depuis l'auberge n'offre aucune protection. J'en aurai plus besoin que vous. Et si vous en avez besoin, c'est probablement qu'il sera déjà trop tard. »

Le bougre lança un regard à Artemus. Les yeux du templier ne laissaient pas d'équivoque quant à son approbation.

« Bon, d'accord, souffla Ed en dénouant le col. Prenez-en soin.

-Je prendrai soin de ma peau, avant tout. Mais comptez sur moi pour essayer de vous la rendre telle que vous me l'aurez confiée. Quant à vous, veillez bien sur les filles. »

Sinon ton armure ne te sera plus d'aucune utilité.

Lorsqu'ils furent fin prêts, ils étouffèrent le feu. Mira et sa fille trouvèrent refuge sous la toile du chariot, la Balafre se racrapota sous son manteau rapiécé pour monter la garde. Ensuite les autres quittèrent le camp.

Sur le tapis d'épines, leurs pas étaient silencieux. On ne percevait rien d'autre que les frémissements de vie animale, un hululement, une course étouffée dans un fourré, un battement d'ailes. Et le cliquetis métallique des armures. La brigandine de la Balafre était une belle pièce. Il sait prendre soin de son équipement. Ajustable à l'aide de sangles, le torse était couvert de plaques rivetées sous un cuir épais qui épousait le corps sans gêner le mouvement. Les bras et le haut des jambes étaient couverts d'une maille serrée. Et une paire de jambières complétait le tout. Le nosferatu avait fait l'impasse sur la cervelière. À moins d'être contraint de plonger dans une bataille, il avait toujours préféré aller tête nue, sans s'émousser les sens en couvrant ses oreilles, en bouchant des morceaux de son champ de vision. Un bon guerrier, ça doit aussi avoir une bonne étoile, comme disait mon paternel.

Corso y voyait mieux que les autres dans les ténèbres, aussi avait-il pris la tête du groupe. Il percevait leurs souffles rapides, leur tension. Là, sous le toit que formaient les sapins serrés, la bruine ne les gênait guère. Mais bientôt ils quittèrent leur couvert pour un espace dégagé, une clairière semée de quelques mares. La fine pluie les arrosa et le sol devint glissant sous leurs pas. Estrella manqua de faire un plongeon lorsque, longeant l'un des points d'eau, son pied glissa sur la surface lisse et humide des cailloux qui en tapissaient le pourtour. Seule la pointe de sa botte y trempa grâce au bras vif et secourable d'Arrod.

Ils poursuivirent leur course jusqu'à apercevoir une imposante éminence rocheuse qui perçait le rideau de la forêt et saillait, arrogante, du paysage ombré. Au sommet, Corso devinait la silhouette trapue d'une petite chapelle. Nous y voici... Il s'agissait bel et bien du lieu que leur avait indiqué Ed. Impossible de se méprendre.

« Vous ne la voyez peut-être pas, avec ce temps couvert et cette nuit dépourvue de lune, murmura le nosferatu, mais il y a une petite église là-haut. C'est notre endroit.

-Dans ce cas, nous devrions trouver nos ennemis dessous, si j'ai bien compris, répondit Artemus, la barbe emperlée d'eau. À partir de maintenant, avançons avec prudence. Faites attention où vous mettez les pieds, le sol est glissant, et n'allez pas trop vite pour éviter de faire tinter la maille. Sans le bénéfice de la surprise, notre petite opération risquerait de se compliquer. »

Ils s'engouffrèrent à nouveau sous le couvert des arbres, mais les essences étaient ici plus variées. Les chênes et les frênes laissaient davantage d'espace aux fougères et aux ronciers. La bruine, sur les feuilles, murmurait dans une langue spectrale. À pas de loup, penchés au ras du sol, ils entamèrent l'ascension d'une pente légère, le pied de la colline.

Soudain Corso les fit arrêter. Il mit son doigt sur la bouche pour leur signifier le silence et désigna, à quelque distance, une ombre découpée dans le flanc rocheux et abrupt de la crête. « Une sentinelle », chuchota-t-il.

Prudemment, ils se glissèrent sur la droite pour essayer d'avoir une meilleure vue de l'à-pic. Ses brisures et fissures ruisselaient. Bientôt, ils découvrirent une longue faille verticale dans la paroi de pierre. Elle zébrait le flanc de la colline presque jusqu'au sommet. Invisible depuis leur position, la fameuse chapelle devait être sise juste au-dessus. Tout le pourtour de l'entrée de la caverne était décoré de ciselures et d'entrelacs gravés, de figures mythiques païennes. Certaines parties, érodées par le temps et les intempéries, n'étaient plus guère que des esquisses, d'autres, moins exposées aux vents, traçaient encore leurs dessins avec netteté. Il s'agissait d'un ancien site sacré pré impérial, que l'Église s'était accaparé en édifiant un lieu de culte dessus. Mais, d'après la Balafre, le lieu avait plutôt mauvaise réputation et était évité.

Depuis le fond de la caverne, des lueurs peignaient les rebords de la roche de reflets rougeoyants. L'endroit était occupé. L'écho lointain de voix leur parvenait.

« Ils sont retranchés à l'intérieur, chuchota Estrella. Nous n'allons pas pouvoir les prendre à revers. Comment s'organise-t-on ?

-Il faut d'abord déloger le guetteur, dit Artemus.

-Bonne chance, murmura le Cassim. Il est caché dans une faille. On ne voit rien dans cette obscurité.

-Mais si nous avançons, il donnera l'alerte. Peut-être devrions-nous tenter un tir au jugé. Corso, vous y voyez mieux que nous, ce serait possible ? »

Le vampire évalua la distance. Il ne percevait qu'une vague silhouette noire et ramassée sur elle-même dans une anfractuosité à peine moins sombre. « Vos arbalètes sont utilisables ? La corde n'est-elle pas trop humide ?

-Je pense que ça va, répondit le templier en vérifiant au toucher, en testant la tension.

-Je vais plutôt essayer de l'avoir à la pointe de l'épée, proposa le nosferatu. Un tir serait trop hasardeux. Mais tenez vos arbalètes prêtes, juste au cas où. »

Tandis que les templiers encochaient chacun un carreau, il s'éloigna, sans empressement, sans faire de bruit. Il contourna l'espace dégagé composé de pierres plates devant l'entrée de la caverne, dans le but de se glisser au pied de la falaise, dans l'ombre qui cachait si bien le guetteur.

Tout à coup, à mi-parcours, immergé dans les fougères jusqu'à la taille, il perçut la détente d'une corde et le sifflement d'un trait. Il se recroquevilla instinctivement, mais son pied dérapa sur la mousse gorgée d'eau, il fut trop lent à esquiver. La douleur fulgura dans son dos. Il retint un juron et se retourna d'un bond. Au-dessus de lui, juché sur une branche épaisse, une seconde sentinelle récupérait une flèche dans son carquois.

« Nous avons de la visite ! » s'écria le servant, les doigts sur l'encoche.

Ignorant la brûlure du fer dans sa chair, Corso s'élança vers l'arbre, bondit plus qu'il ne grimpa en prenant appui sur les branches basses et attrapa la cheville de l'archer. Ce dernier tomba lourdement et lâcha un gémissement comme l'air était expulsé de ses poumons. En un instant, le nosferatu fut sur lui. Il frappa à plusieurs reprises au travers de la maille, avec sauvagerie, et sentit le sang chaud sur ses mains.

Un coup d'œil du côté de ses alliés lui permit de voir qu'ils quittaient leurs couverts en direction de l'autre guetteur. Deux viretons fusèrent, l'un d'eux toucha l'ennemi à l'épaule. Un cri lui échappa, mais il parvint à s'esquiver et entra dans la caverne.

Artemus jura. « Bon sang ils étaient deux ! »

Corso s'approcha en grimaçant. « Il y en a un de moins, à présent. Mais ils sont encore quelques servants, là-dedans. Espérons qu'il n'y ait pas plus de nosferatus que prévu.

-Vous êtes blessé, remarqua Lyren.

-Justement, pouvez-vous me retirer ce foutu morceau de bois du dos, ou casser la flèche au ras de la blessure ?

-Je veux bien, mais accrochez-vous. Ça risque de faire mal. »

Estrella s'avança. « Attends. » Elle plissa les yeux et inspecta le trait fiché dans l'armure. « Le tir vous a pris de biais ou a été dévié par votre brigandine. La flèche s'est fichée dans la couche matelassée, seule la pointe de fer a pénétré la chair, sur une profondeur d'un demi pouce environ.

-Alors retirez-la, car chacun de mes mouvements fait jouer le fer dans la pl... »

Sans lui laisser le temps d'achever sa phrase, elle s'exécuta d'un mouvement sec. Puis elle sourit. « Voilà, c'est fait. Ça va mieux comme ça ? »

Corso roula des épaules, recourba et redressa son échine. « Croyez-moi, j'en ai vu d'autres. Maintenant, je propose de foncer là-dedans avant qu'ils ne s'organisent.

-Il faudra bander votre blessure.

-Ne vous inquiétez pas, ça peut attendre. »

Artemus s'approcha de l'entrée de la caverne avec précaution et y jeta un coup d'œil. « Vous préconisez de foncer là-dedans ?

-Certains des servants devaient roupiller, j'imagine. Plus nous attendons, plus ils se tiendront prêts à nous recevoir. Nous n'allons pas attendre l'aube, tout de même ?

-Je passe devant, proposa Lyren. J'ai le seul bouclier qu'il nous reste depuis l'auberge. Tenez-vous à l'abri derrière moi jusqu'à arriver au contact.

-Lyren, attends, commença Estrella. Donne-moi ce bouclier... »

Mais le jeune templier pénétrait déjà dans le boyau orné d'entrelacs. Aussitôt suivirent Artemus, Arrod, Corso et finalement Estrella. L'entrée était étroite et permettait à peine de s'y tenir à deux de front, mais les compagnons se serrèrent, en file, sur les talons de Lyren. Le passage serpenta quelque peu avant de déboucher sur un espace plus vaste.

Il s'agissait d'une large poche naturelle au sol irrégulier tapissé de bouquets de stalagmites scintillantes, de colonnes de roche nervées et finement ouvrées par l'érosion. Le terrain s'abaissait progressivement vers le centre où, finalement, béait un puits profond. Au bord, une table de pierre taillée d'un bloc et creusée d'un petit réceptacle pour le sang, un autel sacrificiel. Tout cela brillait et dansait à la lumière d'un feu autour duquel étaient disposés des bagages et des couches. Des silhouettes couraient ici et là, s'affairaient, s'armaient. Elles étaient une dizaine.

Soudain un trait jaillit et se brisa sur une colonne de pierre boursouflée, puis un second vint se ficher dans le bouclier du templier avec un son mat. Lyren courut vers l'adversaire. « Le cœur, l'esprit, le feu ! »

Et ses amis lui emboîtèrent le pas.

Un combattant élancé, lourdement armé, avec gorgerin et gants en écrevisses par-dessus un long haubert, se dressait parmi les hommes et criait ses ordres. Voilà mon adversaire ! Comme il coiffait un heaume aux fentes étroites sur sa longue chevelure blonde, il reconnut Frederik, un jeune nosferatu issu de Kiara, une infante d'Amadeus morte durant la rébellion. Un impur. Je n'en ferai qu'une bouchée.

En quelques longues foulées rapides, Corso dépassa les autres. D'un puissant coup d'épaules, il heurta un écu dressé, envoya bouler le servant abrité derrière et brisa la ligne de défense à peine formée. Il sauta au-dessus. Puis l'Alycan balança sa lame en travers de l'épaule d'un homme en train de s'armer, au point que son bras faillit se détacher du corps. D'un coup sec suivi d'un arc de sang il décoinça son arme et, enfin, il se retrouva face à Frederik.

Ce dernier cilla sous son casque. « Corso... ? »

Bon sang, il fallait que ce soit un impur... Le bougre ne l'avait jamais considéré avec dédain. Il n'avait jamais été qu'un sous-fifre, lui aussi. Ça aurait été plus facile s'il avait fait partie des autres, des arrogants. « Rends-toi ! lança-t-il. Ne nous complique pas la tâche. »

Mais l'autre se mit en garde. « Meurs, traître ! »

Tant pis pour toi, petit. Cependant Corso se rappela qu'il devait le garder en vie, pour bien faire. Il se rua à l'assaut comme le fer se mettait à crier derrière lui suite à la charge de ses compagnons. Rapide et souple, il enchaîna deux terribles coups sur l'écu de son opposant et sentit le bois frémir à l'impact. Puis il tenta un revers du plat de l'épée en direction du heaume, histoire de le sonner. Mais l'autre, plus vif qu'il ne l'imaginait, se baissa et bondit en avant. L'Alycan reçut le bord du bouclier et la pointe du casque dans les côtes, chancela et tomba à la renverse. Il heurta une arrête de roche et sa blessure au dos lança des éclairs du bassin jusqu'à la nuque. Foudroyé, engourdi par la douleur, il eut tout juste le temps de parer deux attaques et de rouler pour échapper à un coup d'estoc meurtrier. La pointe glissa sur les plaques de son dos et résonna sur la pierre.

Avant de songer à se relever, Corso balança son pied dans la jambe d'appui de Frederik et le fit choir à son tour. On n'apprend peut-être pas ça avec un épéiste, mais ça peut toujours servir. Alors qu'il s'apprêtait à bondir sur le Draken pour le tenir à sa merci, un servant s'interposa. Il s'agissait du guetteur blessé. L'empennage du carreau saillait encore de son épaule. Qu'espère-t-il au juste celui-là ?

Contraint d'affronter ce nouvel adversaire tandis que Frederik se relevait, il se remit sur pied et attendit que le servant passe à l'attaque. Sitôt que l'autre porta un coup, il s'inclina, sa blessure l'élança, et, du plat de sa main libre, enfonça le carreau plus profondément. Le mortel hurla et faillit perdre connaissance sous l'intensité de la souffrance. Il recula et heurta l'autel, auquel il s'agrippa pour éviter de s'étendre de tout son long. Toutefois, Corso n'eut pas l'occasion de finir la besogne, car l'autre nosferatu revenait à la charge.

Encore une fois contraint de parer des assauts successifs, il tenta une botte vers une ouverture dans la défense ennemie. Pas assez rapide, elle heurta le rebord de l'écu et crissa. Gêné par sa blessure au dos, de même que par la prise de ses mains brûlées, plus guère habituées au pommeau, il constatait avec effarement qu'il avait perdu en vitesse et en précision. La douleur, tu peux la gérer, mon vieux ! Et le reste, tu peux t'en accommoder, suffit de s'habituer ! Et puis Frederik était mieux protégé, avec son bouclier, son haubert, son heaume... Du coup Corso subissait à nouveau son rythme, sa danse. Il grinça des dents, fou d'exaspération.

Il suffit !

Son penchant bestial s'éveilla. Il rugit. Le brasier rageur dans sa poitrine le poussa en avant. Au mépris de sa propre sécurité, il fonça tout à coup. D'abord un coup de lame aux jambes, l'écu s'abaissa pour le dévier, ensuite un coup de poing dans le heaume dégarni, sans se soucier de la lame qui lui vrillait l'épaule, enfin un puissant coup du plat du pied dans le torse. Sous la force irrésistible de l'Alycan, Frederik recula de plusieurs pas, jusqu'à ce que le sol se dérobe sous lui. Corso, encore embrumé par une colère dévorante, le vit battre des bras et chuter dans le puits obscur.

Suivirent un bruit de métal et d'os brisés ainsi qu'un cri étranglé. Le nosferatu s'approcha du rebord pour observer le fond du gouffre. Les lueurs du feu permettaient d'en discerner les contours torturés et le centre, noyé par un lac noir et lisse comme un miroir. À quelque trente coudées en contrebas, le Draken, empalé sur deux stalagmites sanglantes, remuait encore faiblement, animé par les ultimes soubresauts de vie. Merde. On ne ramènera pas celui-ci à Eterna...

Mais ce n'était pas le moment de songer à une alternative. Corso massa son épaule douloureuse et se retourna. Il constata que ses amis s'en étaient bien tirés. Hormis deux, les servants jonchaient le sol, morts ou mourants, et les survivants étaient à leur merci. Agenouillés, ils avaient jeté leurs armes et demandaient grâce. Lyren avait une joue gonflée et un filet de sang coulait des cheveux d'Arrod, sinon, aucun dommage à déplorer. C'est vrai que c'est une bonne équipe, convint Corso. Mais j'ai un sale boulot à faire, avant que ça s'éternise en palabres.

Il avança vers les deux hommes désarmés et se glissa dans leur dos. D'une poigne de fer, il saisit les cheveux du premier pour lui tirer la tête en arrière et l'égorgea. Ensuite, les autres en étaient encore à se demander ce qu'il se passait, il s'approcha du second et, des deux mains, il plongea la pointe de sa lame au travers de son corps, à partir de la base du cou. Il retira son arme, le corps du servant s'affaissa. Puis, d'un grand mouvement circulaire, il égoutta le sang de son épée.

« Mais que faites-vous ? s'indigna Lyren, horrifié.

-Le sale boulot qui doit être fait.

-Ces hommes s'étaient rendus... »

Arrod ricana. « Vous pensez vraiment que ça compte, pour quelqu'un comme lui ? Ceci dit, pour une fois, je suis assez d'accord avec le monstre. Ces gars auraient fini par devenir gênants.

-Vous êtes des bouchers, ma parole ! » Le jeune homme se tourna vers Artemus, en quête de soutien. « Sommes-nous des meurtriers ? Tuons-nous de sang-froid ?

-Non, fiston. Nous ne sommes pas comme ça, mais la question ne se pose plus et j'avoue, à ma grande honte, être soulagé de ne pas avoir à la débattre. Qu'aurions-nous pu faire de ces misérables ? Les relâcher ? Nous sommes dans une situation très particulière, très inconfortable. Le secret de notre mission... coûte très cher. »

Lyren grimaça. « Tu les aurais laissés faire ?

-Non, j'aurais opté pour les laisser en vie », répondit le vieux templier. Il baissa les yeux. « Mais cela nous aurait tous mis en danger, nous devons en convenir... Puissent-ils reposer en paix. »

Le jeune homme adressa un regard écœuré à Corso. Décidément, je n'ai pas beaucoup d'amis dans ce groupe... Cependant, son cœur se serra surtout à l'idée que les autres puissent évoquer ces événements en présence de Mira et la détourner définitivement de lui. Mais c'était nécessaire. Et qui d'autre l'aurait fait ?

Les yeux posés sur le fil rougi de son épée, Lyren tremblait. « Ces hommes n'auraient-ils pas pu témoigner ?

-Sous la torture, vous voulez dire ? demanda le nosferatu. Ils auraient préféré mourir que d'avouer quoi que ce soit. Ceci dit, les fers chauffés à blanc et les outils des inquisiteurs sont réputés pouvoir arracher n'importe quelles vérités à leurs suppliciés...

-Non, Corso a raison, souffla Estrella, qui revenait du bord du puits central. Ce qu'il nous faut, c'est une preuve véritable. Ce qu'il nous faut, c'est un nosferatu... mais leur chef est mort. Je crains que nous ayons accompli tout ceci pour rien. »

Arrod soupira. « Bon, raflons au moins le butin qu'ils nous ont laissé. »

Sans beaucoup de joie, ils dépouillèrent les morts. Corso et Arrod récupéraient l'équipement utile. Boucliers et arcs, notamment, leurs faisaient défaut depuis l'incendie du Rouge Royaume. Artemus et Estrella s'occupaient de leurs bagages et provisions. La Rose de Fer portait une attention particulière au moindre signe d'indices à récupérer, lettre, document, sans grand succès. Quant à Lyren, il se dirigea vers un recoin de la caverne. Le fracas du combat avait excité des chevaux, dont les piaffements et les ébrouements provenaient de cette direction. Sans se gêner, Corso récupéra également un peu d'argent, une poignée de picaillons et de sous, quelques deniers et même un ouesterin. Il en donnerait la moitié à la Balafre en dédommagement pour l'armure abîmée.

Ils récupérèrent trois chevaux, de belles bêtes, ainsi que leur équipement de monte et du fourrage. Ensuite ils chargèrent leurs nouvelles montures avec le butin amassé. Lorsque ce fut fait, Corso s'approcha des templiers. Ils sont déjà révoltés de toute façon. « Bon, si vous preniez les devants ?

-Qu'y a-t-il encore ? » demanda Lyren.

Mais l'éclat dans le regard d'Artemus disait qu'il avait compris. Néanmoins, le nosferatu s'expliqua : « Nous avons ici des cadavres frais. Vous n'êtes pas sans savoir que je dois me nourrir, de temps à autres. Je propose de ne pas gâcher, qu'en dites-vous ? Vous voulez assister à ça ?

-Non, bien sûr », répondit le Vieux Lion. Il soupira. « Faites donc, puisqu'ils sont déjà morts. Vous nous rattraperez. »

Les templiers et la Rose de Fer s'éloignèrent, dissimulant plus ou moins bien leur dégoût. Mais dans les yeux du Cassim couvait une franche hostilité. Corso lui offrit un sourire carnassier. Va, et fais des cauchemars...

Le vampire fit face au champ de bataille et se choisit un servant pas trop abîmé, encore tiède. Il se pencha, découvrit sa gorge et y planta les crocs. À mesure qu'il buvait, il se sentait vivifié et la douleur de ses blessures refluait. Ses sens se réaffûtaient, son corps gagnait en force, une véritable cure. Corso se nourrit avec avidité et fit taire son appétit.

Tout à coup, il perçut du bruit et des conversations en provenance de l'extérieur. Il lâcha le corps, qui retomba mollement, et se dirigea vers l'extérieur. Ses compagnons ne s'étaient guère éloignés, ils n'en étaient qu'à la lisière des bois.

Une voix qu'il ne reconnaissait pas, jeune et fraîche, s'éleva. « Je vous en prie, messires, protégez-moi. Quelque chose rôde par ici et en veut à ma personne.

-D'où venez-vous, ma demoiselle ? demanda Artemus. Que faites-vous ici en pleine nuit ?

-Oh, je vous en prie, protégez-moi... Ils s'en sont pris à ma famille. Tout le monde est mort. J'ai été contrainte de fuir...

-Allons, venez ma chérie, dit Estrella d'une voix compatissante. Vous ne craignez plus rien. Vous nous expliquerez tout ça lorsque nous serons arrivés au camp. »

Lorsqu'il les rejoignit, Corso découvrit enfin la demoiselle. Une blondinette au regard clair, vêtue d'une robe de laine et d'un manteau à capuche. L'image même de la jeune vierge effarouchée. Elle devait avoir une quinzaine d'années... en apparence.

« Ne vous y fiez pas, déclara-t-il. C'est une des leurs, n'est-ce pas Marie ? » Médusée, elle l'observa et le reconnut d'emblée. Il put lire de l'effroi dans ses yeux turquoise. « Elle devait fureter, peut-être surveiller les environs de la ferme. Ou se nourrir... en tout cas, voilà une belle prise. »

Marie profita du moment de stupeur pour détaler vers le cœur des bois. Ni une ni deux, l'Alycan se lança à sa poursuite. Il s'enfonça dans les ténèbres familières. Ses sens étaient en alerte. À pleine vitesse, il bondissait au-dessus des souches et des ronciers. Elle était rapide, la petite demoiselle, mais elle avait des jambes plus courtes, une robe et puis, un Draken ne battait pas un Alycan à ce petit jeu.

À l'instant où il bondit dans son dos, elle pivota et brandit une dague effilée. De la main gauche, Corso referma une poigne d'acier sur son bras si fin. De la droite, il lui administra une bonne taloche. Marie cracha un filet de sang, mais ne perdit rien de sa combativité. Déchaînée, furieuse, elle rua et poussa un cri strident. Nouvelle claque du revers de la main, sans plus d'effet. Elle se débattait comme une diablesse.

« Suffit ! gronda Corso. Lâche donc ton poignard. Si tu persistes à lutter, je te casse le poignet.

-Tu vas crever ! Sale impur ! Traître ! »

L'Alycan imprima une torsion à sa main gauche, jusqu'à la limite de tolérance de l'ossature capturée dans sa paume. Marie hurla de plus belle, mais finit par écarter les doigts. La dague tomba par terre. D'un geste vif, Corso s'en empara et la jeta au loin. « Bon, maintenant tu me suis ! »

Il la remit debout sans ménagement et la tira derrière lui pour rejoindre les autres. Mais elle avait encore de l'énergie et lui frappait l'épaule. « Lâche-moi, sale impur ! Tu me fais mal. Tu n'as aucun droit de me toucher. Ôte tes sales pattes de mon bras ! »

Il ne broncha pas et son absence de réaction redoubla l'agressivité de la belle. J'ai moins de scrupules à livrer celle-ci à l'Église... plutôt une bonne chose. Il lui fit traverser des fourrés dans lesquels sa robe s'accrochait, mais ne s'en souciait pas. Si elle traînait la patte, il tirait un coup sec.

Lorsqu'ils arrivèrent auprès du groupe, Corso la jeta par terre, où elle resta prostrée et cependant toujours fulminante. Elle jetait des regards haineux à chacun d'entre eux.

« Et voilà, vous l'avez votre preuve, déclara l'Alycan.

-Parfait, dit Artemus. Je finissais par désespérer. »

Estrella fit une moue peu rassurée. « Elle a un visage d'ange. Dire qu'on s'apprêtait à l'accueillir parmi nous... Reste à la ramener devant le Cénacle. Ça ne va pas être une mince affaire, dirait-on.

-Pauvres idiots ! cracha Marie. Misérables créatures ! Je ris de vos piteuses petites vies, car elles touchent à leur terme. »

Le Vieux Lion hoqueta. « Mais quelle est donc cette démone ? Ne vois-tu pas dans quelle posture tu te trouves, fillette ?

-Fillette ? Ha ! Vous croyez avoir accompli quelque chose, ce soir ? Vous pensez que ça changera quoi que ce soit ? C'est terminé pour vous, vers de terre. Il est trop tard. Vos paisibles petites vies, vos vains balbutiements, tout ça c'est du passé.

-Bon, ça suffit ! s'impatienta Artemus. Sur tes guibolles ou je te jette en travers d'un cheval ! »

De mauvais gré, elle se leva. Il lui restait tout de même un peu de dignité. Un peu trop même. Et elle murmurait toujours des imprécations. Ils prirent la direction du campement. Mais ses mots avaient éveillé une peur dans le cœur de Corso. S'il ne connaissait pas le détail des plans d'Amadeus, le peu qu'il savait lui permettait néanmoins de connaître ses ambitions. Et si les bravades de la furie recelaient ne fût-ce qu'un peu de vérité... le pire était à craindre.

L'urgence est peut-être bel et bien de rigueur.


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