Après de longues heures passées à chevaucher parmi les terres arides du désert, une cité tout entière nous est apparue. La différence frappante de richesse entre mon village natal et cette ville neuve me surpris. Elzeihmos avait été construite par Shiroff, après avoir pris le pouvoir. Il avait rasé l'ancienne cité existante pour en édifier une à sa manière. Des pavillons ocres avaient été rangés autour d'un magnifique palais orné de pierres précieuses et de gigantesques fresques colorées. Il était complètement disproportionné: une hauteur démentielle, des tours incalculables, des fenêtres immenses, et tout cela ravivé par des dorures. Voilà à quoi lui servait l'argent de son peuple: à assouvir ses moindres désirs matériels. Ces ornements étaient payés par un argent sale, issue du pillage, des impôts trop importants et des amendes abusives. J'ai eu un haut le cœur devant ses richesses trop éblouissantes.

L'argent, le pouvoir et la gloire étaient-ils les seuls biens dont on se devait de se préoccuper?
Une bonne vie se résumait-elle à posséder toujours plus?

Je n'avais pas été élevée de cette manière, et je connaissais la valeur des choses et des hommes. Maman m'avait appris à toujours faire passer les autres avant moi et de me détacher de la matérialité.

Nous étions pauvres dans notre village, désargentés par la Guerre d'Argentia, mais cela ne nous empêchait pas de grandir spirituellement et d'éprouver de la joie.

Quel gâchis de voir tous ces bâtiments excessivement brillants! On aurait pu nourrir tout Argentia avec cet argent.

On pénètre dans les jardins du palais très verdoyants, trop verdoyants.
Oui, il y avait de vrais palmiers qui dansaient face au vent près des chemins sablonneux, mais tous les arbustes était en réalité des faux.
C'était une cité de rêve et d'illusion fondée sur le paraître.

Il n'en était pas moins que la cité avait été construite en plein milieu du désert de Kaahlos, lieu de végétation quasiment inexistante, où les températures sont brûlantes la journée et glaciales la nuit. J'avais lu plusieurs livres à propos de l'histoire et de la géographie d'Argentia, ce qui me permettait de connaître quelques caractéristiques de la région. Il y avait aussi un lac voisin qui ravitaillait la cité en eau et se transformait de temps à autre en lieu de loisirs et de détente.

Mais hors du centre de la cité autour du palais, Elzeihmos avait la particularité d'être un lieu de corruption, abritant vices et injustices. Vols, prostitution, arnaques, trafics, la ville était livrée aux plus sombres affaires. Cela s'expliquait du fait que le seigneur Shiroff s'occupait d'étendre son royaume hors des frontières en semant le chaos à l'extérieur. Ainsi, il délaissait la mise en place de réforme de sécurité dans les villes déjà conquises. Tant qu'il pouvait accumuler les richesses de son peuple, le bien être et la justice ne l'intéressait guère.

Rurk me fait descendre de son cheval, brusquement, en me prenant par les cheveux, et les guerriers font de même. Deux hommes récupèrent les purs-sangs de Shiroff et de mon ravisseur, et je suis emmenée dans l'enceinte du palais par les deux guerriers.

L'intérieur du bâtiment est encore plus époustouflant. Le style oriental de l'édifice apporte une touche d'exotisme. se mariant parfaitement bien avec les palmiers des jardins. Les plafonds sont très hauts et les sols, s'ornent de mosaïques colorées. Les bottes en cuire des deux hommes claquent sur les dalles, et le son résonne de façon solennelle.

On rentre dans une salle munie d'une grande table. Plusieurs hommes sont assis, et se retournent vers nous à notre arrivée. Je sens des regard insistants et mal placés se poser sur moi. Il faut dire que je ne suis pas très couverte: je porte un débardeur noir et une veste beige légère, trouée par la violence de mes enleveurs. Il y a une seule femme, qui semble bien s'affirmer devant tous ces hommes. Rurk s'assoit au milieu de la table et me place à côté de lui, et Shiroff, en tant que maître, domine à la place du bout. Je remarque qu'une chaise demeure vide à sa droite.

-Où est Will? Gronde-t-il de sa voix autoritaire et arrogante.

-Je suis là.

Un jeune homme ténébreux fait une entrée qui ne passe pas inaperçu. Il est beau, très beau, grand, les yeux sombre, la peau claire, les cheveux noirs décoiffés, et un petit anneau qui scintille à son oreille. Il est vêtu d'une tenue noire incrustée de rubis. Il ne sourit pas, et sa démarche est assurée. Une onde débordante de charisme se dégage de son corps svelte et musclé. Mais il est froid, même glacial. Il pose ses yeux sur moi, et en un instant nos regards se croisent. Le sien est sévère. Il détourne le sien et s'assied à côté de Shiroff. Je baisse les yeux, et redoute ce qu'il va m'arriver.

-Je peux savoir ce que nous vaut ce retard, Will? Demande sèchement le tyran.

-Maintenant je suis là, et c'est l'importance. Répond-il avec une pointe d'insolence.

Une lueur d'arrogance se lit dans son regard.

-Tu ferais mieux de faire attention à tes paroles, mon fils. J'attends de toi du respect, et la ponctualité en fait partie.

Will ne répond pas et foudroie l'assemblée du regard.

- Et bien commençons, s'il ne manque personne. Lance un homme assez âgé avec des lunettes rondes.

-Messieurs, nous voilà en présence de la princesse Elyna Elkana, fille cachée de Roxanne et Nicholaï Elkana et illustre héritière de la famille! Annonce Shiroff, de la façon la plus prétentieuse possible. Son ironie prononcée est synonyme d'un profond mépris qu'il exprime toujours envers ma famille.

Rurk m'empoigne par le bras et m'oblige à me lever devant les convives, telle un trophée de guerre. Certains écarquillent les yeux, d'autres ricanent ou me toise du regard. Quelle humiliation. Je dégage son bras et me rassois. Surpris de ma réaction, il me gifle à nouveau.

-La princesse est une demoiselle rebelle, à ce que je vois! Ricane Rurk, laissant apparaître des dents en or.

Les hommes rigolent tous, sauf Will qui reste silencieux et froid, le visage inexpressif.

-N'importe quelle personne sensée et qui se respecte ne se laisserait pas soumettre à l'arrogance, à la brutalité et au manque de tacte d'hommes tels que vous, aveuglés par la matérialité et de désir abusif de conquêtes et de domination! Je lâche, la tête haute.

Quelques murmure s'élèvent de l'assemblée. Ils ne s'attendaient pas à ce que je réponde d'une telle manière.

-Je vous trouve bien courageuse de vous imposer ainsi. A moins que ce ne soit seulement de l'impulsivité. Réplique Shiroff, un sourire en coin.

-Quoi que je dise, je finirai morte à la fin de la journée. Alors, je m'octroie le privilège de vous révéler au grand jour la vérité perçue par votre bas peuple, de vous et de vos hommes abrutis!

-Alors, quels sont, selon vous, ces «  personnes sensées » dont vous avez manifester l'existence? 

A ma grande surprise, je rends compte que le roi ne s'énerve pas. Alors je décide de rester autant virulente face au meurtrier de mon père.

-Ceux sont des personnes garantes de valeurs morales telle que l'altruisme, l'humilité, l'intelligence et qui se voue plus à la philosophie et au travail plutôt qu'à des guerres et des fêtes superficielles! Ce sont les gens que vous avez tués pour étendre votre royaume, lui-même fondé sur l'enrichissement, la violence et l'égoïsme. Dans mon village on médite, on se cultive, on étudie des textes, et on apprend surtout le respect et la valeur de l'autre, et à vivre dans l'harmonie et la paix.

Je sens quelques regards curieux de poser sur moi.

-Peu importe ce que vous pensez princesse Elyna Elkana, vous serez morte à l'aube! Réplique le roi, fermement.

La femme de l'assemblée se lève et prend la parole.

-Si je peux me permettre majesté,  cette fille étant l'héritière des Elkana, elle possède des capacités spirituelles des plus puissantes. Pourquoi ne pas la faire devenir mère du futur héritier de votre royaume? Ce bébé serait extrêmement puissant et reprendrait à merveille votre suite.

Le roi hoche la tête, dubitatif, et réfléchit à la question.

Mon sang se fige après cette annonce.

Il est hors de question que je tombe enceinte de cette famille!

-Il est vrai que ce pourrait être une aubaine pour nous. Déclare Shiroff, l'air pensif.

-Mélanger les sangs des deux familles, autrefois les plus puissantes, pourrait faire de votre lignée la plus forte du point de la force et de la spiritualité que nous ignorons à l'heure actuelle. Renchérit la femme.

-Soit. Cette idée me plait. Et pourquoi pas envisager de tuer la fille après la naissance du bébé. Et bien, ce soir, la princesse Elyna Elkana concevra son futur enfant avec mon fils, Prince Will Shiroff! Clame-t-il.

Je sursaute.

J'aurais préféré être exécutée plutôt que de mêler mon sang à des meurtriers.

Will reste silencieux, le visage dénué de toute expression. Il défie son père du regard, en jouant à celui qui baissera les yeux le premier.