Les Élitiens avaient donné un accueil chaleureux à John Mid lorsque celui-ci était revenu dans l'Élite, à la tête du cortège, le Serment rouge signé en main. Les clameurs s'étaient vites tues face au retour de Louis Serra, le pré-Élitien effronté qui avait proposé de négocier la paix avec les Estaffes.

Et qui portait un bébé blond dans ses bras.

Le jeune homme laissa ses amis et le Cœur noir expliquer à leurs supérieurs de quoi il en retournait. Que les Estaffes avaient volés la petite fille d'Arthur et Guenièvre du Château-Boisé, et l'avait utilisée pour négocier une zone où leurs ennemis pouvaient circuler librement sur les bordures du royaume, tant qu'ils n'attaquaient personne. Que le poupon leur avait ensuite été confié, et que Louis ne l'avait donné à personne, craignant de le lâcher par accident, alors qu'il avait déjà bien du mal à savoir s'il portait le petit être correctement.

Il utilisait son arbre doré pour réchauffer sa luide et espérait que cela ferait plaisir au bébé, même s'il n'avait absolument aucune idée de ce qu'un bébé pouvait aimer.

– Il faudra la confier à Hector du Château-Boisé, intervint un Élitien âgé.

– Il a plus de soixante ans, il n'est plus en état de s'occuper d'un bébé, répliqua John Mid avec un soupir. Il est très compétent pour diriger la garde royale, mais je doute qu'il ait le courage de prendre en charge un enfant.

– Vous préférez vous en occuper ? taquina Robin.

– Si cela doit se faire, j'ai d'autres priorités avant cela, asséna le Cœur noir. Amenez-la au docteur Soupont, qu'il vérifie si les Estaffes ne l'ont pas blessée ou si elle n'est pas malade.

Louis sentit son cœur faire un bond à la pensée qu'un si petit bébé ait pu être malmené par les Estaffes. Ce serait d'une cruauté totale !

Mais il les en croyait parfaitement capable.

Juilius et Robin l'encadrèrent, lui ouvrant et fermant la marche, pour empêcher des Apprentis et Prétendants trop enthousiastes de barrer la route à Louis. La rumeur de la signature du Serment rouge parcourait déjà l'école, si bien que le pré-Élitien à l'origine du contrat avait déjà le statut de héros du royaume, trente-quatre minutes après la signature du traité.

Cette gloire aurait pu nourrir l'orgueil de Louis, s'il n'avait pas eu l'esprit plus préoccupé par le bébé endormi dans ses bras.

Qui ne le fut pas longtemps, alors que le docteur Soupont l'examinait.

– Elle a quelques traces d'ailes de nymphettes sur les bras, elle en gardera sans doute quelques cicatrices. Je la trouve un peu légère, mais je n'ai pas l'habitude de m'occuper d'enfants, encore moins de bébés, admit l'homme. Elle aura sans doute faim bientôt.

– Mais elle n'a pas de dents pour mâcher, indiqua Louis.

Elles étaient loin, les années passées à l'orphelinat, et à voir comment s'occuper des bébés. Il avait effacé autant de souvenirs que possible de cette période, et à présent, son ignorance lui faisait gravement défaut.

– C'est une façon de parler. Le plus simple pour vous serait de la confier à une nourrice... excusez-moi de vous faire repartir si tôt, mais j'ai d'autres patients dont je dois vérifier l'état, et qui sont en moins bonne santé que cette fillette.

Le trio et le bébé se firent congédiés du cabinet, et Louis crut qu'il allait lâcher le bébé sur le sol lorsque celui-ci poussa un cri aigu. 

– Armance saura quoi faire, supposa Louis.

– Je vais la chercher. Allez au vestibule, il y aura moins de monde, et essaye de lui montrer l'Arbre doré, ça pourrait la distraire.

Son ami fila aussi vite que possible, alors que Robin restait à ses côtés, prêt à aider Louis si celui-ci lui disait quelque chose. Mais les lèvres du pré-Élitien étaient comme scellées, le gardant muet, cherchant dans sa tête comment il pouvait faire taire la fillette dans ses bras.

Il était quelque part soulagé que lui et Armance se soient quittés. Il aurait été un père désastreux s'il s'était marié avec elle et aurait eu des enfants !

Il eut l'impression qu'il lui avait fallu des heures pour arriver jusqu'à l'Arbre doré, et par chance, Armance et Julius arrivaient face à eux. La jeune femme portait une robe bleue qui la mettait parfaitement en valeur, mais Louis ne lui dit aucun compliment.

Tout au plus, il indiqua le bébé dans ses bras avant de dire :

– Il faut que tu la nourrisses !

– Allons en cuisine, pour...

– Pas besoin, elle peut téter ta poitrine !

Le fou rire de Robin fut un peu lent, sans doute parce qu'il n'aurait pas cru à de telles mots de la part de Louis, qui ne voyait pas bien pourquoi le colosse se moquait de lui, alors qu'Armance lui donnait un regard exaspéré, et que Julius semblait lui dire qu'il était stupide.

– Louis, je sais parfaitement que le bébé se nourrisse uniquement de lait au cours des premiers mois de leur vie, et je suis heureuse de voir que tu as cette connaissance basique, commença Armance en articulant chaque mot comme s'il était ignare. Mais sache que ce n'est pas parce que tu donnes un bébé à une femme qu'elle peut aussitôt le nourrir.

– Ah non ?

Le rire de Robin redoubla, et même Julius sourit du ridicule de la situation. Le visage effaré de Louis était hilarant à voir, et Armance avait honnêtement toutes les peines du monde à ne pas rire elle aussi.

– Allons aux cuisines, il doit bien y avoir une cuisinière qui allaite encore son enfant, ou qui pourra nous donner le nom d'une nourrice à qui confier cette brave petite...

– Et s'il n'y en n'a pas ? se soucia Louis.

– On trouvera du lait et tu lui donneras le biberon.

Louis était le héros du royaume depuis moins d'une heure, et il trouvait déjà que sa nouvelle mission était trop dure pour lui.

Vivement que quelqu'un s'occupe du bébé à sa place !