Le soir-même, ce fut Ariane qui vint s'excuser auprès de Louis et Armance de la méchanceté de son fils, ce dernier étant d'ailleurs derrière elle, les poings serrés sur la robe de sa mère avec un air de crainte en regardant Marie-Marie. La fillette lui tira la langue, et Octave parut vouloir l'imiter un moment, avant de baisser la tête.

— Je suis désolé d'avoir dit que... que t'avais pas de parents, s'excusa-t-il.

— D'accord. Je ne veux plus te parler maintenant. Pars.

— Marie-Marie, si tu ne veux pas accepter ses excuses ou que tu es encore fâchée, tu peux le dire sans être impolie, fit savoir Armance en fronçant les sourcils.

— Non. C'est juste que je l'aime plus. Pierre, c'est mon ami, pas lui.

Louis aurait pu être admiratif de la rapidité avec laquelle Marie-Marie pouvait se détacher de quelqu'un quand elle avait été blessée. Après tout, elle l'avait copieusement ignoré et évité durant des jours, parce qu'il était revenu en retard de sa poursuite des Estaffes, revenant même avec un autre enfant. Et maintenant, les mots du demi-Hélios allaient avoir la même conséquence que le retard de l'Élitien. Ce qui ne rassurait que peu Louis quant à la relation entre les deux enfants, qui était jusqu'à présent teintée de rejet.

Si bien que même si les deux femmes tentèrent de faire changer d'avis la fillette, rien n'y fit. Pendant plusieurs jours, Marie-Marie tint parole, passant tout son temps, quand elle n'était pas avec les Élitiens ou Armance, avec Pierre. Le pauvre garçon était déchiré au milieu de ce conflit, voyant comme tous qu'Octave était plus que peiné de perdre la seule personne de l'Élite dont il s'était un peu rapproché.

— Est-ce qu'on était aussi stupides et têtus quand nous étions enfants ? soupira Julius en prenant place dans l'un des canapés de la chambre d'Armance. 

— C'est toi qui t'en tires le mieux, grommela Louis.

Il passait une main dans sa barbe de quelques jours avec agacement, ayant oublié de la raser ces derniers jours en raison de multiples paperasses qu'il avait eu à régler au sujet de ses dernières missions. Même avec l'aide de ses amis, l'administratif restait un aspect de l'Élite dont il n'avait aucune appétence, et bien peu de compétences.

Le matin-même, il avait eu droit à un refus de Marie-Marie de lui embrasser la joue, à cause de sa barbe qui la piquait, d'après elle. Mais il n'avait pas encore pris le temps de la raser, trouvant que son visage paraissait un peu plus mature avec un peu plus de pilosité.

— Je ne veux pas dire que j'ai hérité du pire enfant parmi nos protégés, reprit Julius, mais Pierre est très abattu par la situation. Il m'a clairement dit qu'il préfèrerait une réconciliation entre Marie-Marie et Octave, mais dès qu'il mentionne le second à la première, ta fille se vexe et refuse de lui parler pour le reste de la journée. Je m'inquiète de ce qu'il peut se passer si la situation perdure.

— Même à moi elle me fait la tête si j'aborde le sujet, répliqua Louis.

Ils tournèrent discrètement la tête vers Robin, qui s'écria aussitôt :

— Je sais ce que vous allez dire, mais Octave m'évite ! Alors le convaincre de s'excuser à nouveau auprès de ta fille, ou même de lui offrir un cadeau d'excuse pour les réconcilier, c'est au-dessus de mes moyens pour le moment !

— De nous trois, tu es celui qui a la meilleure chance de...

— Déjà, ce n'est pas entre nous trois, c'est entre nos trois protégés, nuança le colosse. Deuxièmement, Octave est toujours craintif en ma présence, sans même que je parle de Marie-Marie. Si je tentais de le faire, il pourrait le voir comme de nouveaux reproches sur son comportement, et pour le moment il se méfie trop de l'Élite entière en dehors de Pierre pour que je risque de lui imposer d'autres soucis. Nous pourrions demander de l'aide à Armance.

— Ça attendra un jour de plus, elle est avec son mari ce soir, informa Louis en reposant sa tasse de café.

— Il faudra que tu en parles à Marie-Marie de ça.

— Quoi donc ?

— Qu'Armance a un époux.

Le capitaine de l'Élite redressa la tête, sachant où ses amis voulaient en venir, mais tenta d'esquiver la suite de la conversation.

— C'est à elle de le dire à Marie-Marie, je n'y suis pour rien si elle l'a prend pour une mère de substitution.

—  On sait tous les trois qu'elle l'a déjà fait, rappela Robin. 

— Le souci, reprit Julius, c'est que toi, tu regardes Armance avec des étincelles dans les yeux quand elle a le dos tourné, sans remarquer que ta fille l'a bien noté, elle. Et Armance a beau nier, ton attitude à toi donne raison à Marie-Marie de penser que vous êtes amoureux, et qu'Armance pourra être presque autant à ses côtés que ne le sont Ursula ou Ariane pour leur fils. Mais Armance est mariée à quelqu'un d'autre, qui n'est pas de l'Élite, et il se peut qu'un jour elle tombe enceinte et décide de s'éloigner de l'école pour mieux prendre en charge ses propres enfants, sans avoir à s'occuper de tous les Prétendants qui manquent une fois sur deux de se tuer eux-mêmes par stupidité.

Louis avait vécu bien des confrontations désagréables passées, et la perspective d'affronter de nouveau le dédain presque inévitable de Marie-Marie l'agaçait, mais ses amis avaient raison. De son avis, ils auraient pu y mettre plus de formes, mais les faits étaient là.

Il aimait encore Armance, et même s'il le cachait bien à la principale concernée, ce n'était pas le cas devant autrui. Et qu'il le veuille ou non, Marie-Marie aurait un jour à voir celle qui paraissait être une mère stricte mais bienveillante quitter l'Élite, et ses dédales dangereux.

— Je lui dirais avant qu'Octave ne s'excuse à nouveau, décida-t-il.

Si cela pouvait inciter sa petite protégée à se réconcilier avec l'autre enfant, au moins cette future discussion pénible ne serait pas vaine.