Louis Serra, du haut de ses dix-neuf ans, était promis à un avenir exceptionnel, encore plus brillant que son parcours dans l'Élite ne l'avait laissé envisager, s'il réussissait à survivre à cette journée.

Après tout, l'autre possibilité était qu'il finisse mort sur le sol du château du roi, parce que les Estaffes refuseraient de signer la paix entre eux et l'école de l'Élite.

Le pré-Élitien n'avait plus été aussi nerveux depuis un moment. Même la fois où il s'était retrouvé à devoir faire face à la direction avec Julius et Robin, en ayant échoué à capturer la Foudre fantôme, il n'avait pas été aussi affolé.

Comme un rappel de ce jour déjà un peu lointain de sa vie, Julius et Robin étaient également à ces côtés cette fois-ci encore. Et peut-être que c'était leur présence qui aidait Louis à ne pas s'effondrer au sol, parce que son orgueil ne lui permettait pas d'agir lâchement face à ses amis. Ils étaient inséparables de leur vivant, et si les Estaffes décidaient de se battre contre eux, le trio serait également inséparable dans la mort.

À leurs côtés, John Mid paraît imperturbable. Il est pourtant blessé si gravement que le docteur Soupont avait pensé ne pas pouvoir réussir à le sauver, deux semaines plus tôt.

L'absence du capitaine des Élitiens, et le fait que son second soit présent, avec un arbre noir, marquait toute l'incongruité et l'importance de ce que Louis faisait. S'ils réussissaient, l'Élite n'aurait pas à perdre un seul Élitien, un seul élève, ni même une seule nymphette de plus. S'ils échouaient...

Robin posa une main sur l'épaule de son ami, comme s'il avait deviné que ses pensées dérivaient dangereusement vers quelque chose de trop sombre pour leur courage. Le poids de cette main rappela à Louis que la seule personne qui manquait à ses côtés (en dehors des Estaffes, mais Louis se portait bien sans eux malgré tout), c'était la seule personne que Louis avait fermement rejeté.

Mais au moins, si le trio infernal devait mourir ce soir, le quatuor infernal ne s'écroulerait pas totalement. Armance resterait en vie, et quelque part, cette pensée suffisait à Louis pour se dire qu'affronter les Estaffes, ce n'était pas si atroce, puisqu'il aurait à le faire pour de bonnes raisons.

Lorsque six silhouettes vertes entrouvrent la porte de la salle, un silence de plomb maintînt l'assemblée silencieuse. Des nymphettes noires se glissent par l'entrebâillement de la porte, se ruant au plafond comme une nuée d'araignées qui viendraient grimper au-dessus de vos têtes pour tisser leur horrible toile au-dessus de vous.

Louis ne dit pas un mot, tendant simplement une plume rouge à l'Estaffes qui semble présider le groupe. L'homme le dévisage un moment, silencieux, son visage parfait ne dévoilant rien. L'expression figée avait quelque chose de glaçant qui mit le pré-Élitien mal à l'aise, lui donnant envie de faire un pas en arrière.

C'est Julius qui se charge de faire un pas en avant pour indiquer à l'Estaffes le Serment rouge sur la table près d'eux, comme une demande silencieuse de signer immédiatement le contrat.

Lorsque la plume quitte les mains de Louis, elle ne vole pas pour signer le parchemin rouge, restant au-dessus du papier, flottant comme si l'Estaffes cherchait quelque chose de déplaisant dans l'offre qu'il avait reçu.

– Nous voulons le droit de parcourir le royaume, sans inclure la capitale si cela vous rassure, déclara l'homme.

Le stress monta une nouvelle fois en Louis face à ces mots, et il jeta un regard nerveux à ses amis, qui n'étaient pas plus enjoués.

– Vous ne d'exigeriez pas quelque chose de ce genre sans nous offrir quelque chose en retour, intervint John Mid pour eux.

– En effet.

L'Estaffes en tête de fratrie fit un signe au frère le plus en arrière, qui écarta les plis de sa cape pour dévoiler la chose la plus inattendue qui soit : un bébé blond reposait sur les bras de l'homme, paisiblement endormi. La réaction la plus vive parmi les membres de l'Élite vient de John Mid, qui pâlit brusquement comme s'il faisait face à un fantôme.

– Vous aviez enlevé l'enfant d'Arthur et Guenièvre du Château-Boisée ?! s'indigne-t-il.

– Nous l'avons gardé comme monnaie d'échange, rétorqua l'Estaffes qui tenait le poupon. Nous vous la laisserons si vous nous laissez voyager dans le royaume. La fille de votre ancien capitaine doit avoir un peu de valeur à vos yeux.

Louis est soulagé de voir que c'est John Mid qui s'occupe de négocier avec les Estaffes. Si ça avait été son cas, il aurait sans doute dit à demi-mots que le bébé ne signifiait rien face à la sécurité du royaume. Ce que ses amis n'auraient pas appréciés. Ils lui avaient déjà reprochés (à juste titre) d'avoir éloigné Armance d'eux par ses secrets, et il n'était pas nécessaire d'aggraver la situation.

Le Serment rouge se trouve un peu modifié, donnant le droit aux de voyager sur une surface de dix lieues dans le royaume, à partir de ses frontières. Les Estaffes acceptèrent de signer le contrat sans plus de négociations, soulageant toute l'assemblée.

Étonnamment, l'Estaffes ne confia pas le bébé dans ses bras à John Mid, se tournant plutôt vers Louis qui le prit maladroitement dans ses bras, se penchant un peu en arrière pour plaquer le poupon contre son torse et essayer de ne pas le faire tomber.

– Faites-en ce que vous voulez. Ce n'est plus notre affaire désormais.

Il y a un temps de latence entre le départ des Estaffes, et le moment où Robin pose la question la moins attendue par tous le groupe.

– Les Estaffes ont réussi à être les nounous d'un bébé pendant deux semaines ?