La fillette courait dans les bois. Les bras tendus devant elle, elle repoussait les buissons, arbustes et autres broussailles. Elle devait courir.
Elle avait peur, elle avait mal mais elle courait sans s'arrêter.
Au loin elle sentait la fumée, elle entendait les cris des hommes. La peur lui enserrait le ventre.
Soudain le sol se déroba sous ses pieds. Malgré ses bras tendus, elle chuta en avant et tomba dans un petit ruisseau. Le contact avec l'eau froide la fit hoqueter mais elle se releva aussitôt et reprit sa course. La forêt devenait plus dense mais pour rien au monde elle ne devait ralentir l'allure.
Ses poumons la brûlaient alors que le silence retombait dans le bois. Elle était à bout, luttant à chaque pas pour avancer, juste un petit peu plus.
Soudain elle déboula dans une clairière nimbée de lumière au centre de laquelle se tenait une coquette chaumière.
La fillette se figeait. Elle rêvait, elle le savait, ça ne s'était pas passé ainsi.
Elle baissa son regard sur son bras. Pas de brûlure, pas d'hématome, de vêtements déchirés. Tout était normal.
Une femme sortit de la chaumière et s'approcha en souriant.

– Maman... souffla la fillette atterrée.

Elle la regarda quelques secondes puis s'élança. La femme la réceptionna contre elle puis la serra fort dans ses bras.

– Maman ! Je suis si heureuse de te revoir !

Des larmes coulaient sur le visage de la fillette mais elle s'en fichait, retrouver un être chère n'avait pas de prix. La femme prit le temps de la bercer puis elle recula pour mieux la contempler.

– Regarde ce que tu es devenue, soupira t'elle. Regarde tous ce que tu as fait.

– Co... comment ?

La femme ne répondit pas et se contenta de désigner quelque chose dans le dos de la fillette qui ne tarda pas à se retourner.
Les arbres composant la vaste forêt s'étaient transformés en un espace vide parsemé de souches tordues. Des corps enchevêtrés dans les végétaux. Des morts. Ses morts.

– Regarde ce que tu as fait, reprit la femme. Je ne t'ai pas donné la vie pour cela.

La fillette se retourna et la déception qu'elle lut dans le regard de la femme lui serra le cœur.

– Tu as un don merveilleux et tu t'en sers pour faire le mal, pour tuer.

– Mais... c'est eux, ils veulent me tuer... Je dois me défendre.

– En devenant pire qu'eux ? Tu n'y arriveras jamais comme ça...

Soudain la vision de la fillette s'obscurcit et la voix de la femme s'estompa en même temps que son image. La fillette s'agita, tentant d'avancer dans les ténèbres qui l'englobaient. Elle se retrouva alors dans une sombre forêt.
Elle regardait autour d'elle quand le sol se mit à trembler. La terre se déchira et un être immatériel, tout en volutes scintillantes s'en arracha. Il se déploya et la fillette le reconnu alors.
Elle tendit le bras mais elle vit alors du sang, beaucoup de sang, qui jaillissait en jet de son bras meurtri. Incrédule, la fillette regarda son sang s'échapper et former une nappe écarlate sous ses pieds.
Soudain la chose apposa sa main sur la blessure qui se referma aussitôt.
Je t'ai redonné la vie et toi tu sèmes la mort...

Hin-Terra se réveilla en sursaut.
Elle avait oubliée d'éteindre sa lumière qui dévoilait une étrange scène. Elle était dans son lit mais tout autour d'elle voletaient des volutes scintillantes. Une odeur piquante et entêtante avait envahi la chambre.
Stupéfaite, Hin-Terra voulu se lever mais elle remarqua alors ses mains. Elles ressemblaient étrangement à de l'écorce mais surtout elle étaient à demi transparentes. De ses paumes s'échappaient les volutes et dans tout son être pulsait comme un second cœur. Sa vraie nature, celle d'un être entièrement magie.
Hin-Terra lutta pour endiguer sa panique. Elle se concentra puis lentement reprit le contrôle d'elle-même.
Quand tout fut terminé, elle se leva et se regarda dans le haut miroir de sa salle de bain. Elle avait changé, sa nature humaine s'effaçait au profit de sa véritable identité. Elle en ressentait déjà les effets. Au fond d'elle, elle savait qu'elle aurait dû en avoir peur, craindre cette puissance qui menaçait par moment de la submerger, mais non.
Elle n'avait plus peur, elle était enfin en harmonie avec elle-même.
Elle sourit à son reflet.

– Hin-Terra, l'élémentaire de Midgard, souffla t'elle. Ca me va plutôt bien...

Elle s'observa un instant avant de rire. Elle savait enfin ce qu'elle était, qui elle était et surtout ce qu'elle voulait devenir. Un être bienveillant.

*****

– Je trouve Loki perturbé en ce moment, fit Frigga à l'intention de son époux.

– Le trouble l'a envahi depuis un moment déjà, répondit Odin en levant les yeux de son livre. Il ne sait rien, n'est-ce pas ?

Frigga arrêta de jouer de sa harpe et soutient le regard d'Odin.

– Il ignore tout de son ascendance, en est-il de même pour le couronnement de Thor ?

Odin se redressa, piqué dans sa fierté.

– Personne n'est encore au courant, ni Loki, ni les autres. Il l'apprendra lors de l'annonce publique ou de la bouche même de Thor.

Frigga hocha la tête avant de poser sa harpe pour se lever.

– Pourquoi anticiper ainsi l'événement ?

Odin prit un air las.

– Je suis fatigué, ma douce, plus que je ne veux bien l'admettre. J'ai besoin de savoir que ma succession est assurée...

– Elle l'est, mais j'ai peur que ça ne soit un peu tôt pour Thor. Au fond, Loki et lui ne sont encore que de grands enfants.

– Je le sais, j'ai bien réfléchi avant de prendre ma décision. Ils méritent le trône autant l'un que l'autre, mais je pense que Loki sera plus à sa place en tant que conseiller.

Frigga adressa un regard interrogateur à son époux. Elle allait formuler sa question quand soudain Odin se redressa sur son siège.

– Que se passe t'il ? S'enquit Frigga surprise.

Odin se leva, aux aguets.

– Vous m'inquiétez, qui a t'il ?

– Ce n'est rien, ma tendre. Je... je dois simplement aller vérifier quelque chose.

Sans une explication de plus Odin traversa la pièce. Il ouvrit vivement la porte dévoilant Loki qui s'apprêtait à frapper.

– Un problème, père ? S'enquit-il.

– Rien de préoccupant, répondit Odin avant de le dépasser.

Le roi ne vit pas le regard emplit de surprise échangé par son épouse et son second fils. Sans se retourner, il remonta les couloirs jusqu'à la salle des cartes.
En ouvrant, il ne fut pas surpris de voir Heimdall qui semblait l'attendre.

– Que s'est-il passé ? Questionna le Roi en se penchant sur la carte des mondes. A t'elle usé de son pouvoir ? Est-elle partie ?

– Elle est toujours dans sa chambre, elle s'est calmée d'elle-même.

– Cette aura de puissance...

– Je l'ai également senti, il semblerait que cela provient d'un mauvais rêve.

Odin jeta un regard en biais à son Gardien.

– Un simple mauvais rêve... Si elle parvient à s'apaiser c'est déjà cela, elle doit parvenir à se maîtriser.

– Pourquoi craignez-vous tant cela, qu'elle perde le contrôle ?

Odin soupira.

– Par nature, les élémentaires sont des êtres instables. Une puissance phénoménale contenu dans un simple corps de chair... S'ils usent trop de leur grand pouvoir, ils peuvent finir par déchirer leur corps et sans sens moral ils ne sont plus que puissance dévastatrice. Hin-Terra est jeune, elle ignore beaucoup de choses, sur elle, sur sa force...

– Vous craignez qu'elle ne devienne néfaste ? S'étonna Heimdall. Elle est intelligente et plutôt de bon caractère pourtant.

– Tout bon caractère peut devenir mauvais par la force des choses. Hin-Terra est ce qu'elle est, mais il ne faut pas oublier que tuer ne lui est pas inconnu, c'est même pour cela qu'elle est ici.

Heimdall ne put qu'acquiescer. A la demande du Roi, il observait souvent la jeune femme et mis à part quelques écarts commis avec Loki, elle respectait les règles. Lui n'avait rien à lui reprocher mais il semblait avoir une peur toute différente dans le cœur de son Roi.

– Si jamais... cela se réalisait, reprit-il après un temps. Serions-nous en capacité de l'arrêter ?

Odin soupira, observa un moment la carte des neufs royaumes puis s'y appuya, tel un vieillard fatigué.

– Je l'ignore, je dois bien l'avouer, confessa t'il tout bas. Autrefois cela est arrivé et il a fallut des dieux, des valkyries et beaucoup de morts pour en endormir un, et ce n'était qu'un enfant...

Heimdall ne put s'empêcher de frissonner. Le danger semblait grand et Hin-Terra d'autant plus insouciante de la précarité de son sort.
Le Gardien demeura un long moment en silence auprès du Roi perdu dans ses pensées, et il le resta encore après le départ du souverain.

*****

– Pourquoi Père est-il parti si précipitamment ? Demanda Loki curieux.

– Je l'ignore, répondit Frigga dans un soupire avant de dévisager son fils.

– Je n'y suis pour rien, promit.

Frigga eut un sourire. Loki était si facétieux qu'il était parfois difficile de ne pas le soupçonner.

– Que me vaut ta visite ? Reprit-elle amusée.

– J'ai besoin d'un prétexte pour venir voir ma chère mère ?

– Pas avec moi, Loki.

Le Prince s'inclina, lui aussi amusé.

– Je voulais vous voir et aussi... parler de Hin-Terra. Elle a parfois d'étranges réactions défensives qui, je dois l'avouer, m'échappent.

– Je n'ai rien remarqué, à moins qu'on ne la force à user de ses pouvoirs, répondit Frigga en s'asseyant. Elle ne semble pas très à l'aise avec.

Loki se contenta d'acquiescer. Il pressentait que sa mère ne lui disait pas autant qu'elle en savait.
L'hésitation l'envahit alors, étrange sensation pour lui.

– Vous... vous savez ce qui lui est arrivé ?

Frigga leva un regard triste vers son fils.

– Les hommes ne sont pas toujours tendre avec les créatures des autres mondes.

Réponse bien évasive qui avait le don d'agacer Loki. Il prit sur lui et vint s'asseoir auprès de sa mère.

– Porte t'elle d'autres cicatrices que celles sur le bras ?

Frigga comprit alors la raison de toutes ces questions. D'un geste doux, elle posa sa main sur le bras de son fils.

– C'est à Hin-Terra de décider si elle veut dévoiler cela ou pas, ce n'est en aucun cas mon rôle.

– Je prends cela pour un oui.

Frigga eut un sourire.

– Ton intérêt est vif pour elle.

Loki eut un petit rire pour cacher son mal aise. Si sa mère savait quelle facette d'elle l'attirait elle en aurait sans doutes des angoisses.

– Je me comporte juste comme mon rang le veut. Je dois prendre soin de nos hôtes puis Père nous a demandé, à Thor et à moi, de l'aider à s'intégrer. Je ne fais que cela.

Frigga eut un rire sincère.

– Je suis contente pour toi, pas la peine de te justifier. Cela ne me dérange pas, mais ça le pourrait pour d'autres.

– Encore Thor...

– Non. Il n'a que faire d'elle, mais certains verraient d'un mauvais yeux ce métissage. Elle reste en partie humaine, et n'a aucune ascendance divine.

– C'est une créature magique, elle est de notre monde, rectifia Loki avant de tiquer. Est-ce que Père serait contre ? De toute façon, il est toujours contre, il n'a d'yeux que pour Thor.

– Ne dis pas cela, tu...

– Je le vois bien, mère, je sais qu'il est toujours déçu par mes actes. Thor est le seul à avoir grâce à ses yeux.

– Tu te trompes, souffla Frigga. Et cette rancœur envers ton frère m'inquiète.

Loki baissa la tête comme un enfant coupable.

– Je suis navré... Parfois j'aimerai que Thor ne soit pas là pour enfin montrer ma valeur.

– Loki...

A court de mot et inquiète, Frigga ne put qu'enlacer son fils. Elle le serra contre elle et Loki se laissa faire.

– C'est normal de ressentir cela parfois, souffla t'elle comme à un enfant que l'on console. Mais ce n'est pas tout le temps le cas, n'est-ce pas ?

Loki hésita. Dire la vérité ou mentir une fois de plus ?

– Non, ce n'est que parfois...

A nouveau, et comme de plus en plus souvent, Loki avait choisi le mensonge.

Fin du chapitre
Hin-Terra réveille à nouveau sa puissance et prend conscience de ce qu'elle est devenu : Un être de magie pure, capable du meilleur comme du pire.
Loki quant à lui choisit la voie du mensonge. Où cela le mènera t'il ?

Vos avis en commentaires ^_^