Chapitre 3.

Matt avait la boule au ventre. Son ami Jamie était parvenu à lui obtenir le numéro de téléphone d'Alex et voilà qu'il tremblait comme une feuille au moment de le composer sur son téléphone.

— Aller, un peu de courage ! Qu'est-ce qui pourrait bien se passer mal, après tout ? tenta-t-il de se convaincre, assis sur son lit.

En vérité, il était persuadé que trop de choses pouvaient mal aller. Alex serait-il fâché ? Allait-il lui en vouloir ? Il voudrait savoir comment et pourquoi il avait obtenu son numéro, aussi... Et que pourrait-il bien lui répondre ? Est-ce qu'il n'aurait pas un peu l'air d'un stalker ?

Il prit une grande inspiration. Il n'était plus un gamin, bon sang ! Il devait se mettre à agir comme le jeune adulte qu'il était. Voilà ce qu'il devait faire !

Il composa les chiffres sur l'écran, puis entendit. Il n'avait jamais été autant angoissé de toute sa vie. Une sonnerie, deux sonneries, trois sonneries...

— Ouais, c'est qui ?

La voix d'Alex ! Il en était certain ! Il ne l'avait entendu qu'une seule fois, mais elle avait tellement changé, elle était devenue si différente et grave que les intonations étaient restées gravées dans sa tête.

— Hey, c'est moi... Matt...

Il entendit un soupir à l'autre bout de la ligne.

— Qu'est-ce que tu veux ? Comment as-tu eu mon numéro ?

Alex n'avait pas l'air très en colère, mais plutôt... las...

— On a un ami en commun, il m'a donné ton numéro. Écoute, on n'a pas eu beaucoup de temps pour discuter toute à l'heure, mais j'aimerais vraiment avoir l'occasion de parler avec toi. Tu voudrais aller prendre un café ?

— Matt, tu ne crois pas qu'il est un peu tard pour... –

— Pas ce soir, bien sûr ! le coupa-t-il tout de suite. Mais demain après les cours du matin. Juste en souvenir du bon vieux temps.

— Je ne crois pas que le vieux temps ait été si bon pour moi..., mais ok, je viendrai.

Ils se donnèrent rendez-vous pour le lendemain dans un café près de l'école et raccrochèrent. Matt poussa un incroyable soupir de soulagement en se laissant tomber sur son lit.

— Je l'ai fait ! murmura-t-il en souriant tout seul, les yeux rivés sur le plafond.

En plus, ça n'avait pas été si terrible que ça !

***

C'était une situation... qui lui était parfaitement étrangère. Assis face à face près de la fenêtre du café, la serveuse venait de prendre leur commande. Depuis, ils se fixaient en silence.

Matt déglutit et gigota sur sa chaise, mal à l'aise. Il y aurait tellement de choses desquelles il aurait aimé discuter avec Alex ! Après tout, cela faisait une éternité qu'ils ne s'étaient pas revus ! Pourtant... il ignorait quels sujets étaient tabous, lesquels ne l'étaient pas... Alors, il hésitait à poser ses questions de peur de froisser le jeune homme.

Au bout d'un moment, Alex croisa les jambes et un rictus amusé étira ses lèvres.

— J'ai assez attendu. Et moi qui croyais que tu voulais me parler...

Matt cligna des yeux, surpris.

— Si ! Je veux te parler ! Ne pars pas tout de suite !

— Alors, parle.

— C'est que...

Alex passa une main dans sa chevelure et haussa un sourcil.

— C'est bon, dit-il en soupirant, tu n'as pas à être gêné de quoique ce soit. Pose les questions que tu veux me poser. Ça se lit dans tes yeux que tu meurs d'envie de le faire.

Matt rougit brutalement.

— Je suppose que je ne suis pas très subtil... Ça se voit à ce point ?

— Ouais, lui sourit Alex. Tu n'as jamais été bon pour me cacher des choses quand on sortait ensemble. Ça n'a pas changé. Alors... qu'est-ce que tu veux savoir ? Je t'assure que je ne me fâcherai pas. Tu ne serais pas le premier à te questionner, je suis ouvert d'esprit.

Son interlocuteur se mordit la lèvre, en proie aux doutes. Pouvait-il vraiment se permettre de demander ce genre de choses à Alex ?

— Dans ce cas... pourquoi... pourquoi avoir décidé de faire pareille... transformation ?

— Une « transformation » ? Je ne sais pas où tu vois une « transformation », Matt. Celui que tu as en face de toi est celui que j'ai toujours été. Seulement, pour la première fois de ma vie, mon corps est en accord avec comment je me sens.

— Alors pourquoi ne pas l'avoir fait avant ? Pourquoi avoir attendu dix-neuf ans pour faire ça ?!

— Parce que je n'étais pas informé sur le sujet, je ne savais même pas que je pouvais faire ça... Je me suis toujours senti mal dans mon corps sans comprendre pourquoi, puis quand je me suis mis à regarder des témoignages, j'ai compris que j'étais comme ça, moi aussi, trans.

Leur café furent servis, interrompant brièvement leur conversation. Matt se renfonça dans sa chaise, un peu mal à l'aise.

— Je suis désolé si je suis indiscret, s'excusa-t-il, je n'y connais rien aux transgenres, mais j'ai le désir de comprendre ! De te comprendre !

Il serra imperceptiblement les poings sur ses cuisses sous la table.

— Ce n'est rien. La plupart des gens n'essaient même pas de faire cet effort. Merci.

— Oh, bah, ce n'est pas grand-chose... je suis juste curieux.

— Fais tout de même attention, j'ai l'habitude des gars qui veulent se faire des transgenres parce qu'ils ont de drôles de fétichismes, je ne suis pas un phénomène de foire, d'accord ?

L'ambiance fut refroidie d'un seul coup.

— Ah, non ! Ce n'est pas ce que je voulais dire ! Je suis désolé, désolé !

Alex éclata alors de rire.

— Merde, Matt ! Je plaisantais ! C'était une blague, avec un fond de vérité, mais une blague quand même ! Détends-toi un peu, je ne vais pas te manger !

Une vague de soulagement balaya le jeune homme. Il avait tellement eu peur d'avoir dit une bêtise ! Il trempa rapidement les lèvres dans son café, puis releva la tête pour croiser le regard émeraude de son vis-à-vis.

— Ok, alors... je peux te poser une autre question ? Un peu indiscrète ?

— Je t'écoute.

— Est-ce que... heu... tu as fait l'opération ? Est-ce que tu as encore un organe sexuel féminin ?

Alex se rembrunit immédiatement et Matt vu ses doigts se crisper dangereusement sur sa tasse. L'homme soupira et serra les lèvres.

— C'est à mon tour d'être désolé, Matt, ça, c'est la question interdite. Je ne veux pas être défini par ce que j'ai entre les jambes, tu comprends ? Je ne veux pas que ça affecte la vision que tu as de moi, que j'ai un pénis ou un vagin, je suis mec, d'accord ?

Le brun aux yeux bruns sentit sa bouche s'assécher d'un seul coup. Il baissa la tête, honteux.

— Un peu trop de curiosité, c'est ça ? murmura-t-il.

— Mes organes génitaux ne regardent que moi. Je ne te demande pas d'aller dans la salle de bain pour que tu me montre ton pénis, moi.

— J'ai compris. Je suis désolé. Encore.

Alex roula les yeux, un brin énervé.

— J'ai l'impression que, toi et moi, on ne fait que s'excuser depuis quinze minutes, bon sang !

Matt releva la tête et un sourire apparut sur ses lèvres.

— Je suis désolé, répéta-t-il.

Ils rirent tous les deux à l'unisson et cela rappela à Matt les bons moments qu'ils avaient eu quand ils sortaient encore ensembles. En y repensant, ça lui avait manqué. Ils avaient, en un instant, retrouvé la même complicité qu'avant.

Ils terminèrent de boire leur café sur des conversations plus légères. Ainsi, il apprit qu'Alex faisait des études en médecine pour devenir urgentologue et qu'il était revenu au pays parce que son diplôme n'aurait pas été reconnu s'il l'avait passé ailleurs. Ça et le fait que le contrat de son père en Europe était terminé.

Après avoir payé l'addition, ils étaient encore empêtrés dans un fou rire qui ne les lâchait pas.

— Oh, mon Dieu ! s'exclama Matt, essoufflé d'avoir tant rit. J'ai l'impression d'être revenu trois ans en arrière !

— Moi aussi !

Juste avant de sortir du restaurant, l'expression d'Alex devint un peu plus sérieuse.

— Tu sais, Matt, même si ça fait trois ans, je n'ai jamais pu t'oublier. Je pensais souvent à toi, en Europe, même si j'ai eu d'autres copains entre-temps... Je ne pensais pas qu'en te revoyant, j'éprouverais les mêmes sensations... et pourtant... Je t'aime toujours.

Le futur docteur l'attrapa par le bras et ses lèvres se rapprochèrent dangereusement des siennes. Paniquant, Matt le repoussa violemment.

— Qu'est-ce qui te prend ? s'exclama-t-il en tremblant. Je ne suis pas gay !

Alex écarquilla les yeux de surprise devant la violence dont faisait preuve son interlocuteur. Il voulut dire quelque chose, mais Matt s'enfuit en courant le plus vite possible.

S'arrêtant deux coins de rue plus tard, Matt s'appuya sur ses genoux pour souffler un peu. Bon sang... Il sentait son visage brûler tant il devait être rouge. Qu'est-ce qui venait tout juste de se passer à l'instant ? Il n'était même pas sûr d'avoir bien compris, il était encore sous le choc.