5.
-Dix pour cent des crimes violents sont faits par strangulation.
Amélia marqua une pause et observa son auditoire. Vieux et jeunes policiers étaient pendus à ces lèvres, buvant chacune de ses paroles. Elle détestait être le centre de l'attention.
-Même moi, je serais capable de tuer l'un d'entre vous, malgré votre force physique. Six kilos de pression suffisent pour immobiliser une victime. Maintenez cette pression ne serait-ce que cinquante secondes et elle ne s'en relèvera jamais.
Elle s'interrompit, pour laisser aux enquêteurs le temps de prendre des notes et de se dire qu'elle n'avait vraiment rien à faire dans cet endroit.
-Mais quand on étouffe quelqu’un, on a moins de contrôle sur sa mort. Le rôle du tueur devient plus passif parce qu’il ne sent pas la vie s'en aller du corps. Il en retire moins de satisfaction sexu…
Du couloir, Lemoine venait de lui faire signe.
-On va s’arrêter là pour aujourd’hui, annonça-t-elle alors que Lemoine entrait dans la pièce.
Les agents des forces de l'ordre rangèrent leurs affaires et quittèrent la salle un par un tandis qu'elle nettoyé le tableau.
-Agent Downey ?
Elle se retourna et observa l'homme qui l'avait interpellé. La trentaine, mince, deux têtes de plus qu'elle, une coupe en brosse et des lunettes tombant de son nez, il portait un sac en bandoulière.
-Vous êtes ? demanda-t-elle, plus par politesse que par réel intérêt pour son interlocuteur.
L'homme tendit une main pour la lui serrer mais la baissa quand il n'eut pas de gestes en retour.
De la main, il remonta ses lunettes sur son nez.
-Arnaud Vallée. Je travaille à la criminelle. C'est un honneur pour moi de vous rencontrer.
La jeune femme leva les yeux au ciel et commença à ranger ses affaires.
-Vous avez quelque chose à me demander ou vous êtes simplement venu me baiser les pieds ?
Le jeune flic eut l'air surpris. Il serra un peu plus sa sacoche contre ses maigres hanches.
-Je voulais savoir… par rapport à votre cours d'hier, sur le mode opératoire…
Elle ne répondit pas, attendant la suite.
-Vous avez dit qu'un tueur avait toujours le même mode opératoire. Que c'est d'ailleurs grâce à ça que l'on pouvait déterminer si on avait affaire à une série. Je me demandais… est-il possible qu’un même tueur utilise des modus operanti différents ?
Elle leva les yeux vers le jeune homme.
- Vous n'avez pas bien écouté. J'ai dis qu'un tueur organisé opérait toujours de la même façon. Il est reconnaissable à son mode opératoire et à sa signature. Les tueurs désorganisés ou psychotiques, au contraire, tuent par opportunité, ce sont des meurtres non prémédités. Ils tuent avec ce qui leur tombe sous la main, ce qui peu expliquer un changement de mode opératoire.
Elle ramassa son sac et se dirigea vers la sortie où Lemoine l'attendait.
-Mais vous avez aussi dit qu'un tueur désorganisé ne déplaçait pas le corps, continua le flic. Il n'y a quasiment jamais de mutilations post-mortem non plus, non ?
Elle se tourna vers lui et réfléchit un instant.
-Comment vous avez dit que vous vous appeliez ?
Il ignora la question et fit un pas vers elle.
-Dans le cas où le tueur mutile et déplace le corps, on peut considérer que ce n'est pas un tueur désorganisé ? Mais la méthode pour tuer sa victime est toujours différente. Une femme étranglée, une autre poignardée… Et toujours la même signature, ce morceau de peau…
Il s'interrompit, le souffle coupé.
-Alors, dans ce cas, pourquoi changer de mode opératoire à chaque meurtre ? C'est quoi le but ? Brouiller les pistes ? Ça n'a pas de sens ! Il dev…
-Ça suffit inspecteur Vallée.
Lemoine s’arrêta aux côtés d'Amélia, une expression dure ancrée sur son visage.
Le regard de Vallée courut de l'un à l'autre.
-Hum, oui… oui, bien sûr, bafouilla-t-il, l'air confus. Excusez-moi Agent Downey.
Il remonta une dernière fois les lunettes sur son nez et se dirigea vers la sortie.
-« La méthode pour tuer sa victime est toujours différente »… répéta Amélia.
Vallée, arrivé à hauteur de la porte se retourna.
-Vous n'avez pas employé le passé ou le conditionnel, continua la jeune femme. Vous avez parlé au présent. De qui s'agit-il ?
Un triste sourire étira les lèvres de l'inspecteur.
-De mon pire cauchemar… répondit-il avant de franchir la porte.
Amélia se tourna vers son mentor mais l’attitude de ce dernier lui indiqua qu'il vallait mieux ne pas poser de questions.
Avant de la ramener dans l'appartement qui serait son logement pour les prochains mois à venir, Lemoine avait invité Amélia à dîner.
Malgré son aversion pour son pays d'origine, si il y a bien quelque chose qui manquait à la jeune femme, c'était la gastronomie française.
Ils avaient décidés de manger dans une crêperie près de la place Saint-Marc.
Le lieu était simple et chaleureux, mêlant ambiance moderne et décoration bretonne.
Les deux policiers s'étaient installés à une table à l'écart, de façon à ne pas être entendus par les clients du restaurant.
Ils étaient absorbés par la contemplation de leur menu respectif quand Lemoine décida de briser le silence qui s'était installé entre eux.
- Si on m'avait dit, il y a 4 ans, que tu formerait les flics au profilage aujourd’hui, je n’y aurai pas cru! Je suis vraiment fier de toi, de tout ce que tu as accompli.
Amélia leva les yeux vers lui. Le visage de l'homme affichait une expression solennelle. Elle savait où il voulait en venir. Il avait évité d'aborder le sujet toute la journée.
- Il n'y a pas de quoi être fier... murmura-t-elle. Pas après ce qui s'est passé à Boston. Et mes cours n'ont rien d’exceptionnels, je ne fais que leur donner des statistiques.
- Tu veux en parler? Lui demanda-t-il sur un ton hésitant. Des fois, se confier est la meilleure des thérapies...
- On croirait entendre la psy du FBI! Grimaça la jeune femme.
Il la dévisagea.
- Elle n'as pas tort, tu ne crois pas?
Amélia soupira. Lemoine avait raison. S'il y avait bien une personne à qui elle pouvait en parler sans craintes, c'était lui. Il avait toujours été comme un père pour elle, la conseillant et la guidant dans le métier.
Il serait franc avec elle et n'essairait pas de lui passer de la pommade comme ses collègues du bureau de Washington.
Elle prit son courage à deux mains et lui relata en détails les événements: les nombreuses attaques à la bombe qui avaient ôtées la vie à des civils, la demande d'intervention de la police locale et, l'enquête qui avait permis l'identification et l'arrestation du poseur de bombes.
- Il était coincé, les menottes aux poignets. Je le tenais! Et j'ai donné l'ordre aux équipes d'intervention d'entrer dans le hangar. Ce à quoi je n'ai pas pensé, c'est qu'il avait encore le détonateur en main...
Elle se tut, le regard dans le vide. Son erreur de débutante avait coûtée la vie à douze agents. Douze hommes, pères de famille, époux, fils, avaient péris par sa faute. Son travail consistait à sauver des vies, pas à en détruire.
La voix de Lemoine l'a ramena à la réalité.
- C'est Bale qui a appuyé sur le détonateur, lui dit-il d'une voix douce. Pas toi.
- Oui mais j'aurais dû l'en empêcher, j'aurais dû m'en douter. La libération émotionnelle que ces hommes ressentent quand leur bombe explose est trop puissante pour qu'ils y renoncent. C'est écrit dans n'importe quel manuel de profilage.
Lemoine plongea son regard dans le sien et Amélia dût lutter pour retenir les larmes qui lui étaient montés aux yeux.
- Tu as fait une erreur de jugement, ça arrive. Et ça arrivera encore, que tu le veuilles ou non. Mais ça t'aide à progresser en tant que flic et humain. Culpabiliser ne fera pas revenir ces hommes.
- Je suis aussi coupable que Bale... murmura la jeune femme.
- Non. Et penser le contraire ne te fera pas avancer. Tu dois tirer un trait sur cette histoire, en retenir les leçons nécessaires et aller de l'avant. Tu dois te concentrer sur de nouvelles enquêtes, traquer les criminels comme tu l'as fait jusqu'à présent. Tu sais, je vais être honnête avec toi: tu es nulle pour ce qui est de nouer une relation avec les personnes saines d'esprit. Mais quand il s'agit de démasquer un psychopathe, tu excelle.
- C'est à cause de mon ambition, soupira-t-elle. En arrivant au FBI, je voulais être la meilleure. Et j'étais tellement persuadée d'y être arrivé que j'ai baissé ma garde.
- Tu es toujours la meilleure! Répliqua Lemoine.
Elle ne répondit pas, se contentant d'hocher négativement la tête.
- Ok, si c'est ce que tu penses, dit Lemoine. Mais que compte-tu faire pour remédier à la situation?
- Rien, répondit-elle en haussant les épaules.
Lemoine la dévisagea, bouche bée.
- Cela a l'air de te surprendre, observa-t-elle. À quoi bon me battre pour devenir quelqu'un que je ne serais jamais?
L'homme soupira et croisa les mains sous son menton.
- Amy... Ce n'est pas antiféministe de te battre pour ce que tu veux. C'est juste anti-Amélia.
Pour la première fois depuis son retour, Amélia esquissa un sourire.
Ces instants avec son mentor lui avaient manqué bien plus qu'elle n'oserait l'avouer.
- Maintenant, il ne te reste plus qu'à prendre un peu de recul. Si tu savais comme je t'envie !
- Tu comptes m'en parler ou je vais devoir tirer les vers du nez à un de tes stagiaires ?
- De quoi tu parles ?interrogea Lemoine.
- De ce tueur dont a parlé Vallée.
- Ah, lui… l'Écorcheur…
- L'Écorcheur? Demanda, surprise, la jeune agent.
- Ouais. C'est le surnom que la presse lui a donné, rapport avec les morceaux de peau qu'il prélève.
Amélia leva les yeux au ciel.
- Je déteste quand les journalistes font ça, grimaça-t-elle, leur donner des noms. Ça leur donne encore plus d'importance.
- Crois-moi, celui-ci, il se fout de la presse…J’espère juste qu'on va vite coincé ce salopard…
Il avala une bouchée de son repas.
- Mais n'insiste pas, continua-t-il, je ne t'en dirais pas plus. Je te connais, tu vas vouloir t'en mêler et tu n'es pas là pour ça.
Une fois leur dîner terminé, Lemoine l'avait raccompagnée jusqu'à son nouvel appartement, situé quelques rues plus loin.
Elle fouillait dans son sac à la recherche des clés que lui avait confié son mentor plus tôt dans la journée quand un jeune homme lui passa devant et ouvrit la porte. Se tenant sur le seuil, il lui fit signe d'entrer, ce qu'elle fit.
Elle monta dans l'ascenseur et l'inconnu la suivit.
- Quel étage? Demanda-t-il.
Elle se tourna vers lui, les yeux écarquillés.
- Euh... je... balbutia-t-elle.
Le jeune homme gloussa et pressa le bouton du deuxième étage.
- Il n'y a qu'un seul logement disponible dans tout l'immeuble, répondit-il. Vu que c'est la première fois que je te vois, je suppose que tu viens d'emménager au 24.
Elle acquiesça tandis que la cabine s'élevait. Une fois au deuxième étage, les portes s'ouvrirent et elle se faufila à l'extérieur. Elle eut tout juste le temps de se retourner avant que l'élévateur ne se referment sur l'inconnu.
- Bonne soirée, lança-t-il, un sourire sur les lèvres, avant de disparaître totalement vers les étages supérieurs.
Après avoir pris une douche chaude et envoyé un mail à Dereck l'informant de son installation, Amélia se coucha, sombrant dans un sommeil profond dans lequel ses rêves étaient peuplés de femmes mutilées et torturées.
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