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Il se gara dans l'allée, tourna les clés pour couper le contact et enfoui son visage entre ses mains. La respiration saccadée et des gouttes froides lui coulant le long de la colonne vertébrale, il prit quelques minutes pour retrouver son calme.

Les dernières quarante-huit heures avaient été éreintantes. C'était exactement le genre de journée qui faisait poindre nombres d'interrogations en lui. Était-il vraiment fait pour ce métier? Il commençait vraiment à en douter. Il avait beau être le meilleur dans tous les domaines, cela n'en restait pas moins une charge de travail qu'il trouvait de plus en plus insurmontable.

Le rythme effréné des gardes, les patients angoissés, les familles endeuillées... La détresse à laquelle il faisait face au quotidien le laissait de marbre. Seule la fatigue parvenait à briser ses barrières.
L'épuisement dû au travail mais aussi le stress qu'un jour, quelqu'un découvre ce qu'il était réellement. Un être insensible, imperturbable. Toute la peine à laquelle il faisait face ne l'émouvait pas, alors qu'elle était censée l'endurcir, à l'instar de ses collègues. Tout cela provoquait un combat intérieur, une lutte constante, afin de se fondre dans le moule, de ne pas se distinguer des autres, ne surtout pas se faire remarquer.

À bout psychologiquement, il sentait apparaître les premiers signes. S'il ne se ressaisissait pas rapidement, il perdrait bientôt le contrôle. Avec les conséquences qu'il connaissait déjà.
Si Elle le voyait dans cet état à cet instant même, Elle dirait sûrement de lui qu'il est un psychopathe.

Cette pensée le fit sourire. Oui, Elle, elle l'aurait compris, Elle aurait su lire en lui. Contrairement aux idiots dont il était entouré et dont il était aisé de se jouer. Nul n'était besoin de se lamenter sur le malheur des autres. Ni sur le sien, d'ailleurs. Tout n'était question que de bon sens. Les Hommes faisaient ce qu'ils devaient faire, point.
Il en était de même pour lui. Il enfermait ses démons au fond de son âme, tout comme elle. Et il s'en servait pour faire le bien.

"Ce qui ne nous tue pas, ne nous rend pas plus fort. Ça nous brise, nous détruit lentement à petit feu, nous fait perdre le fil de la vie, comme si tout cela n'avait pas de réel sens. Ça fait de nous des bombes à retardement, prêtes à exploser à tout moment. En aucun cas, ça nous rend plus fort. Ça ne nous tue pas, point."

Elle avait raison. Il n'en était pas mort, mais il n'en était pas sorti plus grandi pour autant. Ses cicatrices faisaient parties de lui, tout comme Elle. Car Elle était comme lui, il en était convaincu. Il avait battit toute sa vie sur ses conseils, mis son passé de côté et fait face à l'avenir pour Elle. Il avait tout fait pour Elle. Repousser ses propres limites et se battre contre lui-même, il l'avait fait pour Elle.
Et si pour réussir et s'adapter, il devait taire celui qui résonnait au plus profond de lui, l'étouffant si fort que cela lui donnait le vertige, alors il le ferait. Quoi qu'il lui en coûte.

Résigné, il ouvrit la portière et sortit dans la nuit froide.
Les alentours étaient déserts, seuls résonnaient encore le chant des oiseaux nocturnes, camouflés par le feuillage des arbres dans la forêt voisine.
Il aimait revenir ici quand il sentait que la situation lui échappait. Revenir aux sources, pour lui rappeler tout le chemin parcouru.

Il remonta l'allée de gravier et pénétra dans la maison. L'odeur de renfermé, mêlée à celles du désinfectant et de la naphtaline, le réconforta, apaisant son cœur meurtri et son esprit torturé. Il ramassa le courrier étalé devant la porte qu'il abandonna, avec ses clés, sur le buffet de l'entrée.
Il monta les escaliers en bois, qui grincèrent à chacun de ses pas. Puis arrivé à l'étage, il se dirigea vers la salle de bain. Il avait besoin d'une longue douche brûlante. Comme si cela lui permettrait de se laver de toutes les pensées pécheresses qui l'assaillaient à longueur de temps.

Une fois fait, il redescendit au rez-de-chaussée, plongé dans l'obscurité. Les ténèbres ne l'effrayaient pas, elles faisaient partie de lui. Il attrapa sur son passage le courrier et se dirigea vers la cuisine.
Il ouvrit le frigo, piocha au hasard de quoi grignoter et se dirigea vers le salon, s'installant confortablement dans le fauteuil.

Mâchant une bouchée de son maigre dîner, il déballa avec convoitise les journaux qu'il avait reçu.
Daily News, Chicago Tribune, The Seattle Times...
Autant de titres qui provenaient d'outre-Atlantique. Il les feuilleta rapidement, à la recherche de l'article tant attendu. Elle était cachée quelque part entre les pages glacées, il en était certain. Pas une semaine ne passait sans qu'Elle n'accepte une nouvelle affaire.

Il finit par la trouver, au sein des pages du The Boston Globe.
Il sentit son cœur s'emballer quand il vit son visage imprimé sur la gazette. Du bout des doigts, il caressa délicatement sa joue, la seule sensation du papier faisant frissonner sa peau.
Il admira ses yeux, ceux-là même qui provoquaient des sensations indescriptibles au plus profond de ses entrailles.

La joie de sa trouvaille s'amenuisant, il la regarda plus en détail. Son fin visage affichait une expression qu'il ne lui connaissait guère. Il l'avait déjà vue triomphante, fière ou encore déterminée, mais jamais il n'avait aperçu pareille détresse sur ses traits. Ses yeux semblaient dénués de toute émotion, se contentant de regarder vaseusement l'objectif de l'appareil qui l'avait immortalisé.
La convoitise faisant place à la curiosité, il jeta un coup d'oeil au titre de l'article.
"Deadly Bomb Attack"

De plus en plus intrigué, il lut le paragraphe qui s'ensuivait.
Le sang affluant à ses oreilles, il sentit son cœur tambouriner avec force dans sa poitrine, menaçant de rompre à chaque instant. L'adrénaline envahissait ses veines à mesure que ses yeux balayaient les mots.

Lorsqu'ils frôlèrent les dernières lignes de l'article, il froissa la page entre ses mains glacées, serrant tellement forts que les jointures de ses doigts en devinrent blanches.
Il se leva et se passa les mains dans les cheveux, murmurant des mots incompréhensibles.

Puis lâchant totalement prise, il attrapa son assiette avec les restes de son repas, et la jeta sur le mur face à lui. Il saisit la table basse et la renversa, laissant libre court à sa colère, hurlant tout le désespoir que lui seul pût entendre.

Puis une fois sa rage assouvie, il s'assit à même le tapis de velours, la feuille arrachée du journal encore nichée dans sa main.
Laissant vagabonder son esprit dans les tréfonds de son enfer personnel, il se promit de lui faire payer.
Elle les avait trahis, lui, la confiance et l'admiration qu'il lui avait porté.
Un sourire s'étirant sur ses lèvres ourlées alors que les larmes inondaient ses joues, il eut soudain l'idée de la parfaite vengeance.
Il mettrait la profileuse face à ses pires démons.

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