16 décembre
Par un des membres de la CdL : Mayarahnee
Ritournelle
Elle le regarde, ou plutôt le dévore des yeux. Empli d'une émotion duale, entre sérénité et affolement, son cœur bat au rythme de ses mots. Elle pourrait l'écouter pendant des heures. L'entendre parler de lui, d'elle. D'eux.
Emmitouflée dans un manteau de laine, son nez rougi par le froid dépassant tout juste d'une écharpe multicolore, elle grelotte sur ce banc de pierre. Maline, elle s'extirpe brièvement du vêtement pour souffler une légère vapeur gelée, et sourit lorsqu'un instant plus tard, le bras de l'homme s'enroule autour de ses épaules. Pas dupe du stratagème, mais aussi désireux qu'elle de sentir son contact.
Blottie contre lui, une chaleur nouvelle se forme au creux de sa poitrine avant de se répandre dans ses membres. Discrète, elle respire son odeur, mélange subtil de sa peau et de tabac, avant d'observer le tableau qui s'offre à ses yeux fatigués. Le même que tous les ans, et pourtant, une douce nostalgie s'empare d'elle chaque fois qu'elle se retrouve face aux ruines enneigées qui ont vu défiler tant de rendez-vous.
Trop tôt à son goût, il s'interrompt. C'est à son tour de se raconter, aussi se plie-t-elle à dérouler les rares péripéties qui ont jalonné les douze derniers mois. Sa voix s'égaie pour évoquer les projets de ses petits-enfants, bute quand elle rapporte le décès de sa voisine et amie, enjolive quelque peu la pénible convalescence suite à son opération de la hanche, se pare d'affection quand elle repense à l'anniversaire surprise organisé par sa famille. Il ne manquait qu'une personne, ce jour-là.
Heureuse, elle contemple son amoureux de l'ombre. Châtiment imparable, les décennies ont strié son visage de quelques rides au front et aux pommettes. Sa barbe a blanchi, ses cheveux sont plus clairsemés, il se déplace moins vite - sa fierté l'a empêché cette fois encore de venir avec une canne. Bien sûr, il n'a plus l'allure fringante affichée quarante ans plus tôt. Néanmoins, elle le trouve plus beau à chaque rencontre.
Lentement, comme à regret, il ôte son bras. Reprend les rênes de la conversation en sortant de sa veste un paquet de cigarettes. À ce geste, elle sourit intérieurement, se répétant encore que lui seul rend tolérable à ses yeux le fait d'empoisonner ses poumons à petit feu.
Muette, elle l'observe se mouvoir avec délectation, elle qui se contente d'une photo le reste de l'année. À son clin d'œil amusé, elle roule des yeux avant de sourire, résignée depuis longtemps à ce que son trouble ne passe jamais inaperçu.
Rituel immuable, leurs mains se trouvent tandis qu'ils délaissent la réalité d'une vie pour le rêve d'une autre. Ils parlent films et littérature, plaisantent, se remémorent leurs quelques souvenirs communs. Il l'écoute râler, elle se laisse taquiner. Ils profitent du plaisir d'être ensemble, cadeau inestimable permis chaque 31 décembre, isolés des regards, des jugements, de la morale.
Trop vite, les derniers rayons de soleil disparaissent au profit d'une obscurité seulement troublée par l'éclairage des lampadaires. Le signal, déjà, des adieux.
Elle ébauche un rictus piteux, lui soupire avant de se rapprocher et déposer un frais baiser sur la joue de la vieille femme.
— Bonne année, mon amour.
Frissonnante sous la caresse de ses lèvres, elle sent poindre les larmes et, alors qu'il fait mine de reculer, noue ses bras autour de lui, réclamant tacitement un ultime instant de bonheur. Elle n'est pas idiote. Elle sait que plus le temps passe, plus les chances de le revoir l'année suivante s'amenuisent. Un jour, l'un d'eux ne viendra plus.
Enlacés, ils restent silencieux. Quelques secondes, plusieurs minutes, qu'importe, le temps se suspend quand ils sont tous les deux. Ne reprend que lorsqu'ils s'arrachent l'un à l'autre et que la morsure glaciale du vent les ramène à la réalité.
Toutefois, alors qu'elle s'abreuve une dernière fois de son image, elle veut croire en ses mots. L'année sera bonne, oui, parce qu'à la toute fin de celle-ci, ils se retrouveront.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro