Chapitre 1
Chapitre 1 : Le Capitaine Sans-Visage
Île de Tornaïde, océan Atlantique
Sur la place, de plus en plus de marins se massaient, tous parlaient fort et leur excitation était palpable. La nuit allait tomber dans quelques minutes et ils commençaient à s'impatienter.
Soudain, une ombre se découpa sur une sorte de promontoire dans un coin de la place.
- Silence, s'il vous plaît.
Il n'eut pas à attendre longtemps que le calme ne se fasse. Sa réputation était faite et malgré leur manque de discipline évident, les hommes devant lui semblaient prêts à l'écouter attentivement.
Chassant une poussière invisible de son long manteau, l'homme reprit :
- Je pense que vous le savez, je cherche un équipage. Un vrai. Ce voyage nécessite une équipe qui n'ait pas froid aux yeux, des hommes qui n'aient plus rien à perdre. Pour tout vous dire, je pourrais le qualifier de mission suicide.
Le Capitaine Sans-Visage l'appelait-on, un des plus célèbres pirates de tous les océans. Et voilà qu'il cherchait un équipage pour un dangereux périple. Tous se détournèrent de lui et commencèrent à parler entre eux, comme pris de frénésie.
BLAM !
L'attention générale se fixa sur le capitaine qui se tenait devant eux. Tranquillement il rangeait son pistolet encore fumant.
- Vous aurez bien assez de temps pour discuter plus tard. Maintenant écoutez-moi attentivement. L'âge d'or de la piraterie touche à sa fin ! Partout nos frères se font pendre, trancher la tête comme de la vermine !
Il marqua une pause pour être sûr de bien faire passer le message et par la même occasion de boire une bonne partie de la bouteille qu'il tenait à la main.
Une fois rafraichi, il repris :
- Aujourd'hui je vous offre une alternative. Suivez-moi...
Il se redressa et éleva la voix :
- Suivez-moi et je vous garantis que nous renaîtrons de nos cendres pendant que la marine anglaise partira en fumée.
Le silence s'installa, plus personne n'osait dire un mot.
Debout, sur une estrade improvisée, le capitaine avait fière allure. Son éternel chapeau plongeait son visage dans l'ombre.
On le devinait facilement lourdement armé, son manteau fermé laissait apercevoir deux pistolets attachés par des lanières de cuir croisées sur son torse et une épée pendait à sa ceinture.
Il but les dernières gorgées de sa bouteille avant de poursuivre :
- Je serai à terre jusqu'à demain, les hommes assez courageux, ou plutôt assez fous pour venir m'attendront sur le quai.
Et comme il était apparu, L'Homme au Tricorne disparu dans l'ombre de la nuit, laissant les marins réfléchir dans la lumière vacillante des torches.
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Les conversations allaient de bon train au Tonneau Percé. L'auberge était la principale de l'île et était si miteuse que n'importe quelle personne sensée n'oserait y dormir.
Un vieux bar se trouvait en face de l'entrée et semblait ployer sous le poids du nombre de personnes appuyées dessus. Le mobilier portait les cicatrices de trop nombreuses rixes ayant éclaté pour des raisons futiles et était éparpillé dans la salle. Même le plancher grinçait au moindre pas.
Tout le monde parlait très fort et la plupart des conversations portaient évidemment sur le Capitaine Sans-Visage et de sa recherche d'un équipage. L'alcool coulait à flot et commençait à délier les langues. Un vieil homme racontait ses aventures à qui voulait l'entendre, il aurait navigué en compagnie du capitaine McKinley lors du dernier voyage avant sa mort.
Un autre criait qu'il s'engagerait sur L'Aube Rouge, ce qui suscita quelque remarques.
- Et qu'est-ce que le Capitaine Sans-Visage pourrait faire de toi, hein mon vieux Sam ?
- Vous verrez bien lorsque j'embarquerai demain avec lui !
- Ouais, allez, laisse tomber tout ça et viens boire un verre. C'est moi qui offre la tournée !
Des cris et des sifflements accueillirent cette déclaration.
Malgré tout, l'idée d'entrer dans cet équipage mythique était inscrite dans un coins de leur tête.
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Une silhouette sorti en silence de la taverne. La porte se referma sans bruit.
Voilà plus d'une heure qu'il observait les possibles pirates qui pourraient rejoindre l'équipage.
Il était confiant.
Ils viendraient.
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Après le départ spectaculaire du capitaine de L'Aube Rouge, une jeune femme se faufilait entre les marins qui discutaient encore de la déclaration de ce dernier.
Elle détonnait au milieu de tous ces pirates.
Celle-ci était vêtue de vieux habits, son manteau paraissait trop grand pour elle et ses bottes auraient besoin d'une bonne couche de cire pour retrouver leur brillance. Elle portait une chemise en lin et un pantalon de toile de la même couleur que ses bottes. L'épée qui lui battait la cheville à chaque pas n'arrivait pas à lui prêter une allure dangereuse. Elle portait un sac en bandoulière débordant de papier en tout genre et ses doigts étaient tâchés d'encre.
La jeune femme marchait d'un pas bondissant mais on pouvait tout de même deviner son allure incertaine. Si l'on y faisait attention, on remarquait facilement la sorte d'armature en métal qui soutenait sa jambe gauche. Une attelle articulée.
Quelques mèches de cheveux châtains s'échappaient de sa demie queue-de-cheval et retombaient sur son visage anguleux.
Un léger sourire flottait sur ses lèvres, lui donnant un air sympathique.
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Blair vivait depuis toute petite avec sa grand-mère. Elle ne s'en plaignait pas. Comment regretter quelque chose qu'on a jamais connu ? Sa mère était morte lorsqu'elle était bébé et son père disparu en mer.
C'était un pirate, il avait été tué par des soldats.
Ces derniers représentaient une menace de plus en plus grande pour les gens comme eux. Ils se multipliaient autant en mer que sur terre.
Il devenait vital de trouver une solution.
C'est pour cela que Blair voulait prendre la mer. Elle n'avait jamais eu trop de problèmes pour se faire engager sur un bateau. Sa connaissance des cartes et son habilité à utiliser des instruments de mesure l'aidaient la plupart du temps.
Sa grand-mère lui répétait souvent que Blair finirait par se faire tuer si elle continuait à vivre de cette manière.
Il fallait bien avouer qu'elle avait un talent certain pour se plonger dans les problèmes avec un détachement incomparable mais elle avait, jusqu'ici, toujours réussi à s'en échapper grâce à son allure inoffensive.
Elle ne la voyait pas souvent.
Depuis cinq ans maintenant elle sillonnait le mers, se débrouillant toujours pour être sur le navire avec lequel elle souhaitait naviguer. La dernière membre de sa famille s'inquiétait beaucoup.
Aujourd'hui encore elle lui faisait la remarque alors qu'elle préparait ses affaires pour un nouveau voyage :
- Inconsciente ! Sais-tu ce que font les gardes s'ils attrapent quelqu'un comme toi ? Comme cet accident dont tu ne veux toujours pas me parler et qui t'a presque coûté une jambe.
En esquivant habilement la reproche, la jeune pirate rassura sa grand-mère :
- Ne t'inquiète pas. Qui pourrait croire qu'une jeune femme comme moi soit suspectée de piraterie ?
- C'est cela, dit-elle en secouant la tête, jusqu'au jour où il se passera quelque chose de grave. Que cherches-tu donc en partant en mer ?
Tout en continuant de ramasser ses affaires éparpillées un peu partout, Blair lui expliqua un sourire sur les lèvres :
- Je cherche ce que l'on ne peut pas trouver à terre. Grand-mère, c'est évident.
La liberté !
- La liberté. En mer comme sur terre, c'est rien d'autre qu'une utopie, maugréa la vieille dame avant de tourner les talons pour mettre fin à la conversation.
Mais la plus jeune ne se laissa pas décourager par ces paroles, sa grand-mère aigrie depuis des années, Blair avait laissé tomber l'idée de lui arracher une seule paroles quelque peu optimiste. En fermant son bagage, elle sentit qu'elle touchait au but.
Enfin, sa vie prenait un sens.
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Le lendemain, Blair était prête.
Elle avait dit au revoir à sa grand-mère et rassemblé le peu d'affaires qu'elle possédait.
Maintenant elle se dirigeait vers le port, au point de mouillage numéro treize.
Peu de personnes étaient présentes, sûrement à cause de l'heure. Le jour commençait à peine à se lever.
Il était temps pour Blair de se préparer, en effet elle allait devoir tenir un rôle important lors du prochain voyage.
Elle se faufila derrière une caisse tout en donnant machinalement un petit coup dans la structure qui entourait sa jambe pour débloquer le mécanisme qui avait une fâcheuse tendance à se gripper.
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Le capitaine se tenait adossé à une caisse sur le port, en face de son navire.
Il observait la poignée d'hommes devant lui. Ils n'étaient pas nombreux mais cela suffirait.
Ajustant son chapeau pour que son visage soit invisible, il avança lentement dans la lumière.
Il commença à haute voix :
- Certains membres de l'équipage sont déjà à bord notamment mon pilote. Si vous êtes venus pour remplir cette fonction, je vous laisse repartir.
Personne ne bougea et le Capitaine Sans-Visage se félicita d'avoir déjà pris des dispositions concernant ce poste.
Le nouvel équipage se présenta tout à tour, les âges variaient, les accents, les couleurs aussi.
On retrouva le vieux Sam, apparemment ce qu'il disait au Tonneau Percé n'étaient pas des paroles en l'air.
Le capitaine sourit. Il ne s'était pas trompé.
Quelques heures plus tard, L'Aube Rouge leva l'encre pour partir à la reconquête des mers.
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