On ze road again...
Je suis pris d'un choc, complètement tétanisé sur place. La peur, mais aussi l'effarement m'ont étreint, sans crier gare, dès l'évocation des paroles de la vieille femme. Frida se rapproche de moi.
« Est-ce que ça va ? »
Malgré la douceur de sa voix, je n'arrive pas à réfréner le frisson qui me parcourt l'échine. Je reste muet. Des tas de pensées et de doutes m'assaillent. J'en suis à me demander si Frida est réellement fidèle à l'image que je me suis construit d'elle. Et si c'était elle qui avait trucidé Alésia ? Voire pire, Friendley ? Comment aurait-elle pu en si peu de temps ?
J'interromps subitement le flot de mes pensées lorsqu'elle me prend la main. Sa peau est froide comme de la glace. Je suis saisi d'effroi, et un nouveau spasme me traverse alors que je retire ma main au plus vite. Elle fronce les sourcils.
« Tu es sûr que ça va ? Ne restons pas là. Si on traîne, et si quelqu'un a entendu quoi que ce soit, la police ne va pas tarder. »
Complètement chamboulé, je me mets dans une sorte de mode pilote automatique. Frida me guide à travers la maison, elle rouvre la porte d'entrée en prenant les clés puis, une fois sortis, ferme la porte à double tour. Elle finit par jeter le trousseau d'Alésia dans les plantes.
La voyant faire, un nouveau frisson me parcourt de la tête au pied. Jamais je ne l'aurais crue capable de réagir avec un tel sang-froid. Jusque-là, c'était moi qui l'avais guidé dans tout ce périple. J'avais géré toutes les situations périlleuses. Sauf une, ou elle avait géré le problème avec sa voix : la récupération de la dernière mallette, à Rome. Hormis ce moment-là, elle se laissait conduire par les événements. Je ne sais plus quoi penser. Et si je m'étais fourré le doigt dans l'œil ?
Je garde le silence tout le trajet jusqu'à notre retour à Marseille. Elle me pose quelques questions, auxquelles je réponds d'un signe de tête. Elle semble exaspérée par mon silence, je le sens. Pas besoin de sonder son esprit pour s'en rendre compte. Pendant qu'elle s'efforce de me faire parler, dans ma tête, je répète un seul mot, inlassablement : Gusfand. Mais à l'inverse de Beetlejuice, il n'apparaît pas.
Je laisse Frida à l'hôtel. J'ai besoin d'être seul. Je me promène le long des plages de la côte d'Azur. L'air frais de ce doux printemps me fait du bien. Depuis combien de temps étais-je en cavale dans toute l'Europe ? J'ai du mal à garder le fil des jours. Nous sommes début avril. Cela faisait si peu de temps que j'étais parti, que Marie avait disparu. Pourtant, j'ai l'impression que cette nuit fatidique s'est passée il y a une éternité. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de Frida ? Je ne peux pas la laisser ici. Je ne peux plus lui faire confiance. Les événements de la journée avaient chamboulé toutes mes certitudes. Je me remets à appeler Gusfand, encore et encore, et de plus en plus désespéré, pensant naïvement qu'il apparaisse par magie et me dise quoi faire. J'ai beau le supplier, à genoux, pleurant, invoquant Dieux, Anges et Démons, je reste cependant seul sur cette plage.
Je rentre à la tombée de la nuit à l'hôtel, complètement dépité, et toujours désespéré quant à la suite de l'aventure. Frida m'attend là, semblant se ronger les ongles jusqu'au sang. Elle se jette presque sur moi. Alors que je m'attends à recevoir la gifle du siècle, elle s'accroche à moi.
« Ne me refais plus jamais ça. Tu m'as vraiment fait peur, j'ai cru que tu ne me reviendrais jamais. »
Je baisse la tête, ne pouvant dire qu'un faible « désolé », puis m'allonge sur le lit. Frida me rejoint, tout en me caressant le bras. J'ai l'impression qu'elle est prête à me retenir si jamais je décidais de me lever.
« Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? »
« Je ne sais pas. Elle ne m'a pas apporté de réponse à ce sujet. »
Après quelques tentatives où Frida essaie de me garder près d'elle, j'arrive à me relever, et allume le PC. Nous venions d'éliminer le premier dossier : celui de Marseille. Le deuxième, dans la liste est un dossier intitulé Amsterdam. Un jeune gamin, Geert Janssen, enlevé en 2012. Des témoignages indiquaient qu'une bande de skins l'avait emmerdé et que le lendemain, il avait disparu pendant qu'il se rendait à l'école. Des rapports scolaires indiquaient que Geert inquiétait le corps professoral et les élèves. Il devinait toutes les pensées, anticipait toutes les questions des profs, et faisait peur aux autres élèves. Sentiment de déjà vu. L'impression de revivre mon enfance. Je ferme le capot du portable.
« Frida, que dirais-tu d'une promenade à Amsterdam ? »
Nous partons dès le lendemain pour ce périple. Je veux à tout prix éviter la Belgique, où ma tronche est placardée sur presque tous les murs du pays. On remonte de Marseille à Strasbourg, et de là on prend la direction de l'Allemagne. Oui, avec Frida, il valait mieux éviter les douaniers du pays qui croyait savoir faire du chocolat. De Freiburg im Breisgau, nous avons un train direct. Après deux jours qui nous semblent interminables, nous arrivons à la tombée de la nuit dans la capitale néerlandaise.
La première galère est de trouver un hôtel abordable. Le moins cher que l'on déniche nous demande 90 euros la nuit, pour une cage à lapin où il faut se serrer pour faire le tour du lit. Mais je dois dire que j'adore cette ville. J'y venais de temps à autre, le temps d'une journée, fumer un petit pétard dans les coffee-shops de la ville. Je ne suis pas un grand fumeur de cannabis, mais j'apprécie m'enfiler quelques joints de temps en temps. Un peu comme un autre apprécie de se prendre une cuite le vendredi soir pour oublier sa semaine de travail.
D'ailleurs, dès le départ de Marseille, l'idée de faire un coucou à la petite Marie-Jeanne ne m'avait pas quitté une seule seconde. Et dès qu'on pose nos affaires, je propose à Frida une petite balade nocturne dans les rues de la ville. Ce soir, me défoncer la tête me ferait le plus grand bien après ces mois de courses poursuites.
Après une petite demi-heure de promenade aux bords des canaux et péniches qui jonchaient la ville, je m'arrête devant un de ces fameux bars. Frida me regarde d'un air interrogateur.
« Tu viens ? J'aimerais m'arrêter ici. Ça me fera le plus grand bien. »
La moue qu'elle tire montre bien que l'idée ne lui plaît pas. Estime de Chris chute à -10 000 dans la petite tête de ma suissesse.
« Tu n'as jamais essayé ?
-Non. Ça ne me dit vraiment rien. Se droguer, fuir dans les paradis artificiels, c'est pour les faibles d'esprit. Je dois dire que je suis assez étonnée que tu me proposes de rentrer dans un tel lieu. »
Je la prends par la main, et la tire à l'intérieur.
« Si tu ne veux pas, je ne te forcerai pas. Mais j'en ai vraiment envie. Tu n'as qu'à prendre un verre pendant que...
«Tu te défonces la gueule » m'interrompt-elle en accentuant sa mine déconfite. « Très bien. J'imagine que je n'ai pas trop le choix de toute façon. »
Je n'avais plus fumé depuis bien plus de six mois. Alors que je n'avais pas encore fini le pétard, une chape de plomb me tombe dessus. La tête commence à me tourner. Je me sens mou de chez mou. Je n'ai qu'une envie, fermer les yeux et me coucher.
« Tu es blanc comme un linge Chris ! Tu es sûr que ça va ? »
Je fais non de la tête. Je me sentais vraiment pas bien. J'ai besoin d'air frais.
« Viens, on s'en va. On va se coucher, ça ira mieux demain. »
Elle m'emmène dehors et me conduit vers l'hôtel. Je me laisse guider. Je suis tellement défoncé que le monde autour de moi semble flou. Il paraît s'effacer. Mon esprit est enfermé dans mon corps, comme s'il éta emprisonné, coupé du monde extérieur.
Frida me supporte tant bien que mal, j'arrive à paine à aligner un pas devant l'autre. Elle essaie de prendre des raccourcis par des petites ruelles, pour décharger son épaule au plus vite du Chris qui s'affale de plus en plus. Grave erreur. Dans ce petit chemin étroit et mal éclairé et à l'écart de toute âme qui vive, une bande de six gaillards nous bloque le passage.
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