( Martin)

Le local est fermé, les commandes prêtes pour demain. Ludovic m’a raconté brièvement, en les préparant, ce que Fabien lui a dit. Savoir que l’ado brisé par ses parents a trouvé la force de se reconstruire, qu'il est amoureux de nouveau, me réconforte. Je sais à quel point c’est compliqué de le faire. La tentation de vivre caché, sans faire de vagues est tentante. Ludovic n’a pas eu à combattre les autres, la haine envers lui, ce qu'il est, il ne l’a découverte qu’adulte et sans que cela n’ait une réelle influence sur sa vie. Il a confiance en Aymeric, moi je ne le connais pas.

Fabien était très attentif à ce que nous a dit François, et je n’ai pas été franchement surpris quand il lui a demandé l’autorisation de l’accompagner. Il n’a pas encore eu la possibilité de se rendre dans la maison, et il a dû être surpris en y entrant. Oh ! Elle est belle, très grande mais je n'y suis pas à l’aise. Tout y est prévu pour le confort d’Arthur mais je n'y ai  ressenti aucune chaleur. Le blanc,  presque la seule couleur de la maison, m’a donné la sensation de pénétrer dans un hôpital. Pourtant à ma connaissance,  Arthur est seulement bloqué dans un fauteuil roulant et ne nécessite donc pas d'un lieu de vie aseptisé. Vu la capacité qu’à Fabien pour mettre le souk dans une maison, cela risque d’être sympathique.

Lorsque je monte sur le trottoir devant la maison, ma soeur et Fabien sont déjà là avec un autre mec que je ne connais pas, il doit donc s'agir du fameux Simon.
Il hoche poliment la tête dans ma direction et s'éloigne alors que les enfants s’installent dans l’auto.

— C’était Simon, je suppose. Ça va ?

— Je crois, oui. Nous avons pris le temps de parler un peu, tranquillement, répond Fabien et j’ai la nette impression que ses mots ne sont pas que pour moi.

— Ma puce, la journée s’est bien passée ? Qu’avez-vous fait puisqu’a priori François n'était pas avec vous ?

— Ce n’est pas la première fois, les placards sont pleins, le frigo aussi. Arthur sait se faire à manger, et je me débrouille aussi. Si je t’en avais parlé, tu aurais râlé, conclut-elle avec un air de défi.

— Et Simon, il cuisine aussi ?  intervient Fabien.

— Disons qu’il écoute les consignes. Il aimerait visiter les serres, tu crois que Ludo serait d’accord ?

Fabien me jette un coup d’oeil où je découvre la même surprise que celle que je ressens. C’est la première fois que Violette veut inviter quelqu'un.

— Je ne pense pas que cela posera un problème, ma puce. Tu veux que l’on organise cela ce week-end ?

— Et moi, je peux inviter Aymeric ? glousse Fabien.

— Toi, tu demandes à ton oncle ! répliqué-je moqueur.

— Quelle terrible injustice, pleurniche-t-il déclenchant nos rires.

(Simon)

La voiture part sans attendre, et je file droit dans le bureau de mon père. J'espère qu'il y est, et qu'il va être réceptif car il n’est pas question que cette mascarade continue. La porte est grande ouverte, et mon père, entouré de papiers, face à son pc, me regarde franchir le seuil.  Il n’y a aucun fauteuil en face de son bureau, mais cela ne me gêne en rien. Je m’appuie des deux mains à la table, et le fixe.

— Comptes-tu continuer ainsi ? l’interpellé-je d'une voix plus agressive que j’avais prévu. Tu comptes nous fuir longtemps, Arthur et moi ? Crois-tu que c’est ainsi que l’on gère un enfant ? En ne lui fournissant que le gîte et le couvert ?

— Je lui offre plus que cela...Arthur n’est pas très exigeant.

— Sais-tu qu’avec nous, il rigole ? l’interpellé -je. Lui et Violette se débrouillent très bien puisque toi, tu t’isoles. Mon modèle familial est assez proche de cela à moi aussi, ce n’est pas pour cela qu'il me convient. Préparer un repas à trois c'était nouveau pour moi. Je n’ai jamais fait cela auparavant. Et toi, papa l’as-tu déjà fait avec Arthur ?

Ses yeux se ferment, il réfléchit sans doute à un moment où il aurait pu pratiquer cette activité.

—Tu as raison, je ne pense pas l'avoir fait, enfin pas avec l'aide d'Arthur. En général, je prépare à l’avance et me contente de faire chauffer au moment du repas.

—Et tu ne t'ai jamais posé la question de ce qu'il mangeait lorsque TU n'est pas là !

—Je supposais qu'il grignotait, bougonne-t-il.

— Il y a un truc que je ne comprends pas. Tu n’avais pas l’air d’être plus chagriné que cela de ne rien nous avoir dit. Je me demande même si, insisté -je, sans la présence de Violette, tu t’en serais excusé.  Pourtant, tu l’as fait.

— Je l’ai mise à mal. Je vous ai mis à mal. Tous les trois.

— Et c’est donc pour cela  tu as ressentis le besoin de te confier à son frère.

— Martin était très loin d’être convaincu que des cours particuliers soient la bonne option pour sa soeur. Sauf qu’elle s’étiolait, c’est le terme qu'il a employé. Il voulait qu’elle aille mieux, qu’elle puisse étudier sans subir cette pression des autres. Sans elle et Fabien, Arthur aurait craqué au lycée, tu sais. Bref j’ai assuré que je ferai tout pour qu’elle soit bien.

— C’était le cas, avant que j’arrive.

— Je le crois, oui. Je les entendais rire, parfois. Ils sont d'un naturel studieux. Ma lâcheté est la seule et unique raison du malaise qui a provoqué sa fuite. Tu n’en es pas plus responsable qu’ Arthur. Je me devais d’en parler avec Martin.

— J’ai très envie de le rencontrer. Tu crois qu'il serait d’accord ?