24.
( Fabien )
Le regard d’Aymeric, à la suite de la remarque du cafetier, méritait que je m’explique. Je n’ai pas louvoyé, je n’ai pas dissimulé quoi que ce soit assumant mon passé et par la même occasion ma famille. Il m’a écouté, posé quelques questions. En lui parlant, j’ai réalisé qu'il était le seul en dehors de Martin, Ludo et Violette à qui je dévoilais mon orientation sexuelle.
— Donc, Martin est le compagnon de ton oncle ? résume-t-il.
— Oui. Lorsque je l’aide pour les repas, il est plus facile de me présenter comme son neveu. Tout le monde n’est pas au clair avec l’homosexualité.
Son silence m'angoissait. Je venais d’assumer mon orientation sexuelle devant lui et il ne réagissait pas plus que cela. Ni opposition, ni acceptation. Ma main machinalement se dirigeait vers ma poche, plus j’étais inquiet, plus l’envie de fumer s’aggravait.
— Tu veux fumer, je suppose ?
— Oui, dis-je en me levant.
Dehors, dos à la porte, je tirais sur le petit cylindre nerveusement. Je venais de parler sans réfléchir une fois encore. Quand est-ce que j’apprendrais que moins je me dévoilerais mieux ça serait.
Aymeric ne m’avait pas rejoint dehors, j’en déduisais qu'il ne voulait pas continuer sur ce sujet. Je jetais ma cigarette et décidais de retourner à l’intérieur. Autant abréger la sortie. La tête basse, je bousculais une personne.
— J’ai payé, allons à la voiture, me dit Aymeric en avançant droit devant lui sans m’attendre.
J'hésitais à décliner sa proposition, mais il était arrêté contre la voiture et m’attendait. Il se décida à entrer dans le véhicule que lorsque j’ouvris à mon tour la portière.
— J’ai un instant cru que tu allais partir, me dit-il d'une voix calme.
— J’ai hésité, lui répondé-je en me serrant contre la portière.
— Je te dois des explications, Fabien. Ton aveu m’a troublé. Je ne m’attendais pas à une telle franchise.
—Tu aurais préféré que je te le cache ? lâché-je en me retournant vers lui brusquement.
— Ce n'est pas un sujet dont je discute beaucoup, réplique-t-il timidement. Est-ce que quelque chose en moi t’a laissé penser que j’étais gay ?
— Non. Mais ton manque de réaction m’a angoissé. Ludovic, mon oncle, expliqué-je, n’arrête pas de me répéter que sans renier ce que je suis, il est prudent de ne pas l'étaler. C'est pourtant ce que je viens de faire.
Aymeric me regardait mais ne disait toujours rien. Je ne connaissais pas la timidité mais je ne savais tout simplement pas comment expliquer que je ne voyais pas en lui “un pote pour traîner”. Dès la première rencontre à l’Annexe, il m’avait troublé. J’avais nié cette attirance, mais je réalisais à présent que tout le long de la soirée, je n’avais eu d’yeux que pour lui. Mon manque d’expérience m’avait trompé sur la raison de cet intérêt. Aucune comparaison possible avec ce que le Fabien adolescent ressentait pour Dylan. Mais en le retrouvant par hasard dans la boutique photo, nous avions sympathisé. Peut-être avais-je juste mal évalué ce que lui ressentait.
— Ton oncle a raison sur ce point, se dévoiler sans connaître la personne en face est un risque inutile, murmura-t-il les mains soudées au volant. Ta franchise est la raison de mon trouble.
— J’en suis désolé, soufflé-je. Il n’y a pas moyen que tu oublies ?
— Sans que tu connaisses la réponse ?
—Je n’ai posé aucune question, me renfrogné-je.
Je m’obstinais à ne pas le regarder, focalisé sur ses mains. L’une d'elle se détacha du volant et m’attrapa le menton pour m’obliger à tourner la tête.
— Je ne suis pas certain de ce que je suis, Fabien. J’ai par contre la certitude de ce que je ne suis pas. Penses-tu que nous pouvons apprendre à nous connaître ? Je suis plus âgé que toi mais je ne suis pas pressé.
Tout le temps qu'il me parlait, ses yeux me fixaient. Moi, je ne voyais que sa bouche à portée de la mienne. Que m’importait qu'il soit gay ou pas ! Il ne rejetait pas ma présence et souhaitait que l'on continue à se voir.
(Ludovic)
Comme le supposait François, Arthur avait préféré rester à la maison. Pas que le regard des autres le dérangeait ( pas le style du gamin), juste qu'il ne voyait pas l’utilité, avait-il expliqué à Violette, de faire deux heures enfermé dans le coffre comme un chien. Donc Martin était parti emmener sa soeur en faisant les livraisons. Il devait aussi récupérer du matériel pour un repas le lendemain. J’aurai pu aller dans les serres mais je souhaitais discuter avec Fabien. Hier soir, il était rentré vers vingt-deux heures, presque en catimini. Si son pote l’avait ramené en voiture, je n’avais rien entendu. Pourtant les pneus sur les graviers…
Bref, même si je détestais jouer ce genre de rôle, il me fallait bien y venir. J’avais entendu du bruit peu de temps avant, signe qu'il était debout. Pourtant, il ne venait pas déjeuner. Pianotant sur l’îlot central en buvant un autre café, je venais de prendre la décision d’y aller dès que j’aurai avalé le contenu de cette tasse.
— Bonjour. Tu m’attends ?
— Non, je prends un café comme tu peux le voir. Bonjour.
— Il me semblait t’avoir entendu faire les cent pas depuis une bonne heure déjà, se moque-t-il.
—Et pourquoi tu n’es pas venu plus tôt, alors ? As-tu espéré que je parte ?
— Un bref instant, oui, avoue-t-il tout sourire. Je peux déjeuner avant que tu m'accables de questions ?
— Tu es vraiment un petit con, soupiré-je. Je n’ai pas entendu la voiture.
— Il était tard, il n'avait pas envie de réveiller tout le monde…
Il est peu bavard et j’ai la nette sensation qu'il me cache un truc. Mon envie de le bombarder de questions ne donnera que l’effet inverse. Fabien est capable de se forger une carapace inviolable en très peu de temps. Il me faut me contrôler, et lui laisser l’opportunité d’exprimer ce qui le gène. Sans dire un mot, je touille mon café, imbuvable sûrement depuis le temps. Je l’examine en silence tartiner de confiture un croissant qu'il a coupé en deux. Un petit sourire en coin m’informe qu’il a conscience que je le fixe.
— Je crois que j'ai tout foiré, m'assène-t-il.
Surtout ne pas intervenir. Le laisser vider son sac.
— Je ne sais pas faire cela, je suis le roi des cons... Je lui ai tout raconté. Dylan, mon père, d'une traite. Et il ne disait rien, il ne me regardait même pas. Je lui ai fait peur, reprend-il. Je ne sais pas s'il ressent les mêmes choses que moi. Nous avons discuté de tout et de rien, puis il est parti.
— Il avait peut-être besoin de réfléchir, commenté-je.
Il me regarde comme si j’avais sorti une énorme connerie, et il a parfaitement raison.
— C’est très con ce que je viens de dire, déclaré-je. Je n’ai aucune idée de ce que cela veut dire. Parce que d'une je ne le connais pas, de deux, tu ne sais même pas s'il est homo…
— Et de trois, tu ne t’es jamais trouvé dans une telle situation. Comment vous avez fait, toi et Martin, pour réussir à rencontrer des mecs sans vous planter complètement ?
—Je peux te raconter plein de fois où j’ai voulu disparaître sous terre, et même si Martin ne m’en a jamais parlé, cela a dû lui arriver à lui aussi.
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