16.
( Fabien )
Nous regardons Violette sortir de la pièce. Son humeur ne s'est pas arrangée. Martin fronce les sourcils, inquiet.
— Il se passe quoi, là ? me questionne-t-il.
— Elle a un truc à dire, je crois, mais elle n’y arrive pas. Tu devrais aller lui parler, toi.
— Vas-y, mon coeur, le pousse gentiment mon oncle. Ne la laisse pas ruminer ses angoisses.
Martin ne met pas longtemps pour se décider de rejoindre sa soeur.
— As-tu besoin que je te fasse un virement ? me demande Ludo au sujet de ma sortie.
— J’ai regardé hier. Le bus n’est pas cher, j’ai suffisamment en liquide. Pour le reste, ce sera plus coûteux mais je...pensais travailler un peu cet été.
— Fabien, ne t’inquiète pas à ce sujet. Prends le temps de choisir. Ne te contente juste pas d'un avis. Ton bus est à quelle heure, Samedi ?
— Neuf heures, pas très loin de l’arrêt de celui du lycée. Et le retour à dix-sept heures.
— La journée va être longue, non ?
— Tu sais, la grande ville me manque un peu, avoué-je. J’y passais presque tous mes samedi après midi...
— Je ne l'avais pas réalisé, tu aurais pu en parler. Je suis tellement habitué à la campagne. Je suppose que tu sais ce qui tracasse Violette, toi, chuchote-t-il en me fixant.
— Nous en avons parlé ce matin dans le bus, mais je pense qu'elle va l'expliquer à Martin. Peut-être pourrez-vous en discuter après tous les deux. Les prises de parole sont délicates pour elle, même ici.
— Je pensais pourtant que la situation était meilleure au lycée.
— C'est mieux, assuré-je, dans la mesure où elle est toujours avec moi ou Arthur.
— Arthur ? Le jeune en fauteuil ?
— Oui. Ils s'entendent mieux. En fait, ils se sont découverts des points communs. Avec nous, elle est moins angoissée, elle peut oublier la présence des autres.
— C’est cela qu’elle n’arrive pas à exprimer devant nous ?
— Oui. Tu sais, cette façon de procéder, discuter des soucis et des envies. C’est une chose qu’elle n’a jamais eu l’occasion de pratiquer. Avec Martin, ils n’ont pas besoin de se parler ou presque. Elle a plus de difficultés avec toi…
— Je sais, Fabien. Ne t’inquiète pas. Elle m’a expliqué à quel point je l’intimide. Nous y travaillons tous les deux.
( Violette)
Je me giflerai tellement j’ai honte de mon comportement. Pourquoi m’est-il impossible de parler comme les autres ? Surtout devant ces trois hommes, si gentils et compréhensifs ! Mon matelas s'affaisse et l'odeur aussitôt reconnue de Martin m’entoure de douceur. Il décode quasiment toutes mes postures : ce sont les seules indications que je lui ai offertes les premiers mois. Là, roulée en boule au centre de mon lit, il sait que je me terre.
Sa main se pose sur la mienne et il dessine de son pouce des arabesques réconfortantes.
— Ma puce, si tu lâchais ce que tu as sur le coeur, je pourrais sûrement te rassurer ou te réconforter. Je sais que parler devant nous trois est un exercice délicat pour toi. Ni Ludo ni Fabien ne t’en veulent. Parle- moi.
— Je n’y arrive plus, Martin. Même avec Fabien, les autres m’angoissent de trop. Une partie de mon énergie passe dans le contrôle. Et les cauchemars reviennent…
— Et tu ne crois pas que c'était important de me dire cela ? Je suis de l’autre côté, Violette, m'énervé-je. Il te suffit de m’appeler, je viendrai immédiatement. Fabien t’aide ?
Je comprends son énervement, il a vécu mes hurlements, lorsque les images devenaient trop fortes. Je me mangeais le poing pour ne pas le gêner par peur qu'il ne veuille plus de moi.
Il a fait le même cheminement que moi puisqu'il examine ma main serrée, scrutant la moindre trace suspecte. Son regard interrogatif me trouble et mes yeux vont vers ma cachette. Il glisse sa main sous mon oreiller et en sort un vieux tee shirt.
— Violette, soupire-t-il. Même à ton âge, tu peux demander à ce que je te serre contre moi. Je suis sûrement plus efficace que cette loque. Pousse-toi, fais-moi une place, ma puce.
Collée contre lui, son bras m’enlace, son menton posé sur le haut de ma tête, je suis bien. Il ne me pose pas de questions, il attend.
— Je sais que tu ne souhaites pas que je m’isole un peu plus. Mais le lycée devient compliqué à gérer. J’ai trouvé une solution, je crois.
Et je lui raconte Arthur que son handicap va pousser à rester chez lui, au fait que nous pourrons travailler ensemble, qu’il me sera facile de remplacer l’assistante de vie scolaire que son père n’obtient pas. Mes mots sortent tous seuls, parce que Martin ne m’interrompt pas. Il me laisse tout dire, après nous discuterons.
( Fabien )
Je fume une cigarette, le bus arrive dans cinq minutes. Martin est resté longtemps dans la chambre avec Violette. Je les ai entendu chuchoter, puis Martin est parti. Je n’ai pas vraiment bien dormi, excité par la journée qui s’annonce.
Quand je monte dans l'autobus, il n’y a pas grand monde. Je suppose que celui du petit matin ou de la fin de matinée est sûrement plus rempli. Je m'installe, sors mes écouteurs et je regarde défiler le paysage par la fenêtre. Depuis que je suis installé chez mon oncle, je n’ai pratiquement pas quitté le secteur. Comme je lui ai dit, cela m’a manqué parfois mais sans plus. Lorsque je vivais chez mes parents, l’ambiance était si lourde que ces escapades me permettaient de m’échapper. Mon projet de photographier ou filmer les préparations de Martin nécessite du matériel. J'ai une petite caméra qui peut servir mais mon appareil photo me semble démodé. Ma première idée était donc d’en changer mais en regardant les sites spécialisés, j’ai réalisé qu'il pouvait éventuellement être suffisant. Mes connaissances ne sont pas suffisantes pour commander sur le net.
J’ai noté trois adresses en ville. Je décide de commencer par celle qui m’avait attiré l’oeil en premier : le petit foto.
La devanture en noir et blanc comme un vieux film, avec de vieux appareils plutôt argentiques positionnés un peu partout du côté droit et côté gauche, leurs pendants en numérique, me plait tout autant que son nom. J’entre et je souris en découvrant l’homme derrière le comptoir.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro