15.
( Martin)
La journée se termine, le bus des enfants arrive dans peu de temps. Ludovic est encore au local, préparant les commandes pour demain. Il ne reste plus qu'à faire cuire le plat de lasagnes, que j'ai préparé après notre conversation. Ludo a raison, je ne peux pas continuellement reprocher à Violette son manque de confiance en elle et ne pas assumer le mien. Même si je ne suis pas fier de mon comportement, je dois m'en expliquer.
Lorsqu'ils franchissent la porte, je repère immédiatement le regard inquiet de ma soeur. Ou elle sait ou elle a un souci. Fabien lève les yeux au ciel, me confirmant mon interprétation.
— Ludovic a bientôt fini. Vous avez des trucs à faire ? Urgent je veux dire...complété-je maladroit.
Fabien ne dit rien et Violette me fixe, surprise.
— Pour moi, rien, me sauve Fabien. Violette a déjà préparé les cours que nous n’avons pas encore eu...
— Aucun souci pour moi non plus, répond ma sœur. Tu m’appelles quand Ludo est là ?
Alors qu’elle se dirige vers sa chambre, la porte d’entrée s'ouvre sur celui que j’attendais. Un seul regard sur moi lui suffit pour comprendre et le temps de traverser la pièce, il se positionne à mes côtés.
— Je prépare des boissons chaudes pour tout le monde ? Des cookies ?
C’est devenu une sorte de rituel régulier que nous avons mis en place assez vite. Lorsque l’un de nous quatre veut exprimer une angoisse, une demande, nous nous réunissons autour d'une boisson. Il était nécessaire de donner cette possibilité à chaque membre de cette famille recomposée. Même si Ludo et moi nous sommes les adultes, Fabien et Violette ont besoin de parler de leurs problèmes. Ils ont tous les deux vécu des situations loin d’être faciles à gérer.
— J’ai quelque chose à dire, commencé-je dès que nous sommes tous attablés. Fabien est au courant, mais toi non, Violette. Ludovic et moi nous avons eu une...discussion plus que houleuse hier soir.
— Je m’excuse de te couper, mon coeur. C’était plus, autant le dire, une engueulade.
— Oui, dis-je, rougissant. Ludo a raison, une engueulade qui l’a poussé à partir de la maison, très en colère.
— C’est pour cela que l’on ne t’a même pas aperçu ce matin, demande Violette à Ludo. Tu as découché ?
— Je n’étais pas en état pour discuter et je n’avais pas mon portable. J’ai été dormir à l’Annexe.
— Et pourquoi Fabien a été mis au courant, lui ? Toujours un effet de ta surprotection ? réplique ma soeur, l’oeil méchant.
Je sens Fabien gêné, ne sachant pas sur quel pied danser. Doit-il parler de mes larmes ?
— Fabien m’a trouvé en pleurs au pied de la porte après le départ de Ludo, c’est pour cela qu'il est au courant. Je m’en serai bien passé, crois-moi, Violette.
— Excuse-moi… et vous voulez nous parler de la raison, donc.
— L’homme de l’autre jour, Lucas…
— Celui qui te matais ? précise Fabien.
— Oui. Je n'ai pas eu le courage de lui dire nettement les choses, et il en a conclue que je…, bafouillé-je.
— Que tu avais envie de lui ? Ce sont mes plaisanteries qui ont provoqué votre engueulade ? s’inquiète Fabien, regardant Ludo.
— Non, non. Hier après midi, Aymeric est passé à l’annexe et m’a expliqué qu'il était gêné du regard de Lucas sur lui. Il m’a semblé qu'il était temps que j’en parle avec ton oncle. Je me sentais tellement mal pour en parler.
— Que j’ai eu la sensation qu'il avait apprécié et avant de le laisser s’expliquer, j’ai pété un câble et je suis parti. C’était con, finit Ludo en me prenant tendrement la main. Ce salopard a profité que Martin n’a pas une confiance énorme en lui pour le menacer de propager des ragots.
— Vous lui avez cassé la gueule ? gronde Fabien.
— Non. Mais il ne viendra plus.
— C'est par rapport au manque de confiance en soi que tu as raconté l'histoire, hein ?
— Pas uniquement pour cela, ma puce. Je retiens de cette histoire une chose. Si j’avais, dès le début exprimé mon mal être face à la situation plutôt que de la minimiser, il n’y aurait pas eu d’engueulade. Nous en aurions parlé Ludo et moi, tranquillement.
( Violette)
Entendre mon frère nous expliquer leur querelle m’énerve. Car je réalise que mon monde a failli, une fois de plus, s'écrouler. Aucun doute sur leur amour, tout dans leurs regards, leurs légers attouchements le crie à la terre entière. Je ne peux pas gâcher ce moment en parlant de mon projet. Fabien qui me connaît peut- être mieux que Martin a compris que quelque chose me tracassait . Du coup, il monopolise la conversation.
— C’est le moment que j’en discute donc, lance-t-il. Martin, tu te rappelles de mon envie de filmer ou photographier tes cours de cuisine ?
— Je n’ai pas la mémoire si courte, non, réagit immédiatement Martin, très intéressé.
— J’ai repéré quelques adresses de boutiques sur Rouen. Vous seriez d’accord pour que j’aille y faire un tour ? Il y a un bus samedi, je suis capable de me débrouiller tout seul.
Le regard des deux adultes sur Fabien est dénué d’inquiétude, ils savent que c’est le cas. J’adorerai provoquer cette réaction un jour. Mes peurs sont trop nombreuses pour même m’autoriser à envisager seule une telle sortie. Martin s'y opposerait formellement et il aurait raison. Prendre le bus m’est possible parce que Fabien est à mes côtés.
— Tu vas juste te renseigner ou tu veux aussi acheter ? le questionne Ludo.
— J’ai regardé sur le net les différents prix mais j’ai surtout besoin de conseils. Tu as envie de venir avec moi, Violette ?
— C’est ironique, je suppose, râlé-je. Non, je n’ai pas envie de venir avec toi à Rouen. Je déteste les villes.
— Tu ne seras pas seule, Violette, en rajoute mon frère. Fabien restera à tes côtés.
— Cela ne change rien au fait que je n’aime pas les villes. On a fini, là ? dis-je en prenant appui sur la table pour me lever.
Ce n’est peut-être pas très aimable, je suis d’accord. Mais je suis en colère. Contre moi et ma non capacité de m’ouvrir aux autres.
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