12
( Fabien )
Ma nuit a été très courte. J’ai obéi à Martin uniquement parce qu'il était gêné de pleurer devant moi. C’est idiot, cela ne me choque pas, bien au contraire. Mon père me le répétait assez souvent que dans l’école où il voulait m’envoyer “ on m’apprendrait à ne pas pleurer comme une fillette.” Stupide ! En quoi pleurer serait-il interdit pour un homme ? Celui-ci n’aurait pas le droit d’avoir des sentiments ? De souffrir ? Mon père était un homme froid, et doit l’être encore. Tout l’opposé de mon oncle et de Martin qui sont humains et sensibles et je ne pense pas que leurs orientations sexuelles aient quoi que ce soient à voir là-dedans !
Le matin, nous croisons peu Ludo, souvent affairé à préparer ses livraisons. Violette ne devrait donc pas se rendre compte de son absence. Je sors de la salle d’eau alors qu'elle quitte sa chambre.
Le visage chiffonné, les cheveux en bataille, la nuit a été mouvementée. Elle me glisse un bonjour et entre dans la salle de bain. Espérons qu’elle n’a pas l'intention de lâcher sa bombe au petit déjeuner, son frère n’est sûrement pas au mieux de sa forme.
— B’jour, dis-je en pénétrant dans la pièce de vie, où Martin finit de dresser la table.
Sa tasse fume sur le comptoir prête à être avalée. Sa mine n’est guère plus fraîche que la mienne ou celle de Violette.
— Bonjour Fabien. Ludo est rentré, me chuchote-t-il. Tu peux faire en sorte que vous n’ayez pas le temps d’aller vers le local, s'il te plait ?
Je hoche de la tête et avale mon café en grignotant un cookie. Le bus est dans une demi heure, j’ai envie d'une cigarette. Le sac avec notre repas est devant la porte. Malgré la nuit qu'il a passé, Martin ne nous a pas négligés. Violette entre et s’assied après avoir grommelé un bref bonjour. Rien d’extraordinaire chez elle mais Martin, une fois encore, vient lui embrasser la tête. Il s’agit de leur rituel, parfois prolongé d'un tendre câlin. J’admire cet homme qui ne lâche rien ni personne.
( Ludovic)
Après que Martin soit parti, j’ai fini de préparer ma voiture. Il y a très peu de livraison ce matin. Je serai là de bonne heure. Même si je suis très pressé d’entendre les explications de Martin, je n’arrive pas à contrôler mon angoisse et mon ventre se serre. Le bruit des enfants qui partent vers l’arrêt de bus m'ôte un poids. Face au regard de Fabien, je ne sais pas quelle aurait été ma réaction. Je me rapproche de la fenêtre pour récupérer mon téléphone. Celui ci est posé à l’endroit convenu appuyé contre un sac. Pas besoin de l’ouvrir, je sais qu'il contient mon mug isotherme et quelques cookies. Mon envie de foncer dans la cuisine est forte une fois encore, mais je me contrôle - d’abord mes livraisons.
….
Deux petites heures après, je coupe le contact et sors de la voiture. Un merveilleux spectacle m'attend lorsque j’entre dans la maison. Martin, avachi sur le fauteuil s'est a priori endormi. La tête appuyée sur son bras droit, la bouche entrouverte, il émet des petits ronflements. Oh putain, que j’aime cet homme! Je m’installe à ses côtés, je sais qu'il dort mais mon besoin de lui offrir mes pensées de ces dernières heures est le plus fort. J’entame un dialogue solitaire.
— Je regrette d’être parti comme un lâche tout à l’heure, Martin. Mon cerveau n’a entendu que ce qui lui a toujours fait peur. Il a entendu que tu avais été troublé par un autre. Tu connais ma capacité à m’enfermer dans mon monde de silence, loin des hommes et de leur univers trépidant. Toi, tu es de ce monde et je ne te le reproche pas...mais très longtemps, j’ai redouté ton départ. Quand j’ai entendu tes mots, tout est revenu et mon esprit s'est focalisé sur cela.
— Jamais je n’ai eu l’intention de partir, Ludo. A aucun moment depuis que je t’ai rencontré. Nos besoins sont différents et je l’accepte. Tu t’ouvres au monde. En prenant Fabien en charge, en faisant de nous quatre une famille, tu le fais.
Je le prends dans mes bras, depuis hier soir, je refreine cette envie. Son soupir de bien-être me rassure sur son état d’esprit.
—Explique moi, je t’écoute.
Martin me regarde, et avant de commencer à parler il enserre sa main à la mienne.
— Lucas aime sentir le regard de l’autre sur lui. Il fait tout pour le provoquer : beau parleur, charmeur. Dès le premier repas, il a repéré que j’y étais sensible. Rien à voir avec une quelconque envie, juste un terrain connu. Quand je l’ai vu ostensiblement fixer le fessier d'un autre stagiaire, j’aurai dû immédiatement lui signifier que son comportement n’était pas admissible. Au deuxième repas, il a continué, déstabilisant l’autre par des regards plus que charmeurs.
A la fin de la soirée, sous le prétexte d’obtenir une date, il a joué avec mon trouble, me menaçant à mi-mots de t’en parler. Il n’y a rien eu de plus, Ludo. Juste une peur que tu te fâches de ce trouble ou que ce salopard mette à mal ma petite entreprise.
— Bien sûr que ce trouble me blesse, Martin. Et que j’aurai sûrement réagi comme hier soir, connement. Ce mec t’a manipulé car il a tout de suite repéré ta fragilité. Cette sensibilité à fleur de peau associée à un cruel manque de confiance en toi. Veux-tu me pardonner cette peur qui m’a mise à mal ? Et cette colère qui en a découlé. Dès ma discussion avec Frédéric, je savais que j’avais eu tort. Mais je ne voulais pas me retrouver face aux enfants. Ils ont tous les deux vécu des situations délicates, je ne voulais pas leur faire de la peine.
— Violette n'était pas bien ce matin. Je ne pense pas qu’elle ait entendu.
— Nous leur parlerons ce soir. Allons chez ce mec pour lui expliquer que nous ne voulons plus le revoir près de chez nous, d’accord ?
— Tu veux y aller avec moi ?
—Bien sûr. Cela lui évitera de jouer au fier à bras avec toi. Je ne suis pas de nature bagarreuse, mais il s’est attaqué à toi. Il va devoir assimiler très vite que ce n’est pas une bonne idée de s’en prendre à ma famille.
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