10.
(Martin)
Le court trajet de l’Annexe à la maison, je l’ai parcouru sans m’en rendre compte. J’ai pris ma décision, je ne changerais pas d'avis, cela ne m’empêche pas de redouter la réaction de Ludo. Quand j’arrive le local est fermé, la vente est finie. Il doit être à l’intérieur avec les enfants, sa voiture est là. Pas question de parler devant Violette et Fabien. Malgré mon esprit préoccupé, je plante un sourire sur mon visage et j’entre.
Ludo est penché au dessus de la feuille de ma soeur qui le laisse faire, Fabien juste en face applaudit en se moquant.
— Viens m’aider, Martin. Ces deux-là se moquent de mon Allemand.
— J’ai peur qu'ils aient raison, mais le mien est inexistant. Les petits, cessez immédiatement, dis-je d’un ton si peu convaincant que tous les deux éclatent de rire de plus belle.
Ludo se dirige vers moi, me prend tendrement dans ses bras, dépose un léger bisou sur ma joue, puis ronchonne assez fort pour que Fabien et Violette entendent.
— Finis les bons légumes, et les petites douceurs. On va se venger avec de la malbouffe. Ils vont souffrir, ces méchants !
— Tu as raison, mon coeur. Débarrassez la table, les petits.
La soirée a continué dans cette bonne humeur. Je tentais, malgré l’angoisse toujours présente, de garder le contrôle. J’aurais pu remettre à demain, bien entendu mais cela n’aurait fait que reculer l’échéance.
En général, une fois dans la suite parentale, Ludo en profitait souvent pour mettre à jour un peu de paperasse, mais là il m’attendait.
— Vas-tu m’expliquer ou comptes-tu garder ce faux masque de bonheur longtemps ? me demande-t-il, les sourcils froncés.
— Je me doutais que tu le verrais. J’aurais dû t’en parler bien avant. Je ne sais plus comment faire…
Le fait de parler déclenche mes larmes, et aggrave sûrement l’angoisse chez mon compagnon. Il est toujours à la même place, comme figé, sans chercher à me consoler.
— Dès le premier repas, il a joué, commencé-je. Tu sais comment je suis, j’ai laissé faire.
— Comment cela, tu as laissé faire ? lâche-t-il d'une voix sèche.
— Il ne m’a rien fait à moi. Il s’amusait à mater avec insistance le cul d'un autre stagiaire. Je l’ai vu faire, et il a continué de plus belle quand il s'en est rendu compte. Je n’ai pas osé le prendre à part pour en discuter.
— Et ?
— La fois d’après, il a remis cela. Cela le faisait sourire, et moi rougir.
— En quoi le regarder faire peut te faire rougir, Martin ? Aurais-tu voulu qu'il mate ton cul à toi ?
Sa voix gronde, et ses poings se ferment. Je voudrais juste qu'il me serre contre lui, pas qu'il me reproche mon attitude.
— A la fin de la soirée, continué-je, il est resté pour obtenir une date pour un rendez-vous seul. Il m’a parlé d'une voix rauque en s'approchant de moi. Je ne contrôlais plus rien.
Je n’ai pas le temps de finir ma phrase. D’un revers de bras, Ludo a balayé tout ce qu'il y avait sur le bureau. Son regard est noir.
— J’en ai assez entendu, Martin, crache-t-il et d’un mouvement rapide, il sort de la suite.
Je me précipite derrière lui, juste à temps pour entendre claquer la porte d’entrée et le bruit de sa voiture qui démarre.
Il est parti.
( Fabien )
Je n’avais pas envie de dormir ce soir aussi ai-je regardé un documentaire sur mon téléphone. Ma lumière est éteinte pour ne pas gêner Violette. Un bruit inhabituel me fait sursauter, suivi d’un moteur de voiture qui part à toute vitesse. Inquiet, je me lève. Le petit ronflement venant du coin de ma voisine de chambre me rassure sur son sommeil. Prudemment, je me dirige vers la pièce de vie. Prostré devant la porte d’entrée, Martin est en pleurs. Je m’accroupis devant lui, déstabilisé.
— Que se passe-t-il, Martin ? chuchoté-je afin de ne pas réveiller sa soeur. Où est Ludo ?
— Il... est parti, geint-il.
— Lève-toi, Martin. Viens, allons dans votre chambre. Pas la peine de réveiller Violette.
Il me suit sans résister. Dans l’entrée, un enchevêtrement d’objets de tout genre jonche le sol. Que s’est-il passé ici ?
( Ludovic)
A l’instant où je lui ai posé la question, j’ai eu peur. Sa voix tremblante, je n’entendais que cela, les mots ne me parvenaient pas. J’en ai juste compris certains et j’ai réalisé que tout risquait de s'effondrer. Et je suis parti.
La voiture garée au bord de la route, je ne sais pas quoi faire. J’ai peur et je suis en même temps très en colère. Martin a dit qu'il ne contrôlait plus rien et dans mon esprit blessé, je le vois se donner à ce mec. J’ai besoin de parler de cela, que quelqu'un me rassure ou me dise que j’ai eu raison de claquer la porte. Seulement la seule personne qui pourrait jouer ce rôle est en Australie. De toute façon, mon téléphone est sur la table de nuit à côté de notre lit.
J’ai peu d’amis, je suis plutôt casanier de nature mais j’ai des relations qui peuvent me rendre service. Un quart d’heure après, je me gare devant le restaurant d’Émile. C’est la fin du service et sa voiture est là. Je vais passer pour un fou mais je m’en moque royalement. J’ai une seule idée en tête : contacter Frédéric.
J’entre côté cuisine, et je l’aperçois immédiatement une tasse de café à la main, son équipe finit de préparer les dernières commandes.
— Ludovic ? Que fais-tu là à cette heure ?
— Trop long à t’expliquer, éludé-je. Peux tu me prêter ton téléphone s'il te plait ?
Je peine à contrôler ma panique. Émile est un de mes clients, il n’hésite même pas un instant. Aussitôt son portable en main, je compose le numéro de Frédéric. Les sonneries s'enchaînent sans résultat. Il est pourtant pas loin de neuf heures en Australie, il doit être réveillé. Je réalise bêtement qu'il ne s'agit pas de mon numéro et lui laisse un message le sommant de me rappeler. Émile lance un coup d’oeil inquiet vers moi au moment même où son téléphone sonne.
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