#13
Amsterdam, Pays-Bas
12 : 36
L'après. Ça n'avait pas arrêté. La sensation, étrangère. La sensation ? Il fixa ses mains, tremblantes. Ce n'était pas le manque. C'était l'après. Les résidus de la veille. Le contrecoup de l'adrénaline. Il serra les poings, inspira profondément. Il avait déjà tué. Il avait déjà mis à mort, sans le moindre sourcillement. Pourquoi était-ce si différent, cette fois-ci ? Le battement de son cœur, toujours aussi rapide. Il clôt les paupières, se focalisa sur la sensation. Il l'examina, la tourna dans tous les sens, mais ne sut en trouver la cause. Il ne pouvait empêcher cette euphorie mal placée, c'était hors de sa portée. Au fond de lui, il y avait comme deux voix, contradictoires.
D'abord, il y avait la paranoïa, une véritable sirène dans sa tête. Et la sirène lui ordonnait de parcourir chaque détail, à la recherche de la moindre chose qui poserait un risque à sa fausse identité. Mais Baekhyun était anormalement prudent, c'était pathologique, c'était conditionné. Il se procurait les armes au compte-goutte, s'en débarrassait dès qu'il avait accompli son but, généralement proche de la scène. Garder les armes c'était signer son arrestation. Pire qu'un ADN. Le petit appartement à Slotermeer, une façade. Il était rusé, il avait songé à chaque possibilité. Retracer les sommes d'argent à sa personne, impossible. Il les déposait sur trois comptes différents, chacun à un autre nom. De sa poche, il pouvait se créer une fausse identité de manière aléatoire, et sûre. Ce procédé, il l'avait perfectionné, au fil du temps.
Et puis il y avait l'autre voix, toute aussi forte, même si plus insidieuse. Une curiosité intense, peut-être, une flamme qui brûlait dans ses tripes. C'était narcissique, dans un sens. Le désir irrépressible de savoir pourquoi, de voir comment la chose se démêlerait. Conscient que la police n'avait jamais été aussi proche de lui. Cette voix était joueuse, dangereuse, confiante. Il avait encore l'image de l'homme dans la tête, sa défaite marquée dans sa rétine, la réalisation et la mort lisible sur son visage. Et puis le sang, tout ce sang causé par un seul coup, par un simple stylet. En combat, il n'était pas question de force physique, il s'agissait de précision, de technique et d'automatisme. Il fallait connaître le point faible. S'il avait été malin, s'il avait bien réfléchi avant d'agir, l'homme aurait su que le couteau aurait dû s'abattre au milieu de la poitrine, là où le cœur de Baekhyun résidait, là où il était sûr de tuer. Il s'était laissé surprendre. Il avait perdu la lutte dès le moment où Baekhyun avait eu le temps de réagir.
Il était doué pour être discret. Il se fondait dans la masse quand c'était nécessaire. Le lieu de travail, le domicile, la famille, enfant, partenaire, les vices cachés, les habitudes, il prenait soin de les noter avant même de frapper. Chaque détail avait son importance. Il choisissait alors le meilleur moment, le meilleur moyen. Souvent, une balle suffisait, parfois il fallait se montrer plus créatif. Après tout, il n'était pas le seul paranoïaque.
Ce n'était pas surprenant, à vrai dire. Quelqu'un en voulait à sa vie. Les motifs ne manquaient pas. Ce qui était surprenant, c'était le manque de professionnalisme, c'était le timing. C'était la méthode atypique pour un tueur à gage, si tueur à gage il y avait. Pourquoi justement alors qu'il venait de rentrer au pays ? Pourquoi à l'appartement, et surtout, pourquoi pas une balle entre les deux yeux ? Pour quelle raison précisément ? Il savait pertinemment bien qu'il ne dormirait pas les prochains jours, pas avant de comprendre, avant d'avoir pris en compte chaque possibilité.
Il s'assit sur le bord du lit, passa une main à travers sa chevelure noire. Sur ses avant-bras, les lacérations fraîches qui l'avaient sauvé d'un coup mortel, encore rouges, gonflées. Une attaque au couteau ne se finissait jamais sans blessure. C'était l'emplacement de ces blessures qui était primordial. Les tatouages, à présent marqués, où des cicatrices inévitables se formeraient. D'autres cicatrices parmi les nombreuses autres.
Le néon de la chambre d'hôpital clignota brièvement. Dans un coin de la pièce, la veste qu'Arzhela avait laissée plus tôt dans la journée, ses vêtements. Elle n'était pas restée longtemps. Il avait besoin d'espace. Il se leva lentement, fit craquer sa nuque. Un bandage enveloppait sa cuisse, camouflant les points de sutures. Il alla s'emparer de ses vêtements, enfila un t-shirt, puis un pantalon, en prenant soin de ne pas déranger le bandage. Si la douleur ne le dérangeait pas, prolonger le temps de guérison n'était pas dans ses intentions. En mettant la veste sur ses épaules, il remarqua le paquet de cigarettes, tâta l'autre poche à la recherche du briquet, avec succès. Aussitôt, il sortit de la chambre, et se dirigea vers les ascenseurs, cigarette en main, prête à être allumée une fois dehors.
Le ciel était lumineux. Il s'était assis sur un banc, à l'entrée de l'hôpital, une jambe croisée sur l'autre, mégot à la bouche, lorsqu'il aperçut une silhouette familière s'approcher. Chemise blanche et boutonnée, tenue professionnelle, badge discrètement attachée à la ceinture et la housse du pistolet, cachée derrière les pans du manteau, imperceptible si on ne cherchait pas. Il l'observa venir, expira un nuage de nicotine, patient. Le policier s'arrêta devant lui.
— Je peux ? demanda-t-il, pointant la place libre sur le banc d'un mouvement du menton.
Baekhyun ne répondit pas et se contenta de fumer sa cigarette. L'agent s'installa à ses côtés, frotta ses mains sur son pantalon. Un tic, sûrement. Il était nerveux sans le savoir. A la lumière du soleil, ses yeux étaient d'une couleur noisette, sa respiration visible dans l'air hivernal.
— Comment vous sentez-vous ?
Baekhyun haussa les épaules, pensif. Les rayons de soleil firent briller le métal de ses piercings.
— Difficile de dire, répondit-il finalement.
Il se tourna légèrement vers lui, le regarda. Chanyeol acquiesça lentement, sans rencontrer son regard.
— Vous avez tué un homme.
Une pause. Une tirée de cigarette. Baekhyun plissa les yeux, c'était discret. L'affirmation, presque naturelle, le surprit. Peut-être une façon de voir sa réaction ? Il était inutile de nier les faits. Même une personne ordinaire s'y serait résigné, à un moment ou l'autre.
— C'est vrai.
La main qui tenait sa cigarette trembla. Il expira profondément. Un jeu d'acteur, vraiment. La meilleure façon de mentir était d'utiliser la réalité et de la changer subtilement. L'expression de Chanyeol, neutre, mais compréhensive, dans le coin de sa vision.
— Je sais que c'est difficile, mais vous vous doutez qu'une enquête a été ouverte et que votre déclaration est nécessaire.
La voix de Chanyeol était plus assurée, désormais. Baekhyun observait chacun de ses gestes, ses micro-expressions. Il voulait savoir à qui il avait affaire. Il hocha la tête, remarqua la petite carte qu'il faisait à présent tourner entre ses doigts. L'absence de bague à son annuaire. Ils se regardèrent enfin.
— N'hésitez pas aussi prendre contact avec le service d'aide ou d'accueil aux victimes, ils sauront vous conseiller.
Il jeta la cigarette, l'écrasa avec la semelle de sa bottine. Les hématomes sur ses joues, particulièrement visibles à la lumière du soleil. Là où les poings avaient frappé le plus fort. Il fit craquer ses doigts, abîmés et blessés. Chanyeol lui tendit la carte. Baekhyun lui jeta un regard en coin.
— Vous serez attendu au poste de police dès que votre état le permet.
Il accepta la carte à contrecœur, l'enfouit aussitôt dans la poche de sa veste.
— J'étais supposé tatouer aujourd'hui, parla-t-il enfin, la voix basse.
Le policier l'observa calmement. Il lui donnait de l'espace, une présence discrète, dans l'ombre. Sur le dos de ses mains, les veines étaient particulièrement visibles. Il y avait quelque chose d'étrangement suave à ses paroles, à sa voix.
— La vie est fragile.
Baekhyun esquissa un sourire sarcastique. Sous ses yeux, les cernes témoignaient de l'agitation des dernières heures. Il n'était pas d'humeur à discuter. Il préférait consacrer son énergie à ses pensées. Or, s'il y avait une discussion qu'il ne pouvait échapper, c'était bien celle-ci. Il sentait que Chanyeol n'avait que questions en tête, qu'il entretenait la conversation par courtoisie, par pure formalité envers la victime. Victime. Il aurait pu rire, sans honte, si la conversation n'avait pas requis qu'il joue le rôle. Baekhyun n'était pas victime. Il ne l'avait jamais été et ne le serait jamais. Toute chose qui arrivait devait arriver. Qui était-il pour reprocher à quelqu'un de vouloir sa mort ? La mort, tôt ou tard, était inévitable. Au fil du temps, il s'était presque lié d'amitié avec elle. Avoir le contrôle c'était en partie accepter qu'on ne l'avait pas. Baekhyun n'était pas victime de sa condition, il en était le principal acteur.
— Je suppose.
Il n'y avait tant de réponses possibles. Comment les gens réagissaient-ils après avoir donné la mort de manière si abrupte, inattendue ? Dans des circonstances ordinaires, Baekhyun aurait été sous le choc, peut-être même qu'il aurait pleuré, ou bien il serait resté silencieux. Les réactions divergeaient d'une personne à l'autre. Il n'y avait pas de mode d'emploi. Il n'y avait pas de règles face à la mort.
— Avez-vous quelque part où aller en attendant, à la sortie de l'hôpital ?
Leur regard se croisa. Baekhyun passa la langue sur ses lèvres, songeur.
— Je ne sais pas.
Un mensonge. Il avait un endroit en tête. Un lieu qu'il avait toujours gardé en réserve, dont seul lui connaissait l'existence. Comme une dernière chance, une sortie de secours, et parallèlement, une prison. Le jour où Baekhyun devrait s'y rendre était le jour de sa défaite. Il avait fait la paix avec l'idée de s'y rendre. La défaite, elle, cependant, était inconcevable.
— Je pense qu'Arzhela va aller chez une amie. Elle n'est pas encore sûre.
Il remarqua que Chanyeol observait l'œil tatoué, sur le dos de sa main.
— Votre petite-amie ?
— Non, répondit-il.
Chanyeol l'interrogea du regard. Mais Baekhyun ne termina pas la phrase. Il croisa les bras sur son torse, camouflant ses mains.
— Vous pensez qu'on a une raison de s'inquiéter ? demanda-t-il, après un moment de silence.
— Peut-être, visiblement votre agresseur avait une intention bien précise. Il n'y a pas eu de vol. Il était armé.
Il haussa les épaules, la mine sérieuse.
— Un cambriolage, probablement pas, non.
— Et les morts ne parlent pas, après tout.
Chanyeol lui lança un regard inquisiteur, partagé entre curiosité et confusion. Il y avait quelque chose d'opaque, d'incroyablement froid au comportement de Baekhyun. Il ne sut s'il devait accorder cela au choc, à un état post-traumatique. Il était presque nonchalant, détaché d'une certaine manière. Il avait vécu des comportements similaires avec des personnes profondément dépressives. Mais jamais dans de telles circonstances. Puis il y avait l'image de Baekhyun, assis au bord du lit, l'essui ensanglanté en main, le corps droit.
— Vous tatouez depuis longtemps ? demanda Chanyeol, maintenant le contact visuel.
Au fond des pupilles de Baekhyun, une lueur. Ce fut bref.
— Ça va faire cinq ans.
Il n'aimait pas parler de lui. Il savait que Chanyeol tentait sa chance, qu'il essayait d'en savoir plus, de se faire une idée. C'était plus fort que lui, il était policier. Il fut presque tenté de sortir une seconde cigarette, mais il se retint.
— L'œil, sur le dos de votre main gauche. Symbole de protection, de surveillance... C'est vous qui l'avez fait ?
Baekhyun décroisa ses jambes, se redressa légèrement. La posture de Chanyeol, elle, révélait une sorte de professionnalisme, droit, les mains jointes, jamais loin de son badge, de son arme. Des yeux noisette. Une mâchoire à peine tendue. Proprement coiffé, uniforme comme neuf, le seul signe trompeur était le bracelet qui pendait à son poignet. Un bracelet d'enfant.
— On s'entraîne comme on peut, répondit finalement Baekhyun, avant de se lever du banc.
Debout ainsi sur ses deux jambes, rien n'indiquait que quelques heures auparavant, il recevait trois coups de couteaux. Il ne laissait rien transparaître. Une ruse, peut-être. Après tout, le loup ne gémissait pas lorsqu'il était blessé. L'agent ne proposa pas de le raccompagner.
— On se reverra, Chanyeol.
.
.
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I am the driver.
I am the shadow.
And I am the hearse.
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