Chapitre 5 : Nancy
- Attends moi ! s’écria Nancy avant de rattraper Cléa en quelques enjambées.
La blonde lui jeta un petit regard par-dessus son épaule, sans ralentir le pas pour autant.
- Ravie de ta déclaration d’amour, chérie.
- Arrête de jouer. Je sais que tu prends cette histoire très au sérieux, plus que tous les autres.
- Plus que toi aussi ? ricana Cléa.
- Je ne sais pas… J’ai du mal à y croire, mais en même temps…
Nancy ne termina pas sa phrase, cependant Cléa devait avoir compris. La jeune fille aurait voulu supposer une vulgaire blague, comme tous les autres, mais le corps de Jérémy était bien là, ainsi que les deux petits mots…
- Mais en même temps un cadavre de l’un des élèves de premières d’un lycée lambda ne fait pas partie de la décoration intérieure d’un prestigieux musée, termina la blonde en ricanant.
- Tu ne veux pas te rendre supportable juste cinq minutes, pour une fois ? bougonna Nancy. La situation n’est pas à la rigolade.
- C’est un trop gros effort que tu me demandes là, je tiens à garder ma réputation d’insupportable belligérante. Et puis tu savais à quoi t’attendre en me suivant.
Nancy poussa un soupir bruyant, qui arracha un petit sourire moqueur à Cléa. Les deux filles n’avaient pas été suivies d’autres élèves, la première de classe avait été visiblement la seule à s’y être risquée. Elle avait vite sentie que l'arrogante semblait motivée à résoudre cette enquête, aussi surprenant que cela puisse paraître, et en réalité la jeune fille souhaitait la surveiller tout en coopérant.
À travers les couloirs faiblement éclairés, Nancy observa Cléa de biais. Elle marchait d’un air à la fois nonchalant et déterminé, détendue mais également sur les nerfs, et ses yeux bleus balayaient les couloirs d’un air aussi vif que glacial. Elle cherchait probablement des indices, à moins qu'elle ne soit simplement perdue dans ses pensées en essayant de faire le point sur la situation.
Elle était belle, de la même manière sauvage que Loup, et Nancy se demanda si c’étaient leurs atouts physiques qui les avaient rendus aussi fiers et arrogants. Dans la classe, Nancy n’était pas vraiment attirée physiquement par quelqu’un, Adrien peut-être était mignon, Nicolas aussi, et il fallait avouer que Léna avait un charme certain. Mais les seuls dont on pouvait dire qu'ils étaient réellement beaux, étaient Loup et Cléa. Cela, personne ne pouvait le contester.
Et c’était bien ça le plus insupportable, la vie était injuste, elle leur avait donné la beauté en plus de l'intelligence. Leur arrogance inépuisable n'était pas si étonnante, vu comme ils étaient gâtés tous les deux.
Au bout de plusieurs minutes, la blonde se mit à rire d’un air sarcastique, et lança :
- Je sais que je suis magnifique merci mais t’es pas obligée de me reluquer comme si c’était la première fois que tu me voyais.
Nancy leva les yeux au ciel. Elle détestait ceux qui se vantaient, c'était sans doute la première raison pour laquelle elle n'avait jamais vraiment apprécié Cléa. Même si elle s'entendait en général bien avec tout le monde, sa patience avait quand même des limites.
- Je me demandais juste si tu n’avais pas des choses à te reprocher, pour vouloir si vite enquêter, répondit la plus jeune sans perdre la face.
- Ça, c’est à toi de voir.
- Comment ça ? s’étonna Nancy. Tu n'essaies pas de te disculper ?
Il y eut un blanc, et ce ne fut que lorsque les deux filles arrivèrent dans la section dédiée à l'évolution de la vie que Cléa répliqua enfin.
- Je ne suis pas idiote. Il y a un tueur parmi nous et chaque élève va se mettre à soupçonner les autres, même s'ils prétendent ne pas vouloir enquêter. Lesquels seront les premiers sur la liste de suspects à ton avis, petite première de la classe ?
Nancy eut un petit mouvement de recul. Autour des deux adolescentes, les moulages de squelettes projetaient leurs ombres lugubre sur le sol. Les animaux empaillés qui peuplaient les vitrines semblaient les suivre de leur regard vide.
- Hum… ceux qui auront été les moins repoussés par la vue du cadavre, je suppose, répondit la plus petite.
- Bingo. Les plus effrayés sont les moins suspects car leur réaction paraît plus naturelle. Alors qu'à l'inverse, ceux qui ont été le plus à l'aise ont l'air coupable. Qui entre dans cette liste ?
- Loup, Gabriel, Nicolas et toi.
- Élémentaire ma chère Nancy. Je sais très bien qu’on va forcément me soupçonner, et ce quoique je dise vu mon caractère, alors à quoi ça servirait de perdre mon temps à essayer de convaincre les autres que je suis innocente sans aucune preuve ? Alors que je peux enquêter de mon côté et trouver le vrai coupable pour me disculper de cette manière ?
- Mais si tu es si maligne, et si tu avais déjà prévu qu’on puisse te soupçonner à cause de ta réaction face au cadavre, pourquoi justement rester de marbre ? Et arracher le bout de verre de l’œil de Jérémy ? Tu aurais pu simuler une réaction choquée, non ?
- Ce n’est pas idiot comme réflexion, mais ça ne serait pas paru naturel. Vous me connaissez un minimum, j'aurais été encore plus suspecte si je m'étais mise à pleurer comme Lila, parce que vous savez que ça ne me ressemble pas.
Nancy était bluffée. Alors Cléa avait réfléchi jusque là ? En découvrant le cadavre elle avait immédiatement compris que les réactions dès le début seraient importantes, alors que la majorité était occupée à lutter pour assimiler le fait que Jérémy soit mort.
La première de la classe comprit rapidement que l’arrogante allait être une alliée de taille si elle n’était pas coupable alors elle lança :
- Bon… qui sont tes suspects ?
Cléa arqua un sourcil, et observa Nancy de biais.
- Mes suspects ?
- Oui. Tu sembles déjà avoir réfléchi à pas mal de choses, donc ça m’étonnerait que tu n’aies pas déjà une petite liste.
Nancy jouait avec l’orgueil de Cléa, elle la prenait à son propre jeu pour qu’elle coopère et agisse avec elle. Le narcissisme de la blonde platine pourrait se retourner contre elle... Pourtant, elle eut l'air de s’apercevoir de ce que la plus jeune tentait de faire, mais elle devait trop aimer les défis pour ne pas rentrer dedans. Elle fit mine de réfléchir avant de répondre.
- Il est trop tôt pour en parler je pense.
- Je vois. Alors je peux te poser une autre question ?
- Parce que t’es en train de faire quoi là ? Une course d’autruches ?
Nancy leva les yeux au ciel encore une fois, en se faisant la réflexion que Cléa était supportable depuis trop longtemps et que ça ne pouvait pas durer, puis poursuivit en ignorant la remarque sarcastique.
- Pourquoi as tu récupéré le bout de poterie dans son œil ? demanda-t-elle très sérieusement.
Cléa laissa planer un petit silence, et Nancy comprit qu'elle hésitait à lui faire confiance. Elle ne pouvait pas lui en vouloir pour ça. Après tout, dans une telle situation, il était difficile de ne pas se soupçonner les uns les autres.
- Je cherchais à savoir si c’était l’arme du crime.
- Développe, la pria Nancy, intéressée.
- Je veux dire, est-ce que le meurtrier a récupéré un morceau pour crever l’œil de Jérémy, l’affaiblir et ensuite le tuer, ou est-ce qu’il l’a assommé avec l’amphore et un bout a ensuite atterri dans son œil par inadvertance ?
- La deuxième solution me paraît plus plausible.
-À moi aussi.
La plus jeune remarqua toutefois que sa camarade de classe ne tenait plus le morceau de terre cuite entre ses mains. Où est-ce qu'elle avait bien pu le mettre ? Dans le sac qui pendait à son épaule, ou bien dans une poubelle ? Il y avait des toilettes juste à côté du couloir qui menait à la scène de crime, Cléa aurait donc bien pu s'en débarrasser là… Ce qu'elle aurait fait dans le but que les autres élèves ne remarquent pas quelque chose dessus.
Nancy n'avait rien vu sur le moment, mais elle n'avait pas non plus vraiment regardé, trop concentrée à ne pas tourner de l'œil à la vue du cadavre et à analyser la situation et les réactions de ses camarades. S'il y avait un indice sur le bout de poterie, la jeune fille allait devoir faire son possible pour le retrouver.
Elle remarqua soudain le regard de la blonde platine, qui devait s'étonner de son long silence. La plus petite se racla donc la gorge et reprit la parole.
- Tu as remarqué d’autres blessures sur le corps ?
- Je n’ai pas vraiment eu le temps de regarder comme j'aurais voulu. En fait, j’espérais qu’en partant d’autres suivent mon exemple, et que je puisse ensuite revenir sur mes pas pour observer seule tranquillement. Mais ses mains étaient pleines de sang, en tout cas.
Nancy réfléchit une seconde tandis que Cléa replongeait dans le silence, puis poursuivit le raisonnement.
- Il y avait des bouts un peu partout, non ? Possible qu’il ait tenu l’amphore entre ses mains, et qu'il se soit coupé avec quand elle a explosé ?
- Mouais. Cela voudrait dire que c’est lui qui a pris l’amphore pour attaquer le meurtrier ?
- Pas forcément, fit remarquer Nancy. Si le meurtrier l'a attaqué et que Jérémy a récupéré l’amphore… cela voudrait dire qu'il s’est défendu et qu’il y a eu lutte. Donc le meurtrier sera blessé. Il faudrait regarder si l'un des élèves a des traces de blessures.
Cléa acquiesça d'un signe de tête, l'air toujours perdue dans ses pensées. Les deux filles avaient ralenti le pas, puisque de toute façon elles ne se dirigeaient pas quelque part en particulier.
- Il y a quelque chose qui te tracasse, non ? osa demander Nancy après un nouveau long silence dérangeant.
- Mouais, répondit la plus grande non sans une hésitation. Je me demande quand le meurtre a pu avoir lieu… Le sang était encore chaud, ça ne doit pas faire si longtemps. Au moment de l'extinction des lumières ? Pourtant nous étions tous dans le hall. Ou alors avant ? Mais dans ce cas, pourquoi est-ce que personne n'a été alerté par le bruit de la lutte, ou n'est tombé sur le cadavre pendant qu'il visitait ? On l'aurait su immédiatement si ça avait été le cas, avec la panique qu'il y aurait eu.
- Ah oui effectivement, je n'y avais pas pensé… C'est vrai que c'est une bonne question. En sachant qui était avec qui au moment du meurtre, on pourrait collecter des alibis et procéder par élimination.
- Exactement. Donc dans l'immédiat, il va d'abord falloir retrouver le groupe pour voir si quelqu'un paraît blessé, retourner au corps au cas où on trouverait d'autres indices sur comment ça s'est passé, et ensuite réfléchir au potentiel meurtrier.
- D’instinct, je penserais à Gabriel, annonça Nancy.
- Trop évident, contesta Cléa en secouant la tête. Le meurtrier cherchera sûrement à le faire accuser, vu comme ce serait obvious.
- Mais justement parce que c’est si évident des personnes comme toi l’élimineront de la liste, du coup ce serait une sorte de double bluff. En tout cas s'il a fait ça, c'est très bien joué de sa part. Il paraît tellement suspect qu'on n'a pas envie de croire que c'est lui.
Cléa ne répondit pas, si bien que Nancy poursuivit.
- Je crois qu’il faut analyser chacun des élèves… et même les profs. Pour savoir quels motifs ils auraient eu à tuer Jérémy.
- Peut-être déjà commencer par essayer de trouver le moment du meurtre pour vérifier les alibis de chacun, ajouta Cléa.
- Oui… et essayer de voir s’il y a d’autres papiers cachés de M.
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