Chapitre 9 : Les lumières de l'avenir
Bonjour Éléonore,
J'espère que tu te portes au mieux. Veille à me pardonner pour cette lettre déconstruite, mais les seuls documents que j'écrivais depuis adolescent étaient les rapports que j'envoyais à ton mari.
Tout va pour le mieux dans ce havre. On est heureux avec Hyacinthe, car on vit un quotidien qui nous convient. Elle m'aide à construire une vie paisible, entre le fait de respecter un rythme de sommeil correct, de manger à ma faim et surtout de progresser dans ma rééducation.
Depuis lundi matin, j'ai accepté de me tourner vers la canne. Ce moyen de déplacement est encore humiliant pour moi, mais je peux enfin entrapercevoir le bout du chemin grâce à ce retour à l'autonomie et à l'indépendance.
Je pars en balade avec le chien, je monte à cheval seul (même si me hisser et descendre me prend encore du temps par rapport à mon passé de cavalier), et je glisse à la hauteur de Marius. Je suis content qu'il rampe sur les genoux, bien que cette situation inquiète ta sœur. Je vois cette peur de le voir trop vite grandir dans ses yeux.
Ces nouvelles étaient les bonnes. Plongeons-nous à présent dans les ombres au tableau : elles sont au nombre de 3 :
Les fantômes d'Edward et de Hilda qui viennent me hanter
Ma traversée du désert dans les progrès
Ma culpabilité
Numéro 1 : J'ai enfin ressenti le courage de me rendre au cimetière, mais cette visite a pas eu l'effet escompté que j'attendais. Je me suis honteusement senti ridicule à parler devant des tombes vides...
Par respect envers toi, je vais pas évoquer Edward parce que tu sais déjà tout sur lui... Excepté que je vois son regard tous les jours dans les yeux de son fils.
Hilda... Elle était bien plus que ma supérieure : elle était mon amie, que j'ai pas pu retenir du suicide, alors qu'elle s'est battue pour m'arracher des griffes de la mort. L'attachement qu'elle ressentait envers moi, je l'ai malheureusement compris que trop tard. Je le remarque tous les matins dans le reflet du miroir de la salle de bain. Je sais qu'elle a réalisé un travail impeccable sur mon œil : as-tu une raison pour laquelle ma vue me fait parfois défaut ?
Numéro 2 : Pourquoi je ressens ce mauvais pressentiment que je régresse dans mes efforts, surtout dans la motricité de mes doigts ? J'ai l'impression de vivre une stagnation désagréable et inexplicable.
Numéro 3 : Marianne parle souvent de cette émotion, que je comprends désormais, mais pour une raison différente. J'ai écrit : "Je glisse à la hauteur de Marius.", pas : "Je m'assois à côté de Marius.". Si je peux pas dans quelques semaines plier mon genou, comment pourrais-je prouver à ta sœur que je l'aime ? Cet aveu est terriblement gênant, mais j'ai pas le choix car je veux pas perdre Hyacinthe, la plus belle rencontre de ma vie et la femme que j'aime. Le chantier est colossal, n'est-ce pas ?
Prends soin de toi,
Louis Boitelet
***
Bonjour Louis,
Je m'accorde la pause de midi pour t'écrire : ma lettre ne sera ainsi pas parfaite comme la tienne, mais je souhaitais te rendre ton geste qui me ravit.
Je suis heureuse que tu n'oublies pas Edward. Il me manque terriblement, mais je vois l'amour et le bonheur que nous avons vécus à travers Hyacinthe et toi. Je suis contente que votre histoire se construise d'admiration, de complicité, de joie et de respect.
Ta convalescence, ta guérison et la résilience sont en bon chemin, et je peux te jurer que cette canne que tu exècres deviendra ta meilleure alliée pour progresser, guérir et devenir l'homme fort que tu désires être pour ma sœur. Cette volonté t'honore...
Comme celle de t'occuper tous les jours de mon fils. Quand Marius vous voit avec Hyacinthe sur les photos accrochées dans la maison, il vous reconnaît : "Tata, tonton". Je suis fière que mon garçon soit si bien entouré, qu'il grandisse dans un environnement serein et qu'il s'épanouisse.
Son père souhaitait le meilleur pour son enfant, et je ne ressens plus de regrets ou de remords quant à notre mariage. Ma fierté d'être son épouse reste intacte, car mes années à ses côtés ont été les plus belles de mon existence... Celles avec Marius seront les plus merveilleuses, parce que mon mari m'a laissé le plus pur des cadeaux.
Quant à Hilda, elle était mon amie... Je suis certaine qu'elle ne se serait pas moquée de toi si elle t'avait vu t'exprimer devant des pierres tombales. Chaque humain gère son deuil selon ses ressentis et son expérience face à la mort.
Ta vue changeante n'est donc pas un symptôme qui m'inquiète, car je suis sûre qu'Hyacinthe nous présenterait déjà une explication psychosomatique : "On appelle ça la scotomisation : l'esprit ne voit que ce qu'il accepte de voir." ...
Enfin, je parviens à la partie de cette lettre qui sera certainement la plus intéressante pour toi, parce que tu vas découvrir une facette de ma sœur que tu ne connais pas, mais qui te fera comprendre sa bonté d'âme.
Nous sommes nées dans la famille bourgeoise des Argier, dont la réputation s'étend jusqu'à la famille royale grâce à nos connaissances médicales et à notre serment de respecter toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions.
Les hommes de notre lignée sont des médecins réputés : des ORL, des cardiologues, des dermatologues, des endocrinologues... Exceptées les femmes qui doivent être mères au foyer. Avec Hyacinthe, nous avons grandi dans ce contexte dont nous étions conscientes du privilège.
Je l'aime depuis qu'elle a poussé son premier cri... Pourtant, mon père était loin d'être aussi ravi que moi : il attendait un garçon, un héritier. Je garde précieusement des souvenirs précis de ma sœur : elle était une enfant sage qu'on entendait jamais, qui était toujours dans son coin à lire, à écrire, à étudier.
Il s'est alors progressivement intéressé à elle, à son intelligence et à sa capacité d'observation... Notre mère nous encourageait et nous soutenait dans nos activités, car son discours était féministe : "Je vous paierai des études mes filles, pour que vous exerciez un métier passion qui vous permettra d'être autonomes et indépendantes.".
Hyacinthe est devenue une petite fille dodue qui était bien nourrie par nos nourrices, mais dont sa grande chevelure brune attirait l'attention de tous, autant des invités que des passants. Elle a grandi et son apparence était toujours propre, son visage reposé, sa voix douce, son discours rebelle.
Pourtant, le détail que j'admire chez ma sœur est son caractère et son tempérament. Volontaire et déterminé. Pour réussir, Hyacinthe a dû travailler dur, mais cela ne lui a pas déplu parce qu'elle n'est ni frivole, ni nonchalante. Bien au contraire... Elle est pleine de vie. Son choix est toujours judicieux et ses projets une réussite.
Hyacinthe a fait des envieuses, mais son image est impeccable. Sa personnalité chaleureuse et avenante m'apaise, et son tempérament aussi doux qu'honnête me rassure... Comme le fait qu'elle est diplômée d'une formation militaire.
Oui. Ma sœur a toujours accepté l'ordre, car mon père nous a élevées dans une discipline militaire. Elle respecte l'autorité et grâce à cette qualité, Hyacinthe possède les compétences pour survivre, et les bases du combat au corps-à-corps. Elle manie les armes blanches (parce que les arts martiaux étaient son activité favorite à l'armée), et est capable d'utiliser les objets de son environnement, comme toi avec le fusil dans le bar...
Camp de survie, connaissances des plantes : son ambition de devenir une femme libre lui a donné la force de se battre et d'être reconnue dans ce monde d'hommes. Ma sœur possède un côté plus féroce qu'elle montre rarement... Elle accorde une grande valeur à la préservation de la vie humaine quand cette dernière est menacée, et elle déteste voir des patients mourir. Hyacinthe te ressemble plus que tout ce que tu aurais pu rêver...
Ma sœur a toujours vu l'horizon à travers les murs, et elle t'aime au-delà de tes apparences car Hyacinthe voit le monde dans tes yeux.
Prenez soin de vous,
Éléonore Argier
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