Chapitre 5 : Les échos du passé
Résumons, pour que je sois sûr d'avoir tout compris : tu reçois tous les matins des patients, du lundi au samedi, tout en t'occupant de Marius... Parce qu'Éléonore travaille à l'hôpital. Tu prends soin de ce garçon, le jour comme la nuit, en lui préparant ses biberons, en le changeant, en le lavant et en le portant, c'est bien ça ?
Hyacinthe fixa Louis un instant, les pupilles fixes, pour être certaine d'avoir entendu tous ses arguments.
Oui, confirma-t-elle en enjambant le banc. Le repas comprendra une salade verte en entrée avec œufs du poulailler et tomates du jardin, d'un plat de magret de canard fourni par Christian et sa ferme, d'une purée et d'un pain faits maison et d'un moelleux au chocolat, indiqua Hyacinthe en enfilant et en nouant son tablier vert émeraude. Louis resta concentré sur Marius, la pause du midi pouvait attendre.
Tu as en charge... Enfin, je veux dire : tu as la responsabilité d'un enfant qui est pas le tien.
Et ? Je l'aime comme mon fils, il est de mon sang. Marius grandit dans un environnement privilégié et serein. Si je ne suis pas présente dans la mémoire et les souvenirs de mon neveu, quel être pensera à ma soeur, à Edward et à moi quand ce monde nous aura oublié ? Elle avait raison Hyacinthe, bien qu'elle oubliait un détail.
Dont le père aurait pu être à ses côtés tous les jours de sa vie, si j'avais fait le bon choix..., avoua-t-il amèrement. Hyacinthe et Louis étaient dans les confessions, autant rester dans cette situation inconfortable pour le cœur, les nerfs et le corps.
Tu as pris le temps de ramener Edward, de lui trouver un lieu de repos décent, de le laver, de l'allonger dans un lit, de laisser des fleurs à côté de lui, de t'être certainement assis à même le sol durant des heures pour le veiller, et tu me confies que tu as des regrets et des remords ? Hyacinthe haussa légèrement le timbre de sa voix, mais rejoignit Louis, la tête et les yeux baissés de honte. D'ailleurs, comment connaissait-elle tous ses détails ? Je l'ai trouvé apaisé et beau. Ma soeur était si amoureuse, si tu savais... Edward ne reste jamais seul plus d'une journée : vendredi, samedi, dimanche et lundi sont les jours d'Éléonore... Mardi, mercredi et jeudi sont les miens, expliqua-t-elle en posant courageusement ses doigts sur la main de Louis.
Louis sursauta. Jamais personne ne se serait permis de le toucher, même pour un geste réconfortant. Sauf que Louis ne réagit pas brusquement, car Hyacinthe ne méritait pas d'être déçue et blessée. En réalité, ses doigts étaient plutôt agréables, chauds et doux... Mais le détail qui déstabilisait Louis, c'était la sensation d'une étrange énergie dans son corps.
Et comme beau-frère, il était comment ? Louis préféra briser le silence, surtout pour revenir à une conversation plus joyeuse.
Au plus grand malheur de Louis, Hyacinthe retira ses doigts, tourna son dos vers le plan de travail, et saisit les tomates lavées sur l'évier, la planche en bois, le petit couteau. Elle s'installa confortablement à table, et commença à couper délicatement les légumes. Même si les gestes de la médecin étaient assurés, il ne pouvait s'empêcher de les surveiller, de peur qu'elle se coupe... Surtout parce que son regard se perdit dans le vide : elle plongeait dans le passé.
Gentil, comme son fils. La preuve : tu as entendu Marius pleurer depuis tout à l'heure ? Hyacinthe était agaçante à ne pas avoir tort. Pour calmer sa frustration, Louis tendit son bras vers les œufs : il essayerait de les éplucher.
C'est un brave gamin, répondit-il poliment. Marius gazouillait dans son berceau. Louis ne s'était encore jamais approché d'un bébé.
Prévenant, protecteur... Il me faisait rire, également. Il était l'homme en qui j'avais le plus confiance, confessa-t-elle en s'essuyant les mains sur le torchon.
Louis devait lui demander. Ce moment était propice, assurément la dernière occasion dont il profiterait.
Tu vis seule ? Louis savait que la question pouvait paraître intrusive, mais il devait savoir. Il attendit la réaction agacée de Hyacinthe... Qui ne vint curieusement pas.
Oui ! Hyacinthe l'exprima comme si elle donnait son consentement à l'officier de l'état civil : avec un grand sourire, et surtout d'un rire qui envahissait et craquelait les murs. C'est mon choix Louis, l'informa-t-elle en cisaillant si finement la peau du magret que Louis s'interrogea sur la conséquence et la finalité de sa demande. Mais je ne suis pas seule : Marianne m'apporte des fleurs fraîches toutes les semaines, Amélia participe à mon maintien en forme, Julien m'aide pour le bricolage, Romain me coupe du bois... Avec Antonio, ils viendront bientôt tous manger un soir à la maison. Mon plaisir reste intact de les recevoir, déclara-t-elle en épluchant doucement les pommes de terre. Soudainement, Marius brisa l'intimité de Hyacinthe et de Louis. Le nourrisson babilla : il devait avoir faim. Sa tante se leva, se rinça les mains, s'approcha du garçon et le serra. Elle le berça, et plongea son nez dans son cou. Cette image était émouvante, même pour un soldat : Tu veux le prendre dans tes bras ? Pendant que je prépare le biberon ?
Louis suivit du regard Hyacinthe. Il voulut décliner poliment son invitation, mais ses cordes vocales n'émirent bizarrement aucun son. En vérité, il mourait d'impatience de faire connaissance avec le fils d'Edward.
Tenir un enfant, lui parler : je sais pas faire Hyacinthe, confia-t-il. Les enfants : il ne s'était jamais imaginé réussir avec les enfants, lui qui n'avait connu que la misère, la faim, la soif, la crasse, la pauvreté, la violence... Et s'il m'aime pas, qu'il se met à... Hurler ? Hyacinthe posa Marius dans les bras apaisants et chauds de Louis. La tête du bébé dans le creux de son bras gauche, il touchait du bout des doigts une vie toute neuve. Les yeux du nourrisson étaient ouverts, et lorsqu'ils croisèrent ceux du Capitaine, le Boitelet sentit une envie inexplicable naître au fond de ses entrailles. Bien qu'il n'ait jamais connu son propre père, ses gestes étaient instinctivement paternels. Louis tint la tête de Marius, défit la couverture d'Éléonore et posa sa main consolante sur le ventre du garçon, qui lui serra le petit doigt. La rencontre était... invraisemblable : Tu as le regard, les sourcils et les cheveux de ton père Marius. Je l'ai bien connu. Marius écoutait-il réellement Louis ? J'ai l'air ridicule de parler à un enfant qui me répondra pas, dit-il tout haut alors qu'Hyacinthe s'approchait avec le breuvage miracle.
Pas encore, précisa Hyacinthe en nouant un bavoir autour du cou de Marius. Elle s'assit à côté de Louis, et approcha la tétine de la bouche du bébé, qui mangea aussitôt avec un grand appétit. Louis monta sa main jusqu'aux doigts fins de Hyacinthe, et saisit enfin le biberon.
Je comprends enfin pourquoi tout le monde se précipite pour le donner, révéla-t-il. Un sourire naquit du coin des lèvres de Hyacinthe. Il mange combien de fois par jour ? Elle se tourna vers l'horloge, et réfléchit un instant.
Toutes les deux heures, mais des petites quantités... Même la nuit. Hyacinthe anticipa la question de Louis, mais ne s'attendait pas à sa déclaration.
Je prendrai le relai de 21 heures à 7 heures.
Hyacinthe ne contesta pas, parce qu'elle savait que la réparation du sommeil de Louis serait progressive. Avant de tourner les talons vers la cuisine, elle garda cette belle scène en mémoire à jamais.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro