Je vais voir Edward, Hilda et... tu sais qui d'autre. Je prends Marius, on sera de retour pour mettre le couvert. À tout à l'heure, annonça-t-il en tendant la main au garçon. Il lui enfila ses petites chaussures, et couvrit ses épaules d'une courte cape. Il n'oublia pas également son écharpe épaisse et ses jolis gants. Marius échappa un instant à l'attention de Louis, et le Capitaine courut après cet enfant qu'il estimait à présent comme son fils.

Couvrez-vous bien ! Je t'aime, déclara Hyacinthe en s'essuyant les doigts, et en faisant un geste chaleureux de la main. Elle préparait des desserts pour le midi : un crumble aux pommes et un fondant au chocolat.

"Elle m'aime" pensa Louis. La déclaration de Hyacinthe sonnait si naturellement... Qu'elle était entièrement vraie. Aussi pure que Marius qui découvrait le monde. La couleur verte de l'herbe, son odeur après la pluie, l'eau qui mouillait ses vêtements quand il sautait (ou plutôt tombait) dans une flaque, les oiseaux qui s'abreuvaient ou se toilettaient... Le monde était beau, surtout dans les yeux émerveillés d'un garçon.

Il marcha un petit moment, mais se retourna rapidement vers Louis. Marius ne bougea pas, car attendit que celui qu'il considérait comme son père le rejoigne. Le Capitaine ne négocia même pas de le porter dans ses bras. Le père et le fils avancèrent sur les chemins jusqu'à rejoindre le cimetière.

Le soleil brillait de mille feux, et ses rayons magnifiaient et faisaient briller le marbre blanc des pierres tombales. Marius s'agita, et Louis le descendit pour que l'enfant court vers la tombe de son père. Le Boitelet vérifia les alentours : personne... Les tombes étaient pourtant fleuries.

Hilda, Edward... Ils n'étaient pas allongés sous Louis, mais ce détail n'empêcha pas le Capitaine de caresser le granit. L'innocence et la joie de vivre du garçon contrastaient avec la tristesse et le recueillement du cimetière.

Louis ne pouvait pas en vouloir à Marius : il était jeune, il ne se rendait pas compte de la solennité du lieu et il ne comprenait pas qu'il foulait les corps sacrifiés des proches de ses parents.

Marius s'interrompit dans son exploration, et montra un animal qu'il aimait : un écureuil. Il se tourna vers Louis, et porta son doigt jusqu'à sa bouche pour mimer le geste du silence. L'animal se redressa sur ses pattes, sa frimousse analysa l'environnement et il s'enfuit finalement vers un arbre, dont seules les personnes survivantes de la Légion de l'Humanité connaissaient son importance : celui sur la colline.

Marianne avait enterré Erwan, érigé une pierre tombale et se recueillait tous les jours. Durant de longues minutes. Toujours calée contre le tronc de l'arbre, son écharpe rouge autour du cou. Louis la vit.

Marianne était là. Droite comme une femme digne, elle portait la vie en défiant la mort. Elle caressa son ventre bien arrondi, posa ses mains sur ses reins et essaya de s'étirer sans ressentir la douleur.

Viens Marius, indiqua Louis. L'enfant suivit ses pas, jusqu'à ce qu'il remarque Marianne. Il se précipita vers elle, et gravit difficilement la colline, mais son père le rattrapa et glissa ses mains sous les aisselles de son fils. Les pensées de Marianne s'interrompirent, et un sourire timide se dessina sur son visage.

Bonjour Capitaine, le salua-t-elle d'une voix presque inaudible. Elle ne pleurait plus, mais combattait la tristesse et le deuil, mauvais pour son garçon à naître.

Louis, grogna-t-il en tendant ses doigts pour saisir ceux de Marianne, les porter à ses lèvres et baiser sa main. Julien est pas avec toi ?, l'interrogea-t-il en scrutant les horizons.

Il peint la chambre de notre fils. Il m'a viré de la pièce pour pas que je respire des résidus toxiques, expliqua-t-elle en baissant son regard vers Marius. Marianne rassembla ses forces, et souleva l'enfant qui comprenait qu'il devait se tenir tranquille pour ne pas blesser la femme qu'il adorait. Bonjour Marius, dit-elle doucement. Le garçon l'enlaça, et Marianne caressa son dos. Louis l'observa. Comment cette femme qu'il avait vu grandir et qui avait combattu à ses côtés devenait-elle une personne si maternelle et une mère si tendre ? Subitement, Marianne grimaça. Louis s'approcha d'elle pour reprendre Marius, le poser et se pencher vers elle. La main du Capitaine avait instinctivement rejoint le biceps de celle qu'il considérait comme sa sœur. Les Boitelet. Pardonne-moi, s'excusa-t-elle les larmes aux yeux et le corps disloqué. Elle s'appuya sur Louis, qui analysa la situation. Marianne devait souffrir de contractions.

Tss... Depuis quand t'es une femelle Boitelet ? Louis préférait plaisanter de la scène qui se déroulait devant ses yeux, surtout pour détourner l'attention de Marianne. Elle devait se concentrer sur un détail différent.

J'aimerais te voir, prononça-t-elle en serrant les dents et en refermant sa poigne si fortement que Louis passa son bras autour du buste de Marianne pour l'obliger à se redresser et à se détendre. Merci Louis, souffla-t-elle en maîtrisant ses tremblements.

La prochaine fois, évite de me faire flipper en me faisant croire que tu vas accoucher dans mes pattes, s'exprima-t-il en surveillant Marius qui s'était allongé contre le tronc de l'arbre.

Il bouge bien, je le sens. Tu veux toucher ?, osa-t-elle demander. En vérité, Marianne savait que l'occasion ne se présenterait plus pour lui. Louis hésita un instant, jusqu'à ce qu'il accepte de se laisser guider. Le ventre de Marianne était dur, mais Louis sentit immédiatement les coups de pieds du petit bonhomme. Cette expérience était aussi merveilleuse que troublante. Deux cœurs qui battaient dans un seul corps, Marianne qui devrait se libérer, voir son enfant. Le fils héritier de Julien. Je me pose tant de questions si tu savais..., avoua-t-elle à son Capitaine. Que penserait Erwan de tout ça ?, s'interrogea-t-elle en découvrant la position de Marius. Elle s'approcha de lui, s'abaissa, s'assit et recoiffa délicatement quelques mèches des cheveux du garçon.

Il aurait été heureux de rencontrer ton enfant. Le sang qui coule dans les veines importe peu, Louis et Marianne se dévisagèrent et se comprirent mutuellement. L'amour est aveugle : j'aime un fils, bien que sa génétique soit pas la mienne... Mais je retiens un seul détail dans cette histoire, il se surprit d'entendre sa voix s'étrangler. La vie finit toujours par renaître.

Comme l'arbre sur la colline ?, leva-t-elle la tête vers les branches où se trouvait l'oiseau que Marianne attendait : la réincarnation d'Erwan.

Ouais. Comme l'arbre sur la colline.